𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟔𝟓













𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄   𝟔 𝟓



















           Délicate morsure, il aspire mon âme.

           Brutaux, ses doigts se sont enfoncés dans mes hanches perforant presque la tendre chaire. Ma voix, s’étranglant, se trouve aussitôt avalée par sa bouche vorace. Il ne ferme pas les yeux lorsqu’il m’embrasse. Je l’imite, ferme.

           Au fond de moi, quelques choses rompent. Des attaches d’acier s’ouvrent à la manière des serres d’un rapace épuisé. Sans doute un fier faucon messager qui, dans un ultime espoir, s’est laissé vaincre.

           Que l’oiseau ne s’en veuille pas de laisser filer cette lettre.

           Les mains de Toji se font brutales sur mon corps. Un cri pourrait franchir mes lèvres seulement les siennes l’avaleraient aussitôt.

           Ce n’est pas un baiser d’amour.

           Celui-là ne trouve racine que dans la haine. Sa bouche s’est abreuvée au lac noir de nos pensées, elle s’est laissée engourdir par les poissons écarlates qui y nageaient autrefois.

           Toji dit vrai. Il me hait.

           Et là, au fond de moi, quelque chose vient de rompre. Un nuage que je croyais attacher à mes entrailles s’élève soudain, aspiré. Là, dans les méandres de mon ventre, il lutte pour rester. Simple bulle d’air, elle griffe pourtant les parois de mon âme, s’élevant en moi. Elle grimpe, prend de la hauteur.

— To…

           Mais je ne peux parler, aspirée toute entière.

           Le nuage arraché à mes entrailles a atteint ma poitrine. Il gonfle mes poumons à la manière de ballons de chair. Ceux-là se pressent contre ma cage thoracique, épousant la forme de celle-ci et dépassant par ses interstices.

           Une larme coule sur ma joue. Tout n’est plus que douleur.

           Chaque muscle de mon corps s’étire jusqu’à s’effriter. Je peux sentir la morsure de la déchirure menacer toutes les parties de mon être. Mon corps est trop petit pour nos âmes, elles s’étendent en hurlements rageurs.

           Soudain, la rupture. Le nuage s’échappe dans ma poitrine et file brutalement dans ma gorge. Mes yeux se révulsent et je me sens partir en arrière. Mon corps se laisse aller mais flotte dans les airs.

           Toji ne me tient plus. Pourtant, je reste debout.

           Nos lèvres se sont séparées mais un lien subsiste entre elles. Jaillissant de ma bouche, une longue trainée noire s’engouffre dans la sienne.

           Enfin, je réalise.

           Toji m’a embrassée afin d’aspirer mon âme. Ou plutôt, la sienne. Il récupère son dû. Il veille à ne pas devenir le pantin de Lycus en demeurant sans sa psyché. Cependant il se refuse à demeurer à mes côtés, s’asservissant à ma présence.

           Soudain, le silence.

           Je réalise alors que mon corps hurlait, transis de douleur. Mais mes muscles endoloris se relâchent tous. L’âme de Toji quitte entièrement la mienne. Je ne flotte plus dans les airs.

           Mon corps s’effondre.

— Pas si vite, ma douce.

           Même les yeux clos, je reconnais l’odeur ébène de Toji lorsque son bras fort s’enroule autour de moi. Il me ramène contre lui et ma tête se pose sur sa poitrine. Son cœur bat, derrière l’épaisseur de son pectoral.

           Il a bel et bien récupéré son âme. Il est vivant.

           Les paupières fermées, m’imposant un écran de ténèbres, je ne bouge pas. Mon corps tressaute contre le sien. Mais sa chaleur me mord, vorace.

— Chut, chut…

           Son ton ne m’adoucit en rien, il n’a rien de la douceur réconfortante à laquelle il a pu m’habituer. Non. Aujourd’hui, Toji se moque.

— Je dois bien te remercier de m’avoir laissé récupérer mon âme. Et, surtout, de ne pas m’avoir imposé la tienne.

           Je ne trouve même pas la force d’ouvrir les paupières. Au loin, les hurlements de la guerre font rage. Mais son seul murmure les recouvre, s’insinuant en moi.

