𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟓𝟏












𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄   𝟓 𝟏


























           LE KIMONO DE SULLYVAN ondule à la manière d’une aura de soie dans son dos. Observant les torrents de tissu s’éloigner, je ne peux qu’inspirer une bouffée de l’air épais et chaud habitant le désert.

— Tu te trouves ici sur ma propriété. Il s’agit de la villa seigneuriale.

           Le Désert des Evilans a longuement été scindé en différentes tribus régies par des chefs. Lorsqu’ils ont été colonisés, une coalition armée s’est formée, dirigée par Igor Evilans qui est devenu empereur suite à un Coup d’Etat.

           Depuis, le désert n’est plus le même. Les tribus ne sont pas tout à fait indépendantes alors une nouvelle structure s’est imposée. Des terres ont été délimitées et, pour chacune d’entre elles, un référent.

           Un seigneur.

— Comment avez-vous pu hériter ce territoire ? je demande, légèrement surprise.

           Les seigneurs le sont généralement de père en fils ou mère en fille. Sullyvan n’a pas de père et ses mères n’ont aucune propriété sur le désert. Même la plus puissante des trois — et accessoirement, seule dont il reconnait la légitimité — Nyx.

           Il ne répond pas tout de suite, s’enfonçant dans les arcades formant un couloir. Sur ma droite, le mur brun clair cerné de mosaïques de la villa s’étend. Sur ma gauche, entre quelques colonnes, je distingue la vaste étendue d’eau azure entourée de quelques plantes et fleurs. Un véritable jardin tient lieu de cour, ici.

           Cependant, quelque chose me chiffonne. Il est rare que sur un aussi vaste domaine ne se trouve aucun domestique.

— Je…, commence-t-il après un long silence. Toji me l’a donné. A l’époque où il occupait les Terres Ancestrales, il faisait beaucoup de voyages ici et s’était attiré la confiance du doyen qui lui a légué ses terres. Le travail de seigneur s’exerçant à temps plein et lui-même devant s’occuper de son fils, il m’a confié cette tâche.

           Relativement estomaquée, j’observe le blond qui me tourne toujours le dos, avançant. Ainsi donc, ils étaient proches avant même que Toji ne devienne l’Ange de la Mort.

           Je me demande si Sullyvan, lui, a toujours été un Ange de la Nuit.

— Comment vous êtes-vous rencontrés ?

           L’homme soupire tandis que nous faisons le tour du bâtiment, protégés du soleil par ses arcades ouvragées et massives.

— Il souhaitait savoir comment procéder à un sort interdit tel que celui m’ayant donné la vie. Etant le seul être connu à ce jour comme enfant maudit, il s’est tourné vers moi.

— Toji n’est pourtant pas stérile…, je fais remarquer.

— Il ne voulait pas donner naissance. Simplement tuer une âme pour en ramener une autre.

           Je frissonne. Je sais exactement de qui il parle. Ma gorge se serre.

           Sullyvan doit sentir mon brutal changement d’humeur car, s’arrêtant soudain de marcher, il me lance un regard par-dessus son épaule. Il me jauge quelques instants. Les deux obsidiennes lui servant de pupilles semblent se noircir davantage tandis qu’un rictus étire l’un des coins de ses lèvres.

           Je frissonne. Je crois que je n’aime ni son regard, ni ce qu’il dégage. Pourtant, je suis certaine qu’il ne m’a pas menti une seule seconde depuis mon arrivée dans cette demeure.

           D’une certaine façon, je pourrais presque dire qu’il est de confiance.

— Eh oui, chère sephtis. Toji souhaitait te tuer pour récupérer son épouse, que tu as occis.

           Je frissonne. Je ne comprends plus rien.

           Selon l’Ange de la Mort, il m’a aimée, avant la cérémonie de l’Ash. Il m’a aimée au point de se souvenir de mon visage quand mon existence s’est effacée. Au point de garder en tête la forme de mes traits et en parler à ses tortionnaires, au Tartare.

