𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟑𝟑











𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄  3 3




























           AUJOURD’HUI, mon destin sera scellé.

           Assise sur un tabouret de bois fort peu confortable, je regarde le paysage m’entourant, sans rien n’en distinguer. Autour de moi, des bougies ont été posées en cercle. Au-delà d’une certaine distance, elles n’illuminent plus rien. Tout n’est qu’obscurité.

           Une fois mon pied remis, deux gardes sont venus me guider jusqu’à une tour du palais où il fait particulièrement froid. Le duc avait dû le deviner car il a posé son long manteau noir sur mes épaules.

           Prostrée dessous, je ne peux m’empêcher d’inspirer de grande bouffée de son odeur, savourant cette dernière. Je m’infligerais de grandes gifles s’il voyait ce que je suis en train de faire.

           Cependant, en cette heure sombre, il me faut à tout prix trouver un moyen efficace d’apaiser mes peurs et celui-ci me semble tout désigné.

           Mon jugement aura lieu aujourd’hui.

           La requête qu’a déposé Lycus a été faite en sa qualité de prêtresse des cancers. Cela signifie que ce ne sera pas à la justice de juger de cette affaire mais au douze prêtres et prêtresses.

           Je ne doute pas une seule seconde de son issue.

           J’ai attiré dans un coin sombre une femme que j’ai ensuite poignardée avec une lame empoisonnée en faisant croire que j’avais été attaquée. Je vois difficilement comment quiconque pourrait prendre ma défense.

           Surtout compte tenu du fait que je suis une sephtis.

           Je ne sais pas exactement comment Lycus a survécu. Cela ne fait que me montrer, une nouvelle fois, l’étendue des pouvoirs de cette femme. Etant donné l’agressivité du poison que j’ai utilisé et le fait qu’elle est une nécromancière de renom, je ne vois qu’une explication.

           Elle a dû nécroser elle-même ses tissus et les maintient maintenant en vie grâce à sa magie. Son cœur ne ressemble littéralement qu’à un fruit flétri et rancie dans sa poitrine. Il ne bat plus.

           Mais elle l’anime grâce à sa magie.

— Le conseils des Pages Ancestraux commence en ce jour. Je soussignée Lycus, maitresse de cérémonie, plaignante.

           Dès que la voix de cristal de la femme retentit, douze sièges s’illuminent, autour de moi.

           Je réalise alors je suis assise au centre d’une table. Tout autour de moi, un long pupitre a été construit en forme de cerceau. Assis à celui-ci, dans des trônes incrustés de leur pierre de naissance, les douze prêtres et prêtresses me regardent.

           Un frisson me parcourt et mon souffle de bloque.

           Bien que je ne reconnaissance aucunement la légitimité de ces personnes, l’expérience de me retrouver dans la même pièce que chacun d’entre eux, en même temps, est particulièrement frappante.

           Mes doigts tremblent. Je les cache sous le manteau et inspire son parfum pour m’apaiser.

           Mes yeux croisent ceux d’Hector, assis sur un siège décoré de citrine, qui m’adresse un clin d’œil. Mais Lycus, assise juste à sa droite, parée d’une longue robe émeraude sur laquelle tombent ses cheveux de givre, se montre bien moins ravie de me voir.

— Je ne suis pas sûr d’être très jouasse à l’idée d’avoir été convoqué pour un vulgaire problème d’égo. Lycus, tu as intérêt à avoir une bonne explication pour m’avoir arraché à la bonne compagnie dont je profitais.

           Me tournant, je découvre un homme aux cheveux noirs noués en un chignon bas. Deux mèches tombent délicatement devant son visage fin, l’adoucissant. Cependant, l’expression qu’il affiche, elle, est d’une dureté absolue.

           Ses yeux noirs marqués d’un pli épicanthique fusillent la femme aux ascendance elfique. Puis, sa langue pousse joue dans un geste impatient.

           Yevhen. Prêtre bélier. Assis sur un siège incrusté d’œil-de-tigre, la pierre de naissance des béliers.

— Il ne s’agit aucunement d’un problème d’égo, tonne la femme pour se défendre.

— Oui, c’est vrai que venant d’une femme ayant massacré une population parce qu’elle ne la vénérait pas, convoquer une assemblée et déranger ses douze membres très occupés pour sanctionner une femme ayant porté la même couleur qu’elle serait surprenant, raille Hector.