           La caresse de sa voix laisse quelques gouttes de sang, sur son passage. Comme si elle n’était, finalement, qu’une lame.

— Rien que mon âme et elle seule dans mon corps…, lance-t-il dans un soupir. Cela faisait une éternité que je ne m’étais pas senti aussi lucide, complet.

           Il rit doucement. Sa poitrine tressaute, contre mon oreille. Je réalise alors que l’un de ses bras est passé sous mes genoux, me soulevant du sol.

           Je flotte, contre lui. Pressé au corps renfermant une âme qui était encore mienne, il y a quelques instants.

— L’âme de la Prêtresse Nime ne m’importune plus, elle ne me donne plus l’impression de devoir aller sans arrêt quérir celle qui a tué la mère de mon enfant…

           Un rire bruyant franchit ses lèvres :

— Oh ! Dieux ! Je peux enfin te haïr !

           Sa main caresse une p       artie de mon visage. Là, je sursaute. Non pas à cause de ce toucher. Je viens de réaliser quelque chose.

           Mon épaule me brûle. Comme si une liqueur épaisse était déposée à même la plaie que m’a infligée la sisnasas.

— Oh, voilà une bien vilaine blessure…, commente-t-il. As-tu remarqué ? Non, bien sûr que non, tu ne regardes même pas… Mais quand tu ouvriras les yeux, tu réaliseras que ton sang n’est plus blanc.

           Je tressaille. Il rit. Moqueur.

— Mon âme d’ange n’est plus là, en toi, pour annuler le poison de la sisnasas. La lame empoissonnée avec laquelle elle t’a transpercée fait de nouveau effet.

           Mes yeux s’écarquillent et se posent directement sur mon épaule. Du sang en coule. Abondamment. Rouge. Ecarlate sous la lueur de la lune.

           Comme répondant à l’astre nocturne.

— Je…, ma voix s’étrangle en un hoquet de douleur.

           Soudain, tout disparait.

           Je ne suis plus consciente de rien. Les sons de la guerre, la vue de ma blessure, le toucher de Toji, le parfum du sang et le goût vestige de son âme… Je ne ressens plus rien.

           Tant la douleur m’accable.

           Jamais je n’ai eu autant mal. Aigue, elle se propage dans tout mon corps. Lame acérée, elle sectionne chacun de mes vaisseaux, observant avec délectation le massacre qu’elle laisse derrière elle.

           J’aimerais supplier les Dieux de me venir en aide mais je n’ai pas la force de parler. J’aimerais regarder le ciel pour invoquer l’Olympe mais je n’ai pas la force de voir. J’aimerais écouter les prières d’antan mais je n’ai pas la force d’entendre.

           Hadès, je t’en supplie. Emmène-moi.

— Là…

           Soudain, la douleur se tait. Mon corps, pris de spasmes, s’apaise doucement tandis que je reprends conscience de mes cinq sens.

           Le son de la guerre. Le goût de son âme. Le parfum du sang. Le toucher de son corps. Et, surtout, la vue de ma blessure.

           Le sang est toujours rouge. Mais la main du noiraud s’est posée dessus.

— Voilà, chuchote-t-il. Tu n’auras plus mal. Le poison continuera de te tuer mais sans douleur.

           La douleur a disparu mais des vestiges demeurent. Je ne parviens même pas à parler, hoquetant dans mon sang.

           Il rit doucement. Sa main — grâce à laquelle il m’a ensorcelée pour ne plus avoir mal — quitte ma blessure et, couverte d’hémoglobine, se pose sur ma joue. Il tourne ma tête, me forçant à le regarder.

           Là, je vois.

           Elles m’ont marqué, le jour de notre première rencontre. Ses iris. Deux anneaux d’émeraudes s’étendant à la manière d’un lac autour d’une pupille coruscante. Une obsidienne des plus profondes, hypnotique. Mirifique lueur des ténèbres, déjà à l’époque, elles m’avaient happée.

           Aujourd’hui, je ne songe même pas à lutter lorsqu’il me force à les regarder. J’y plonge toute entière, comme si, là était le seul refuge de ma douleur.

