𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟓𝟓

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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 𝟓 𝟓
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Prisonnières d’une chaleur humide, les paroles de Toji résonnent quelques instants. Les cachots sont pourtant un endroit des plus glacés, à l’origine.
Mais je réalise que la température ne vient que de cet instant.
De la façon qu’ont ses yeux de m’observer.
Entre les barreaux, illuminés par les flammes des torches, ses iris revêtent quelques teintes profondes. Les éclats d’émeraude dansant autour de sa pupille me semblent plus acérées encore, capables de dépecer n’importe quel cœur, le réduire à l’état de miette. Quant à ses deux obsidiennes… Elles enflammeraient les ténèbres, attiseraient les flammes aux confins des abîmes.
— Qui m’a fait ça ?
J’entends ma voix avant de réaliser que ces mots franchissent mes lèvres. Mon cœur tremblote mais elle se fait ferme. Comme si, face à ce regard si sombre, celle que j’étais autrefois revenait.
On eut dit que la cérémonie de l’Ash n’est qu’une couche de givre derrière laquelle dort la Prêtresse Nime. Qu’elle ne désire qu’une seule chose : revivre.
Renaître.
Mais je ne puis le tolérer. Je suis une druide. J’aime la vie.
Elle, non.
— Qui m’a fait ça ? je répète avec une assurance que je ne me connais pas.
Un pas en sa direction. Son menton se relève et son regard s’attarde sur mes jambes.
— Oses-tu réellement me demander qui m’a fait ça de cet air sombre et avec colère ? je tonne.
— Je l’ose.
Son flegme m’exaspère.
— Et si tu commençais par te demander ce que tu as fait, toi ?
Je ne lis rien de ce qu’il pense de ma phrase. Ses yeux demeurent sombres, presque froids.
Mais je refais un pas.
— Si tu es assez lucide pour te mettre en colère pour quelques larmes, pourquoi ne trouverais-tu pas la lucidité de me demander pardon pour tes propos de tout à l’heure ? je crache.
Sa mâchoire se contracte.
— Ne prétends pas que tu les as oubliées sinon tu aurais commencé par me demander pourquoi tu es enfermé. Tu sais pourquoi tu es là. Tu sais ce que tu m’as dit.
Un autre pas.
— N’essayes même pas de taper du poing sur la table en scandant que l’on doit le respect à ton amante d’une autre vie.
Un autre pas.
— Les gens ne me doivent pas le respect à l’amante que je suis pour toi mais à la femme que je suis pour moi ! Et tu es aussi concerné par cela !
Je suis juste devant la cellule. Penché sur moi, il m’observe. Quelques centimètres à peine séparent nos corps et la proximité est telle que je peux sentir la chaleur épaisse de la rage exultant de ses pores. L’air est presque irrespirable, la tension se fait palpable.
Puis, dans un geste à la fois familier et nouveau, je lève les bras. Juste sous les mains de Toji, m’approchant de lui, j’attrape les barreaux :
— Je vais te donner une raison de me haïr.
A tout hasard, ta stupidité est-elle innée ou acquise ?
Je me fige en entendant cette voix que je ne connais que trop bien.
Bien des débats se posent autour du talent : sommes-nous nés avec ou l’avons-nous développé ? Mais je crois qu’il est aussi judicieux de se demande…
— Ménélas ?
Me retournant, je découvre deux oreilles triangulaires plantée sur une tête ronde. Aussitôt, un sourire étire mes lèvres et je me précipite sur le chat.
Planté sur le seuil du cachot, il a quelques pas de recul.
N’espère même pas m’approcher avec cette odeur.
Aucun doute, il s’agit bien de lui. Je lève les yeux au ciel sans pouvoir réprimer un léger gloussement. Son flegme habituel me ferait presque oublier ma colère naissante.
Suis-moi.
Sans me laisser le temps de riposter, Ménélas s’en va. Aussitôt, je l’interpelle :
— Ménélas, j’étais en pleine conversat…
Et qu’est-ce que tu veux qu’il fasse ? S’en aller ?
— Je pourrais bien, rétorque une voix dans mon dos.
Je me fige en l’entendant. Toji. Toji a parlé.
A Ménélas.
— Tu peux parler à Ménélas ? je m’exclame en me retournant, outrée.
Es-tu abrutie ?
Le duc foudroie l’animal du regard avant de reposer les yeux sur moi. Ses épaules se haussent.
— Toutes les personnes liées au divin le peuvent. Egarca a du sang de titan, Mélania aussi, tu as la faveur d’Hadès et je suis l’Ange de la Mort.
