𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟔𝟗


















𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄   𝟔 𝟗





















           Abyssales sont les fentes de ses iris, réduites en cet état à la manière du regard d’un chat. Le silence est de plomb, quoi que parfois perturbé par le froissement des flammes autour de nous.

           Leur lumière, ondoyante, fait danser les traits paradoxalement statiques du visage de la femme. Figés autour des cavités de son regard, elles semblent pourtant parcourues de mille expressions à la fois.

— Je t’ai tuée, je répète. Alors tu m’as attirée à travers les ombres pour me tuer, moi aussi.

           Elle acquiesce tandis que, penchant la tête sur le côté, j’éclate d’un faible rire moqueur.

— Tu comptes m’occire… Moi qui suis déjà morte ? On dit que les plus malins peuvent se débrouiller pour survivre face à n’importe quelle épreuve, je devine pourquoi tu es aux Enfers.

           Fronçant le nez, je jauge sa dague acérée qui n’aura pourtant aucun résultat particulier sur ma santé.

— Que ce doit être compliqué de vivre aussi longtemps en étant stupide. Tu peux déjà te féliciter d’être allée aussi loin.

           Ses sourcils se froncent violemment et elle raffermit sa position d’attaque. Ses genoux fléchis se détendent quelque peu avant de se replier, elle avance ses bras à la manière d’une menthe religieuse.

— Entre l’inconstance légendaire d’un père qui ne fait qu’aimer ce qu’il s’est promis d’haïr et les rouages limités tournoyant dans le crâne d’une mère qui n’est décidemment pas futée… Je ne donne pas cher de l’état du gamin.

— De quel droit insulte-tu la chair de ma chair, immonde garce ? crache-t-elle, claquant l’air de sa langue.

           Je hausse un sourcil désabusé, lâchant un soupir agacé.

— Et de quel droit perturbe-tu mon sommeil éternel avec quelques pathétiques revendications ? « Booou, méchante, tu m’as tuée ! » Sans blague ?

           Courroucée, elle abandonne sa position de combat et m’observe d’un œil noir. Se redressant, ses bras prennent place le long de son corps.

— N’as-tu donc aucun remord ?

— Je n’ai surtout aucun souvenir.

           Mes lèvres se pincent tandis que mes épaules se haussent.

— En plus, oui, je n’ai aucun remord.

           Un hurlement me répond. Brutale, il m’arrache un sursaut et je n’ai pas le temps de me retourner qu’un coup violent me propulse sur le dos.

           Le parquet tape mes omoplates et je hurle. Une douleur aigüe vrille soudain mes entrailles. Me recroquevillant brutalement, je sens chacun de mes muscles se tétaniser autour de la douleur.

           Elle se redresse subitement, reculant. Ses yeux s’écarquillent, fixant mon ventre. Je hoquète de douleur en touchant celui-ci de ma main, tremblotante. Puis, celle-ci remonte jusque devant mes yeux faiblement ouverts. Je peux distinguer le sang sur mes doigts tremblants, illuminés de la lumière des flammes.

— Tu…, mais je n’arrive pas à articuler.

           Mon regard, vacillant, s’éternise le long de sa lame et mon sang s’étrangle dans ma gorge. La dague qu’elle tient… Elle est intacte.

           Ce n’est pas elle qui m’a poignardée.

— Voilà la punition des Enfers. Ta blessure s’ouvre à nouveau. Tu es punie pour ta façon de…

— Donne-moi ça, je crache, soudainement pris d’un coup d’adrénaline.

           Sentant tout de même la douleur, je parviens à me redresser d’un pas furieux et marche jusqu’à elle. Puis, je lui arrache la dague des mains.

           Surprise, elle se laisse faire quand je découpe le tissu de mes vêtements à hauteur de l’arme. L’air ambiant, chaud, picote ma plaie et je lutte contre l’envie de me recroqueviller sur moi-même, approchant des flammes.

— Qu’est-ce que tu fais ?

           J’ignore cette voix, regardant le métal se colorer à mesure des flammes les léchant.

— Hé ? Tu m’écoutes ? Cette blessure c’est une marque de ta conscience qui te rappelle pour avoir tué une mère de famille ! Tu…

— Arrêtes de chouiner, tu me déconcentres, je grommelle.

           Ma main gauche vient saisir les bords de la blessure que je rapproche. Je pense que je ne tiens encore debout que parce que je suis déjà morte. En d’autres circonstances, je serais étalée sur le sol.

           Ma chair glisse, lubrifier par mon sang abondant. Je l’ignore et saisit la lame chauffée.

— Non ! s’exclame-t-elle. De toute façon, c’est inutile. La douleur restera et rien ne changera. Essayer de brûler ta plaie n’aura aucun effet, je te l’assure !

           La lame demeure prisonnière des flammes, rougissant à vue d’œil. Je su à grosses gouttes, continuant de faire face au feu ardent.

— Tu dois affronter ce que tu as fait.

— J’ai tué une femme qui a massacré mon peuple. J’arriverais à dormir la nuit.

— La guerre a ses règles, même tacites. Tu ne peux te permettre de massacrer un village en guise de représailles ! tonne-t-elle.

           Mes épaules se haussent.

— J’ai cru comprendre qu’elles n’avaient pas volé la monnaie de leur pièce, je chuchote. Et j’étais seule contre elles. Je ne vois pas en quoi je les ai massacrées. Le combat était plutôt loyal.

