𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟔𝟐
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 𝟔 𝟐
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En un flot continu de masses informes, les tâches se déplacent. Hurlant, elles sifflent à mes oreilles et coulent devant mes yeux. Des perles de sang tapissent le sol de grenat, sertissant les grains de sable de quelques pétales de rubis.
Mon corps bouge dans une suite de réflexes. Ma main fend les airs, attrapant une arme et je me courbe afin d’en éviter une autre. Je ne sais combien de sisnasas tombent sous le poids de mes lames.
Seul m’importe d’avancer.
— NE LA LAISSEZ PAS REJOINDRE LES PAGES ! hurle soudain une voix. NE LA…
Mélania, projetant son fouet enflammé, arrache la hurleuse du sol et l’envoie au loin. Observant la scène, je souris à ma collègue qui acquiesce.
Dévalant la colline, nous avons été arrêtées alors que nous nous apprêtions à descendre les marches menant au souterrain de la ville. Elles ne veulent pas que nous atteignions Hank, Noovcaharoon et Giaa. Je suppose qu’elles se doutent qu’une fois unis, nous les écraserons aisément.
Là est la bonne nouvelle : ils sont encore en vie et nous avons d’excellentes chances de gagner.
— VRAIMENT, NE LES LAIS…
Brutalement, la silhouette de la sisnasas devant moi s’écroule à genoux. Sursautant presque, je me tourne vers Mélania qui semble aussi consternée que moi. Aucune de nous deux ne venons de l’attaquer.
La capuche de la femme se soulève, laissant voir ses yeux qui s’écarquillent quand du sang coule soudainement de ses oreilles. Ses doigts s’écartent, sidérés.
Elle s’écroule.
— Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? je crache.
Brutalement, je me retourne, m’apprêtant à décocher un coup fatal à une créature m’attaquant par derrière. Cependant la femme fait aussitôt un pas de côté.
D’abord, je crois à une esquive. Jusqu’au moment où ses mains se plaquent brutalement à ses oreilles. Par-dessus le capuchon, elle presse le tissu avec ferveur, ses yeux s’écarquillant. Soudain, des spasmes animent son corps. Elle tressaute.
De ses paumes, du sang s’écoule. Petites gouttes devenant bientôt brutale pluie, elle s’écrase dans sa cape, disparaissant dans le lac de cette brutale couleur.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? éclate la voix de Mélania au loin.
Alarmée par la vision de cette sisnasas, je n’ai même pas fait attention au fait que personne n’a tenté de m’attaquer depuis tout à l’heure. Cela aurait dû susciter quelques interrogations. Seulement, la réponse à cette question que je n’ai pas posée arrive lorsque je me tourne vers Mélania.
Les yeux écarquillés, elle regarde autour d’elle. Son fouet pend, s’étalant sur le sol, inutile. Car autour de son corps debout, ceux des sisnasas sont au sol.
Toutes nos ennemies ont adopté la même position.
A genoux, les mains plaquées sur les oreilles, elles tremblent. Luttant contre un mal que nous ne pouvons voir, elles pleurent bruyamment, tentant d’affronter cet ennemi invisible.
— Il y a un… Un son qui les tue, réalise Mélania en les observant, abasourdie.
Cette formulation me fait l’effet d’une claque. Mes traits retombent et je recule d’un pas, m’éloignant de la silhouette gémissant à mes pieds.
Non… Elle n’était pas là. Ce n’est pas possible.
Je connais ce pouvoir. Seulement sa propriétaire n’est censée se trouver ici.
— Mélania, protège tes oreilles à tout prix, je lâche précipitamment.
— Pourq…
La voix de la titane meurt lorsque, se tournant vers moi, son regard s’arrête sur un point, dans mon dos. Au-dessus de moi, je devine qu’elle fixe une silhouette perchée sur une dune, derrière moi.
Un frisson me parcourt.
— Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? s’exclame la divinité, ahurie.
Enfin, je le sens. Ce regard, sur ma nuque. Pensant, cuisant mes cervicales, il pénètre en moi à la manière d’un poing de feu, brûlant chaque muscle sur son passage.
Pourtant, péniblement, je trouve la force de me tourner.
