𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟑𝟕
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 3 7
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L'EMPEREUR S'EN sortira peut-être. J'ai fait au mieux, usant de toutes les ressources possibles et imaginables. Seulement, si les médecins impériaux n'ont rien pu faire pour lui, il y a peu à parier que mon intervention change la donne.
Dans un soupir, je franchis la porte de nos appartements privés. Mes yeux se posent sur la silhouette debout devant la fenêtre. Le duc a enfilé sa cape par-dessus un long manteau noir brodé de fils d'or.
Je devine qu'il s'en va converser avec l'impératrice.
— Bonjour, ma chère, me salue-t-il sans se retourner. Avez-vous passé une bonne journée ?
— Elle aurait pu être meilleure si vous m'aviez dit pourquoi vous m'emmeniez ici... Je vais me faire exécuter quand l'empereur mourra.
Il rit doucement.
— Egarca n'est pas comme ça. Elle sait que vous avez fait de votre mieux.
Il est manifestement en train d'inspecter une carte, à la lueur du jour filtrant par les fenêtres tressées de branches. J'observe ses omoplates quelques secondes, ne parvenant à oublier ce que m'a dit l'impératrice.
Le duc m'a un jour dit qu'il avait la faveur d'Hadès. L'Ange de la Mort a été gracié par Hadès. Il a aussi expliqué vouloir protéger les sephtis coûte que coûte. Tout comme la créature. Et Sa Majesté a expliqué que les anges étaient capables de se métamorphoser et même cacher leurs ailes.
Il y a bien trop de coïncidences.
— Ceci dit, je serais bien le dernier à pleurer la mort de cet empot...
La voix du duc meurt quand, se retournant, il se prend le contenu d'un pichet sur la tête. L'eau le fouette en une gifle glacée et il ferme les yeux.
Quelques secondes s'écoulent tandis que je l'observe, appréhensive. Dans ma main, le pichet d'eau de lune à présent vide pèse lourd. Je suis anxieuse à l'idée de voir le moindre changement.
« De l'eau de lune faite en pleine lune. Qu'importe en quoi il se déguise, un ange montrera toujours sa vraie nature s'il est aspergé d'eau de lune. »
Brutalement, il recule, se plaquant au mur. Ses cheveux ruissellent quelques instants tandis qu'il me regarde.
— Je peux savoir ce qu'il ne va pas, chez vous ? lâche-t-il.
— Je... Je suis désolée... J'avais un pressentiment et...
— Sortez. Vite.
Mais je ne bouge pas, continuant de le regarder. Il me fixe avec ardeur, visiblement furieux. Je frissonne en le voyant faire, désarçonnée par la force gisant au creux de ses iris smaragdines.
Après plus amples questions à Sa Majesté, j'ai appris que l'effet de l'eau de lune était quasiment immédiat. Par simple précaution, je préfère attendre quelques instants.
Seulement les cheveux du duc ne poussent pas. Sa mâchoire ne s'affine pas et ses pommettes ne se réhaussent point. Il n'est pas métamorphosé en homme attrayant mais ressemble bel et bien à cela, à l'origine.
Ses traits se crispent et il semble lutter contre quelque chose, en lui. Sans doute de la colère. Je suis légèrement étonnée qu'il soit si furieux, bien que le geste que j'ai fait était assez irrespectueux.
— Je suis vraiment désolée ! Je me disais que peut-être... Enfin, ça va vous paraitre étrange mais vous avez le même regard que l'Ange de la Mort alors... Je ne veux pas vous vexer mais...
— J'AI DIT : DEHORS.
Je sursaute en entendant ce cri de rage.
A toute vitesse, je sors de la salle. Sans perdre un instant, je ferme la porte derrière moi. Mon cœur bat à tout rompre tandis que je m'éloigne, dans le couloir.
Bientôt, j'atteins la statue d'Aphrodite devant laquelle je m'extasiais aux côtés d'Hector, hier. Là, seulement, je pousse un soupir de soulagement.
Je l'avais déjà vu en colère, mais je n'avais jamais entendu un cri si puissant.
— Que se passe-t-il, dans cette tête si pleine ?
Je me retourne, découvrant le visage aux traits fins et teint hâlé de Yevhen. Le prêtre bélier a enfilé un kimono couleur œil-de-tigre, rappelant les bijoux fait dans cette pierre et glissés dans ses cheveux.
Ceux-là gisent sur ses épaules, lâchés. Seules quelques mèches sont nattées et décorées de fils et cristaux.
Je le salue d'un signe de tête, essayant d'oublier ce qu'il vient de se passer.
