𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟕𝟖












𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄  𝟕 𝟖





















           Immense, elle s’élève. La bête est si grande que son crâne semble planté dans l’éther sombre. Ses cornes, affutées, sont encrassées. Des tâches sombres la maculent, se faisant plus présentes encore à mesure qu’elles approchent de son crâne massif de taureau.

           Plantées de chaque côté de ce dernier, elle s’élève en virgule au-dessus de ses oreilles. Lesquelles encadrent des yeux noirs vitreux profondément enfoncés dans ses orbites.

           En-dessous de la gueule monstrueuse n’existe plus qu’une succession de muscles. Ce corps d’homme, couvert de poils, semble crouler sous sa propre masse musculaire. Des bandages tiennent même son ventre, où est planté un marteau.

           Ses bras, parcourus de bracelets d’or, se lèvent lorsqu’il serre soudain les poings. Sa gueule se dresse et, rivée vers le ciel, hurle.

           Un beuglement brutal, long, qui ébranle tout ce qui existe et existera. Des lézardes fendent le sol tout autour de nous, brisé par le son né du Tartare.

           Soudain, ma jambe glisse. Mon cœur s’emballe et je tombe à genoux. Ceux-là percutent l’herbe et ses brindilles, laissant quelques graviers s’enfoncer dans ma chair.

           Je n’ai le temps de me relever. Il hurle à nouveau. Mes tympans sifflent, comme piqués de milles aiguilles et j’attrape ma tête entre mes mains. Aussitôt, mon corps déstabilisé ne lutte pas contre le sol tremblant.

           Je bascule en arrière.

           Mon dos fend l’air et mon cœur remonte le long de ma trachée, se figeant dans mon œsophage. Tandis que je m’effondre, il me semble que le temps ralentit. L’éther ténébreux s’éloigne tout en s’approchant, mes repères basculent et je ne sais trop où ils se replacent.

           Puis, tout s’accélère avec brutalité.

           Mes jambes passent par-dessus ma tête. Ma robe remonte à mon ventre. Mon cou émet un sinistre craquement. Ma tête heurte quelque chose. Une brindille griffe ma paupière. Une ronce écorche mon bras. Je ne cesse de dévaler la pente, roulant sur moi-même, me cognant sur tout. Des hurlements retentissent, sifflant.

           Mais je n’entends soudain plus rien. Mon corps s’immobilise. Face contre terre, sonnée, les yeux clos. Je ne bouge pas. Le monde semble s’être arrêté.

           Soudain, un cri. Non pas celui de l’animal. Un autre.

           On attrape mon bras et me retourne.

— OUVRE LES YEUX ! OUVRE !

           Des mains saisissent mon visage. Un corps halète, au-dessus du mien. J’entends ces ordres fusés, semblant lointains et proches en même temps. Comme si j’étais derrière une plaque de verre.

— OH ? TU M’ENTENDS ? OUVRE LES YEUX !

           Un pouce essuie ma pommette. On me secoue mollement. Mais je n’arrive pas à bouger. Je ne veux pas. Je suis bien, là.

— Et bien ? ricane la voix de tantôt. Je croyais que tu ne te laisserais pas avoir par une vulgaire illusion ? Pourquoi es-tu si paniqué ?

           Ah…

           La voix qui cri depuis tout à l’heure appartient à Toji. Je ne sais trop pourquoi, j’avais oublié qu’il était là. A vrai dire, le temps d’un instant, j’ai tout oublié. Jusqu’à où j’étais.

           Cependant, là, je me souviens. J’étais au sommet de la colline lorsque le minotaure est arrivé. Et son hurlement m’a projeté en son bas. Seulement, surtout, avant de chuter, j’ai remarqué quelque chose.

— Les bracelets…, je chuchote.

           Ma voix se fait faible tandis que j’entrouvre les yeux.

           Au-dessus de moi, les yeux smaragdins de Toji brillent. Une larme coule sur sa joue lorsque sa main s’attarde sur mon visage.

— Les bracelets…, je répète.

           Mais in dépose un index sur ma bouche. Clouant mes lèvres, il m’intime doucement de me taire.