— Si tu as trop mal, tu ne pourras pas entendre ce que j’ai à te dire, mortelle.

           Sa main glisse, huilée par mon sang, jusqu’à mon menton qu’il attrape sans ménagement. Ferme, il enfonce ses doigts dans mes joues, me forçant à le regarder.

— Je ne te mentirais pas, j’ai éprouvé de l’affection pour celle que j’ai côtoyée, au cours des derniers mois. La druide que tu étais avait cette douceur qui m’a hypnotisée.

           Il s’approche un peu plus. Son nez frôle le mien.

— Mais jamais, ô grand jamais, elle n’effacera celle que tu es réellement…

           Sa chaleur me brûle. Ma peau picote partout où il la regarde. Et il ne cesse de détailler chaque trait de mon visage.

— Immonde créature qui a ravi l’amour de ma vie. Je te laisserais crever et tu t’expliqueras avec Hadès. Tu m’as pris la mère de mon enfant.

           Soudain, un sourire étire mes lèvres. Je ne le contrôle même pas.

           Ses yeux s’écarquillent en le voyant.

— Tu pleurniches trop, je raille dans un grondement rauque.

           Son visage recule soudain, comme si j’étais, à présent, celle brûlant l’autre. Je le regarde faire dans un rictus vil et moqueur.

           Jamais je ne saurais exactement qui je suis.

           Il me semble a        voir toujours été cette druide amante de la vie, cette femme honorant les Dieux et cherchant le bonheur dans la simplicité, cette personne souriant à la vue d’une fleur s’épanouissant, embrassant le simple chant d’un oiseau.

           Cependant, en moi, gronde le fruit du chaos. Un être qui s’est métamorphosé dans son mépris de l’humain. Une Prêtresse si écœurée par ses semblables qu’elle a fait le vœu de renoncer à leurs ressemblances, de laisser de côté ses pouvoirs. Une épouse de la colère divine, née dans son sillage.

           Toji l’a ramenée à moi. Et, à jamais, nous nous disputerons ce corps que j’occupe.

           Je ne sais exactement qui je suis. Mais je suis certaine que c’est la noirceur de la Prêtresse Nime qui s’exprime lorsque je crache :

— Regardez-le, à se lamenter de ce qui est arrivé à sa femme. Je suis verte de ne pas me souvenir de cette vie-là pour te détailler comment je l’ai tuée.

           Sa mâchoire se contracte, des rougeurs ornent ses joues.

           Je n’ai pas deux personnalités. Je ne suis pas un portait manichéen, ayant un visage gentil et un autre mauvais. Je suis un individu complexe et la cérémonie de l’Ash m’avait faite oublier cela. Je suis à la fois la Prêtresse Nime et la druide. Il se trouve simplement que j’avais oublié la colère de la première en me focalisant sur la douceur de la deuxième.

           Toji, en mourant, m’a rappelée la haine que je cache depuis trop longtemps en moi.

           Mais elle a toujours été là. Parfois, elle se manifestait. Lorsque ma dague a perforé Lycus ou que j’ai détruit sa statue.

— Tu… Tu…

— Toji, tu dis t’être pris d’affection pour la druide que j’étais, la douce créature aimant la vie ? Mais il y a toujours eu cette noirceur en moi et il est inutile de mentir. Tu la voyais.

           Il me lâche. Je tombe dans le sable. Les yeux écarquillés, il recule comme si je l’avais brûlé. La lune écarlate projette des rayons presque sombres autour de lui.

           Ses yeux sont écarquillés.

— Tu cachais en toi une partie de moi. Mais pas tout. Je n’étais pas scindée en deux êtres : un foncièrement bon et un foncièrement mauvais. J’avais déjà cette rage, tapie au fond de mon être… Et tu l’as vue.

           Je ris doucement, assise dans ce sable.

— Si tu veux mon avis, je suis même sûre que c’est cette noirceur que tu as aimée.

           Il me regarde, hébété.

— Retrouver l’âme de la Prêtresse Nime m’a simplement permis de prendre conscience de ma haine. Mais elle a toujours été là. Que tu le veuilles ou non.

