𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟓𝟑
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 𝟓 𝟑
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Silence. Autarcie. Calme.
Paix.
Doucement, sa chaleur m’enlace et je me laisse aller à la tendresse de ce moment. Je pourrais fondre dans ses bras et naitre à nouveau, plus complète encore. Contre lui, la partie de moi qu’ils avaient ravie me semble revenir. Oui. Je reviens…
Son corps a gardé les empreintes du mien. La façon qu’ont ses mains de tenir mon visage est identique au geste qu’il effectuait, jadis. Nous demeurons les mêmes. Pourtant complètement différents.
Le monde s’est retiré sous nous, laissant nos corps flotter dans un ciel incertain.
Ses lèvres remuent contre les miennes quand il tente d’enfoncer sa langue dans ma bouche. Un instant, j’ouvre la mienne, saisie.
Mais aussitôt, je recule.
— NON !
Le repoussant violemment, je fais quelques pas en arrière afin de m’éloigner. Mon geste était aussi brutal qu’irréfléchi. Je n’ai pas pris le temps de méditer là-dessus, sachant au fond de moi que je ne parviendrais jamais à le repousser entièrement.
Seulement je peux tenter de reculer. Toujours plus.
Penchant la tête sur le côté, il me regarde m’éloigner. Mon dos touche bientôt une surface lisse et je réalise qu’un mur est derrière moi. Mais il ne s’est pas approché, laissant une distance entre nous.
— Réponds-moi, je cingle. Pourquoi m’as-tu approchée, réellement ? Tu n’avais pas besoin de moi pour trouver qui était l’auteur de tous ces meurtres car tu l’étais ! Tu es l’Ange de la Mort ! Alors pourquoi m’avoir attiré dans tes filets ?
Je ne sais qui croire et n’arrive pas à accorder le moindre crédit aux paroles de Sullyvan. Cependant elles restent dans ma tête car je sais qu’il n’a aucune raison de me mentir.
Si Toji est revenu, ce n’était que par colère car le blond m’avait ravie. Je ne sais tout de même pas si je compte pour lui.
— Dis-moi la vérité, Toji.
Des larmes brillent dans mes yeux quand les siens se plissent. Un sourire venimeux étire ses lèvres et il rit bruyamment.
Moqueur.
— En rêve, je t’ai demandé si tu te souvenais de ce que j’avais fait, dans ma vie antérieure, et tu m’as répondu que non… Je ne sais toujours pas si je t’ai réellement parlé ou si c’était un effet de mon imagination…
— Tu m’as réellement parlé. Comme je suis réellement apparu au-dessus de toi, quand la Harpie fondait dans ta direction. Tu n’as rien imaginé. Tu m’as réellement parlé…
Mes yeux louchent sur son ventre. Quand j’ai cru qu’il était au Tartare, du sang avait giclé de son abdomen. Si je n’ai rien inventé, ce jour-là, il devrait encore être blessé…
— Sullyvan m’a dit que tu n’étais pas au Tartare… Où étais-tu ? je demande.
Il lâche un rire sombre. Puis, secouant la tête, il refuse de me répondre.
— Toji… Pourquoi as-tu quitté le palais ? Que t’est-il arrivé ? Que…
— Mais tu vas la fermer, oui ?
Je sursaute presque en entendant son ton rageur et le voyant serrer la mâchoire. Une haine noire obscurcit son regard émeraude et il pousse un juron, se tournant en me montrant le dos.
Il y a un instant, il souriait pourtant. Cependant, son air moqueur a fondu pour laisser place à quelque chose de plus vile, profond.
— Quoi ? je lâche, interloquée.
— Je t’ai dit de la fermer ! gronde-t-il.
Mes mains tremblent au bout de mes poignets. Un instant, je songe à laisser la colère m’envahir, ne supportant pas de sentir cette chaleur folle emplir ma personne.
Cependant, lorsqu’il hurle soudain, saisissant sa tête entre ses mains, je sursaute, terrifiée. Jamais je ne l’ai vu dans un tel état.
— Tais-toi, je ne supporte pas le son de ta voix. J’aimerais te couper la langue pour ne plus l’entendre tu n’as jamais été qu’une infâme raclure.
Par-dessus son épaule, il me lance un regard mauvais. Sa phrase me fait l’effet d’une claque et je chancèle presque, hébétée.
Brutal. Cinglant. A la manière d’une lame, sa langue affute ses mots.
— Je te hais.
Ma gorge se serre et des larmes emplissent mes yeux. Ces trois mots me blessent bien plus que je ne l’aurais cru. Un instant, je dois lutter contre l’envie de m’écrouler sur le sol. Comment, en un instant, son comportement a-t-il pu changer à ce point ?
— Tu mériterais de crever et je ne sais pas pourquoi je me suis embarrassé aussi longtemps d’une abrutie dans ton genre.
