𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟔𝟔
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 𝟔 𝟔
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Quelles sont noires, les ailes qui planent tel un voile dans le vestige de mes songes.
— Toji…
Un rire jaillit de ma gorge, puissant. Il s’étrangle aussitôt dans un goût métallique qui m’arrache quelques spasmes de dégoût.
Mes yeux s’arrachent aux ténèbres, s’ouvrant avec brutalité. Je vois l’obscurité autour de moi basculer quand je me tourne sur le dos. Mes avant-bras s’enfoncent dans mille et un grains de pierre. Je crachote.
Quelque chose m’empêche de respirer.
Soudain, je tousse avec force. Des larmes coulent sur mes joues et j’expulse brutalement un objet de ma trachée. Celui-ci cogne le sol, aussitôt suivi par un autre. Un bruit de métal retentit tandis que je reprends difficilement ma respiration.
Les larmes brouillant ma vue se sèchent. Je distingue des formes floues, autour de moi, qui gravitent. Elles s’approchent doucement, tournoient avec lenteur, basculant, incertaines.
Je bats des cils. Enfin, je réalise ce que je viens de recracher.
— Oh non…
Il est trop tard.
A l’instant même où je m’élance, un rugissement retentit. Mon corps se propulse en avant et des formes autour de moi fondent dans ma direction. Je rampe à toute vitesse, tendant le bras. Elles approchent dans des piétinements insensés, martelant le sol d’une démarche ponctuée de beuglements.
Un cri sourd franchit soudain mes lèvres.
Ce sont deux pièces d’or que j’ai recraché. De l’argent qu’un être a dû glisser dans ma bouche avant de mettre le feu à mon cadavre. Des écus que je dois à tout prix conserver.
Et encore moins me faire voler.
Sous mon nez file une silhouette. Ombre grisâtre dans un décor déjà ténébreux, elle me dépasse à une vitesse me giflant presque. Sa main décharnée se tend vers les pièces, les attrapant. Je peux voir ses os, par endroit, lorsqu’elle referme brutalement ses doigts en un spasme mortel.
— LÂCHE ! je hurle, envoyant mon pied dans ses côtes.
Avec horreur, je sens ma chaussure appuyer le haillon l’habillant avant de s’enfoncer dans l’air creux de sa cage thoracique. Je tape sa colonne.
Le squelette s’effondre. Je ramasse brutalement les pièces avant de me relever, aux aguets.
— C’est pas vrai… Oh non, dites-moi que c’est pas vrai…
Etalés autour de moi, ils pourraient être cent comme mille que je ne saurais le dire. Je ne peux qu’attester des râles émanant de leurs corps sans vie tandis qu’ils marchent jusqu’à moi. Une horde de squelettes progressent dans ma direction.
Hier ou le siècle dernier, je ne saurais le dire, je suis décédée.
Lovée dans les bras de Toji, me moquant du spasme d’amour qu’il a eu pour moi, tout à la fin, je me suis laissée mourir. Mon corps se soulevait dans la brise matinale et Hélios se montrait froid, comme s’il souhaitait m’accorder quelque sympathie.
— C’est pas vrai, je couine, incapable de savoir quoi faire.
Autour de moi, les ténèbres s’étendent. Rougeâtre, une lueur éclate en une danse de reflets sur les parois de ce qui semble être une immense caverne. Ce spectacle me rappelle celui du reflet lumineux des eaux sur la pierre, aux termes.
Cependant, là, rien n’est paisible.
— CHARON ! je hurle. OU ES-TU ?
Promenant mon regard autour de moi, je peine à percevoir quoi que ce soit entre les cadavres s’avançant jusqu’à moi. Ils sont prodigieusement lents et un seul coup dans les côtes de celle ayant tenté de voler mon argent m’a suffi à l’éliminer.
Cependant je ne donne pas chaire de ma peau si plusieurs m’attaquent en même temps.
— CHARON ! VAS-TU REPONDRE !?
Je frissonne.
