𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟓
✧
𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 5
✧
CESSE DONC DE te flageller. Ses jours étaient comptés. Ce n’est pas si surprenant que son cœur ait cessé de battre.
Je sais que Ménélas tente de me rassurer. Mais cela ne suffit pas.
— Nous savons tous les deux que son cœur n’a pas simplement « cessé » de battre, Ménélas. La peur a provoqué cela. Elle était si terrifiée qu’elle en est morte.
Il y a de quoi être terrifié lorsque l’on croise la route de l’Ange de la Mort.
— Je t’en prie, nous deux savons qu’il n’existe pas.
Mon regard se pose sur la charrette habillée d’un linceul noir s’éloignant en direction du village. Juste derrière, dans le confort d’une voiture, Ménélas et moi discutons. Le carrosse tressaute sur le chemin de terre parsemé de cailloux. Dans quelques minutes, nous aurons rejoint la cité.
A chaque fois qu’une personne meurt sous ma garde, le même procédé s’opère. Nous escortons le croque-mort jusqu’au village le plus proche et expliquons à la famille ce qu’il s’est produit.
Puis-je te poser une question ?
— Il est rare que tu prennes des gants, Ménélas, je le félicite. Mais pose ta question, je t’en prie.
Les Anciens disent que les sephtis ont été renié par les dieux. Et que depuis, l’Ange de la Mort veille sur vous...
— Il n’existe pas. Il n’est qu’une chimère et sa création est complètement dénuée de sens. Les sephtis pensaient prouver qu’on continuait de veiller sur eux à travers cette figure. Mais ils n’ont fait que donner une raison de plus de penser que les dieux nous avaient abandonnés.
Ménélas me fixe quelques instants. Il finit par détourner les yeux. Je ne lui pose aucune question. Je sais pertinemment ce à quoi il pense.
L’Ange de la Mort n’existe sans doute pas. Mais les dieux m’ont réellement abandonnée, à ses yeux.
— Je ne te demande pas de comprendre.
Tu fais bien.
Mes lèvres se pincent.
Ce n’est pas à moi de te remémorer ce qu’il s’est passé, ce jour-là. Je ne comprends même pas que tu puisses honorer des déités qui ont laissé Lycus faire.
Je me fige.
— Il faut l’avoir vécu pour le comprendre, je réponds après un bref silence.
Bientôt, le carrosse ralentit. Je tire le voile cachant la fenêtre pour découvrir les villageois s’amassant, comme à l’ordinaire, autour de la charnière.
La première fois que j’ai emmené un corps ici, leur curiosité morbide m’a donné envie de vomir. Aujourd’hui, je suis simplement habituée et lasse de leur manège.
Tandis que le croque-mort leur ordonne de reculer, ne serait-ce que par respect pour la défunte, je me lève. Ménélas marche à côté de moi et nous descendons du véhicule avant de nous poser sur le trottoir.
Les têtes se tournent vers nous. Ils veulent savoir ce qu’il s’est passé. Une dizaine de paires de yeux m’observent, prêt à entendre le potin du jour et aller le répéter à la taverne.
Je ne prends même pas la peine de soupirer d’exaspération.
— Cette femme s’est présentée à moi. Ses plaies étaient jaunes et boursoufflées. Je l’ai sauvée mais elle a fait une crise cardiaque à son réveil.
Inutile de provoquer la panique en précisant que celle-ci était lié au fait qu’elle prétendait avoir rencontré l’Ange de la Mort.
— Jaunes et boursoufflées ? retentit soudain une voix, dans l’assistance.
Tous se tournent vers un jeune homme que je reconnais aisément. Il s’agit du troubadour que j’ai épinglé, hier, après ses paroles déplacées sur la Complainte des Déchus.
Je l’encourage à parler d’un signe de tête. Il semble soudain timide en remarquant tous ces regards sur lui. Il ne l’est pas autant, lorsqu’il chante ses absurdités.