           Aussitôt, un fracas retentit, m’arrachant un sursaut. Brutalement, Yevhen vient d’abattre son poing fermé sur la table devant lui.

— Encore cette histoire de couleur !? Alors tu m’as réellement interrompu pendant que je m’occupais de ma plus jeune sœur parce qu’une paysanne n’y connaissant rien s’est pavané dans ta couleur !?

— Une paysanne ? Mais il s’agit ni plus ni moins que de la femme du duc Fushiguro, mon cher. Et je vous signale qu’il est le seul noble de tout l’empire à s’être permis d’exprimer publiquement son irrespect vis-à-vis de nous.

           Cela semble calmer le dénommé Yevhen qui tourne la tête, réfléchissant quelques instants. Ses yeux se posent sur moi, m’analysant brièvement. Je déglutis péniblement.

           Il est vrai que lorsqu’un prêtre ou une prêtresse arrive, le duc ne pose jamais genou à terre. Et, étant donné qu’il n’y a que douze prêtres et prêtresses, les ducs, marquis et autres nobles propriétaires de terres se battent littéralement pour que l’un d’entre eux viennent habiter chez eux, dans leur domaine.

           Tous… Sauf le duc qui, lui, les a fait bannir de son duché.

— Cela ne justifie tout de même pas de s’en prendre à son épouse pour une histoire de robe. Navrée mais je rejoins Yevhen sur ce point, déclare une rousse d’une voix particulièrement douce. Je suis prête à vous soutenir mais cela ne doit pas se faire au détriment de la population.

           Maël. Prêtresse balance.

— D’autant plus que cette histoire d’émeraude n’a jamais été qu’un vulgaire caprice et nous tous ici le savons, renchérit Hector. Allons ! Tu portes toujours des habits en émeraude, tu as fait changer ce trône pour qu’il soit incrusté d’émeraudes mais… Allons-nous tous sincèrement prétendre ignorer la raison pour laquelle elle porte cette couleur ?

           Du coin de l’œil, je vois les ongles de Lycus se crisper violemment autour de la plume qu’elle tenait et avec laquelle elle grattait un parchemin.

— Si, au lieu de sauter sur l’occasion de me critiquer, vous m’aviez laissée parler, vous sauriez que la robe n’était pas le seul motif de ma dem…

— Il est vrai que le point que soulève Hector est intéressant, insiste le prêtre bélier, Yevhen, coupant Lycus sans aucune considération pour la mine agacée qu’elle arbore. Je pense réellement que nous pourrions revenir sur cela.

           Lycus lâche un rire forcé.

— Je ne juge pas utile de ressasser inutilement le pass…

— Et pourquoi cela ? Tu t’es appropriée la pierre de naissance de mon peuple et ose, en plus, juger de pauvres gens parce qu’ils la portent. Je devrais être le seul à dire qui peut porter l’émeraude et qui ne le peut pas. Et d’ailleurs, je n’ai jamais rien dit car un prêtre digne de ce nom vit dans la simplicité et ne s’attend pas à ce qu’on le vénère à la même hauteur qu’un Dieu.

           Je frissonne en entendant ce timbre grave faisant trembler le sol. Cette voix, si forte et pourtant calme, si tumultueuse quoi que réservée, a amené le silence dans la salle.

           Tournant la tête, je regarde l’homme assis juste en face de Lycus.

           Une main posée devant lui, sur la table, il frotte entre ses doigts une feuille de laurier qui s’effrite sur la table. Je devine qu’il a dessiné une rune sur celle-ci. Sans doute une symbolisant le calme, afin d’apaiser ses propres nerfs.

           Car son regard est noir, abyssal. La tête penchée en avant, il exulte quelque chose de sombre et presque tétanisant qui ne ressemble rien à ce que j’ai vu l’autre jour, au bal.

           Oui, il porte encore d’épaisses locks autour de son visage et une barbe orne sa peau brune. Soit, ses pommettes demeurent hautes et ses tatouages, imposants sur ses bras. Cependant la lueur allumant les yeux qu’ils posent sur la prêtresse cancer est maligne, viscérale.

— Car tout n’a jamais été que cela. Hein, Lycus ? Le fait que tu te prennes pour une déesse et que tu ne saches pas mesurer ta place.

