𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟕𝟑
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 𝟕 𝟑
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Je peine à digérer les paroles de Sullyvan. Je ne peux me faire à l’idée que la famille Evilans a été destituée du trône par une milice venue des Terres Ancestrales. Surtout, l’idée qu’ils soient traquées dans l’Empire me fait peur.
Je me sens impuissante.
Là, murée entre deux gardes, silencieuse quand j’observe la scène sous mes yeux, je n’arrive même pas à être éberluée. Mes pensées tournoient autour des révélations de Sullyvan.
— Vous vouliez vous entretenir avec moi, déclare Toji, assis dans son trône d’obsidienne.
Il est superbe, ses cheveux parsemés de reflets irisés, une longue cape pourpre trainant dans son dos, sur une veste parsemée de décorations dorées tranchant avec l’obscurité de sa tenue noire.
En face de lui, nul ne se tient. La longue table du diner est vide. Pourtant, une voix résonne soudain.
— Je le voulais, en effet. Vous n’êtes pas sans savoir ce qu’il se trame actuellement sur terre. Et je ne pense pas que je doive vous expliquer pour quelle raison je souhaite en débattre avec vous.
— En débattre ? rit-t-il doucement, s’emparant d’un verre à pied garni d’un breuvage couleur lilas qu’il ingurgite. Vous ne souhaitez tout de même pas écouter l’opinion d’un gueux sur la question ?
— Un gueux ? Tu es un Ange, voyons ! Et béni par mon époux, qui plus est.
Je me fige. Son… époux ? La voix que j’entends serait donc celle de Perséphone, Déesse du Printemps. Cela ne m’étonne guère. Douce et mélodieuse, elle éclate en volutes le long de mon échine et apaise ma tête. Celle-ci semble se vider au contact de son chant.
Cependant le sujet qu’elle aborde s’empresse de l’emplir à nouveau.
— La famille Evilans est traquée sur ses propres terres. Les Pages Ancestraux ont été réduits à l’état de vulgaires fugitifs tandis qu’ils cherchent à exercer son pouvoir.
« Ils » ? Mais qui sont-ils ?
Je me sens nauséeuse, debout entre les gardes à la manière des autres domestiques. Le dos droit, attendant patiemment qu’on ait besoin de moi pour me précipiter au bon vouloir de ces gens, je demeure impuissante.
— Ils, comme vous dites, ne me regardent en rien.
— Vous avez été le chef de leur tribu, rétorque-t-elle.
— Avant de mourir et devenir un Ange. Maintenant, cela fait une décennie que je n’ai plus le droit de les approcher. Je n’ai rien à voir avec ce drame.
Ainsi, les auteurs du Coup d’Etat sont une tribu sur laquelle Toji a régné, à l’époque. Il est logique que les têtes se tournent vers lui, maintenant qu’elle agit mal.
— Si je vous croyais lié d’une quelconque façon à ce drame, vous auriez disparu dans les tréfonds du Tartare depuis longtemps, croyez-moi, gronde la voix de Perséphone.
Distinctement, je sens chacun se tendre autour de moi. Une menace, même provenant de la déesse du Printemps connu pour sa douceur, demeure une menace divine. Nous ne pouvons pas rester de marbre.
— Vous savez exactement pour quelle raison je viens vous en parler à vous, qui est le nouveau grand chef qui dirige cette révolte.
La mâchoire de Toji se contracte et il fait signe de resservir sa coupe. A ses côtés, un serviteur demeure debout à côté d’un chariot d’or garni de plats.
L’Ange n’y accorde aucun intérêt. Je me doute qu’étant donné l’évolution de la conversation, son appétit doit être passablement coupé.
— Megumi Fushiguro, votre enfant, a fait capturer les ressortissants Evilans de ces terres. Qu’avez-vous à dire à ce propos ?
Pardon ?
Toji met quelques instants avant de réagir. Prenant le temps de boire une gorgée, la déglutir mais surtout la savourer, il dévisage la chaise vide tirée, à l’autre bout de la table. Une façon de témoigner la reconnaissance de la présence de la déesse qui n’est pourtant pas là.
— J’ai à dire que les aléas de la vie m’ont poussé à ne pas connaitre mon fils. Je n’ai donc pas pu l’élever d’une quelconque manière.
Ses traits se font plus sombres lorsqu’il lâche :
— Dans une foule d’hommes de son âge, je ne saurais sans doute pas le distinguer des autres.
Un silence s’ensuit. Ma colère à l’égard de l’Ange ne suffit pas à étouffer la douleur de mon cœur se pinçant lorsque je réalise ses paroles.
Parfois, il a mentionné son enfant. Jamais il n’a daigné me montrer de façon trop flagrante sa souffrance. Cependant, en cet instant précis, je réalise qu’elle se lit tout le temps.
Dans le tressaillement de son menton lorsqu’il avale des sanglots mais aussi au travers du frémissement de ses lèvres quand il rit. Parfois, ses yeux se ferment et le voile de ténèbres le trahit. D’autre, il ne s’agit que de sa démarche alourdie après la vision d’un père et son fils.
Sa souffrance le suit où qu’il aille.
— L’Ange de la Mort doit veiller à ce qu’un afflux trop grand aux Enfers ne surviennent pas. Je vous confie donc la mission d’endiguer ce Coup d’Etat.
Toji hésite quelques instants, précautionneux.
— Dites-vous…
— Vous vous y rendrez. Vous discuterez, parlementerez, ferez pleuvoir des flammes s’ils n’écoutent pas. Mais seule la dynastie Evilans a été bénite des Dieux. Alors assurez que nos commandements soient écoutés.