Doucement, comme si le moindre geste pouvait me briser, je suis le regard de Mélania. Aussitôt, mon regard se pose sur cette vision ayant tant perturbé la femme.
Elle se tient là, debout, au sommet des dunes.
Son menton anguleux s’est levé dans une posture impériale trahissant ses années passées aux côtés de l’impératrice. Pourtant, émane de la façon qu’elle a de poser ses yeux d’obsidienne sur moi une véritable force guerrière. Quelque chose que les bals à la cour n’apprendront pas. Un élément rare que seuls les champs de bataille peuvent enseigner.
Un courage sombre. Celui d’une cavalière.
Au milieu de ce regard pénible à affronter s’étend un nez épaté surplombant une bouche brune qu’elle garde pincée. La façon qu’ont ses lèvres de trouver naturellement leur place, l’une contre l’autre, trahit une grande habitude au silence.
Car cette femme n’a pas besoin de parler pour que ses ordres soient obéis.
Sur son front, un bijou d’argent, pratiqué dans le même matériau que celui constituant son imposante armure, fait ressortir l’éclat de sa peau noire, légèrement plus claire que ses longs cheveux tombant dans son dos.
Nul besoin pour elle de se cacher sous un capuchon.
Au-dessus d’elle, un drap sombre est tendu. Soutenu par des bâtons que tiennent quatre femmes habillées d’un capuchon rouge.
La tête baissée, un genou à terre, elle ne bouge pas. Comme asservies à l’ennemi, elles se laissent faire. Car cette femme n’a jamais eu besoin de parler pour donner des ordres. Et encore moins pour les faire exécuter.
Tout comme les femmes mourant autour de nous, tuer par un son que seules elles peuvent entendre, les quatre suivantes portant les draps noirs sont sans doute asservies par une mélodie résonnant dans leur tête.
Là est le pouvoir terrifiant de cette femme.
Lynda. La Prêtresse Capricorne.
— Que fais-tu là ? je demande animalement, lorgnant avec agacement sa silhouette.
Je n’ai jamais adressé la parole à cette femme. Pourtant, la voir m’énerve pour une raison que je ne parviens même pas à soupçonner.
Un sourire étire ses lèvres.
— Je vois que l’âme de Toji s’est réfugiée en lieu sûr.
Je vois.
Ce n’est pas moi qui la hais mais Toji. Et comme son âme est là, quelque part dans les profondeurs de mon être, je le devine.
Mes sourcils se détendent.
— Navrée. Vous venez de nous aider. Je ne devrais pas houspiller de la sorte une femme que je ne connais pas.
— Mais tu me connais, au contraire, sourit Lynda.
Ses doigts claquent. A ce son, les quatre sisnasas se redressent d’un même geste, marchant derrière elle et continuant de la protéger à l’aide du drap.
Elle avance.
— Tu es d’ailleurs la raison pour laquelle Toji me hait.
— Mais de quoi parlez-vous ?
Lynda ne me répond pas, continuant à descendre les dunes. Mélania, à côté de moi, observe la page atteindre le sol.
Une fois devant la demi-titane, la Prêtresse Capricorne pose un genou au sol. Sa tête se courbe en avant, en signe de respect.
Puis, elle se relève. Mélania me lance un regard surpris.
— Tu es la fille de Prométhée. Il est logique qu’on te vénère, explique Lynda devant sa surprise.
— Je… On ne m’a jamais montré un tel respect… Ou même un respect tout court.
— J’en suis désolée.
La voix de Lynda est ferme, dénuée de toute émotion. Je devine qu’elle clôt le sujet afin de ne pas s’épancher sur quelque chose qui ne concerne pas le combat actuel.
Son regard se repose sur moi :
— En bas, les villageois ont été mis à l’abris. Noovcahron les protège pendant que Hank et Giaa se battent. Mais un coup de main ne sera pas de refus.
La femme nous observe tour à tour.
— Je peux comprendre que la sephtis soit insensible à la lumière de la lune écarlate mais… Toi ? Pourquoi ne portes-tu pas de capuche ?
— Je suppose que mes origines divines me protègent, lâche Mélania.
Lynda acquiesce. J’esquisse un sourire satisfait.
