𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟒𝟖
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 𝟒 𝟖
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LES REVELATIONS DES Harpies vrillent encore mes tympans. La gorge sèche, je continue de marcher, hébétée. Mes mains tremblent tandis que leurs paroles tournent continuellement dans ma tête.
Ainsi donc, j’ai connu Toji, avant la cérémonie de l’Ash… Et nos vies se sont croisées avec tant de brutalité que, malgré le fait que mes propres souvenirs m’aient été arrachés, il a su en conserver quelques-uns.
Cependant, je me demande lesquels.
— S’en souvient-t-il ? je demande soudain dans le silence du désert.
L’ombre de Podarge continue de planer au-dessus de ma tête, suivant la ligne de mes pas. Ses deux sœurs ont cessé de caqueter. Il faut dire que cela fait plusieurs heures que le silence est revenu, parmi nous.
Je n’ai pipé mot depuis leurs révélations. Et je me doute que l’absence de réponse à ma question signifie qu’elles attendent plus d’informations.
— Toji se souvient-t-il du fait que j’ai tué son épouse ? La mère de son enfant ?
Ma voix tremble presque. Un nœud s’est formé dans mon estomac et ma gorge est serrée.
Je crois que si elles me répondent que oui, je ne trouverais plus d’excuse pour le détester. Je me contenterais de comprendre qu’il ait voulu me sacrifier par vengeance, retrouver la famille qui lui reste.
Celle que je ne lui ai pas encore ravi.
— Eh bien…, soupire Podarge.
Mais sa voix meurt soudain dans sa gorge et je n’en suis pas surprise. Moi aussi, mon regard a été attiré par un mouvement, au loin.
Je cesse de marcher. Elles s’arrêtent dans leur vol.
Là, sur l’une des dunes de sables, s’élevant dans les airs à la manière d’un Seigneur, une silhouette. Droite, fine mais sculptée, elle nous fait face.
Hélios cognant son dos, elle nous apparait en contre-jour.
Un sarouel brun habille ses jambes, rappelant la tenue de combat de la plupart des guerriers Evilans. Puis, jaillissant de celui-ci, un torse sculpté se dessine, dénudé. Le relief de ses abdominaux et pectoraux traduis une habitude du maniement des armes que je retrouve dans la force de ses biceps.
Sur ses épaules développées tombent le foulard brun enroulé autour de sa tête et dissimulant tout de son visage à l’exception de ses yeux.
Ma gorge se serre. Il nous regarde.
— Tout cela ne me plait pas…, siffle Podarge.
Mes yeux s’habituent un peu mieux à cette vision et je réalise que des gravures d’encre parsèment le torse ainsi que les bras de l’inconnu.
— Je rêve ou…
Sur son pectoral gauche apparait la lune d’Artémis et, autour de son bras, semblable à un bracelet, le dessin d’un serpent se fait voir. Je déglutis péniblement, ne parvenant pas à distinguer le restant de ses tatouages mais comprenant bien assez le peu que je vois.
— Asclépios…, je murmure. Le serpent du Caducée… Et Artémis… La lune de la vérité…
Il ne me suffit qu’un regard à ces deux tatouages pour comprendre que je fais fasse à Sullyvan.
La lune est le symbole de la divinité des Cancers. Et Asclépios, Dieu de la Médecine, est le défenseur des enfants nés de sortilèges interdits…
Comme lui.
— J’ai cru comprendre que tu me cherchais ? résonne sa voix dans les vastes dunes, confirmant mes pensées car il s’agit de la même que celle ayant retentit, lors de ma dernière soirée aux côtés du duc. Alors approches.
— N’en fais rien, gronde Podarge.
Sullyvan éclate de rire.
— Oh, mais elle a même ses protectrices… Cela me rappelle quelques souvenirs d’une autre vie ! siffle-t-il. La Prêtresse Nime était dans vos grâces, elle aussi ? Non ?
— Recule, démon !
Il hausse les épaules, demeurant sur ses dunes.
— Et si je refuse ?
Podarge ne répond pas mais avance, imitée par ses sœurs. Il les regarde voler un peu plus près de lui sans sourciller, ses yeux se plissant sous le linge.
Je frissonne.
— Je vous promets de ne rien faire à votre protégée…, rit-t-il d’une voix doucereuse et sournoise. Elle me cherchait alors je suis venu. Je suis plutôt du genre conciliant.
— Ne t’avise même pas d’approcher, fils du Tartare.
— Quel surnom culotté…
Il rit avec force, avançant sur les dunes. Ses pieds nus s’enfoncent dans le sable tandis que son ombre se déplace.
Malgré l’obscurité du contre-jour, ses yeux brillent.
— Jeune sephtis, vas-t-en, cingle Ocypète.
Je recule aussitôt, légèrement désarçonnée. Mais la façon qu’ont les Harpies de se tendre face à Sullyvan ne me rassure guère.
Elles sont la Vengeance Divine. Comment peuvent-t-elles avoir peur ?
— Qu… Qui est-t-il ? Pourquoi avez-vous peur ?
Penchant la tête sur le côté, l’homme me toise.
— Pourquoi ? répète-t-il. Mais enfin… J’avais cru comprendre que tu étais un peu plus dégourdie que cela…
— Il n’y a qu’un seul type de combattants qui se présente torse nu dans un combat.
