𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟓𝟐













𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄   𝟓 𝟐

























           Le soleil se couche dans la vallée, laissant ses lueurs rougeâtres se muer en un voile sombre à l’horizon. Les dunes de grenat ne ressemblent plus qu’à de la terre lorsque le portail de la propriété de Sullyvan se referme dans mon dos.

           Aucun mot n’a été dit depuis que Toji est apparu.

           Dans un silence de plomb, nous approchons de l’arcade menant à l’intérieur de la villa. Les mosaïques turquoises et brunes m’apparaissent quelques instants avant que nous retournions à l’intérieur de la bâtisse.

          La gorge serrée, je ne peux détacher mon regard des deux hommes. La vision d’eux, côte à côte, s’enfonçant dans un long couloir sombre s’illuminant régulièrement sous leur pas, me tétanise presque.

           D’eux exulte une aura crépitante et presque tétanisante.

           Le kimono de soie brun s’agite dans le dos de Sullyvan à la manière d’un fleuve de cornaline. En son sommet, les boucles d’or que lui ont légué Lycus et Mael contrastent avec sa gigantesque ombre s’étirant sur le sol, offrande de l’invaincue Nyx.

           Dans son sillage, Toji laisse trainer la cape rouge pourpre ornant ses épaules. Ses ailes se sont retractées et pourtant, je distingue quelque chose de particulier, sur le sol.

           Même si aucun d’eux ne les porte, leurs ombres sont dotées d’ailes. Splendide, elles s’étendent en une silhouette noire à la lumière des lampes à huile.

           Deux Anges nés de l’obscurité.

           Bientôt, le couloir s’élargit sur une arcade. Une piscine intérieure m’apparait, à l’eau turquoise, la surface brumeuse et les bords faits de mosaïque. L’un des murs, de verre, laisse voir la cour intérieure que Sullyvan m’a montré, tantôt.

           Etouffante sous la chaleur de l’air ambiant, je prends une profonde inspiration. L’odeur fleurie empli me poumons, m’apaisant.

           Me perchant au bord du bac d’eau, j’observe la façon qu’ont les pétales d’une plante de se teinter de bleu lorsque j’approche puis reprendre leur teinte rouge quand je recule. Un arphosiasyn. Incroyable…

           Elles ne se développent que dans des endroits très humides et chauds. Il est rare de les croiser dans un tel lieu du Désert des Evilans. C’est endroit regorge de pousses absolument fabuleuses.

— Alors ? s’enquit malicieusement Sullyvan. Tu apprécies la vue ?

— En effet… Magnifique.

           Curieuse, je me retourne pour savoir quelle fleur a attiré l’attention du noiraud, au point qu’il la qualifie de « magnifique ». Cependant son regard est posé sur moi.

           Mirifiques, ses émeraudes accrochent les miennes. Ecrasé par ses pupilles d’obsidienne devenant deux billes qui m’hypnotisent, son regard me capte. Je déglutis péniblement.

           Je suis la vue qu’il apprécie ?

           Revenant à lui, il tourne la tête. Ses yeux se plantent dans ceux de Sullyvan qui esquisse un sourire en coin.

— Tu souhaitais donc me voir.

— Il me semble en effet que tu as quelque chose à faire… Non ? Après tout, nous avions un accord.

           De là où je me tiens, je vois distinctement la mâchoire de Toji se contracter. Je suppose qu’il n’apprécie pas réellement qu’on exige de lui qu’il rembourse une dette.

           Et encore moins qu’il enlève une de ses… connaissances pour le faire.

— Nous verrons cela demain, tonne le duc. Elle boite car malgré la richesse que tu étales dans ton arrogance, tu n’as pas été fichue de lui donner des chaussures.

           Un instant, j’imagine qu’il va se mettre en colère face à la décision de Toji d’ignorer le problème. Cependant, me regardant, il sourit d’un air narquois.

           Je suppose qu’il considère déjà comme une victoire le fait qu’il soit venu.

           Pour ma part, je suis encore déboussolée par le rêve que j’ai fait. Il semblait si… réel. Je croyais sincèrement qu’il avait été emmené au Tartare. Pourtant, Sullyvan dit vrai. Personne ne peut communiquer par-delà cet endroit.

           Et encore moins descendre dans le désert dès que quelque chose le gêne.

           Je me demande s’il était bel et bien là, lorsque j’ai cru me faire dévorer vivante par la Harpie.

— Je suis profondément navré que ta protégée boite… Quel malheureux hôte je fais ! Il existe pourtant un pacte tacite, chez les Evilans. Il faut accueillir décemment nos invités…

           Il darde son regard venimeux sur le noiraud qui fixe le sol, la mine sombre.

— … Après tout, tu t’y connais en pacte.

           Là-dessus, le duc marche vers moi, ignorant sciemment Sullyvan. Tremblante, je ne peux ignorer mon estomac se nouant lorsqu’il approche. Son regard se plante dans le mien, ferme, et je ne parviens même pas à bouger, médusée.

           Se plantant devant moi, il me jauge quelques instants. Mon souffle se coupe.

           Les vies se succèdent et les actes manqués se multiplient. Nous nous croisons, nous mêlons, nous démêlons. Nous ne cessons de passer dans la vie de chacun pour un temps plus ou moins long. Attirés l’un par l’autre.

           Inexorablement.