           Un instant, l’envie de le tuer me traverse. Simplement pour lui prouver que je ne lui suis pas asservie, simplement afin de me venger des propos qu’il a tenu, juste pour m’imposer devant lui.

           Seulement, aussitôt, je réalise que je n’y arriverais pas. Et cela m’enrage.

           Je ne veux pas qu’il meurt. Je crois qu’envisager cette simple idée me déplaît assez.

— Mortelle…, commence-t-il.

— Tais-toi, tu m’ennuies.

           Réaliser que je ne le tuerais pour rien au monde m’agace fortement. S’il pouvait simplement s’en aller et me laisser observer ce champ de bataille, cela m’arrangerait.

           La plaie à mon épaule coule toujours. Je mourrais dans peu de temps, de toute façon.

           Je crois que cela m’indiffère.

— Tu dis que tu as toujours été comme ça… Mais la druide que j’ai côtoyé, au cours des derniers mois, n’aurait jamais laissé cela se produire.

           Je hausse un sourcil en tournant la tête vers lui. Un rictus moqueur étire mes lèvres.

           Je crois que le prendre de haut est la seule défense que j’arrive à dégainer.

« Mensonges ? Non. J’aurais fait n’importe quoi pour toi. Mais avant. »

           Il m’aimait, avant. Moi, je persiste à le faire. Et cela m’enrage.

           J’aimerais que mes sentiments disparaissent. Je ne souhaite même pas qu’ils soient réciproques. Simplement qu’ils cessent d’exister. Par fierté.

— Laissé quoi se produire ? je raille. Petit pleurnichard, crois-tu que je vais lever le petit doigt. Ils ne l’ont pas fait, à l’époque, lorsque les sisnasas ont massacré les sephtis.

           Je désigne la crevasse d’un geste du menton. Le cadavre de Hank et Meeva prend la poussière sur le sol. Un rire franchit mes lèvres à leur vue.

           Et dire qu’ils nous méprisaient pour notre faiblesse.

— Alors tu comptes laisser les villageois mourir ? lâche Toji brutalement. Car il ne s’agit pas des Pages.

           Novcahroon transperce une sisnasas de sa lance tandis que Giaa ordonne à des objets de se planter dans leur corps.

— Sais-tu pourquoi Lycus s’en prend à eux ? Parce qu’ils ont abrité des sephtis, pendant son épuration ! Ils ont protégé ton peuple ! Tu dois leur rendre la pareille !

           Mon regard coule sur la porte derrière laquelle ils se cachent, tremblant sans doute.

— Tu te dis différente d’eux… Mais tu es aussi prête à sacrifier des innocents pour une histoire d’égo.

           Une raillerie rauque franchit ses lèvres.

— Regardes-la.

           Je lève la tête. Mes yeux trouvent d’abord Hector, de l’autre côté de la crevasse. Puis je remarque une silhouette à côté de lui. Une femme aux longs cheveux de givre en bataille.

           Lycus.

— Tu es exactement comme elle, en fin de compte.

           Un rire moqueur franchit mes lèvres.

— Et pourquoi, toi, tu ne bougerais pas ton cul pour les aider ? Au lieu de me faire des reproches ? Hein ? Pourquoi je devrais agir ? Toi, tu peux toutes les cramer. Tu l’as déjà fait.

           Je tourne la tête sur le côté. Toji ne me regarde pas. Ses yeux émeraudes fixent la foule, en contrebas. La cicatrice blanche sur son torse brille.

           J’éclate de rire.

— J’y crois pas… Tu as récupéré ton âme alors le contrat a repris son importance, n’est-ce pas ?

           Il y a quelques années, Lycus et Toji ont passé un contrat. Il ne devait tuer aucun sisnasas et elle, aucun sephtis. C’était peu de temps après le massacre des miens.

— Je me demandais pourquoi la lune n’avait aucun effet sur moi, pourquoi Lycus refusait de me tuer… Mais il faut que l’un de vous deux soit mort et brûlé pour que le contrat prenne fin. Tu ne peux toujours pas tuer de sisnasas et elle ne peut toujours pas tuer de sephtis…

           Il ne répond pas. Je me lève dans un soupir.