Et comme je suis incroyable, on m’a donné le don de communiquer avec des bouseux. Y’a pas à dire, les Dieux savent se démerder, question récompenses.
Toji et moi nous tournons vers l’animal d’un même geste, absolument terrifiés par ce blasphème éhonté. Il fouette l’air de sa queue.
Qu’est-ce que vous regardez, comme ça ?
— Ton complexe de supériorité et la punition divine nous guettant.
Dixit celui qui parle mal à sa bien-aimée et n’exige pas que d’autres le fassent. Je vous jure, le culot de cet homme me dépasse. Je veux dire, ce n’est quand même pas croyable d’agir de cette façon. Moi, si j’étais elle, je lui…
Je n’entends pas la fin de sa phrase puisqu’il s’éloigne, disparaissant derrière un mur. Hébétée, je fixe l’endroit où il se trouvait encore, il y a quelques temps.
Je ne saisis rien de tout ce qu’il vient de se dérouler.
— Tout ça va trop vite pour moi, je chuchote.
Toji s’avère être l’Ange de la Mort. Il s’en va aux côtés de Sullyvan que je suis obligée d’aller chercher dans le désert. Sur mon chemin, je perds les personnes chargées de ma protection au profit des Harpies qui finissent par être vaincues par Sullyvan qui m’enlève — alors que l’inverse était censé se produire. Puis, il me révèle que Toji a brisé un pacte avec un nécromancien et que son âme disparait peu à peu. Qu’il en vient à haïr celle qu’il a le plus aimé.
Moi. Car j’étais son amante, avant de succomber à la cérémonie de l’Ash. J’étais même une guerrière puissante, génocidaire, une criminelle de guerre, une sale raclure de vermine.
Et, le comble : je n’étais même pas une sephtis.
— Est-ce que vous pouvez tous vous mettre d’accord pour me révéler ce que vous avez à me révéler une bonne fois pour toutes ? J’ai l’impression que tout cela ne prendra jamais fin !
— Le pacte que j’ai fait était avec Lycus, réagit aussitôt Toji, me prenant au mot.
La voix de Toji me fait l’effet d’une claque. Je me retourne, hébétée.
— Quand je suis devenu le patron des sephtis, j’ai passé un pacte avec elle : elle ne tuait plus de sephtis et je ne tuais plus de sisnasas. Mais je savais qu’elle pouvait le rompre à tout moment alors j’en ai passé un deuxième.
Ma gorge se noue.
— Je suis allé voir un vieil ami, le plus grand nécromancien que ces terres aient connu après Lycus…
— Sullyvan, je réalise.
Toji hoche la tête.
— Je savais qu’il était le seul à pouvoir se mesurer à Lycus. Alors je lui ai fait jurer de te protéger. Il ne m’a jamais dit ce qu’il exigeait en retour… Jusqu’à récemment.
Mes yeux se ferment et je réalise. L’unique objectif de Sullyvan est tracé depuis longtemps. Dès notre première rencontre, il a été limpide quant à ce dernier.
Il veut poursuivre ce que je faisais, sous le nom de la Prêtresse Nime. Il veut massacrer les sisnasas.
Je ne sais pas d’où lui vient cette haine du peuple de sa propre génitrice. Mais elle est profondément enracinée.
Je réalise, maintenant.
— Sullyvan et Lycus sont des nécromanciens. Si tu obéissais à Lycus et refusais de tuer des sisnasas, tu désobéissais à Sullyvan et perdais ton âme. Si tu obéissais à Sullyvan et tuais un sisnasas…Tu désobéirais à Lycus et…
Ma voix meurt dans ma gorge. Ma poitrine se fait lourde.
Un sourire triste étire les lèvres de Toji.
— J’étais condamné.
— Mais tu as l’air si… normal, là ! je couine presque, désespérée. Tu t’agaces que du mal me soit fait et, même si tu ne te soucies pas de tes propres actes, tu ne me regardes plus avec colère !
Il hausse les épaules.
— Il semblerait que j’ai des éclairs de lucidité.
Mes yeux se remplissent de larmes et je le vois pencher la tête sur le côté. Mes paupières se ferment car je devine déjà la suite de sa phrase.
— Seulement ces éclairs de lucidité vont être de plus en plus rares… Même là, tu l’as bien vu, je n’ai pas eu le réflexe de m’excuser alors que te voir pleurer m’a fait tellement mal que mon cœur s’est rappelé qu’il t’aimait… Je ne suis déjà plus le même qu’avant.