           Un instant, je pourrais être vexée. Seulement la tendresse de son geste me surprend. D’autant plus que, soudainement, il caresse le sommet de mon crâne de son autre main.

— Je ne suis qu’une illusion, je chuchote contre son doigt.

— Je sais.

           Une autre larme coule sur sa joue.

— Alors ce n’est pas grave si tu me vois ainsi, murmure-t-il.

           Ses gigantesques ailes couvrent mon corps. Elles planent au-dessus de moi, comme pour me protéger. Son pouce caresse ma tempe.

— Je me fiche que tu ne sois qu’une illusion. Laisse-moi juste profiter de ce moment.

           Il se penche un peu plus. Je n’entends plus le minotaure, au loin. A vrai dire, l’odeur de l’herbe ne se propage plus dans mon nez et le sol est dur, sous mon dos.

           Tournant la tête sur le côté, je réalise. Mes sourcils se froncent.

— Tu… nous as téléportés ?

— Je sais que tu n’es qu’une illusion… Mais je n’ai pas supporter de te voir tomber le long de la colline. Qu’importe si la douleur que tu as ressentie n’était pas réelle…

           Son pouce frôle ma pommette et je me crispe. Dans ma chute, j’ai cogné une pierre, à cet endroit précis.

— …J’avais besoin de t’emmener avec moi, t’emporter. Alors je t’ai rattrapée.

           Si je n’avais pas aussi mal à la tête, je pense que je me redresserais, abasourdie.

           Il m’a accusé d’avoir détruit sa famille, m’a encouragée à me suicider au combat et, maintenant, il se permet de pleurer devant une « illusion » de ma personne ?

— Tu es d’un ridicule, mon pauvre, je crache.

           Il ne réagit pas plus que cela, continuant de me regarder.

           Cela ne m’agace que davantage. Je ne supporte plus son inconstance, sa façon de se rétracter sans arrêt, ne pas savoir ce qu’il veut. Comment ose-t-il me pleurer ? Après ce qu’il m’a fait, comment ose-t-il ?

           Soit, j’ai espéré le voir affecté par mon décès. Mais, maintenant que j’observe ses larmes, sa détresse m’agace plus qu’autre chose.

— Je suis celle qui est décédée. Je suis celle que tu as poussé au suicide. Je suis cette femme. Pas toi.

           Un rire me prend. Je le fusille du regard.

— Et tu oses te prétendre affligé ?

           Il pouffe entre ses pleurs. L’une d’elles roule sur son nez.

— Il n’y a pas à dire, cette illusion est vraiment convaincante. Tu agis exactement comme elle, elle le ferait.

— Toi, en revanche, pas du tout.

           Toji n’est pas dans son état normal. N’importe qui le verrait. Il n’est pas dans ses habitudes de pleurer de la sorte. Et, quand bien même il s’est rendu compte, aux portes de mon décès, qu’il m’aimait peut-être, il existe une colère en lui.

           Or Toji n’est pas homme à oublier sa colère.

— Quelque chose ne va pas, je grommelle.

           Me relevant, j’ignore mon mal de crâne et observe le lieu où je me trouve. Un parquet lustré, des murs garnis de livres, des canapés de cuir, un bureau… Il s’agit des appartements de Toji, dans le char d’Apollon.

           Des herbes collent à ma peau, à travers ma robe.

           Soudain, deux mains se posent sur mes hanches. Délicates, chaudes, larges, elles me saisissent avant de m’attirer contre un torse.

           Là, deux lèvres chaudes se pressent contre ma gorge.

— Tu es si belle, mon ange… Tu m’as manqué.

           Un frisson parcourt mon échine mais je garde le menton levé. Il me faut montrer un effort surhumain pour lutter contre l’envie de poser mon dos contre son torse.

           Je crois que j’ai compris…

— Après ma chute, mon mal de crâne a été tel que je n’ai pas questionné le fait que tu nous aies téléporté, Toji, je chuchote. Mais le fait est que tu ne peux pas nous téléporter.

           Je me retourne, plongeant mon regard dans celui de l’homme.

— Cela ne fait pas parti de ses pouvoirs.

           Je souris.