La caverne dans laquelle je me trouve a peuplé bien des légendes. Au-dessus de ma tête, quelques reflets rougeâtres rappellent l’eau des termes. Tout simplement car un fleuve coule, non loin, d’un rouge ardent, comme le feu.
Le Styx.
Il me faut atteindre le Styx, atteindre Charon. L’homme se tiendra sur une barque et, si je lui donne les deux pièces, il me laissera y grimper aussi afin de m’emmener jusqu’à mon jugement.
— CHARON ! REPONDS ! j’ordonne d’une voix éraillée.
Si je ne l’atteins pas, que je ne lui donne pas ces pièces afin de payer mon viyage, je finirais comme ces cadavres sans âme m’approchant. J’errerais sur les bords du Styx, guettant l’arrivée d’une quelconque âme afin de lui voler ses pièces.
Autour de moi, les cadavres approchent. Je vais forcément devoir fendre cette foule macabre afin d’atteindre le Styx. Mais il me faut savoir dans quelle direction courir.
Mes yeux roulent dans mes orbites et je regarde le tas d’os à mes pieds, celui que j’ai éclaté d’un coup de pieds.
— Je suppose que je n’ai plus le choix…
Quelques frissons m’habillent, caressant mon corps avec perfidie, me chantant les louanges d’un passé macabre. Bien sûr, je reconnais l’étrange similitude. De mon vivant, j’ai vu ce spectacle réfringent. Celui fasse auquel le soleil lui-même préfère se retirer.
Et lorsque seule Nyx demeure, posant le voile sombre de ses cheveux sur le monde, les ténèbres sourient.
— Quelle enflure…, je crache, réalisant ce qu’il se passe.
Lorsque Lycus a tué les sephtis, il y a dix ans, elle a veillé à ce que les derniers instants de leur vie se passent comme les premiers de leur mort. Menacés par un cortège macabre.
— Tu me le paieras, grognasse, je crache en saisissant soudain les fémurs sur le sol.
J’observe la longueur des os. Je ne trouverais pas mieux.
— Allons-y.
Là, un hurlement franchit mes lèvres.
Puissant, il m’accompagne lorsque l’os que je tiens s’abat sur le premier cadavre que je croise. Puis un autre. Et encore un autre. Mes mains fendent l’air et leur prolongation frappe les cadavres qui tombent en sac d’os sur le sol.
Des doigts crochus griffent mon épaule. Je me retourne en frappant. D’autres frôlent ma cuisse. J’abat mon arme improvisée. Mes hurlements de rage couvrent les râles.
Quelques squelettes se prennent les pieds dans le tas d’os de leurs anciens confrères, les ralentissant. Bientôt, un cercle se forme autour de moi. Ils sont assez éloignés.
Cependant je n’en profite pas pour essayer de trouver le Styx.
Cette course m’a fait du bien. Un rire mauvais franchit mes lèvres. Je frappe les fémurs entre eux, créant une musique cacophonique :
— ALLEZ ! RAMENEZ-VOUS !
La paix que je me suis efforcée d’abriter, au cours des dernières années, a maintenu recluse la colère me dévorant. Lorsqu’un fragment de mon âme m’est revenu, celui ayant appartenu à la Prêtresse Nime, j’ai à nouveau pu toucher cette colère.
L’embrasser. L’aimer.
— AMENEZ-VOUS !
Un rire brutal franchit mes lèvres et je frappe l’un des corps. Un autre arrive que je percute. Ils se sont amassés. Et là, je ne peux m’empêcher de fredonner doucement un air que je ne connais que trop bien.
Misère ! Je n’ai même pas pris la peine de le chanter, avant de pousser mon dernier soupir.
« Coupe ma langue, coupe ma gorge
Qu’Hadès puisse jouer de son orgue.
J’ai attendu que le glas sonne. »
Mon pied écrase un tas d’os lorsque l’autre percute un squelette qui s’effondre aussitôt.
