𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟕𝟏
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 𝟕 𝟏
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Les couloirs de la demeure de Toji sont sombres, froids. Je ne peux entendre que le bruit de nos pieds qui se posent sur le marbre noir du sol, résonnant dans le silence des lieux. Parfois, au détour d’une colonne ouvragée, je me dis qu’il s’agit d’un traquenard.
Que sans doute personne ne vit dans ces lieux.
Cependant, traversant l’un des arcs brisés se succédant sur le flanc de la salle, je découvre un hall parsemé de lustres. Ceux-là, s’abaissant loin sous le haut plafond de la salle, illuminent les lieux sombres.
Je déglutis péniblement, m’arrêtant aux côtés de Mélania qui observe la large table noire sous les lustres. Diverses chaises y ont été rangées, tout du long. Mais un fauteuil imposant y trône, en son bout. Savamment ouvragé et taillé dans une ébène des plus sombres.
Je suppose qu’il mange seul et sur cette chaise.
— Où se trouve Toji ? je demande, sentant mon estomac se nouer.
Je ne saurais dire si j’ai hâte ou si je déteste l’idée de le rejoindre. Je n’en ai pas véritablement envie, je crois. Cependant je suis aussi débordante d’allégresse à l’idée de me planter devant lui, d’ôter cette étoffe.
Brutalement, la main de Mélania se referme autour de mon poignet. Je sursaute presque, me tournant vers elle.
Et, comme si elle avait cerné la danse qu’empruntent mes songes, elle me fixe avec dureté. Ses yeux, réhaussé de paillettes, se plissent lorsqu’elle lâche :
— Comprenez bien : je vous apprécie énormément et suis prête à vous faciliter autant que possible votre séjour en ces lieux. Mais sous aucun prétexte vous ne devez révéler votre visage à Toji.
Mes sourcils se froncent, sous le masque. Elle m’observe longuement, devinant l’expression consternée derrière mon silence de plomb.
— Cela sera plus aisé pour vous de vivre sans qu’il ne sache que vous êtes sa servante. Je sais ce que vous vous dites : vous lui révélez votre visage et refusez de faire vos tâches, il n’osera pas vous dénoncer, déclare-t-elle.
Ma tête se penche sur le côté.
— Je me souviens pourtant combien mon décès l’a affligé, je lâche. Il ne fera rien pouvant me blesser.
— Votre mort l’a soulagé. Soit, il en a été affecté. Mais il a pu laisser derrière lui la plus grande honte de sa vie : la femme avec qui il s’était lié malgré la plaie qu’elle avait infligé à sa famille.
Une pierre tombe dans mon ventre et je déglutis péniblement.
Mon décès a soulagé Toji. Alors qu’il a réalisé, me tenant dans ses bras, qu’il était amoureux de moi. Mon décès ne l’a pas blessé.
Un instant, j’hésite à fondre en une colère noire. Cependant, je prends une profonde inspiration, fermant les yeux, et déclare simplement :
— Dis-moi ce que je dois faire.
Mélania me jauge quelques instants, visiblement éberluée par ma réaction. Cependant, bien vite, elle reprend contenance.
— Pour le repas de ce soir, il reçoit la visite d’une éminente personnalité des Enfers. Il doit donc être lavé, habillé, maquillé, coiffé et parfumé.
— Et vous me croyez réellement la mieux désignée pour ça ? je lâche.
Un sourire mesquin étire ses lèvres.
— Disons que je me suis dit que cela vous permettrait une petite… revanche.
Quelques instants, je ne saisis pas. Puis, je réalise. Un sourire fend mes lèvres lorsque je me souviens de ma préparation au bal donné par Egarca Evilans.
Toji avait décidé de s’y rendre à mes côtés et exigeait alors que je sois « présentable » selon ses critères. S’en est suivis une séance presque douloureuse de bain chaud suivi de gifles d’eau froide puis d’une succession de corsets, parfums entêtants, claques sensées stimuler ma circulation sanguine…
— Une question, Mélania… Mais n’y vois pas de rapport particulier… Dois-je suivre un protocole ou puis-je me montrer… audacieuse ?
— Toji n’a pas d’avis particulier sur les soins qu’il doit recevoir. Je l’ai prévenu qu’une nouvelle servante s’occuperait de ça alors il s’attend naturellement à quelques changements, rit-t-elle.
J’émets un sourire ravi.
— Que faisais l’ancienne ?
— Elle le laissait faire sa toilette, lui mettait une crème et le maquillais. La simplicité était son mot d’ordre.
— Malheureusement pour Toji, j’ai toujours été du genre complexe, je ricane.
Mélania hausse un sourcil avant de sourire. Je sais qu’elle a été chargée de s’occuper de Toji et qu’elle ne le porte pas forcément dans son cœur.
— Bien, je vais te montrer sa chambre.
☆
Mon estomac est tombé dans mes talons. Respirant faiblement, je me fais lourde, n’osant plus faire le moindre pas tandis que je regarde la porte close marquant la chambre de Toji.
Savamment ouvragée, des motifs de feuilles et animaux en tout genre ont été gravés dans l’ébène presque noir.