           Et pourtant, je lui ai ravi son épouse. J’ai tué la mère de son enfant et cela l’a tellement blessé qu’il a voulu me sacrifier en retour.

           Selon les bribes que je perçois de cette vie qui n’est plus, nous n’avons fait qu’osciller entre la haine passionnée et l’amour profond.

           Ma gorge se serre.

           En fin de compte, même après la cérémonie de l’Ash, notre union est demeurée similaire… Se confondant dans l’amour comme dans la haine, en un pêle-mêle indiscernable.

— Voilà une drôle de façon de m’aimer, je commente simplement.

— Si cela peut te rassurer, Hadès a béni votre union, à tous les deux. Pas celle qu’il avait avec la mère de Megumi, en revanche.

           Mon estomac se noue.

           Le Dieu des Morts, Maitre des Enfers, ce personnage aussi énigmatique que complexe et puissant… Lui, s’illustrant dans les ténèbres, aurait été touché pour une histoire d’amour ?

— Je ne te crois pas. Hadès ne se laisse pas attendrir par l’amour.

— Je n’ai jamais dit qu’il s’agissait de l’union de vos cœurs qu’il avait béni.

           Mes sourcils se froncent. Les conversations avec Sullyvan s’avèrent particulièrement riches, en fin de compte.

           La gorge sèche, me demandant jusqu’où son savoir va, à quel point creuser dans les couches de mon existence me blesserait, je finis par dépasser mon appréhension et demander :

— Est-ce que, par hasard, tu saurais comment j’ai obtenu la faveur du Seigneur des Enfers ?

           Eclatant de rire, il se retourne entièrement. J’aperçois la façon dont ses yeux se plissent et ses boucles d’or dansent sur son visage, lui donnant presque allure humaine. Ses dents se révèlent et sa poitrine se secoue dans un portrait qui m’amène à comprendre qu’il est moins le soldat de Nyx que son enfant.

           Il semble si jeune, loin de la guerre. Je suppose qu’elle nous vieillit tous prématurément. Ses griffes strient notre visage en signature qu’Arès et Chronos se sont entendus à laisser.

           Indélébiles. Paradoxales. Aussi grandes fiertés que honte.

           Sullyvan revient à lui.

— Tu es bien loquace, lorsque tu veux des informations, cela te rendrait presque aimable. Mais, bien que ma mère m’ait révélé bien des choses sur le passé, celui-ci est disparu selon les lois divines. Je ne me risquerais pas à provoquer Némésis en te le révélant.

— Tu as peur de Némésis ? Toi ? Tu ne cillais pourtant pas devant les Harpies, je fais remarquer.

           Ses lèvres se pincent et il se retourne, abandonnant brutalement son sourire. Je ne sais exactement quel point sensible j’ai piqué mais, pour sûr, je l’ai piqué.

           Reprenant notre conversation, il annonce brutalement :

— Le sujet est clos. Tout ce que je peux dire et qu’Hadès a béni le fruit de ton union avec Toji. Par le passé, vous ne vous contentiez pas de vous aimer. Vous combattiez main dans la main et le fruit de ce combat est la fierté du Seigneur des Ténèbres.

           Hébétée, je l’observe s’enfuir dans un tournoiement de tissus. En toute hâte, je m’empresse de le suivre, brûlante de mille et unes questions.

           Seulement ces dernières s’étranglent dans ma gorge. J’ai bien saisie qu’il ne voulait en parler plus longuement et, si j’insiste trop, il risque de se braquer au point de ne pas non plus accepter d’en reparler ultérieurement.

— Le temps est venu pour moi de vous présenter ce village que je protège et dans lequel vous allez évoluer.