— Tu n’es pas Toji. Tu es une énième illusion. Je suppose que tu espérais attirer ma compassion en me montrant qu’il m’aimait encore…

           M’écartant, j’ignore la mâchoire de l’illusion qui se contracte. Commençant à marcher dans la pièce, je caresse les commodes de cette dernière.

           J’en suis sûre, la pièce autour de moi est bien réelle. Nous venons d’être téléportés. Je suis de retour dans le char d’Apollon.

— Sur la plaine, le Toji qui affirmait que j’étais une illusion et ne se laisserait pas avoir par ma présence était réel. Seulement, quand j’ai commencé à jouer le jeu et prétendre être effectivement une illusion, je suppose que tu as saisis cette nouvelle opportunité.

           Un sourire espiègle étire mes lèvres et je me tourne vers « Toji ». De loin, ses contours se font moins nettes. On distingue mieux qu’il n’est que brumes et n’existe pas réellement.

           Quelques clignements de paupières plus tard, il se dissipe d’ailleurs.

— Tu es plus intelligente que ce que j’imaginais, ma chère, reprend la voix féminine de tout à l’heure.

           J’acquiesce.

— Depuis combien de temps, chacun d’entre nous est-t-il coincé dans ce labyrinthe ? je demande. Car tout cela n’est qu’une question de temps. Le char d’Apollon arrivera très vite à bord mais, si ses passagers ne sont pas en état de descendre, vous aurez le loisir de tuer les Evilans…

           Ils ne veulent que nous retarder. En me mettant devant une illusion de Toji, amoureux de moi, cette femme pensait que je succomberais à la tentation et me perdrais dans son étreinte.

— Tout cela pour nous retarder… Vous êtes d’un pathétique. Ton pouvoir est puissant et tu le sais. Tu l’utilises si mal…

— Au contraire, répond la voix.

           Chaque humain, lorsqu’il nait, se voit assigner un signe astrologique. Sa date de naissance le détermine. Il aura, par la suite, une incidence directe sur le pouvoir qu’il développera.

           Seulement il n’est pas le seul signe que chacun possède.

           Au total, nous avons trois signes astrologiques.

           Le premier, solaire, dépend de notre date de naissance. Mais les deuxième et troisième, ascendant et lunaire, sont déterminés par l’heure et l’emplacement de la naissance.

           Il y a fort longtemps, on ne maitrisait pas la magie de son signe solaire seulement, mais aussi les deux autres.

           Cette pratique a été interdite. Une si forte concentration de magie dans un corps humain consume ce dernier. L’espérance de vie du commun des mortels est de soixante ans, celui des sephtis tourne autour de cent ans et celui des amateurs de ces anciennes pratiques, trente.

— Quels sont tes signes, dis-moi ? je demande. Tu nous as téléporté donc tu es Taureau, tu connais mes sentiments donc tu es Sagittaire et tu as créé des illusions donc tu es Capricorne…

           Mais la question est… Quel signe est lequel ? Non pas que cela influence la suite. Je suis simplement curieuse.

— Tu ne vivras pas longtemps.

— Je vivrais plus longtemps que toi, répond-t-elle.

           Mes épaules se haussent. Quand soudain, je me fige.

— Toji m’a parlé de dragon…, je chuchote.

           Un rire me répond.

— Tu comprends enfin.

           Je me demandais comment une personne utilisant ses trois signes pouvait se contenter de si peu. Je suis consciente que des humains ne peuvent tuer des gens déjà morts or je m’attendais à plus de créativité que de simplement nous ralentir.

           Mais elle ne tient pas à nous ralentir.

— La magie élémentaire appelle la magie élémentaire…, je chuchote.

           Posséder ses trois magies est une pratique très ancienne, dites élémentaire. Les dragons, endormis depuis des millénaires, ne peuvent se réveiller qu’au contact d’une magie aussi vieille qu’elle.

           Et le char d’Apollon va passer devant leur repère au moment où cette femme se trouvera ici.

           Mon ventre se noue.

— Tu ne veux pas nous retarder, je réalise.

           Elle rit à nouveau.

— Tu veux réveiller les dragons pour qu’ils nous tuent.
































j'espère que ce chapitre
vous aura plu !

je sais que ça met du temps
à s'installer mais
prêts à voir les dragons ?
































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