𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟗

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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 2 9
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LES FESTIVITES S’ETERNISENT et il me semble que cela fait des heures que je suis ici. Où que j’aille, les regards suivent ma tenue et sa couleur, curieux. Je ne supporte plus d’être le centre de l’attention, quand bien même je savais ce dans quoi je m’engageais, en choisissant cette toilette.
Le duc m’a laissée prêt du buffet un peu plus tôt dans la soirée, tel un chiot que l’on abandonne à côté d’une taverne. Il s’en est ensuite allé converser avec l’impératrice. Ménélas n’a pas bougé de son siège et je me doute qu’il a assisté à toute la conversation. De toute façon, l’empereur n’est pas venu.
Tant de questions traversent mon esprit…
Pourquoi l’empereur est-t-il absent aux festivités commémorant un évènement de sa vie ? Pourquoi la reine n’a pas réagi lorsque Lycus est entrée à la manière d’une souveraine ? De quoi Fushiguro peut-t-il bien discuter avec elle, depuis plusieurs heures ?
— Vous avez trouvé la cachette idéale.
Je ne sursaute pas en entendant cette voix suave et jeune, dans mon dos. Perchée sur un balcon d’intérieur, les mains posées sur les rambardes ouvragées, j’observe les convives en silence.
Hector, le prêtre Poisson, se pose à côté de moi. Dans sa main danse un oracle qu’il mélange en le battant, fixant la foule de ses yeux bruns.
— Vous savez très bien pourquoi je suis ici, n’est-ce pas ?
Il acquiesce sans me regarder.
— Et vous ne tenterez pas de m’en empêcher.
Il cesse tout mouvement. Ses yeux se posent sur le sol et il sourit, réfléchissant visiblement à la meilleure réponse à formuler. Puis, il se tourne vers moi, un sourire étirant ses lèvres.
— Ma chère… Je dois avouer que je me fiche si peu du sort de cette créature que je ne reste que par curiosité. Je veux vraiment savoir comment vous comptez vous y prendre.
— Vous ne pouvez pas le lire en moi ? je demande en fronçant les sourcils.
Il hausse les épaules.
— Je lis les vérités les plus froides et abruptes. Pas les pensées. Je lis la véritable raison de votre venue ici, votre opinion sur les personnes que vous voyez… Mais non, je ne discerne pas le tréfond de vos pensées.
Mon opinion… Il me fixe quelques instants. Puis, un sourire étire mes traits et je lance, joueuse :
— Alors… Dites-moi ce que je pense de vous.
— Vous me trouvez espiègle et trop immature pour être un dignitaire spirituel. Mais vous avez aussi un respect naturel pour moi du fait de ma position et du fait que je haïsse Lycus.
Je hausse les sourcils. Voilà qui est tout à fait prodigieux.
— Je n’avais encore jamais vu un Poisson capable d’une telle chose… Les plus doués arrivent à deviner lorsque je mens par omission mais la plupart se contentent de sentir les mensonges simples et rien de plus.
— Les prêtres ont toujours un peu plus de pouvoir que leurs sujets, lance-t-il en haussant les épaules.
Je balaye l’assistance du regard. Certaines des personnes dont nous parlons m’apparaissent. Bien sûr, je remarque la robe émeraude de Lycus, entourée de ses guerrières capuchonnées. Mais je préfère l’ignorer pour me concentrer sur…
— Hank. Le prêtre Taureau. En quoi est-t-il plus puissant que ses sujets ?
Je pointe du doigt un homme assis sur un siège de velours, les jambes écartés, regardant les nobles dansant autour de lui avec un certain ennui. Son torse massif et sculpté tient difficilement dans le blouson en similicuir sans manche qu’il porte.
Ses bras épais jaillissant sont couverts de tatouages noires gravés dans sa chair brune. Sur ses épaules épaisses tombent des locks plutôt longues qui atténuent les angles de sa mâchoire puissante.
Sentant le regard d’Hector sur moi, je me tourne vers lui. Il sourit, amusé.
— Je sais exactement ce que vous pensez de lui.
Ma gorge se serre et mes joues chauffent.
— Non, vous ne savez pas.
— Vous vous dites que le fait qu’il soit protégé par Aphrodite est très visible.
— Absolument pas !
Hector éclate d’un rire enfantin, basculant la tête en arrière. Je ne réfléchis pas avant de frapper son épaule, gênée. Aussitôt, je me fige, mes yeux s’écarquillant. Il est si désinvolte que j’en ai oublié le fait que…
Est-ce que je viens réellement de frapper l’émissaire du dieu Thaumas ?
Voyant ma surprise, l’homme pose sa large main sur ma propre épaule qu’il frictionne affectueusement.
— Ne vous en faites pas. Je ne suis pas du genre à croire ma personne divine et éclater d’une colère noire pour un rien.
Je ne peux m’empêcher de sourire, sachant exactement à qui il fait allusion.