— Comme vous le savez, nous autres, troubadours, on doit se tenir au courant des nouvelles fraiches pour les chanter et… Enfin, quand c’est frais, ce n’est pas forcément fiable, mais…
— Bon sang, tu l’accouches, ta phrase !? cingle une lavandière édentée, un panier d’osier calé sur la hanche.
Il déglutit péniblement. Je crains un instant qu’il ne mentionne l’Ange de la Mort, créant un mouvement de panique.
— Quand je chantais au manoir du duc Fushiguro, il dinait souvent avec un docteur de la mort.
Un médecin légiste. Ces humains sont tous ignares et stupides, décidément.
J’ignore la correction de Ménélas.
— Je les ai entendu parler de trois personnes différentes qui étaient mortes en présentant ces symptômes. Le docteur craignait que ce soit une épidémie mortelle…
Je me fige en entendant ces deux derniers mots. Mais il n’a pas le temps de finir sa phrase et je n’ai pas celui de l’empêcher de le faire.
— UNE EPIDEMIE MORTELLE !? s’exclame la lavandière. UNE MALADIE NOUS TUE TOUS ET VOUS CROYEZ QUE JE VAIS RESTER ICI !?
— Du calme, il n’y a que quatre décès. Si c’était réellement une épidémie, nous en aurions compté déjà des diz…
— VITE ! CHEZ L’APOTHICAIRE !
— TU RIGOLES, JE NE FAIS CONFIANCE QU’A MADAME LA DRUIDE !
— ELLE N’A MEME PAS PU SAUVER LA DAME QU’EST DANS LA CHARRETTE ! CA SE TROUVE, ELLE EST AUSSI CONTAMINEE !
Il ne leur en faut pas plus. Un hurlement franchit les lèvres d’une enfant qui me regarde. Aussitôt, sa mère la saisit par le bras et elles détalent. L’instant d’après, les paysans courent à toute vitesse.
Ils me fuient dans un raz-de-marée, se précipitant chez tous les soi-disant médecins de la ville.
Il faudrait peut-être leur annoncer un jour que la seule maladie contagieuse que se refilent les humains, c’est la connerie.
Je ris doucement à la remarque de Ménélas. Mais mon sourire retombe bien vite. Il le remarque.
Quelque chose ne va pas ?
— Les hommes de pouvoir n’apprécient pas vraiment les druides. Je voulais rester invisible le plus longtemps possible aux yeux du duc afin qu’il ne réalise pas que je ne paye pas d’impôts sur ses terres ou même que… Enfin, de quelle nature je suis.
Les pupilles aiguisées à l’état de fente du chat m’observent. Je pousse un soupir.
— Mais je vais de toute évidence devoir me résoudre à prendre contact avec ce Fushiguro car je ne cesse d’entendre son nom.
Ma mâchoire se contracte. Je jette un regard au linceul.
— Qu’Hadès me pardonne, j’ai la sensation que quelqu’un se joue de lui.
Ménélas acquiesce.
Bon, après avoir parlé avec les abrutis congénitaux, j’estime que nous pouvons retourner nous prélasser dans le carrosse…
— Pas si vite, je coupe Ménélas. Nous n’entrons pas dans les terres d’un duc comme nous le souhaitons. Il nous faut un laisser-passer.
Le matou penche la tête sur le côté, s’arrêtant sur le seuil du carrosse.
Dis donc, ce Fushiguro doit sacrément te troubler.
— Pourquoi cela ?
Bien, tu t’apprêtes à aller voir un fonctionnaire alors que tu les détestes. Et tu me parles en plein milieu du village alors que n’importe qui peut te voir faire.
Je regarde aussitôt autour de moi, m’assurant que personne ne m’ait surprise en train de discuter avec mon chat. Il est vrai que j’ai laissé cette affaire me submerger quelque peu.
Seulement, bien qu’il ne soit que pure invention, l’Ange de la Mort n’augure jamais rien de bon. La plupart du temps, son nom est invoqué pour dissimuler quelque chose de plus terrible encore.
Il y a quelques années, à l’Ouest de l’empire, un homme s’est fait connaitre après avoir trucider sa famille. Il prétendait avoir été possédé par l’Ange de la Mort.