           Elle rit grassement.

— Attaquer un village où se trouvent des enfants ? Tuer leurs mères sous leurs yeux ?

           Mes lèvres se pincent. Là est un détail non négligeable, en effet. Mais je ne peux me laisser attendrir. Les actes ont été commis, ils ne sont pas effaçables.

           Débattre de ce qui pourrait être renouvelé est insensé. Elle est déjà morte.

— Je n’ai aucun souvenir de cette vie. Seulement de celle d’après. Et j’y ai vécu votre haine, je les essuyé sur mes vêtements et en suis revenue péniblement…

           Ma gorge se serre.

— Je me remercie d’avoir eu le cran d’être la seule à nous défendre, à une époque bien sombre.

— Vous ne saviez pas si nous avions toutes, dans ce village, tué des sephtis du vôtre ! Vous ne connaissiez que quelques personnes responsables du massacre mais avez décidé de détruire toutes les sisnasas ! Qui vous dit que nous étions toutes des meurtrières ?

           Je lâche un rire sinistre.

— Mon petit doigt ?

           Ecartant les phalanges, je laisse la lame tomber sur le sol en un bruit cacophonique de métal. Un sourire étire mes lèvres tandis que le feu avale la silhouette de la dague.

           Dans mon dos, la femme demeure droite. De la suie habille ses traits et ses cheveux collent à son front. Elle respire péniblement.

— Vous ne pouvez pas devenir Ange d’un Dieu, représentant de ce dernier si vous haïssez un peuple. Vous pouvez en préférer un, en devenir le patron mais sûrement pas nous exécrer.

— Et qui dit cela ? je raille.

— Je le dis !

           La voix jaillissant de sa bouche est différente. Soudain, elle semble dédoubler. Comme si un long râle, d’outretombe, prononçait les paroles en même temps qu’elle.

           Ce n’est qu’à l’instant où ses yeux s’illuminent d’une lueur écarlate que je saisis mon erreur.

— Vous n’êtes pas sa femme, n’est-ce pas ? je raille.

           Ses bras demeurent étendus le long de son corps et je claque ma langue contre mon palais.

— Mon Ange ne peut être en faveur du massacre d’une population, ne ressentir aucun remord pour cela. Comment veux-tu être impartial si tu ressens de la haine ? Comment puis-je espérer que tu me représente si tu es en faveur d’un crime de guerre ?

           Ma mâchoire se contracte.

— Vous êtes Arès, le Dieu de la Guerre, n’est-ce pas ? Vous vous êtes déguisé en elle ?

           Il ne répond pas. Mais les yeux de la femme semblent approuver mes dires.

— Je suppose qu’ayant échoué au test pour me montrer digne d’être un Ange, je vais rester aux Enfers ?

— Devant la femme dont le décès la ravie à une famille, décès dont tu es responsable et qui a fait tant de mal à une personne que tu es censée aimer, vous n’avez pas ciller. Et ce n’était même pas de la jalousie…

           Ma mâchoire se contracte. Non, je ne ressens aucun remord. En ont-ils seulement ressenti, eux, un jour ?

— J’ai apprécié le sacrifice que vous avez fait, sur ce champ de bataille. Digne d’un de mes soldats.

           Son menton se lève.

— Cependant il me faut la mentalité qui va avec.

           Sa main se lève et ses doigts claquent. Un son retentit et la chaleur redescend brutalement tandis que la luminosité s’abaisse. Soudain, je réalise que je ne me trouve plus sur un parquet aux murs de feu.

           Je suis dans une arène. Au cœur d’une place circulaire de graviers, au centre de gradins où sont disséminés des silhouettes fantomatiques. Je n’en discerne pas bien les contours.

— Navré, Hadès. Je ne reprendrais pas ton enfant à mes côtés. Elle demeurera aux Enfers, à moins qu’un autre Dieu ne soit d’un avis différent.

           Autour de moi, des murmures traversent les silhouettes fantomatiques. Je réalise alors qu’il s’agit de l’esprit des divinités, convoquées aux Enfers pour un jugement.

— Ce n’est pas Sullyvan que vous comptiez juger pour crime de guerre… C’est moi, je réalise.

— Je suis navré, mon enfant, résonne la voix d’Hadès. Mais je ne peux forcer la main des autres Dieux. Une divinité ne peut avoir qu’un seul Ange.

           Un spasme me prend. Je comprends.

— Alors je vais rester morte ? je demande.

           Un silence s’ensuit, lourd.

— Pas nécessairement.

           Je me tourne à nouveau vers la femme, silhouette empruntée par Arès.

— Je consens à te laisser un choix. Une façon de prouver ta valeur. En douze étapes.

           Je me fige. Comme les douze travaux d’Hercule ?

— Vous allez m’envoyer terrasser des monstres ?

           Un rire retentit, tordant sa silhouette.

— Non, je vais t’envoyer servir ceux auprès de qui tu dois faire amende honorable. Enfin, surtout celui qui t’a le plus aidée sans que tu ne le lui rendes la pareille.

           Je me fige, mes yeux s’écarquillant… Mon cœur rate un battement.

— Qu’en dis-tu, sephtis ?

           Ma gorge se serre.

— Es-tu prête à devenir la servante de l’Ange de la Mort durant douze mois en contrepartie d’une vie éternelle ? Ou préfères-tu mourir ?

























j'espère que ce chapitre
vous aura plu !

tout se corse hehe
























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