           Dans son regard, je trouve le monde que j’ai laissé derrière moi, lors de la cérémonie de l’Ash. Je ne me souviens de rien, pourtant je perçois, juste-là, presque à ma portée, lui. Son âme.

           Celle qui cherche son arrêt la mienne, reconnaissant sa sœur.

— Toji, je…

           Sa main se pose sur mon épaule. Large. Chaude. Ferme.

           Brutalement, le décor autour de nous tournoie. Je ne me sens même pas bouger, voyant juste la salle s’étirer infiniment avant de se replacer. Mon cœur s’emballe et tout autour de nous finit par se stabiliser.

           Plus de plantes. De chaleur. De piscine.

           Nous nous sommes téléportés.

           Partout autour de moi, les lueurs enflammées des lampes à huile projettent un halo tamisé sur la salle. Il se reflète dans le miroir en pieds sertie d’or posé dans le coin de la salle.

           Celle-ci est large, traversée de colonnes menant à un splendide et très large lit à baldaquin. Les rideaux blancs se succèdent dans un pêle-mêle de teintes brunes, or et blanche. Les commodes sont ouvragées, onéreuses…

— Je… Où sommes-nous ? je demande.

— Ma chambre.

           Me tournant brutalement, j’aperçois le duc, dos à moi. Se trouvant devant un miroir circulaire, son visage m’apparait nettement. Sur la surface, je vois le sérieux de son expression.

— Tu sembles surprise. Je suis pourtant sûr que Sullyvan t’a dit que cette demeure m’appartient, à l’origine. Il est normal que j’y ai une chambre.

— Oui…, je lâche, la gorge serrée. Je ne comprends juste pas ce que je fais là.

           Son regard se plonge soudainement dans le mien. Par l’interstice du miroir, ma gorge se serre. Je frissonne.

— Vraiment ? Tu ne comprends pas ?

           Mon estomac se noue.

— Je… Peu importe.

           Il rit doucement. Un son grave qui m’électrise.

— Oui…, répète-t-il. « Peu importe », comme tu dis.

           Je ne dis rien, laissant les secondes s’écouler. Par quoi commencer ? J’aurais tellement de choses à lui dire… Les questions se succèdent dans ma tête. Pourtant, ma gorge se bloque. Je ne sais pas exactement quel problème aborder en premier.

           Peut-être le devine-t-il. Ou alors les mêmes interrogations l’ont travaillé. Quoi qu’il en soit, il lâche soudain :

— Tu ne comptes pas me demander si je vais te sacrifier à la pleine lune ? Comment j’ai pu être cet ange odieux qui t’a charmée pour te…

— Est-ce que je compte pour toi ?

           Il se fige. Ses yeux demeurent ancrés dans les miens. Je frissonne, mon estomac se retournant en appréhendant la réponse.

— Tu es venu quand Sullyvan m’a emmenée… Mais tout est tellement confus. Je ne sais plus quoi croire. Je ne sais même pas si tu es réel, là, si je ne vais pas me réveiller en me disant que ce n’est qu’une énorme hallucination.

           Il se retourne enfin, me faisant face. Son aura me percute de plein fouet. Mais je demeure droite.

— Alors viens-tu pour garder ton sacrifice sous le coude ou…

— Ne parles pas de toi en ces termes.

           Sa voix, vrombissante, me coupe brutalement. Il n’a même pas haussé le ton, demeurant statique. Calme. Réservé.

           Mais de la noirceur émane de sa voix.

— Je n’aime pas cela, ajoute-t-il.

           Malgré l’appréhension que je ressens, un rire franchit mes lèvres. Je ne sais réellement d’où cela vient, mais la façon dont le visage de Toji s’est brutalement fait sérieux a éveillé quelque chose en moi.

— Ne me donnes pas d’ordres, mon chou. Même si tu veux les faire passer pour une façon de me montrer ton amour.

           Ses sourcils se haussent brutalement. Qu’ai-je dis ?

— Mon chou ? répète-t-il.

           Mon estomac se soulève et un battement plus puissant que les autres prend mon cœur.

— Je.. Oui… Je sais pas… Ca m’a semblé naturel dans la conversation.

           L’un de ses sourcils s’abaissent tandis qu’il garde une expression consternée.

— Par tout l’Olympe, comment ça peut te sembler naturel ?

           Je frissonne.

— Je… Je ne sais pas vraiment…

           Il penche la tête sur le côté, m’observant. Mes épaules s’affaissent et j’insiste, désarçonnée :

— Toji, s’il-te-plaît… Réponds-moi.

           Il m’observe encore quelques instants. Ne supportant plus son mutisme, je couine presque :

— Réponds-moi ! Que je sache si je dois m’enfuir maintenant ou encore plus tôt si c’est même possible !

           Il fait un pas. Son ombre m’engloutit. Un frisson m’envahit.

— Dis-moi pourquoi t’es là…

           Il fait un autre pas.

— S’il-te-plaît, réponds-moi.

           Un autre pas.

— Ce silence n’est pas drôle…

           Un autre pas.

— Dis-moi pourquoi tu es venu…

           Un autre pas.

           Ses yeux glissent sur mes lèvres. Je frissonne. D’une voix rauque, estomaquée, je murmure en louchant sur sa bouche :

— Dis-moi pour…

— Pour ça.

           Il se penche sur moi quand ses mains saisissent mes joues.  Ses yeux louchent plus longuement sur mes lèvres.

           Et, passionnément, il m’embrasse.





















j'espère que ce chapitre
vous aura plu !



























Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top