« Et fièrement, je me tiendrais
Face au bourreau guilleret,
J’ai attendu que le glas sonne. »
Mes yeux s’écarquillent et des larmes de joie en coulent. Voilà donc ce que cela fait, que de se sentir entière.
« J’ai défié Hadès en personne. «
Une main attrape ma cuisse. Mon genou se tend et mon pied percute le crâne qui roule au loin.
« Me suis jouée de la belle Perséphone. »
Des doigts se ferment sur ma gorge et j’avance ma tête, frappant celle me faisant face qui jaillit du restant du corps squelettique.
« Les mortels ne peuvent que me craindre. »
Un rire guttural franchit mes lèvres. Un vent de fraicheur s’insinue en moi lorsque, me retrouvant à nouveau seule dans ce cercle vide, attendant que les morts ne reviennent, je hurle les dernières paroles.
Libératrices.
« Car même les Dieux ne sauraient m’astreindre. »
A ces mots, le silence se fait.
Sourd, un claquement retentit quand les corps tombent au sol. Tous, sans exception, s’effondrent. Au loin, à la manière de feuilles mortes à l’automne, ils s’écrasent à perte de vue. Je distingue alors le fleuve écarlate. Les cadavres ne le dissimulent plus.
Pourtant, je n’avance pas. Quelque chose, dans la façon dont les corps se sont tous arrêtés de m’attaquer, me retient.
Mes poumons me cuisent soudain et je réalise que je retiens mon souffle.
Le silence est sombre, presque épais. Il ploie contre mes omoplates et me force à plier les genoux.
Un frisson glacé mord ma peau.
— Voilà de biens étranges paroles à prononcer dans la demeure d’un Dieu. Tu ne crois pas, mortelle ?
Lancinante, une voix s’élève soudain. Réfringente, elle chasserait le soleil sur terre. Pourtant, nous ne sommes pas là-bas.
Nous nous trouvons aux Enfers. La demeure de…
— Hadès…, je chuchote.
— Ce n’est pas de cette façon que l’on salue un Dieu.
Sa voix, caverneuse, vient de partout et nulle part à la fois. Etrangement, il ne semble pas en colère ni même me sermonner.
Aussi surprenant cela puisse-t-il paraitre, il me semble que tout cela… l’amuse.
— Hadès, Pluton, le Riche, Ἀїδωνεύς. Dieu des Morts et Seigneurs des Enfers.
— Voilà qui est mieux, me félicite-t-il. Au lieu d’hurler des chants provocateurs à l’aube même de ton jugement.
Je frissonne. En effet, là n’était pas le comportement le plus délicat à adopter. Je pense m’être simplement laissée emportée.
Cependant je me garderais bien de le lui dire et passer pour une insolente.
Mon cœur bat de toute façon trop fort pour que je parvienne à faire le moindre geste. Le simple fait de penser à parler m’est pénible.
Je converse avec Ἀїδωνεύς.
— Pose ta question, mortelle.
Je déglutis péniblement. Evidemment, il est conscient des doutes me traversant.
— Êtes-vous… Avez-vous…
Mais je peine à ordonner les mots, ma poitrine se faisant lourde.
— …La faveur…, je tente d’une autre façon.
Il rit doucement. Un son à la fois froid et réconfortant.
Je crois que je ne le crains pas.
Je suis même certaine que, dans une autre vie, une partie de moi l’a adoré. La druide que j’étais adore pourtant chaque Dieu.
Seulement je crois que là… C’était différent.
— Oui, tu avais ma faveur, mortelle. Tu l’as toujours. Et je sais que tu la conserveras de façon éternelle.
Je déglutis péniblement.
— Et qu’ai-je bien pu faire pour mériter tel privilège ? Je peine à croire que vous vous soyez contenté de récompenser le meurtre des sisnasas…
— Un autel dans ta demeure m’était dédié. Tu accueillais les sephtis dans ton village et assurait que s’ils étaient réellement maudits par la vie elle-même, alors ils n’avaient pas aucun Dieu. Ils m’avaient, moi.
Mes sourcils se froncent.
— Et cela a touché le cœur du Seigneur des Morts ?
