𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟒𝟓









𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄  𝟒 𝟓


















           TELLES DE bien sombres présages, elles volent. Formant un cercle mouvant sur la peau bleue d’Uranus, perçant le ciel de leur ramage sinistre. Un long chant plaintif et funéraire.

           Le crissement de la vengeance divine.

— Saluer Hadès ? crache Meeva. J’aimerais bien voir ça.

           Levant la main dans les airs, la femme fixe l’une des créatures avec hargne. Ses yeux s’illuminent d’un scintillement aigue-marine lorsqu’elle regarde la tête rousse de Podarge, la Harpie ayant percuté Hank.

           Aussitôt, mon cœur redouble sa cadence.

— NON !

           Le coin de ses lèvres se hausse et sa main se ferme. Brutalement, je bondis. M’éjectant juste devant sa paume, je croise son regard au moment où son sort me percute.

           Ses yeux s’écarquillent quand mes bras se plaquent le long de mon corps. Mes jambes s’immobilisent et je m’écroule sur le dos, paralysée.

           Au-dessus de moi s’étend le ciel, percé du ballet des Harpies. Mais je ne peux m’en détourner, atrophiée par le sort qu’a lancé Meeva.

— Mais quelle conne ! s’exclame celle-ci. Pourquoi s’est-t-elle interposée ? J’allais l’avoir ! J’allais toucher celle qui a fait du mal à Hank !

— Cela me coûte de l’admettre, lance la voix de Lycus dans un crissement d’ongle, mais tu es la plus abrutie des deux.

— Répète un peu ?

           La voix de la prêtresse Scorpion est agressive.

 Les Harpies sont des créatures divines et leur vengeance l’est aussi. Elles ne frappent que lorsque les Dieux le demandent et, comme je l’ai dit tout à l’heure, si elles sont ici, cela signifie que les Dieux en veulent à l’une d’entre vous.

— S’en prendre aux Harpies revient à s’en prendre au jugement des Dieux, insiste Giaa. Cette sephtis t’a sauvée la vie.

           Immobile contre le sol, pétrifiée dans une position ne me laissant que battre des paupières, je suis soulagée d’entendre la prêtresse Lion parler.

           Cependant, la situation achève ce bref répit et mon angoisse revient.

           Hank est inconscient, peut-être mort. Mael a disparu, évaporée, et la dangereuse Lycus a pris sa place. Nous sommes sous le joug d’une vengeance divine et n’avons aucune idée de l’identité de la personne visée par leur présence. Seulement la sentence, en plus d’être irrévocable, sera terrible.

— Lève le sort ! gronde Giaa. Il lui faut des soins et elle doit pouvoir courir loin d’elles !

— Vengeance divine, non ? Si elle a quelque chose à se reprocher, les Harpies la retrouveront quoi qu’elle fasse ! En attendant, immobile, elle ne traine plus dans mes pattes.

           Mon sang me semble cesser de couler dans mes veines quelques instants. Se bloquant, il me scie presque en deux tandis que mon souffle se fait brutalement court.

           Elle compte me laisser ainsi ?

           Mon estomac se noue tandis que je regarde les trois créatures voler en cercle. Soit, elles m’atteindront quoi que je fasse. Mais je ne peux remuer le moindre muscle en une telle situation et je me sens encore plus impuissante qu’à l’ordinaire.

           Je tente de me débattre, m’animer. Luttant contre le pouvoir, j’essaye de remuer les doigts.

           En vain. Je ne peux rien contre la magie.

— Tu es cruelle, Meeva.

— Ecoute, je me passerais de tes leçons de morale. Elle est une sephtis, ne me dit pas qu’elle ne connaissait pas les risques de s’aventurer sur le Désert des Evilans ?

           Je n’ai pas vraiment eu le choix…

— Bon, que faisons-nous ? On ne peut pas les attaquer. Mais on sait qu’elles en ont après au moins l’une d’entre nous. On s’assoit et attend la mort ?

           Un silence s’ensuit. Bref. Je devine qu’elles s’observent en chien de faïence, interdite.

           Cela doit être un étrange sentiment, pour des êtres considérés comme voisins du divin, des personnes habituées à posséder le monde dans le creux de leur main, des mages faisant taire les requêtes d’un sort habile, des individus ne se résumant qu’à leur pouvoir d’en être soustrait.

           Enfin, si seulement…

           Elles ont leur pouvoir. Elles ne peuvent simplement pas les utiliser.

           Un rire franchit mes lèvres. Je suis assez surprise de l’entendre. Cependant je réalise que mon torse n’est pas paralysé, sinon je ne parviendrais pas à respirer. Il est donc logique que je parvienne à m’esclaffer.