Mes doigts tremblent au bout de mes mains. Ma poitrine se fait lourde.
— Là, mon esprit est clair, ma douce. Et je sais ce que je veux. Alors écoute-moi.
Je secoue la tête de droite à gauche. Hors de question. Car je sais aussi ce qu’il veut et n’ai pas la force de l’accepter.
— Ma douce, s’il-te-plaît…, appelle-t-il encore.
Je recule.
— Ecoute-moi…
Je recule encore en secouant plus énergiquement encore la tête.
— Non… Non, je ne t’écouterais pas ! Tu ne peux pas me demander ça ! je gronde, une larme roulant sur ma joue.
Mes yeux s’ouvrent enfin. L’éclat de pitié dans son regard me révolterait si mon cœur ne pesait pas tant.
— Vous semblez tous savoir qui est la Prêtresse Nime ! Vous tous ! Une meurtrière, une femme qui ne bronchera pas devant une telle tâche !
Il ne dit rien, compatissant seulement.
— Mais je ne la connais pas, moi !
J’éclate, des larmes roulant de plus belle sur mon visage tandis que je pose mes mains sur mon torse, me montrant. Ma voix se hausse.
Je n’ai jamais été préparée pour cette vie-là. Celle que je suis, depuis la cérémonie de l’Ash, n’est qu’une amoureuse de la nature sans arrêt connectée à elle.
— Je suis une druide.
— Je sais, ma douce.
— J’aime la vie.
— Je sais.
— Je sauve les gens.
— Je sais.
Son ton empathique ne suffit pas à m’apaiser. Car je sais qu’il a raison.
— Je ne suis pas une meurtrière, Toji.
Il acquiesce, l’intérieur de ses sourcils pointant le ciel.
— Je sais.
— Alors ne me demande pas de te tuer, je couine. Pas quand tu atterriras au Tartare.
— Ma douce…, soupire-t-il.
Je secoue la tête, comprenant qu’il ne compte pas revenir sur sa décision. Mon cœur se serre.
— Je suis une druide, je lâche même si cette phrase n’a plus de sens, simplement pour me raccrocher à n’importe quoi. Je…
Une larme roule sur ma joue.
— Je ne peux pas.
— Je préfère une éternité de souffrances à t’aimer qu’une vie d’indifférence à te haïr.
— Mais moi, non.
Je hoquète.
— Tu te ficheras de me haïr puisque tu me haïras. Mais tu n’auras pas mal.
— Mais je ne peux pas te haïr ! Cela va à l’encontre de ce que je suis ! gronde-t-il.
— Il reste une solution.
Nous deux nous tournons vers la voix qui vient de retentir.
Dans l’encadrement de la porte s’élève une haute silhouette. Je reconnais aisément ses épaules développées où s’est perché Ménélas et comprend mieux comment il a pu venir ici.
Hank. Prêtre Taureau. Capable de téléportation.
— Eurydice et Orphée, lance-t-il.
Ma gorge se fait sèche.
Un Eurydice et Orphée façon couple sur qui aucun enfant n’écoutera de conte parce qu’il est franchement glauque mais un Eurydice et Orphée quand même.
Nous fusillons tous Ménélas du regard.
Hank reporte son attention sur nous.
— Sullyvan nous a trouvé et nous a fait revenir, tous. Nous ne reconnaissons pas forcément la légitimité de l’impératrice et espérons garder la chose entre nous.
— Quelle chose ? je demande.
Hank soupire, visiblement embêté de devoir faire de telles révélations à la sephtis que je suis. Mais il finit par cracher le morceau :
— Des massacres ont eu lieu dans des villages du Désert des Evilans. Il semblerait que ce soit Lycus et les sisnasas.
Mon sang se fige.
— Quoi ?
— Nous allons avoir besoin d’un sacré coup de main, sur ce coup-là. Un comme Toji, ici présent…
— Impossible. Je me meurs littéralement, lâche l’autre sans plus d’émotion.
Hank acquiesce.
C’est bien ce qu’on disait. Orphée et Eurydice.
Mes sourcils se froncent en entendant cela. Hank me pointe du doigt avant de diriger l’index sur le prisonnier.
— Tu le tues et on va le chercher aux Enfers, simple comme bonjour.
Sa proposition me fait l’effet d’une claque.
Je suis bien curieuse de savoir comment cet énergumène salue les gens le matin car il ne me viendrait pas à l’idée de comparer une excursion interdite sur les terres sacrées d’un Dieu immensément puissant à cela.
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j'espère que ce chapitre
vous aura plu !
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