           Hank. Prêtre Taureau.

           Son siège est incrusté d’émeraude. Car, à l’origine, la pierre de naissance des cancers n’est pas l’émeraude… Il s’agit de celle du peuple taureau.

— Tu te permets d’exiger notre présence au sein de ce conseil, tu nous convoques. Tu ne nous invites pas. Tu nous convoques.

           Il se redresse légèrement, faisant planer son aura sur nous tous.

— Où était ta convocation, lorsque tu as décidé de massacrer les sephtis ? A quel moment nous as-tu consultés ?

— Cela n’a rien à voir.

— Cela a tout avoir, au contraire, cingle Hector.

           Cette conversation prend un tournant auquel je ne me serais jamais attendue. Tout d’abord, j’étais convaincue qu’ils ne chercheraient pas à contredire Lycus, trop heureux de me mettre sur le bûcher.

           Cependant, maintenant, elle semble être celle dont on fait le procès.

— Je n’ai nul besoin de consulter qui que ce soit lorsqu’il s’agit de prendre une décision pour le bien commun.

— Pour le bien commun ? raille une voix féminine.

           Je hausse les sourcils, reconnaissant la prêtresse scorpion qui m’a accueillie, le jour où j’ai rencontré Némésis. La véritable Némésis.

           Les lèvres rouges de Yeon s’étirent en un sourire malicieux lorsqu’elle poursuit :

— Où était le bien commun, quand ta propre déesse t’a punie pour ton acte ?

           Je me fige. Je n’étais absolument pas au courant qu’Artémis avait châtié Lycus, suite à ce massacre. Pourtant, une telle chose aurait dû faire le tour de l’empire.

           A moins que ce châtiment ne soit un secret. Cette hypothèse m’est confirmée lorsque Lycus siffle :

— Auriez-vous oublié que nous ne sommes pas seuls ? Ce que ma déesse décide est entre moi et moi seule. Une vulgaire duchesse n’a rien à savoir de tout cela.

— Au contraire, rétorque Yevhen, tournant violemment la tête vers la prêtresse et faisant tressauter les mèches devant son visage. Vous l’avez menée ici parce qu’elle porte la couleur émeraude. Elle a le droit de savoir pour qu’elle raison, vous-même, vous la portée.

— Ce n’est pas pour cela que je l’ai conv…

— Toi, la coupe le prêtre Yevhen en me regardant avec fermeté. Sais-tu que la véritable pierre de naissance des cancers est la pierre de lune ?

           J’acquiesce. Comme tout druide qui se respecte, je sais effectivement à qui correspondent chaque pierre.

           Pour les béliers, l’œil-de-tigre. Pour les taureaux, l’émeraude. Pour les gémeaux, la célestine. Pour les cancers, la pierre de lune. Pour les lions, l’héliotite. Pour les vierges, l’ambre. Pour les balances, l’amétrine. Pour les scorpions, la cornaline. Pour les sagittaires, la turquoise. Pour les capricornes, l’obsidienne. Pour les verseaux, l’améthyste. Pour les poissons, la citrine.

           Il arrive que les prêtres ne portent pas la même pierre que celle leur étant normalement attribué. Yeon, par exemple, est la prêtresse scorpion et devrait porter de la cornaline. Cependant, le lac devant son temple est en aigue-marine et elle semble considérer l’aigue-marine comme la véritable pierre de naissance des scorpions.

           Pour Lycus, je ne m’étais jamais réellement posée de question.

— Les signes astrologiques ont plusieurs pierres de naissance, je réponds. La pierre de lune est la principale pour les cancers mais l’émeraude est aussi considérée comme l’une pierre de naissance secondaires. Tout comme l’aigue-marine est beaucoup portée par les scorpions alors que leur pierre de naissance est, en réalité, la cornaline.

— Nous avons à faire à une connaisseuse, à ce que je vois, raille Yevhen.

— Je suis druide.

           Il hausse les sourcils, semblant apprécier l’idée que nous appartenions au même corps du métier. Il m’observe à présent comme le capitaine d’un régiment qui réaliserait qu’il fait face à un petit soldat.

           Son regard se fait plus doux… Quoi qu’assez hautain. Après tout, je ne suis qu’une druide. Le bas de la chaîne alimentaire.