— Je peux savoir ce qui te fait rire ? crache Meeva.

           Quelques instants, je me dis qu’il vaut mieux me taire ou m’excuser. Après tout, elles avoisinent le divin, elles possèdent un pouvoir que je n’ai pas.

           Ne serait-t-il pas légitime que je courbe l’échine, comme je l’ai toujours fait ?

           Je ne suis qu’une sephtis.

           Cependant la sephtis que je suis s’est toujours occupée de ses semblables sans attendre qu’ils la considèrent en retour. La sephtis que je suis n’a jamais manié la magie ni les armes mais est toujours allée de l’avant. La sephtis que je suis ne s’est jamais cachée derrière des pierres pour agir. La sephtis que je suis a survécu dans un monde qui n’était pas fait pour elle.

           Un monde fait pour eux.

           Pourtant, nous voilà tous ici. Pieds et poings liés face aux Harpies. Réduites au silence par la puissance divine.

           Je ne suis rien. Je n’ai jamais été rien.

           Cependant, pour la première fois, ce qui a pourtant toujours été une évidence m’apparait.

           Je ne suis rien.

           Mais eux aussi.

— Les trônes sont de cristaux et les sceptres, de noyers. Les fidèles sont nombreux et les Dieux, cléments. La vie de Pages Ancestraux est éclatante cependant, elle ne sera jamais rien de plus qu’une vie.

           Je ne peux voir leur réaction. Mais un rire franchit à nouveau mes lèvres car je sais qu’elles m’écoutent.

           Interdite.

— Tu veux savoir pourquoi je rigole, sous-fifre de Némésis ? Parce que ce que nous haïssons plus chez les autres est le reflet que nous percevons de nous-mêmes dans leurs yeux.

           Il me semble que ma nuque est moins raide, que je pourrais presque la bouger si j’essayais.

           Mais je n’essaye pas. Je n’essaye plus.

— Je rigole car j’ai compris pourquoi vous haïssez tant les sephtis.

           Sans même que je tente de la remuer, ma tête se tourne.

           Enfin, mes yeux trouvent leurs visages. Tous tournés dans ma direction, ils me fixent. Des pupilles minuscules de Lycus ne laissant voir que la petitesse de son âme à la façon révoltée qu’a Meeva de lever le menton en passant par le regard furieux de Giaa, habituellement fière… Je vois tout.

— Nous n’avons toujours été que le reflet de votre impuissance.

           Un rire franchit mes lèvres.

— Oui. « Les trônes sont de cristaux et les sceptres, de noyers. Les fidèles sont nombreux et les Dieux, cléments. »…

           Un autre gloussement. Leurs poings se serrent.

— Mais vous êtes faibles ! Par tous les Dieux, vous êtes faibles !

           Mon rire se prolonge quelques instants. Eclatant dans le désert, il s’élève jusqu’à l’éther où dansent les Harpies. Et, un instant, je me surprends à songer que l’unique raison pour laquelle elles ne m’ont pas encore attaquée était peut-être ce discours.

           Elles sont la vengeance divine face à celles qui se sont cru déités. Elles sont la voix d’un Dieu qui a punit le tristement célèbre Bellérophon.

           Celui qui se croyait l’égale des Dieux.

           Alors peut-être ont-t-elles attendu que je déclare ces paroles. Ou peut-être se délectent-t-elles de la panique croissante de leur victime. Je ne le sais pas.

— Bon, ça suffit, crache Meeva. Je ne vais pas rester ici à écouter une sephtis se moquer de moi. Nous aurions pu la sauver, nous débrouiller pour l’aider mais elle s’est jouée de nous et je ne le tolère pas.

           Et encore revient le complexe des Dieux.

           Face à Hadès, elles devront un jour expliquer pourquoi elles ont cru l’égaler.

— Je m’en vais. Qu’elle aille se faire foutre et sa maudite impératrice aussi. Je vaux mieux que cette saleté de bourge. Et qu’elle me menace encore, je la clouerais à son trône…

           Là-dessus, Meeva tourne les talons. Sa robe traine dans son sillage, balayant le sol dans une caresse inconsciente tandis qu’elle tourne le dos à la Vengeance Divine.

           Tandis qu’elle me tourne le dos.

           Sur le sol, Lycus ne bouge pas. Depuis tout à l’heure, enveloppée de sa cape noire, elle n’a pas remué le moindre muscle. Ses yeux demeurent fixés sur moi depuis les paroles que j’ai prononcé dans quelques gloussements.

           Giaa, elle, fixe le sol d’un air songeur. Meeva se retourne, la jaugeant quelques instants.