— Je suis ravi de constater que vous vous faites des amis, résonne soudain une voix, derrière nous.
Debout dans l’encadrement de l’alcôve menant à ce balcon, le duc se tient. Son long manteau noir brodé de fil d’or est cintré à sa taille, couvrant ses jambes rentrées dans des bottes sombre. Dans son dos, son habituelle cape tombe, jaillissant de son col.
Le raffinement de sa tenue est tel que sa carrure imposante ne parait pas un seul instant ridicule, dans cet accoutrement d’aristocrate.
— Vous oubliez que vous êtes face à un poisson, déclare Hector, me tirant de ma torpeur. Je sais très bien que vous êtes loin d’être ravi.
Le regard abyssal du duc se pose sur le prêtre, toujours aussi électrisant. Un instant, il me semble que ses prunelles smaragdines se noircissent.
— Inutile de me regarder comme ça, mon loulou. Vous êtes venus parce que vous n’aimez pas la voir avec un autre.
Mes joues chauffent brutalement et je baisse les yeux, soudain embarrassée.
— Cessez donc vos mensonges, tonne le duc.
— Ne me forcez pas à vous faire dire la vérité.
Hector hausse un sourcil provocateur. Cela ne semble pas du tout au goût de Fushiguro qui, serrant son poing habillé d’un gant, s’approche d’un pas.
— Essayez un seul instant, pour voir.
Le prêtre penche la tête sur le côté. Là, j’aperçois nettement ses sclères se faire plus blanches qu’elles ne le sont, engloutissant doucement ses iris avant d’avaler leurs pupilles.
Il bat des paupières. Ses yeux sont entièrement blancs, telles deux billes d’ivoire.
Le duc tourne soudain la tête vers moi.
— Vous êtes vraiment magnifique, ce soir.
— Oh…
Je ne m’attendais pas à ce que le sortilège soit aussi direct. Ni à ce que les premières paroles qu’il m’adresse soient celles-ci.
Fushiguro, aussitôt qu’il m’a regardée, s’est détourné de ma personne. Fixant Hector avec colère, il ne peut néanmoins pas dissimuler la teinte cramoisie qu’ont revêtu ses oreilles.
— Exercer votre pouvoir sur un duc est un crime. Et je vous assure que vous paierez pour cel…
— Vraiment ?
Le duc n’a pas le temps de se refreiner.
— Je ne supporte pas l’idée qu’elle puisse haïr ce que je suis.
Là, je me redresse. Seulement ce n’est pas à cause des paroles que le duc a prononcées, non.
Visiblement furieux d’avoir été forcé à le faire, il vient de saisir le col du prêtre qu’il penche tellement par-dessus le balcon que le pauvre menace de tomber de l’autre côté.
— Monsieur le duc ! je m’exclame, accourant pour tenter de rattraper Hector.
L’intéressé éclate de rire, visiblement amusé par son tour de passe-passe. En contrebas, différentes têtes se sont levées, observant la scène. Des yeux s’écarquillent.
Je n’en peux réellement plus d’être le centre de l’attention. En une soirée, c’est tout de même la quatrième fois que cela se produit.
— S’il-vous-plaît… Laissez-le ! Laissez-le ! je m’exclame.
Hector ferme les yeux. Lorsqu’il les rouvre ceux-là sont blancs. Oh non…
Il va utiliser son pouvoir sur moi.
Je fonds sur le duc, agrippant son bras et enfouissant ma tête dans le creux de son épaule. Si je dois dire la vérité, autant faire en sorte que seul lui l’entende.
— S’il-vous-plaît, les nobles nous regardent et si j’étais venu là, c’était pour ne plus être vue.
Peut-être entend-t-il la détresse dans ma voix. Ou alors lui aussi, est-t-il las d’être regardé. Quoi qu’il en soit, il recule soudainement, laissant Hector retomber sur ses pieds.
L’homme éclate de rire, massant sa gorge. Le pire est que je sais qu’il ne fait pas semblant d’être amusé pour garder la face.
Cette agression semble vraiment lui avoir plu.
Le duc demeure debout devant lui, l’observant en chien de faïence. Mais les nobles en contrebas continuent de nous regarder, visiblement curieux.
Ne supportant plus ses regards sur moi, je tourne les talons. Le duc tend la main, tentant d’attraper mon bras mais je le repousse. Il ne lutte pas davantage.
M’enfuyant dans l’escalier, je ne peux pas m’empêcher d’être partagée entre la colère d’avoir encore été le centre d’un stupide spectacle ou le sentiment, tout autre, qui m’envahit en me souvenant des paroles du duc.
Il me trouve magnifique, ce soir.
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voici le vingt-neuvième chapitre
de cette fanfiction !
j'espère que ça vous aura
plu !
surtout de voir toji forcé
à dire la vérité sur ce qu'il
ressent vis-à-vis de (t/p)
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