— Je vous disais ça pour vous expliquer pour quelle raison je n’ai jamais prêté attention au fait que Lycus porte de l’émeraude.

           Je sens le regard assassin de cette dernière, sur ma nuque. Yevhen sourit.

— Tu sais ce que l’on dit… Apollon et Artémis… Le frère et la sœur… Le soleil et la lune…

           Il soupire.

— La pierre de lune n’est pas que la pierre de naissance des cancers. Elle est littéralement la pierre d’Artémis, de la déesse des cancers. Et après que Lycus se soit fait un plaisir de massacrer les sephtis, Artémis l’a punie en l’humiliant dans son identité même de prêtresse.

           Je me fige. Est-ce réellement ce que je crois ?

           Je ne peux m’empêcher de me tourner vers Lycus, observant son regard se faire assassin lorsque Yevhen lâche, dans un braillement moqueur :

— Si Lycus fait chier son monde avec l’émeraude, c’est parce qu’elle a toujours autant honte du fait qu’elle n’a pas le droit de porter la véritable pierre des cancers.

           Mon sang ne fait qu’un tour. Je fixe la femme dont les poings se serrent.

           De toute évidence, les gens autour de moi n’ont pas potassé leur cours de magie depuis un long moment. Personnellement, en ma qualité de druide, je passe mon temps dans les livres.

— Imposture.

           Le rire de Yevhen se fane aussitôt. Tous les regards se braquent sur moi. Surtout celui de Lycus qui se fait soudainement noir, austère.

           Elle, elle sait. Elle, elle a lu les livres. Elle, elle connait nos lois divines.

— Tais-toi, vermine, me crache-t-elle.

— Lorsqu’un Dieu vous interdit de porter sa pierre, ce n’est pas un simple châtiment, vous le savez autant que moi.

— Ferme-la, j’ai dit !

— Vous pouvez hausser le ton autant que vous voulez et convoquer des assemblées, je connais les textes ! Je sais ce que cela signifie !

— TAIS-TOI ! hurle-t-elle, se levant, les joues rouges.

           Mais je me lève à mon tour, renversant le tabouret sur lequel je me tenais.

           Elle me fixe avec hargne. La lueur maligne dans ses yeux ne trompe personne. Hector s’est aussi levé, une main sur sa dague. Yevhen a posé un pied sur la table, prêt à bondir.

           Autour de Lycus s’est formé un halo clair et laiteux, lumineux. Elle s’apprête à utiliser ses pouvoirs. Et, ceux-là prenant racine dans la mort…

           Elle s’apprête à me lancer un sort qui me tuera.

— Si tu veux rester en vie, grogne-t-elle, tais-toi. Car crois-moi, je ne tolè…

— Qui crois-tu menacer ?

           Sur l’épaule de Lycus se referment soudain cinq ongles longs et rouges. Au bout de ceux-là s’étend une main fine se poursuivant en un bras gravé de tatouages et runes.

           Mon sang se fige en reconnaissant la femme à qui appartient ce bras.

           Deux yeux marqués d’un pli épicanthique regardent le visage de Lycus qui, elle, n’a pas tourné la tête. Visiblement tétanisée, la prêtresse ne bouge pas d’un iota.

           Sans doute a-t-elle reconnu le parfum de la nouvelle venue. Ou alors voit-t-elle distinctement les ailes de corbeaux de la femme, battre dans son dos ?

           Je déglutis péniblement.

— V… Vous…

           Les yeux bruns de la nouvelle venue se pose sur moi. Mes jambes se font tremblotantes. Je sens bien qu’autour de nous, tous ont retenus leur respiration.

           Car jamais ils n’auraient cru qu’une telle créature leur ferait face un jour.

— Tu la connais ? lâche Hector en voyant la femme me sourire délicatement.

           Mon cœur siffle d’une douleur aigüe. Je ne réponds pas, continuant de regarder cette femme aux splendides ailes de corbeaux.

— Evidemment, qu’elle me connait. Elle est une sephtis.

           Penchant la tête sur le côté, elle me jauge quelques instants avant d’ajouter :

— Et les sephtis connaissent l’Ange de la Mort.
























voici le trente-et-troisième
chapitre de cette fanfiction !

j'espère que ça vous aura
plu !


























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