— Sérieusement ? Je sais que ta sœur est une sephtis, Giaa. Mais même si je peux tolérer leur existence, qu’ils ne commencent pas à se croire meilleur que nous.

— Ils ont bien été fait de cette façon pour une raison, Giaa. Et tu le sais, ajoute Lycus. Les Dieux ne laissent rien au hasard.

           Giaa ne me regarde pas, jaugeant ses deux collègues. En proie à une lutte intestine, elle ne pipe mot. Je devine que sa morale et son devoir se battent l’une et l’autre.

           Elle doit ramener Sullyvan et ne peux le faire sans moi. Elle doit faire preuve d’Humanité.

           Mais je suis une sephtis.

— Rejoins-les, je souris. Ce n’est pas comme si j’ai un jour reconnu l’autorité des Pages Ancestraux. Pars sans sourciller, sans te demander ce que tu as fait. Car je ne suis pas un de tes sujets.

           Mes mots semblent achever de la convaincre ; la mine troublée, elle me tourne le dos.

           Un sourire étire mes lèvres. Je savais qu’elle ferait ce choix. Et cela pourrait m’effrayer mais j’en suis au contraire rassurée.

           Ce soir, elles m’ont prouvé qu’elles ne valent pas et n’ont jamais valu mieux que mon espèce.

           Telles trois soldates, elles s’éloignent. Leurs silhouettes grimpent sur les dunes, laissant la mienne et celle de Hank derrière elles.

           Et là, je ne peux résister davantage :

— Mais n’oubliez pas ! La lune qu’est Artémis illumine la nuit de chacun et le soleil qu’est Apollon rayonne sur nous tous sans distinction. Némésis ne châtie pas les origines mais les actions !

           Un instant, Meeva cesse de marcher. Mais elle ne se retourne pas.

— Et là est l’exacte raison pour laquelle, qu’importe ce que vous pensez, vous n’avez jamais été et ne serez jamais des déités ! Ne les insultez pas en prétendant le contraire, cela ne ferait qu’entacher votre valeur…

           Un autre rire me prend.

— Et vous ne valez déjà pas grand-chose.

           Lycus cesse brutalement de marcher et commence à se retourner. Mais la main de Giaa se referme sur son bras, le forçant à avancer à nouveau.

           Quelle cocasse peinture… La bannie avec ses bannisseurs… Qu’ils ne me fassent pas croire qu’ils ont une quelconque espèce d’importance dans ce bas-monde. En accueillant Lycus à bras ouvert, ils prouvent n’avoir aucun respect pour leur propre décision.

           Ainsi que celle de leurs Dieux.

           Bientôt, leurs silhouettes disparaissent derrière une dune. Je me retourne à nouveau et mes yeux croisent le ciel. Des oiseaux dansent en cercle dans celui-ci. Les Harpies n’ont pas cessé leur ronde.

           Soudain, la crinière de feu se soulève. Podarge a entamé une descente.

           Son visage sévère s’arque devant mes yeux tandis qu’elle fond dans ma direction. A toute vitesse, elle fend l’air, me rejoignant. Ses plumes se plient, suivant le sifflement du vent.

           Elle se rapproche, rageuse.

           Mais je n’ai pas peur. Je n’ai plus peur. Si j’ai châtié, que les Dieux se vengent. Qu’ils me trainent aux Enfers et m’asseyent à leur table.

           J’ai quelques mots à leur dire, de toute façon.

           Elle est proche. Assez proche pour que je distingue sa mâchoire carrée et ses sourcils épais. Ceux-là sont froncés et sa bouche s’ouvre, dévoilant mille et une dents. La fureur déforme ses traits en un masque cauchemardesque.

           Cette vision devrait être effrayante…

           Seulement mes yeux se ferment. Le cri silencieux de la bête parvient presque à mes oreilles. Je l’entends. Elle est tout proche.

           La mort se fait plus présente.

           Soudain, une ombre plane sur mon visage. La chaleur d’Hélio s’adoucit et mes paupières closes me renvoient une image plus noire.

           Rien ne se produit. Mes yeux s’ouvrent, curieux.

           Ils croisent alors un regard smaragdin, percé de coruscantes pupilles semblables à des billes d’obsidienne. Mon cœur se fige en reconnaissant cette cicatrice ornant le coin d’une bouche rosée.

           Accroupi au-dessus de moi, ses ailes déployées dans les airs à la manière d’un bouclier me protégeant de la Harpie, il me fixe.

           L’Ange de la Mort.































j'ai eu un coup de mou
hier et n'ai pas eu le
courage d'update la
moindre de mes
fictions

vos messages m'ont
beaucoup aidée mais
je voulais m'excuser
pour l'absence

















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