— Je ne prétendrais pas être vexé que cela te surprenne. Oui, cela m’a touché.
— J’aurais plutôt cru qu’un Dieu serait outré qu’on lui colle les sephtis dans les pattes, je réponds, me rappelant encore du mépris du majordome de Toji m’ayant apporté une gamelle afin de manger dedans.
Ma gorge se serre au souvenir du noiraud. Je me maudis de réagir ainsi.
J’espère qu’il pleure mon décès. Cette enflure ne mérite que le deuil.
— Aucun Dieu n’a jamais maudit les sephtis. Nous tous répondons lorsque vous nous priez.
J’éclate de rire.
— Permettez-moi d’en d…
— Avant que Lycus ne bouleverse votre île, les récoltes n’y étaient-t-elles pas fructueuses ? demande-t-il.
Je déglutis péniblement avant d’acquiescer.
— Déméter vous écoutait. Et lorsqu’un énorme tsunami vous a menacé, sa trajectoire n’a-t-il pas dévié ?
J’acquiesce.
— Poséidon vous écoutait. Et Lycus n’est-t-elle pas morte ? il n’attend pas que je réponde. Artémis vous écoutait.
Ma gorge se serre.
— Nous ne maudissons pas nos enfants. Nous ne vous avons pas abandonnés.
Une larme coule sur ma joue. Ces mots, je désespérais de les entendre. Je ne le réalise que maintenant.
— Alors pourquoi ne pas être intervenu ? je demande.
— Je l’ai fait.
Un frisson me parcourt. Je secoue la tête. Je vois… Toji était cette intervention.
— Sur l’île de ne se trouvaient que des sephtis et des cancers. Alors seul le Dieu des sephtis, moi, et celle des cancers, Artémis, pouvaient agir.
Ma poitrine se fait lourde.
— Est-ce la raison pour laquelle vous n’avez pas agis plus tôt ? je demande. Trop de pourparlers avec la déesse de la Chasse ?
— Surveilles ce ton moqueur, mon enfant.
Sa voix est toujours douce mais le ton ne ment pas. Il s’agit là d’un avertissement.
J’acquiesce, fixant les ténèbres, faute de pouvoir le regarder.
— Artémis avait déjà tenté d’arrêter Lycus une fois. Mais Lycus a ressurgit des Enfers. Artémis ne pouvait pas la retuer ou même s’en prendre aux sisnasas. Cela aurait été défié les lois du Tartare, provoquer les Moires en tentant de mettre des bâtons dans les roues au destin. Non… Elle ne pouvait pas empêcher cela de se produire. Seulement limiter les dégâts.
Mes yeux s’écarquillent en entendant ces explications.
— Alors, la raison pour laquelle ni les Dieux, ni les Pages ne nous ont aidé, à l’époque… Est que c’était notre destin de subir ce massacre ? je demande d’une voix rauque.
Le silence me répond. Bientôt rompu.
— Jamais je ne dirais telle chose.
Je dois m’avouer bouleversée par ses paroles. Et je ne suis pas sûre de pouvoir affirmer les comprendre.
— Un équilibre est à préserver. On ne joue pas avec la mort. Lycus est revenue des Enfers. Artémis ne pouvait l’y précipiter à nouveau. Et massacrer l’entièreté des sisnasas, des centaines de personnes de son propre peuple, les Cancers, eut été impensable.
Un instant, il se tait.
— C’était à moi de vous protéger. Je l’ai fait. Après ce que tu qualifies de… « pourparlers ». Il me fallait à tout prix discuter avec tous les Dieux afin d’être sûr que ce massacre ne se reproduise plus jamais.
— Alors vous promettez ? je demande.
Une main froide se pose sur mon épaule et il me semble qu’un baiser paternel trouve l’arrière de mon crâne.
— Plus jamais, mortelle. Je vous protège.
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je reviens enfin et pour de
bon ! j'espère que ce petit
début vous plaît
♡
j'espère que ce chapitre
vous aura plu !
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