— Qu’est-ce que tu fais ? lâche-t-il en me voyant me lever.

           Je lui jette un regard par-dessus mon épaule.

— Faire ce que tu n’auras jamais les tripes de faire, faible que tu es.

           Il me semble qu’il avance d’un pas, comme pour me retenir. Mais il se ravise. Je ris doucement en voyant cela.

           Par-delà la crevasse, j’observe la silhouette de Lycus. Elle me regarde. Un rictus vil étire ses lèvres.

— Remise de ton petit épisode ? je cris par-dessus la fosse où la guerre fait rage.

           Elle éclate d’un rire narquois.

— Tu ne vas pas te battre avec eux ? Pourquoi je ne suis pas étonnée de la lâcheté apparente d’une sephtis ?

— Oh, mais je ne suis pas lâche, je raille.

           Allongé sur le sol, non loin de Lycus, je vois Hector remuer. Mais j’ignore les yeux écarquillés qu’il pose sur moi.

           Il peut entendre la vérité. Ma vérité.

           Il sait ce que je vais faire.

— Attends.

           La voix de Toji est ferme, dans mon dos. Mais je ne l’écoute pas. J’en ai déjà assez entendu. Il n’essaye d’ailleurs pas de me retenir lorsque, soudain, je me laisse tomber dans la fosse.

           Mon corps fend les airs avec grâce et je retombe sur mes deux jambes. Comme si le bond que je venais de faire n’avais pas une hauteur de cent mètres, mais un.

           Lycus m’a imitée. Nous deux nous retrouvons sur la terre ferme. Au-dessus de nous, je peux sentir les regards d’Hector et Toji. Seulement je les ignore.

           Il est temps que quelqu’un mette un terme à cette merde.

— Tu maintiens tes sbires éloignées de moi ? je demande en remarquant que les sisnasas continuent de se battre contre Novcahroon et Giaa.

— Je n’ai pas besoin qu’elles te tuent. Cette blessure s’en chargera pour moi.

           Désignant mon épaule d’un geste du menton, elle rit doucement. Elle aussi, a remarqué que mon sang n’était plus blanc.

           Je me meurs.

— Parfait, cela me facilitera la tâche…

           Prenant une profonde inspiration, je hurle :

GIAA !

           La Prêtresse Lion, d’un geste de la main, cloue les sisnasas l’approchant au sol. Les dagues qu’elle commende les empalent.  Son regard se pose sur moi.

           Nous n’avons que peu converser. Pourtant, à l’instant même où elle me regarde, je sais qu’elle a compris.

— Non, écoute, il y a un autre moyen ! lance Hector qui a aussi entendu ma vérité.

           Sa voix éclate contre les parois de la fosse, sous la lueur de la lune écarlate. Même Novcahroon, entre deux coups d’épée, nous regarde.

           Seule Lycus ne semble pas avoir compris.

           Un sourire étire mes lèvres tandis que j’approche la femme. Mon pas est lourd, ténébreux. Je peux presque sentir la fierté du Seigneur des Morts couler sur ma peau.

— Tu as fait un pacte avec Toji. Il ne peut tuer des sisnasas et tu ne peux tuer des sephtis. Il l’a rompu. Mais, comme il est un Ange, il n’est pas réellement mort. En revanche, si toi, tu venais à le rompre, mortelle que tu es…

           Une ombre passe sur le visage de Lycus. Elle a compris. Ses yeux s’écarquillent quand elle regarde Giaa qui nous observe aussi.

— Non ! se défend aussitôt l’ancienne Prêtresse Cancer. Tu ne peux pas ! Tu ne pe…

— Il se trouve que je suis une sephtis, je souris doucereusement. Et tu payeras très cher si jamais l’envie te prend de… Disons… Utiliser cette épée à ta ceinture sur moi.

           Lycus secoue la tête brutalement, reculant de plusieurs pas. Mais il est trop tard.

           La voix de Giaa retentit soudain :

— Lycus.

           Comme d’outretombe, on entend qu’elle est déformée par la magie. La Prêtresse Lion utilise son pouvoir sur Lycus, celui d’autorité.