— Je t’interdis de me parler comme ça, je tonne, osant faire un pas en avant malgré la peur qui me noue le ventre.
Il rit doucement.
— Sinon quoi ?
Son sourire fond et il cingle sombrement :
— Sinon tu me tueras aussi ? Comme tu l’as fait avec la mère de mon enfant ?
Il fait un pas dans ma direction. Déployant une aura sombre et crépitante autour de lui, je ne peux m’empêcher de frissonner. Un instant je tente de garder la face.
Mais il avance à nouveau. Là, je recule.
— Je… Je croyais que tu ne t’en souvenais pas…
— En effet, répond-t-il, disons que la réalisation a été aussi brutale que douloureuse et… Récente.
Je ne saisis plus rien. Si j’écoutais Sullyvan, durant la vie où j’ai tué la mère du fils de cet homme, ce dernier m’a aussi tant aimée qu’il s’est souvenu de moi, même après l’Ash. Alors pourquoi ne semble-t-il ressentir que de la haine à mon égard ?
Et lui qui a déclaré ne m’avoir rendu visite en rêve pendant dix ans que par amour pour moi, comment expliquer qu’il n’en ressente plus aujourd’hui ?
On dirait presque que…
Une pierre tombe dans ma poitrine et les traits de mon visage se relâche. Mon cœur rate un battement et mes jambes cèdent presque sous mon poids.
— Tu as brisé un pacte avec un nécromancien, je réalise à mi-voix.
Il cesse d’avancer. Son regard demeure sur moi, viscérale.
Soudain, il ferme les yeux. Et au moment où ses paupières s’ouvrent à nouveau, je sursaute presque. Une larme coule.
Ses yeux verts n’existent plus. Seules deux billes noires me regardent. Sa sclère, sa pupille, son iris… Tout n’est que ténèbres.
— Je ne savais pas si c’était vrai… Mais certains livres disent que lorsqu’on fait un pacte avec un mage très puissant, selon le signe astrologique du mage, on a une punition différente si on brise le pacte.
Il ne répond pas, son regard vide me fixant.
— Lorsqu’on conclut un pacte avec un cancer, un nécromancien, qu’on ne respecte pas… On perd son âme. On reste vivant sans l’être…
Ma poitrine tremble.
— Tu deviens lentement un amas de haine. Tu te souviens d’éléments du passé qui ne sont que haine sans te rappeler de l’amour.
Ma gorge se serre.
— Tu te souviens que je l’ai tuée. Mais tu ne te souviens pas que tu m’as aimée. Parce que j’en suis sûre, maintenant. Tu m’as aimée.
Mon menton tremble.
— Quel pacte as-tu brisé ? je chuchote.
— Je comprends mieux…
Nous deux nous tournons vers la voix ayant retentit dans notre dos. Dans l’encadrement de la porte, encore vêtu de son habituel kimono, Sullyvan nous regarde.
Les bras croisés sur sa poitrine, il s’adosse au cadre serti de mosaïque. Ses traits se font sombres.
— La femme de Toji était une sisnasas et tu étais une cheffe de clan. Tu avais recueilli de nombreux sephtis et les protégeais, lance-t-il en me regardant dans les yeux. Toji, qui faisait parti des héritiers de son propre clan, parlementait souvent avec toi.
Je frissonne. Moi ? Cheffe de mes lieux ? De gens ?
— Vous aviez un accord. Vous ne deviez pas vous en prendre à la population de l’autre. Cela avait convenu pendant un temps mais, à un moment, tu as retrouvé régulièrement des cadavres de sephtis que tu avais recueillis.
Je me tourne vers Toji. Se souvient-t-il de cela, aussi ?
Mais il me fixe simplement de son regard noir et vide.
— Toji comptait énormément de sisnasas dans ses rangs. Dont sa femme. Et tu savais qu’ils étaient responsables. Mais il refusait de s’en occuper. Il disait que tu n’avais aucune preuve et qu’il n’allait pas punir son clan pour tes beaux yeux. Qu’il ne pouvait pas le tuer sans être sûr qu’ils soient coupables.
Je frissonne.
— Seulement les lynchages, tortures et meurtres continuaient…
— Un jour, l’interrompt Toji, je suis rentré chez moi avec mes hommes. Nous étions partis présenter nos hommages en tant que tribu à Egarca Evilans qui venait de se marier.
La voix du duc semble plus grave, changée… Comme venue d’outretombe.
— J’ai posé pied sur mes terres. L’air avait changé. L’odeur des fleurs se trouvait nécrosé. Tout le monde frissonnait de dégoût, sans savoir pourquoi… Puis nous sommes entrés dans notre village.
Toji m’observe quand ses poings se serrent brutalement.