La femme commence à marcher jusqu’à l’escalier menant au souterrain, nous lui emboîtons le pas.
— Pouvez-vous entendre combien de sisnasas il nous reste à éliminer ? je demande.
— Très peu. Toutes sont en bas. Mais là n’est pas le plus important. Elles étaient la partie du gibier la plus facile à abattre.
Un peu surprise par cette appellation, je fronce les sourcils. Lynda arrête de marcher. Mélania et moi l’imitons. Nous suivons son regard.
En contrebas, les capuchons rouges se succèdent. Dans une cacophonie de tissu, une danse sans rythme, les corps s’écrasent au sol, se relèvent, s’abattent sur l’ennemi sans vergogne. Une lutte sans merci fait rage.
Je n’arrive même pas à distinguer les Pages Ancestraux.
— Bientôt, toutes ces femmes que nous avons abattues se relèveront et aucun de nos sorts ne pourra les combattre. Elles seront insensibles à ma mélodie, n’écouteront pas les ordres de Giaa, se relèveront à chaque coup de Hank et Noovcahron.
Elles vont devenir des morts-vivants.
Lynda pointe la lune écarlate du doigt. Mon estomac se noue quand je l’observe.
— Mortes, elles seront encore plus fortes. Tant que cette lune brillera.
— Comment les arrêter ? demande Mélania.
Lynda pince les lèvres.
— Nul ne le peut. Pour les arrêter, il faut que la personne qui les contrôle décide de le faire ou meurt.
— Lycus…, je chuchote à faible voix.
La capricorne acquiesce.
— Les femmes portant cet étendard, dit-t-elle en désignant les sisnasas à genoux, sont charmées par une mélodie que ma magie produit. Mais je n’ai pas la force de toutes les charmer et maintenir le sort. Je dois les tuer pour les empêcher de s’en prendre à la population.
— Même si nous ne serons pas comment nous occuper d’elles, une fois mortes, je réalise.
A nouveau, elle hoche la tête. Mon estomac se noue. Je comprends mieux.
— Tu n’es pas la première personne à avoir essayé de tuer Lycus, sephtis. Cette femme est immortelle. Elle a volontairement nécrosé des parties de son corps qu’elle fait vivre avec sa magie pour se maintenir éveillée. Nul ne sait comment l’arrêter.
A l’instant où elle prononce ces paroles, mon regard trouve la silhouette d’une sisnasas. Elle s’apprête à se jeter sur Hank lorsqu’un cercle de lumière apparait entre eux.
Elle disparait dans ce dernier, téléportée quelques mètres plus loin. Emportée dans sa course, elle ne réalise même pas qu’elle vient d’être projetée dans un autre endroit et continue d’avancer. Une pointe dépassant d’une maison se trouve devant elle. Elle s’empale sur la pierre.
Je ne sursaute même pas en voyant la pointe de la maison à l’architecture evilanaise dépasser de son dos.
— Pour l’instant, nous gagnons, fait remarquer Lynda. Mais la vérité est que cela ne va pas durer. Une fois que nous les auront toutes tuées, elles se relèveront d’entre les morts…
Sa gorge se serre.
— Et nul ne pourra les arrêter.
Mon estomac se noue.
Soudain, de l’autre côté de la cavité, plusieurs dizaines de mètres plus loin, au sommet de ce trou immense donnant sur la ville, une silhouette attire mon attention.
Un instant, l’envie de la pointer du doigt me prend, leur demandant de qui il s’agit. Quand soudain, mon estomac remue et ma gorge se serre.
Sous la lueur écarlate de la lune, je reconnais ce corps massif et développé, souligné de deux ailes puissantes brillant sous l’éclat de sang.
Mes doigts tremblent au bout de mes mains.
— T…
Mais je ne termine pas ce mot, ma gorge se serrant. Lui, m’observe, silencieux. Malgré la distance, je devine la douceur imprégnant son regard smaragdin.
Toji Fushiguro est là.
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j'espère que ce chapitre
vous aura plu !
on attend doucement
la fin de l'arc !!
j'ai hâte de vous faire
découvrir la partie
3 et ses plots twists
:)
si vous avez des pistes
d'amélioration, n'hésitez
pas !
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