Les paroles de la Harpie résonnent quelques secondes dans ma tête. Et j’ai à peine le temps de réaliser que si son torse est dénudé, son dos l’est aussi, qu’il se redresse soudain.
Une pierre tombe dans mon estomac.
Ses bras se lèvent avec lenteur. Les paumes tournées vers le ciel, il trace un cercle infernal autour de lui. Sinistrement, il les lève, partant du sol et montant vers le ciel. Dans les airs, ses phalanges dessinent une ronde mortuaire.
A mesure que ses doigts fendent l’air, que ses pieds s’avancent, l’éther change. Autour de nous, il me semble que le soleil se retire. Tout s’assombrit. Les ténèbres nous envahissent.
Je tremble.
Bientôt, quand ses bras sont tendus autour de son corps, que ce dernier forme une croix, j’aperçois quelque chose, jaillissant de son dos. Une forme terrifiante grandissant dans la nuit.
Deux ailes immenses, semblant interminables. Déployées dans le ciel, plantées de plumes d’améthyste, d’un violet presque noir, elles semblent n’être plus que nuit.
Un vent s’élève autour de nous, terrifiant. Je distingue de moins en moins facilement ce qui m’entoure et le sable fouette mes mollets. Je lutte contre l’envie de gémir de douleur, sentant mille et unes minuscules pierres lapider ma peau.
Soudain, mes joues me brûlent. Je les cache de mes bras, comprenant que le sable frappe aussi mon visage.
— Ce n’est pas de lui que les Harpies ont peur…, je réalise doucement.
Je ne vois plus rien. L’obscurité est complète, autour de moi.
— En effet ! Elles ont peur de celle qui m’a nommé Ange, raille-t-il. Et même Zeus est effrayé par elle ! LE MONDE ENTIER PLOIE SOUS SON REGNE CHAQUE SOIR !
Mes épaules tremblent. Le sable me blesse trop. Je tente de lutter mais la douleur me fait tomber à genoux. Je suis roulée en boule sur le sol.
Ma tête est enfouie dans mes bras. Malgré ma cape épaisse, j’ai la sensation que la tempête de sable frappe l’intégralité de ma peau.
— ALORS NE MENTIONNEZ PLUS LYCUS OU MAEL LORSQUE VOUS PARLEZ DE MOI. CAR ELLES NE M’ONT PAS ELEVE NI CONFERE DES POUVOIRS.
De la bile remonte le long de ma gorge. Je hurle silencieusement, sentant l’étoffe de ma cape se déchirer sous la violence des jets de pierre.
— JE SUIS L’ENFANT DE LA TITANE NYX ET ELLE GUIDE MA VENGEANCE.
Je frissonne en entendant ce nom. La Titane qui, aux côtés de Styx, fait partie des plus craintes de l’Histoire. Une divinité capable de plonger le monde dans l’obscurité à jamais.
Comme maintenant. Je ne vois rien. Je ne sais plus si je suis sur le ventre ou le dos. La terre et le ciel n’existent plus. Je suis ensevelie sous moi-même.
Et j’ai mal. A un point inimaginable.
J’ai mal.
Comment jamais auparavant.
J’ai mal.
— Je…
Les jets de sable continuent, perforant ma peau. Je me sens tressaillir lorsque ma chair se retrouve griffée. Malgré mes bras me protégeant, quelques gouttes de sang perlent sur mon visage.
Je tente d’ouvrir la bouche, je ne sais trop pour quoi dire. Aucun mot ne sort.
La douleur est trop grande. Mon cœur bat trop vite. Mes mains se serrent trop fort. Ma tête tangue trop. Ma vie dure trop. Mes poumons respirent trop.
Trop.
Je ne sais même plus ordonner mes pensées. Tout cela n’a plus de sens. Trop. Je ne contiens rien. Je ne comprends rien.
L’obscurité. Le néant. Le sable. La douleur…
Trop.
Ses mains. Ses lèvres. Son souffle. Son amour.
Trop.
Les dunes. Les forêts. Les océans. Les villes.
Trop.
Les colonnes. Les statues. Les autels. Les prières.
Trop.
Je ne saisis plus rien. Le sable emporte quelques souvenirs dans un torrent de douleur. Je ne parviens pas à lutter tant j’ai mal. Cette souffrance est inédite quoique familière. Je ne comprends plus.
La cérémonie de l’Ash. Le Styx brûlant ma gorge. Sa silhouette accourant. Un bref espoir.
Je crois que la douleur est telle que je parviens presque à me souvenir. Oui. En moi se matérialise les bribes de cette vie-là.
Mes forces m’abandonnent je ne parviens plus à lutter. Mes paupières se font lourdes. Hadès me rappelle à lui.
Je crois que ce sommeil sera éternel.
Seulement, dans ce bref interstice entre aujourd’hui, et hier, tandis que je me tiens sur la brèche des deux vies, au moment où le passage au passé se dessine, je parviens à me rappeler.
Un instant seulement, aussitôt avalé, je me souviens de celle que j’étais autrefois.
Et je murmure dans la tempête de la mort :
— Prêtresse Nime… Pourquoi m’as-tu laissée ?
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encore navrée pour hier
merci énormément pour
vos commentaires !
à tout de suite pour le
double-update !!
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