Mélania s’en est allée, me conseillant de toquer à la porte et décliner une fausse identité avant d’entrer. Toji préfèrera que la « nouvelle esthéticienne » décline son nom. J’ai déjà oublié le nom que je suis censée avoir.
— Oh, et puis merde, je crache.
Suis-je réellement en train de me creuser la tête pour avoir quelques égards ? En a-t-il déjà eu pour moi ? Il n’a jamais été qu’un sombre connard avec ma personne. De la période où il se présentait comme duc à celle où il a assumé son titre d’Ange de la Mort.
J’arrache presque la porte en entrant.
Mon regard se pose aussitôt sur le lit, vide. L’énorme surface au cadran ouvragé et rideaux semblables à une ondé cristalline me fixe.
Un instant, j’observe le soleil noir perçant la chambre, n’éclairant jamais rien du lieu. Disséminées sur des chandeliers, des lustres, des tables, des centaines de bougies illuminent les lieux.
Dont un imposant bureau de bois croulant sous des sphères laiteuses des portes plume, des grimoires, des dessins et parchemins. Je n’ai pas le temps de réellement le regarder que mon souffle se coupe.
Il est là.
Tombant sur ses pommettes en une pluie de ténèbres, ses cils ferment ses paupières en dissimulant les smaragdines iris qui ont hanté mes nuits. Il dort. Là. Son visage figé dans sa paume et son coude planté sur le bois du bureau.
Si ses cheveux noirs ne voletaient pas au gré d’une brise que laisse filer la porte ouverte, je le confondrais volontiers avec une statue tout en marbre.
Ma gorge se bloque lorsque je déglutis.
Je ne peux le nier. Toji est vraiment beau.
— Réveillez-vous.
Ma voix est engloutie par la façon qu’a ma gorge de se resserrer soudain. Mon estomac se soulève et j’attends qu’il réagisse. Là, plongée devant lui, j’attends.
Soudain, quelques images me reviennent en tête. La noirceur de son regard, lors de notre ultime conversation. La méchanceté de ses paroles.
D’un geste brutal, je m’empare de la carafe posée sur son bureau et en projette son contenu sur le duc.
— Qu’est… Quoi ? Que ? se redresse-t-il soudain, balbutiant tandis que des gouttelettes dorées perlent du bout de ses cheveux ébènes.
— On se réveille, Psyché.
— Psyché…
Marmonnant, les sourcils froncés, il papillonne des yeux en regardant autour de lui. Puis, son regard s’attarde sur moi quelques instants.
Malgré le masque, j’hésite. Et s’il me reconnaissait ? Mon estomac se noue et les secondes semblent s’égrener à une lenteur défiant Chronos lui-même.
— Vous…
Je me fige.
— Qui vous a permis de me réveiller de la sorte ? Je suis le maitre de ses lieux. Vous n’avez pas le droit de… Non, mais ! Attendez ! Je vous parle, là ! Où vous allez ?
Dos à lui, je m’éloigne. Sous ses cris consternés, j’ouvre une imposante armoire ouvragée et en extirpe des vêtements en tout genre. Aussitôt, dans mon dos, un fauteuil grince.
Il court presque jusqu’à moi.
Une main se plaque sur l’armoire qui se referme dans un claquement brutal, m’arrachant un sursaut. Bondissant, je frappe de mon dos un torse dur.
Oh… Il se trouve juste derrière moi.
Son aura se dégage, embrassant mes omoplates. Je frissonne, ma gorge se serrant, mais m’efforce de prétendre être détendue. Sombre, elle m’enserre et je peine à respirer.
Il est vraiment là, si proche que mon crâne pourrait presque se reposer sur son pectoral. Je frissonne, électrifiée par sa présence.
— Puis-je savoir qui vous a fait croire que vous pouviez entrer dans ma chambre sans toquer ?
Mais je ne me démonte pas devant son ton sombre. Me retournant, je me plante devant lui, déterminée. Mon menton se lève et je regarde directement ses yeux smaragdins, à travers le voile.
— Ici, c’est moi qui donne les ordres. Ma méthode de soin est brevetée alors dépêchez-vous et vous mettre en dessous pour qu’on fasse votre toilette.
Là-dessus, je le pousse de l’épaule pour atteindre le restant de la pièce. Hébété, il me laisse faire.
Je le vois se retourner, dans le reflet d’une carafe.
— Comment osez-v…
Je m’arrête de bouger sans pour autant me retourner.
— Si je dois me répéter, je le coupe, vous allez passer un sale quart d’heure, je vous le dis.
Sans doute est-il trop choqué pour réagir. Ou alors est-t-il habitué à être dirigé de la sorte. Mais sa tête se baisse soudain et il lâche :
— Oui, madame.
Du coin de l’œil, je le vois se retourner pour ôter sa chemise.
Dans toutes les vies, sous toutes les identités, il semble savoir qu’il vaut mieux m’obéir.
Un sourire étire mes lèvres.
— Parfait.
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j'espère que ce chapitre
vous aura plu !
ça va, leurs retrouvailles
étaient... discrètes
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