— Des corps se balançaient aux branches des arbres. Des femmes gisaient, face contre terre, dans une mare de sang, des…, s’interrompt-t-il soudain, sa voix mourant dans sa gorge.
Un instant, si rapide qu’il me semble que ce n’est qu’un effet de mon imagination, j’ai la sensation que de l’humanité est réapparue, dans ses yeux.
— Tu étais assise sur le sol. Parmi les cadavres. Ton épée sur les genoux. Tu nous attendais.
Il me semble que ses mots me giflent. Non. Ce n’est pas possible. Il doit se tromper. Jamais je n’aurais pu…
Je ne peux pas avoir tué tous ces gens…
— Tu les avais exterminés… Et tu nous as attendus pour voir notre réaction.
Ma gorge se serre. Je secoue la tête.
— Je suis une druide. Je ne mange pas de viande. Je récolte les plantes de sorte qu’elles survivent. Je soigne pour vivre. Je ne tue même pas les moustiques. Je respecte la vie sous toutes ses formes, jamais je n’aurais pu…
Ma voix meurt dans un éclat désespéré. Le regard de Toji est sombre, intransigeant. Je me tourne vers Sullyvan, mon cœur saignant.
Il fuit mon regard, l’air accablé. Jamais je n’aurais cru voir un tel personnage afficher une expression pareille. Mes épaules tremblent.
— Non, je n’ai pas fait ça…
— Tu voulais protéger les tiens, explique Sullyvan.
— NON, ELLE A MASSACRE MA FAMILLE, MON CLAN, A PRIVE MON ENFANT DE SA MERE ! ET C’EST POUR CA QUE JE ME SUIS PROMIS DE LA TUER !
Sullyvan se redresse, son visage se tirant en une moue agacée :
— Et oublies-tu la suite ? Que quelques mois après m’avoir demandé un sort pour échanger sa vie contre celle de ta femme, tu es arrivé en larmes dans mon cabinet en me demandant de l’aide ? Que tu voulais que la protèges, elle que tu t’étais pourtant promis de tuer ? Oublies-tu tout ce que tu as sacrifié pour elle, plus tard ?
Le noiraud secoue la tête.
— Tu voulais le tuer mais tu as fini par l’aimer au point de tout faire pour le protéger ? Bon sang, tu as construit un temple pour elle !
Je me fige.
— Non, j’ai construit ce temple pour honorer ma femme…, contredit Toji.
— Foutaises ! Tu as cessé d’aimer ta femme le jour où elle est devenue un sisnasas ! Tu as construit ce temple pour que Megumi puisse l’honorer mais aussi et surtout pour qu’Hadès veille sur celle que tu aimais réellement ! Pas celle que tu as épousé !
— Non…
Des rougeurs teintent le visage de Sullyvan qui semble sincèrement furieux.
— BORDEL, TU ES MON AMI ET JE NE TE LAISSERAIS PAS CEDER A LA HAINE ! REGARDE-LA, PUTAIN ! C’EST ELLE ET CA A TOUJOURS ETE ELLE !
Bien que je ne connaisse pas Sullyvan depuis longtemps, jamais je ne l’aurais cru capable d’afficher autre chose que ses regards en coin sournois et ses sourires douteux.
Cependant, là, il semble vraiment inquiet.
Mais Toji ne me regarde pas. De mon côté, je tremble, ne parvenant pas à me faire à toutes ces révélations. Mon cœur se gonfle et je lutte contre l’envie de céder sous mon propre poids.
— Toji…, répète-t-il, plus bas.
Seulement l’homme ne l’écoute pas.
— Tu es bien venu ici parce que tu t’inquiétais pour elle… Ne cède pas entièrement à la haine. Au fond de toi, tu te souviens encore des sentiments que tu avais pour elle, je le sais.
Ainsi, Toji et moi nous sommes haïs profondément. J’ai tué son épouse et il voulait m’occire. Pourtant, il a fini par m’aimer plus fort encore qu’il m’avait détestée.
En fin de compte, notre relation a toujours été relativement intense et passionnée. Même dans cette vie dont je ne me souviens plus.
— Sullyvan…, je lâche à mi-voix.
Le blond se tourne vers moi.
— Est-ce que ce que subit Toji… On peut y mettre un terme ? On peut agir avant que son âme ne quitte entièrement son corps ? On peut le rattraper ?
Les lèvres du blond se pincent et il hésite quelques instants avant de lâcher :
— Oui, on peut.
— Et comment ? Que dois-je faire ? Je sacrifierais ce qu’il faut ! Dis-moi com…
Le rire sournois de Toji m’interrompt. Mauvais, il me fixe.
— Pour ce faire, ma douce, tu vas devoir me tuer.
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que de révélations...
j'espère que ce chapitre
vous aura plu !
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