✧
𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 3 5
✧
JE SUIS ENCORE estomaquée de la façon dont les choses se sont déroulées. Jamais je n’aurais prévu un tel dénouement lorsque j’ai posé le pied dans ce tribunal, hier.
Non seulement je n’ai pas été condamnée à l’exécution mais tout cela s’est en plus retourné contre Lycus. Elle qui était venue argumenter en faveur du fait qu’on doive me punir puisque j’avais tenté de l’assassiner s’est retrouvée acculée.
— Rêveuse ? Tu savoures ton répit ? chantonne soudainement une voix, dans mon dos. J’allais te dire que tu étais compliquée à trouver mais tu es bien la seule « duchesse » qui se fringue de cette façon. Encore plus dans le palais impérial. Cela te rend aisément reconnaissable.
M’arrachant à la contemplation d’une immense statue à l’effigie d’Aphrodite, posée dans une arcade d’un couloir, je me tourne vers Hector. Troquant sa cape citrine contre un long manteau de la même couleur cintré par d’épaisses bandes de cuir s’enroulant autour de sa taille, l’homme range dans son dos l’arc qu’il tenait.
— Des vêtements de chasse…, je fais remarquer. Or, il n’y a pas d’animaux dans la forêt. J’en conclus que tu es allé t’entrainer aux côtés de Noovcahron.
La prêtresse sagittaire. Toujours armée de son arc.
— Elle voulait discuter de toi avec moi… Il faut dire qu’elle nous a vu ensemble, au bal.
Hier, elle a fait partie des prêtres et prêtresses n’ayant rien dit durant le jugement. Pourtant, elle est connue comme étant la pire ennemie de Lycus. A maintes reprises, elles se sont affrontées.
Noovcahron a lancé des armées entières contre les sisnasas.
— Son silence m’a paru étrange, je chuchote. D’autant plus que je suis convaincue qu’elle aurait fait n’importe quoi pour mettre Lycus en échec. Je m’attendais à ce qu’elle parle autant que Yevhen… A vrai dire, lorsque je croyais qu’on allait m’exécuter, mon seul espoir résidait en le fait que je croyais qu’elle allait contester la demande de Lycus.
Je pousse un soupir, regardant à nouveau la statue.
— Après tout, de tous les prêtres et prêtresses ici présentes, même si vous haïssez Lycus, je ne pense pas que vous puissiez accepter l’idée que j’ai tenté de l’assassiner. Noovcahron, en revanche, est son ennemie mortelle alors…
— Que dis-tu ? m’interrompt soudain Hector, se détournant d’Aphrodite pour me regarder.
Son air surpris m’étonne.
— Et bien, je ne soupçonnais pas que vous vous détestiez à ce point. Alors, comme Lycus émettait une plainte contre le fait que j’ai tenté de l’assassiner, je n’avais d’espoir qu’en Noov…
— Ce n’est pas ce que nous avons reçu.
Mes sourcils se froncent et Hector glisse une main dans son manteau, en tirant une lettre pliée et cachetée d’une cire émeraude. Une missive de Lycus.
Je l’ouvre et parcours attentivement les quelques lignes.
« Je soussignée Lycus Dan Verl, Prêtresse Cancer, représentante d’Artémis et Page Ancestrale, requiers par la présente lettre votre présence à la Tour Ancestrale demain, à huit heures.
Motif : la duchesse Fushiguro a porté la même couleur que moi au bal. Celle de mon peuple. L’émeraude. »
Je vois… Je comprends mieux la raison pour laquelle ils n’ont pas daigné mentionner l’autre sujet, particulièrement délicat.
— Cela n’a aucun sens. Pourquoi vous convoquer pour une histoire de couleur alors que dire que j’ai tenté d’assassiner l’un d’entre vous aurait suffi à vous convaincre d’abonder dans son sens ?
Je me souviens en plus nettement de la façon qu’elle a eu de tenter, à chaque fois, de ramener le sujet à la tentative d’assassinat. On eut dit qu’elle n’avait pas l’intention de me juger sur cette robe mais bien sur mon geste.