Il acquiesce docilement. Il n’a pas le choix. Bien qu’amateur de blasphèmes et plutôt impoli, Toji n’est pas abruti. Il ne provoquerait pas une déesse.
Encore moins celle dont il est la pupille.
— Et vous n’irez pas seul.
La voix s’élève et lâche :
— Approche donc.
Intriguée, je me penche, regardant le restant de la ligne qu’aux côtés des serviteurs et gardes, je forme. Aussitôt, je bascule en avant.
Un cri franchit mes lèvres lorsque je trébuche, attirant le regard de Toji. Me redressant difficilement, je plante mon regard dans le sien.
Il me jauge avant de se détourner de ma personne, consterné.
— Permission de refuser ?
Comment ose-t-il afficher cet air affligé ? Je n’ai fait que trébucher ! Ce n’est pas non plus une action des plus humiliantes…
Mon regard se fait noir, derrière mon masque.
— Permission rejetée. Elle est la seule qui peut réellement faire la différence au cours des négociations.
— La seule ?
La voix de Toji résonne à la manière d’un murmure émis pour ses oreilles seules. Mon estomac se noue quand il baisse la tête, se tournant.
Ses yeux se posent sur moi. Je déglutis péniblement. Malgré le masque, il me semble qu’il sonde chaque détail de ma personne, qu’il peut lire ce qu’il se trame dans mon esprit sans grand mal.
— Approche, insiste Perséphone.
Déglutissant péniblement, j’obtempère. Le regard de Toji me suit, cuisant, tandis que je quitte le rang de serviteurs. Une chaise s’écarte de la table, m’invitant à m’assoir.
J’hésite quelques instants avant d’obéir et placer mon postérieur sur le siège.
— Faites amener un couvert, lâche Toji en ne me quittant pas des yeux.
— S’il-vous-plaît, j’ajoute.
Risquant un regard vers le noiraud, je surprends le sourcil qu’il hausse face à ma correction. Cependant je regarde à nouveau devant moi, levant fermement le menton.
Il soupire quand une assiette et des couverts sont étalés devant moi. Je remercie le serviteur tandis qu’un autre commence à servir Toji.
Bientôt, un amas de légumes surplombés de fleurs disséminées çà et là sont disposés devant nous.
— Demain, vous descendrez sur terre au cours du procès. Apollon accepte de vous prêter son char qui vous mènera directement à bon port.
Je frissonne. Ainsi, je vais retourner au palais, accompagnée de Toji. Nous allons nous y rendre à nouveau, comme il y a un an, lorsque je n’étais qu’une druide qui n’avait aucune idée de qui l’accompagnait en réalité.
Cependant, aujourd’hui, c’est lui qui ignore tout de la personne l’accompagnant.
— Je vais devoir descendre sur terre en compagnie d’une vulgaire servante, si je résume bien.
— Surveillez votre langage, Toji.
— J’ai bien du mal à rester calme lorsque je sais que je n’ai pas pu approcher mon enfant durant les années les plus cruciales de sa vie à cause de mon statut d’Ange et maintenant, je ne pourrais le revoir que pour le sermonner.
L’air semble s’être épaissi et ses doigts serrent violemment son verre. Un instant, un fourmillement me prend. Je songe à frotter dans des mouvements circulaires et apaisants son poignet.
Mais je me reprends aussitôt.
— Megumi ne m’a pas vu durant dix ans et nos retrouvailles vont se faire de cette façon ? gronde-t-il presque.
Perséphone ne répond pas. Je suppose qu’elle ressent un peu d’empathie. J’en ressens aussi.
Malgré ma colère, la façon qu’ont ses veines de ressortir sous sa peau m’arrache un frisson.
— Demain, un hibou caressera votre joue lorsque le char sera prêt, reprend Perséphone. Soyez prêt à ce m…
Assourdissant, un bruit éclate. Je sursaute quand la vaisselle sur la table file à ma droite avant de s’écraser sur le sol. Je réalise seulement que Toji l’a balayée de la main lorsqu’il se lève et, d’un pas furieux, quitte la pièce.
Le cœur battant à toute vitesse, je le regarde faire. Bientôt, au détour d’une porte, il disparait. Assise sur mon siège, je n’ose pas bouger.
— Une dernière chose, mortelle.
Je me redresse, entendant la voix de la déesse.
— Le sort modifiant votre apparence ne fonctionne qu’aux Enfers. Alors je compte sur vous pour demeurer solidement cachée, sur terre. Mélania vous donnera de quoi vous habiller.
J’acquiesce.
— Oui, déesse.
Le temps d’un instant, il me semble sentir une brise chaude sur ma joue, comme si l’on caressait cette dernière avec tendresse.
— J’espère que ce voyage vous sera bénéfique à tous.
Elle hésite un instant.
— Surtout à vous.
Je me fige.
— Cette famille mérite que vous ressentiez un peu de culpabilité, après ce que vous leur avez fait.
Bien qu’il n’y est pas matière à discuter avec une déesse, je ne peux m’empêcher de rétorquer :
— Et ce qu’elle, elle a fait ? Vous me brandissez l’argument que je ne peux haïr les sisnasas, que cela revient au même que de haïr les sephtis. Mais les sephtis sont juste des gens sans pouvoir là où les sisnasas sont un Ordre d’assassins.
Je gronde presque :
— Ils ont choisi de tuer des gens.
— Et donc vous avez fait le choix de les tuer en retour…
J’acquiesce.
— Que c’est triste… soupire-t-elle.
— De quoi ?
Elle ne répond pas tout de suite.
— Vous êtes devenue ce contre quoi vous vous battiez tant.
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j'espère que ce chapitre
vous aura plu !
désolée d'avoir un peu
de retard dans la
publication !
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