Seulement une femme poisson a lu dans ses pensées. Elle a su identifier la vérité au milieu de ses mensonges.
Là, elle a appris qu’il était en réalité sain d’esprit et qu’il avait agis de la sorte pour se venger après avoir trouvé son épouse au lit avec un autre homme.
— Je me demande quelle abominable personne sévit, cette fois-ci…
Ménélas ne répond pas. Nous nous mettons en route. Les rues pavées sont désertes, après ce mouvement de foule. Nul n’ose m’approcher.
Je suppose que la rumeur selon laquelle je suis porteuse d’une maladie grave et contagieuse s’est déjà répandue.
Mes yeux roulent dans leurs orbites et je m’arrête devant des grilles en fer forgée. Derrière celles-ci, un chemin de pavés fend un parterre de gazon vert menant à un très large bâtiment s’élevant sur plusieurs étages.
Ménélas s’assoit devant tandis que j’attends qu’une personne en sorte pour m’ouvrir les portes.
Une école ?
— Parmi tous les fonctionnaires, les professeurs seront les plus faciles à convaincre de me signer une attestation m’autorisant à pénétrer les terres du duc. Si j’évoque un tueur ou une épidémie, ils craindront pour les enfants.
Je ne sais pas si tu es celle machiavélique ou s’ils sont abrutis. Sans doute les deux.
— Je vous écoute.
Devant moi, une femme se tient. Des longues nattes entremêlées de fils d’or tombent sur ses épaules, soulignant son visage rond. Sa peau noire est traversée au niveau de son front d’un signe.
Celui des poissons.
— Evidement, que la gardienne de cette école est une femme poisson… Histoire de pouvoir savoir si je dis la vérité quand j’affirme être là pour le bien de l’école.
Elle hausse la tête. Ses paupières se ferment avant de s’ouvrir à nouveau, laissant voir deux billes d’un bleu profond.
Elle utilise son pouvoir. Je lève le menton et déclare distinctement :
— Je viens ici en paix. Je suis druide et ai trouvé une femme gravement blessée sur le pas de ma porte. Elle a succombé et, partout où je vais, on mentionne le nom du seigneur de ses terres. J’aimerais obtenir une dérogation pour me rendre à son manoir et le questionner.
Elle patiente quelques instants. Le moindre de mes poils se hérisse sur ma nuque. Il me semble qu’une vague de chaleur m’assaille, similaire à une cape d’air chaud qui pèse sur mes épaules.
Son pouvoir est épais, similaire à une gifle. Il est étouffant. Elle est puissante et souhaite me le faire savoir.
— Qu’est-ce que vous ne me dites pas ? demande-t-elle.
Elle est effectivement très puissante. La plupart des poissons ne sont que capables de deviner quand quelqu’un leur ment. Rares sont ceux à même de comprendre quand on le fait par omission.
Mes lèvres se pincent.
— Avant de mourir, elle a accusé l’Ange de la Mort d’être responsable de ses blessures.
Aussitôt, la vague de son pouvoir se rompt et ses yeux reprennent leur aspect d’origine. Elle sursaute.
Ce nom fait cet effet à beaucoup de monde.
Hébétée, elle demeure debout, dans l’allée, quelques instants. Puis, elle finit par ouvrir le portail. Se faisant, elle se penche en avant à plusieurs reprises, me saluant de révérences.
— Mes excuses, madame la druide. Mes plus plates excuses. Soyez la bienvenue. Mes excuses.
Je lui passe devant, marchant sur le chemin pavé. Ménélas me suit.
Qu’est-ce qu’il lui arrive ? Elle te regardait comme du purin, il y a encore trente secondes.
Franchissant le seuil du hall, je déclare simplement :
— Ménélas, je crois que tu n’as aucune idée de ce que les gens font, par peur.
✧
voici le cinquième chapitre
de cette nouvelle fanfiction !
on approche de la fameuse
rencontre...
j'espère que ça vous aura
plu !
✧
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top