Comme si elle n’avait pas écrit ce motif sur cette missive…
— Je me suis posé la même question, admet-t-il. Lorsque j’ai lu la lettre, je me suis dit que cela n’avait aucun sens.
Hector étant un poisson extrêmement puissant, il n’a eu aucun mal à deviner mes véritables intentions, lorsque je suis arrivée à la fête. Il savait que je comptais assassiner Lycus et, pour une raison qui m’échappe, n’a rien fait pour m’en empêcher.
De plus, durant le procès, il n’a eu de cesse d’insister sur cette histoire de robe, détournant l’attention de ma tentative d’assassinat.
— Je peine à croire qu’elle ait réellement écrit cette let…
Ma voix meurt soudain dans ma gorge. Mes sourcils se froncent tandis que j’observe le cachet de cire.
— Quoi ? Que se passe-t-il ?
— Le… La couleur du cachet, je marmonne, songeuse. Ce n’est pas de l’émeraude. S’en est très près. Mais cela est une autre couleur. Elle ne s’obtient pas en broyant la pierre émeraude mais en réduisant en poudre un mélange de deux plantes.
— Et alors ? Seuls Lycus et Hank possèdent des pigments véritablement émeraude. Si la lettre n’a pas été écrite par Lycus, il est logique que le cachet soit une contrefaçon comme celui-là.
J’acquiesce gravement.
— Précisément.
Je n’en dis pas plus, Espérant qu’Hector n’utilisera pas son pouvoir pour percevoir la vérité. Il ne semble de toute façon pas très intéressé par la tournure que prend notre conversation.
Frappant dans ses mains, il affiche un large sourire.
— Le plus important, c’est que cette garce soit écartée ! Bon, cet entrainement m’a donné faim. Je vais aux cuisines.
Sans me laisser le temps de le saluer, il ouvre la porte posée à côté de la statue. Je réalise, voyant le sourire qu’affiche une servante, juste derrière, qu’il n’a en réalité aucune envie de manger et que son départ précipité coïncide avec le fait qu’il l’ait vue.
N’y prêtant pas attention, je fais demi-tour, remontant le couloir. Dans ma main, la lettre écrite brille de son encre verte. Il est inutile de procéder à une analyse graphologique, les prêtres utilisent souvent des fées, dont l’écriture est particulièrement nette, lorsqu’ils écrivent des missives.
Je suppose que le faussaire a fait de même pour imiter les lettres habituelles. Analyser l’écriture ne nous mènera donc nulle part. L’imposteur aura ensuite intercepté et remplacé les missives.
Ouvrant la porte de nos appartements, je découvre le duc assis sur le canapé, un grimoire dans les mains. Autour de lui, les éclats de verre ont été débarrassé et le lierre grimpant sur les murs de bois, dépoussiéré.
Il n’est pas venu me voir depuis l’issu de mon procès, hier.
— C’est vous, n’est-ce pas ?
— Bonjour à toi aussi, ma chère.
Il ne lève pas le nez de son livre, continuant de le lire avec la plus grande attention. Je brandis la lettre.
— Le vert iyl est obtenu à partir du mélange de la plante iyol et sa cousine l’iyal. Deux pousses très dures à entretenir car elles poussent dans le désert.
Il lève les yeux sans les poser sur moi, se contentant de fixer un point, dans le vide.
— Quand j’ai visité votre manoir, je me suis posée certaines questions… Je me demandais pourquoi, vous qui n’avez pas l’air d’être un amoureux des plantes, vous cultiviez dans votre manoir deux plans si compliqués à entretenir et si chers ?
Enfin, il me regarde.
— J’ai vu d’autres plantes particulières. Maintenant que j’y pense, quand on les croise, on réalise que toutes ces fleurs permettent l’obtention de couleurs très rares. Ou très proches de celles rares.