— Pas de genoux à terre ? rit-t-il doucement. On ressent bien là le fait que vous êtes une sephtis.
— Criez-le encore plus fort, je maugrée.
Il hausse les épaules, ne semblant pas le moins du monde affecté par ma nature.
— Puis-je savoir pour quelle raison vous avez fui vos appartements de la sorte ? Ils sont pourtant les plus confortables du palais, parait-t-il.
Se fiche-t-il de moi ? Il habite littéralement un temple occupant l'intégralité d'un des étages de ce palais. Sa demeure est sans doute aussi grande que celle de l'impératrice.
Je ne réponds pas tout de suite. Puis je me rappelle des légendes sur le tempérament des béliers.
Je viens de me faire hurler dessus. J'aimerais ne pas retenter l'expérience de sitôt.
— J'ai aspergé le duc d'eau de lune.
Yevhen éclate de rire. Nous nous mettons à marcher cote à cote. Je devine qu'il souhaite naturellement se détourner de la statue d'Aphrodite pour s'arrêter devant celle d'Arès.
— Cela devait être magnifique à voir. Et pourquoi donc, je vous prie ? Vous le soupçonniez d'être l'Ange de la Mort ?
Je ne réponds pas. Son sourire se fane et il hausse un sourcil, interloqué.
— Réellement ? Misère... Ce ne doit pas être facile tous les jours...
Mes sourcils se froncent.
— De quoi ?
— D'être aussi abrutie qu'un âne.
— Je ne vous permets pas, retentit une voix, dans notre dos.
Nous deux nous tournons et découvrons le duc. Ce dernier, debout, a abandonné sa cape ainsi que son manteau et semble avoir enfilé une chemise à la hâte.
Je n'ai pas le temps de lui demander pour quelle raison il s'est changé. Il s'approche dangereusement de Yevhen, sa mâchoire se contractant.
— Retirez tout de suite ce que vous avez dit.
L'homme face au duc soutient son regard, un sourire mauvais aux lèvres. Sans un regard pour moi, il lance :
— Vous tombez bien, mon cher. J'étais venu vous parler des plantes que j'aimerais prélever sur vos ter...
— Excusez-vous. Maintenant.
Mais Yevhen ne semble pas disposer à cela. Haussant un sourcil, il se contente de jauger son vis-à-vis avec condescendance.
Le duc fait un pas.
— Inutile. Je vous assure que ça va, je lance en m'interposant entre eux.
Mes yeux se plongent dans ceux, smaragdins, du duc. Leurs pupilles se dilatent quelques instants, m'observant. Le silence se fait autour de nous tandis que je plonge dans le méandre de ses iris aux pépites émeraudes. Je frissonne.
Mon souffle se coupe, happé par son regard.
— Tout cela est d'un ridicule, rit soudain Yevhen, nous tirant de nos pensées. Vous voulez nous la jouer romantique pendant que...
— Non, je veux que vous la fermiez.
Tous deux semblent surpris. Ma mâchoire se contracte tandis que je fusille le prêtre du regard.
— S'il vous frappe, il peut être puni par Arès, le Dieu de la guerre. Je ne vais sûrement pas laisser cela faire par problème d'égo.
Je lâche un rire.
— Et puis comment pourrais-je me sentir insulter par un crétin qui ne savait même pas que Lycus usurpait un poste n'étant plus le sien ?
Son regard se durcit brutalement.
— Les plantes sur les terres du duc, vous irez les chercher ailleurs. Il a lavé votre bannissement, pas moi. Et je suis son épouse, je vous signale. Mon avis vaut autant que le sien.
— Vous n'êtes pas réellement son ép...
Je penche la tête vers lui, affichant un sourire goguenard.
— Alors tâchez de le prouver. Et si vous menez l'enquête aussi bien que vous avez menez celle sur Lycus, je pense être relativement en sécurité.
Les yeux de Yevhen s'écarquillent. Je n'ai pas le temps de reculer qu'il lève brutalement la main, prêt à me frapper.
Sa paume fend l'air et je me crispe, encaissant le coup. Mais il ne vient pas.
Regardant le prêtre, je réalise qu'il est aussi surpris que moi du fait que son coup n'ait pas abouti. Ecarquillant les yeux, il observe son poignet qu'une large main retient sans effort.
Debout de mon dos, le duc retient Yevhen sans sourciller. Estomaquée, je le regarde faire, atterré.
— Cassez-vous. Vite.
Le prêtre se défait de sa prise en grommelant quelques insultes. Regardant par-dessus son épaule, il nous jette un coup partagé entre l'agacement et la stupeur.