           Je frissonne légèrement lorsque nous finissons de faire le tour de cette immense bâtisse et que le parterre d’herbes se mue en du sable chaud. Mes pieds s’enfoncent dans les grains brûlants qui, le soleil ayant décliné, revêtent à présent une couleur orangée.

           S’étendant sur quelques mètres, ils arrivent jusqu’à un portail ouvragé dont les barreaux me permettent de voir l’extérieur.

           Je sens déjà que je m’apprête à avoir le souffle coupé.

           Les portes s’ouvrent. Ma gorge se serre.

          A perte de vue, le sable de cuivre s’étend, semblable à un champ de dunes de grenat. A certains endroits, à la manière de délicates perles vertes perçant cette somptueuse toile, des arbres jaillissent. Tout proche, en contrebas du mont de sable sur lequel se perche ce château, un lac s’étend. Sa surface, bleue comme de l’aigue-marine, reflète la profondeur et superbe d’Uranus.

           Disparaissant derrière les dunes de grenat, le ciel s’efface en nuance rosées, dessinant une aquarelle surplombant le désert. Immense. Douce. Touchante.

           A un endroit, je réalise que les dunes de grenat se durcissent avant de s’enfoncer sur elle-même. Il s’agit en réalité de falaises.

           Sullyvan les désigne du menton.

— Au pied de ces falaises se trouvent les habitations. La ville est aussi souterraine, elle se poursuit jusqu’à l’étang que tu vois.

           Mes sourcils se haussent tandis que j’observe les dunes de sable. Je peine à croire que des gens vivent en-dessous.

           Bon sang, il est des légendes sur la capacité architecturale développée des Evilans mais je ne les aurais jamais cru capable de cela.

           Sullyvan s’élance, moi à sa suite. Le soleil cogne moins fort, Hélios allant doucement se coucher. Alors nos pieds s’enfoncent sans brûlure dans les grains. Mes chaussures m’ont été retirées dans la tempête de sables. Je ne saisis d’ailleurs toujours pas ce qu’il s’est passé, là-bas.

— J’ai eu mal lorsque tu as déchainé les ombres. Très mal. A un point inimaginable… Alors pourquoi n’ai-je aucune cicatrice ? Le jet de sable a m’a pourtant faite saigner.

           Il ne répond pas. Ses cheveux d’or tressautent au vent tandis que nous dévalons la pente.

           Le silence dure. Nous marchons.

           Il ne compte pas me répondre et je sais exactement pour quelle raison. Des blessures aussi brutales demeurent forcément. Elles ne quittent pas une peau et encore moins en vingt-quatre heures. Pas avec tous les artifices du monde.

           Pas quand la magie me l’ayant infligée vient d’une déesse que Zeus lui-même craint.

           Nyx.

— Tu n’as pas réellement de magie, n’est-ce pas ?

           Il cesse de bouger. Ses pas s’arrêtent et il fait face au lac. Celui-ci, bleu, s’étend à perte de vue devant lui. D’ici, l’eau apparait plus immense encore que tantôt.

           Il ne me répond pas, humant l’air.

           Puis, il se retourne. Je sens qu’il s’apprête à me parler quand, soudain, ses yeux s’écarquillent. Se posant sur un point par-dessus mon épaule, ils observent quelqu’un, derrière moi.

           Intriguée, je me retourne. Ma gorge se serre soudain.

— Tu voulais me faire venir, Sullyvan ?

          Dans l’étendue grenat de la dune de sable, une silhouette se découpe. Majestueuses, sombres, semblables à des tâches ténébreuses, des ailes s’étendent. Sublimes, elles s’ouvrent, accueillant notre regard.

           Au centre, sa silhouette grimpe. Epaisse, forte et massive, elle s’impose à la manière d’un guerrier.

           Toji Fushiguro.

           Descendu du ciel et juste devant nous.

           Il nous observe.

— Et bien, je suis là.






















j'espère que ce chapitre
vous aura plu !

on attendait Fushiguro
hehe






























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