— J’utilise des colorants contenus dans des plantes afin d’imiter le cachet de cire des prêtres et prêtresses puis d’usurper leur identité. Quel criminel je fais ! Tu m’avs eu, répond-t-il, passablement ennuyé.
Je secoue la tête.
— Je me fiche que vous vous fassiez passer pour eux. Je veux simplement savoir pourquoi vous avez modifié le sujet de cette réunion.
Il ne répond pas tout de suite, fermant son livre et le posant à côté de lui. Puis, se levant, il plonge ses yeux smaragdins dans les miens, les accrochant fermement.
— Lycus avait un secret. Terrible. Je ne l’ai jamais révélé par crainte qu’elle s’en prenne à mon fils.
Il était au courant qu’elle n’était plus une prêtresse.
— Mais je lui ai dit que si elle s’en prenait à toi, elle le regretterait. Et elle l’a regretté.
— Vous saviez que moi, je ferais le lien. Que je comprendrais ce que signifierait le fait qu’elle ait été punie de la sorte par Artémis…
Il acquiesce. Mon cœur bat à tout rompre. Je ne sais trop quoi penser du fait qu’il s’est servi de moi pour faire chuter Lycus. Je crois que j’aurais aimée qu’il m’épargne tout ce stress.
Seulement, à présent, les hommes de l’impératrice s’occupent de nettoyer son temple de sa présence. Elle ne sera plus une nuisance.
— Mais comment vous pouviez savoir que Yevhen raconterait tout cela ? Je veux dire, à la réunion, il a tellement insisté pour discuter de ce sujet alors que Lycus ne voulait pas… Il faut être très doué pour deviner qu’il comptait aborder ce sujet.
— Je ne l’ai pas deviné. Je lui ai demandé de le faire.
Mes sourcils se froncent. Le duc n’est pourtant pas connu pour être apprécié des prêtres. Comment a-t-il pu le convaincre de faire une telle chose ?
Il doit comprendre la raison de ma surprise car il déclare soudainement :
— Il y a énormément de plantes sacrées sur mes terres. Ils ne l’admettront jamais à haute voix mais les douze prêtres et prêtresses feraient n’importe quoi pour ne plus être bannis de mon duché, pouvoir s’approvisionner chez moi.
— Vous… Vous avez levé le bannissement de Yevhen ?
Il acquiesce, observant ma réaction en penchant la tête sur le côté. Son regard se fait doux tandis que mes yeux s’écarquillent.
— Mais… Vous avez l’air de les haïr à un tel point… je n’aurais jamais cru que reviendriez un jour sur cette décision.
Un rictus esquisse le coin de ses lèvres, réhaussant sa cicatrice.
— Je crois que tu n’as aucune idée de ce que je suis prêt à faire pour te protéger.
Sa remarque me prend de court et je hausse les sourcils.
Son regard smaragdin se plonge dans le mien dans un contact si puissant que l’idée de m’en détourner ne me traverse pas. Un instant il me semble que le monde n’est plus que silence. Mon souffle se coupe, mon cœur rate un battement et une douce torpeur me tétanise.
Autour de l’obsidienne de ses iris se cristallisent quelques éclats d’émeraude coruscant. A la manière de mille et une pierres précieuses, ils s’étalent en une galerie profonde et mirifique.
Merveilleuse.
Peut-être la tension devient-t-elle trop lourde, l’air se fait-t-il trop épais ou la pièce est-t-elle trop brûlante. Mais le duc balaye soudain le vent de sa main, lâchant un rire amusé.
— Regardes-toi, soudainement si sérieuse.
Je me force à rire, tentant de détendre aussi l’atmosphère.
Mais il reprend son livre, repartant dans la chambre. Sur le pas de la porte, il s’arrête, me regardant par-dessus son épaule.
— Réellement, ma chère. Je ferais n’importe quoi.
Puis, sans un mot de plus, il s’en va.
✧
voici le trente-et-cinquième
chapitre de cette fanfiction !
j'espère que ça vous aura
plu !
✧
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top