Et je comprends pour quelle raison Yevhen est si surpris.
Nous le regardons s'éloigner en silence. Bientôt, il disparait au détour d'un couloir. Nous sommes à présent seuls.
— Je voulais vous présentez mes excuses pour tout à l'heure. Je n'aurais pas dû élever la vo...
— Vous n'êtes pas humain, je chuchote.
— Pardon ?
Me retournant, c'est non sans un frisson que je regarde le duc. Il soutient ce contact visuel, indéchiffrable.
— Le pouvoir des béliers est la force. Surhumaine. Un simple humain ne peut pas parer leur coup si facilement.
— Je suis très sportif, plaisante-t-il dans un rictus.
Mais je ne ris pas.
— Vous m'avez hurlée dessus pour que je sorte lorsque j'ai projeté de l'eau de lune sur vous, comme si vous ne vouliez pas me montrer quelque chose.
— L'eau de lune révèle immédiatement le vrai visage d'un Ange, alors si j'étais métam...
— Oui, mais pas ses ailes.
Il ne répond pas.
— Vous croyez que je n'ai pas remarqué que vous avez changé de haut ? Que votre réflexe a été de vous plaquer au mur, comme si vous vouliez entraver la pousse de vos ailes ?
— Pure élucubration. Vous divaguez, ma pauvre. Mon haut était juste mouillé et je n'aime pas cette sensation.
Ma mâchoire se contracte. Il me fixe.
— Les témoignages des prêtres disent que l'Ange de la Mort est une femme. Avez-vous vu mes traits changer ? Vous m'avez pourtant envoyé l'eau dans la figure !
Les bras croisés, je ne réponds pas. Il soupire face à mon mutisme.
— Ecoutez, je comprends que vous vouliez être connectée à votre déité mais... Il ne sert à rien d'inventer des choses. Yevhen n'a juste pas utilisé son pouvoir car frapper, avec une force divine, une duchesse l'aurait mis en très mauvaise position.
Je ne réponds pas.
— Je n'aurais pu dû vous hurler dessus. C'était odieux de ma part et cela ne se reproduira pas. Mais il est inutile de chercher des indices là où il n'y en a pas.
Je demeure muette. Il pousse un soupir.
Soudain, il ôte sa chemise. Mes yeux s'écarquillent et je tourne la tête, ayant le temps de voir une large cicatrice zébrant ses pectoraux.
— Mais ça ne va pas !? je m'exclame.
Du coin de l'œil, je le vois se tourner. Je déglutis péniblement quand il lâche soudain.
— Regardez ! Touchez même, si vous le souhaitez ! Je n'ai pas d'ailes.
Hésitante, je tourne la tête. Mais je finis par observer sa peau lisse tendue sur ses omoplates saillantes. Ma gorge se fait sèche à cette vision. Ma main se lève, prête à lui obéir, attirée irrésistiblement par sa chaire.
Mais je me ravise aussitôt, embarrassée et rassurée qu'il ne m'ait pas vue.
— Vous pouvez très bien cacher la cicatrice de vos ailes...
— Ah oui ? Alors pourquoi je ne cacherais pas celle-ci ?
Se retournant, il me fait face sans crier gare. Mon souffle se coupe et je n'ai pas le temps de détourner le regard, prise au dépourvu.
Sous mes yeux s'étend une large cicatrice blanche rayant ses pectoraux imposants. Ma gorge se fait sèche et je frissonne, tentant d'ignorer mon envie de laisser mon regard divaguer et observer ses bras imposants, son ventre légèrement arrondi ou même sa ceinture.
— Je... Je vous crois... Rhabillez-vous, s'il-vous-plaît, je murmure, étouffante sous une dense chaleur.
Il s'exécute. Je lutte contre l'envie de m'aérer de la main, ne voulant lui donner une telle satisfaction.
Cependant, cela semble inutile. Son rire résonne soudain et je lève la tête, croisant son regard moqueur.
— Vous êtes adorable, quand vous êtes embarrassée.
— Aussi adorable que le soir du bal où vous me trouviez magnifique ? je cingle, espérant lui faire fermer son clapet.
Mais il penche la tête sur le côté, m'observant de ses yeux légèrement plissés. Son index vient lever légèrement mon menton, me faisant frissonner.
— Mais vous êtes toujours magnifique, ma chère.
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voici le trente-et-septième
chapitre de cette fanfiction !
je voulais juste vous dire
que j'adore lire vos théories !
j'espère que ça vous aura
plu !
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