           Et, usant de cette force, Giaa martèle les morts :

— Je t’ordonne d’assassiner cette sephtis.

           Le hurlement d’Hector couvre celui de Lycus. Il me semble entendre vaguement un soupir de Toji. Mais je ne lui ferais pas le plaisir de lever la tête.

           Mon sourire s’élargit tandis que mes bras s’écartent. Lycus tente de lutter, hurlant, quand ses jambes marchent toutes seules. Une larme de joie coule sur ma joue et je la laisse approcher.

           Mes bras écartés, j’attends l’étreinte mortelle.

           Des larmes dévalent les joues de Lycus qui se débat contre elle-même. Mais elle dégaine l’épée de son fourreau et s’approche de moi. Trop tard. Giaa a donné l’ordre. Rien ne l’annulera.

GIAA, DIS-LUI D’ARRÊTER ! supplie Hector.

           Mon sourire s’affaisse légèrement. Je crois que j’avais un ami, dans ce monde.

           Soudain, la douleur.

           Mes yeux s’écarquillent quand un hurlement retentit. Long, guttural. Je sursaute et mets quelques instants à réaliser qu’il ne s’agit pas de la voix d’Hector.

           L’épée m’a traversée. Du sang coule abondamment. Je le sens tapisser mon ventre.

           Juste devant moi, de l’autre côté de la lame, Lycus la tient. Tremblotante, elle m’observe. Ses grands yeux se baignent de larmes.

— Je… Je ne veux pas mourir…

           Mais à l’instant où ces mots franchissent ses lèvres, son visage se fait gris, comme un amas de cendre. Et elle s’écrase dans le sol en un tapis de poussières.

           Les sisnasas s’effondrent une à une. La lune s’éclaircit.

           Le pacte vient d’être rompu. Lycus est décédée… Et sa dynastie avec.

           Le combat aura duré toute la nuit. Les rayons écarlates se retirent pour laisser place au soleil. Il commence à peine à se lever, dans le ciel.

           Hoquetant autour de l’épée, je sens leurs regards sur moi. Les Pages. Les villageois sortant de leur cachette.

           Toji…

           Du sang afflue sur mes jambes. Il colle à mes vêtements. J’ai froid.

— La guerre est finie…, je chuchote.

           Soudain, mon corps cède sous son propre poids. Je m’effondre. Mais un bras s’enroule autour de moi, m’empêchant de tomber. Un autre se glisse sous mes genoux.

           A nouveau, Toji me porte. La lame de l’épée frôle presque le sol au-dessus duquel je me tiens. Blottie contre son corps, je n’ai plus froid.

           Mes yeux trouvent les siens. Je n’ai plus mal.

           Je ne saurais déchiffrer l’expression de son visage. Il me semble qu’elle rime avec le silence recueilli des lieux.

— C’est une sacrée façon tirer sa révérence, n’est-ce pas ? je lâche dans un rire, du sang jaillissant de mes lèvres.

           Il acquiesce simplement. L’épée dans mon corps est lourde.

— Allons, Toji, tu me hais. Ne fais pas cette tête d’enterrement.

           Il acquiesce. Mais son visage demeure sombre.

— J’étais en train de mourir, de toute façon, je chuchote.

— Je ne sais pas si je t’aurais laissé dépérir jusqu’au bout.

           Je ne réponds pas. Mes paupières se ferment. Je n’ai pas mal. Je n’ai pas froid.

           Je vais simplement bien. Pour la première fois depuis longtemps.

           Un sourire apaisé étire mes lèvres.

— Je crois que je comprends peut-être pourquoi je t’ai aimée, dans cette autre vie.

           Je ne réponds pas. Les yeux clos, je profite de mes derniers instants. Je ne ressens plus que la caresse de l’astre sur mon visage.

           Douce. Comme une caresse m’accompagnant de l’autre côté.

           Le soleil est froid, ce matin. Comme si Hélios, dans son infinie bonté, m'avait accordé quelques éclats de compassion.
















j'espère que ce chapitre
vous aura plu !

je reviens après une
pause avec ce
chapitre fermant la
deuxième partie !

pas de panique, il y
en a une troisième !

j'espère que ça vous a
plu !






















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