𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟑










𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄  2 3



















           UN BAL, ce n’est pas rien. Tu vas devoir abandonner tes tuniques blanches, commencer à apprendre à te maquiller et surtout, tu vas devoir te laver.

— Je me lave déjà, Ménélas, je maugrée en levant les yeux au ciel, assez lasse de l’habituelle condescendance de l’animal.

           Il y a se laver et se laver, me répond-t-il en chantonnant le dernier mot, levant le nez en l’air à la manière d’un prince.

— Pour la énième fois, Ménélas, sachant que je me baigne dans la rivière et que des poissons y vivent, je ne vais pas utiliser n’importe quel mélange sur mon corps pour tes beaux yeux. Les savons raffinés et les huiles peuvent coaguler leurs branchies et les empêcher de respirer.

           C’est un maigre prix à payer pour…

— Ménélas ! La vie n’est jamais un prix qu’il faut payer. Et encore moins un maigre.

           C’est à cause de ce genre de considérations que tu ne sens pas bon.

— Je ne pus pas non plus.

           Question de point de vue.

           Je lève les yeux au ciel, lasse des imbécilités du chat. Allongé en plein milieu du lit de notre chaumière, il se prélasse dans l’un des rayons de soleil filtrant par le carreau de ma fenêtre. Je lui ai annoncé que nous allions nous rendre au palais impérial pour un bal. Cela l’a particulièrement enchanté.

           D’une part, car il a sans doute déjà une idée précise en tête de ce qu’il va voler en y allant. D’autre, car cela devrait, selon lui, me forcer à m’enduire des huiles de soin que je garde dans mon armoire et qui prodigue aux patients des odeurs fleuris.

— D’ailleurs, tu dois être le seul chat qui aime davantage l’odeur des plantes que celle de la sueur humaine. Notre petit patient adore me lécher le visage lorsque je reviens, pleine de sueur, après être partie couper du bois.

           Oui. Et cela explique pourquoi son espérance de vie est si basse : il est abruti.

           Je ne peux m’empêcher de pouffer, m’approchant de l’intéressé. Le chaton roux s’est lové en une boule de flammes sur le plan de travail de ma cuisine.

           Il y a quelques semaines maintenant, j’ai demandé à des chats errants de veiller sur l’une de mes patientes. L’un d’entre eux s’est avéré être un minuscule chaton à la patte brisée. Je lui ai donc mis une attèle et l’ai soigné.

           Lorsque je me suis rendue chez le duc, je ne pensais pas rester plus de quelques heures. Mais, après avoir dormi aux cachots, j’ai diné avec lui. Lorsque je suis sortie, j’ai réalisé que ce « diner » avec eu lieu particulièrement tard puisque les rayons du jour pointaient le bout de leur nez. Nous nous sommes précipités dans la forêt où nous avons rencontrés l’animal de compagnie de l’Ange de la Mort.

           Un frisson me parcourt en resongeant à l’identité de ce dernier. Je ne pardonnerais jamais cette cruelle femme de m’avoir fait croire si longuement qu’une déesse veillait sur moi…

           A mon retour, j’ai appris que le duc se montrait clément envers les sephtis car, plus jeune, il avait ramené Lycus d’entre les morts. Et qu’il était particulièrement fautif dans le massacre de mon espèce. Là est la raison pour laquelle je ne voulais plus avoir à faire à lui.

           Alors je suis rentrée. J’y ai retrouvé ce chaton perdu, croyant que je l’avais abandonnée car j’étais parti une nuit entière. Je me suis empressée de le nourrir, de le choyer. Puis je me suis rendue à la cérémonie cancer où j’ai brisé la statue de Lycus. Après cela, il m’a fallu m’enfermer dans ma chaumière afin de rester éloignée des villageois en colère.

           J’ai pu m’occuper pleinement de ce chaton qui me prend pour sa mère.

           Arrête avec ça ! C’est une insulte à notre espèce !

           J’ignore Ménélas et place l’embout du biberon dans la gueule du chaton. Il la referme aussitôt et commence à presser ses pattes contre mon ventre, se réveillant doucement et mangeant avidement.

— Ménélas, que tu le veuilles ou non, Citrouille a faim.

           Citrouille !? Mais vas-y, tant que tu y es, tues-le !

— Quel est le rapport ?

           Personne ne peut survivre, affublé d’un nom aussi stupide.

           Je lève les yeux au ciel.

— Ce que tu peux être capricieux, mon pauvre ! Une véritable diva !

— Vous parlez toute seule, maintenant ?

           Je sursaute en entendant cette voix, arrachant malencontreusement le biberon à la gueule de Citrouille. Le petit piaille mais je m’empresse de lui redonner l’embout avant de jeter un regard noir à travers ma fenêtre.

— Je croyais vous avoir dit de me laisser tranquille ! je tonne.

           Le sourire venimeux barré d’une cicatrice du duc me répond. Provoquant, il s’est planté derrière ma fenêtre et semble prendre un malin plaisir à jouer avec mes nerfs.

— Dégagez. C’est une propriété privée, ici, je siffle.

— Privée, en effet. Mais si nous devions regarder les petites lignes, ce serait à vous de dégager… Car voyez-vous, même si je vous octroie quelques passe-droits, vous êtes sur mes terres, lâche-t-il dans un rire hautain.

— Passe-droit ? je répète avec un sourire mauvais, me reconcentrant sur le chat. Quelle heureuse manière de décrire le fait qu’on vous a ordonné de faire profil bas car vous être responsable d’un génocide !

           Je me tourne vers lui juste à temps pour voir les traits de son visage retomber aussitôt. Une ombre passe dessus et il me fusille du regard.

— Quoi ? La vérité blesse ?

— Je vous déconseille de continuer à me parler de la s…

— Je vous déconseille de continuer à me donner des ordres. N’oubliez pas que, pour une obscure raison, vous avez besoin de moi, je raille.

           Il hausse les sourcils, visiblement surpris. Je lâche un rire, satisfaite d’avoir vu clair dans son jeu.

— Ne me faites pas croire que vous ne m’invitez que pour mes beaux yeux… Vous avez besoin de moi dans votre négociation avec Egarca Evilans pour une obscure raison… Oh, je sais ! Comme quelqu’un tue les sisnasas sur vos terres, vous avez sans doute besoin que la sephtis du coin porte le chapeau ?

— Jamais je ne vous dénoncerais pour un crime que vous n’avez pas com…

— Ou alors, comme vous êtes dans la merde, que vous ne pouvez plus acheter quoi que ce soit ni faire de gestes politiques depuis qu’Egarca Evilans vous a condamné pour crimes de guerre, vous avez besoin qu’une sephtis en personne dise qu’elle ne s’est jamais sentie aussi bien que sur vos terres…

           Je prends la moue, sortant ma lèvre inférieure et imitant une enfant :

— Car après tout, le grand gentil Toji Fushiguro, notre duc bien-aimé ne nous persécute pas. Il ne nous fait pas payer d’impôt, nous fais pas payer de loyer et même les plus horribles créatures de ces terres ont l’air de vouloir nous protéger puisqu’elles tuent les sisnasas…

           Continuant de tenir le biberon d’une main, je fais mine d’essuyer mes yeux de l’autre, fermant le poing avant de bouger mon poignet d’avant en arrière.

— Bouhouhou, madame Evilans, levez la méchante sentence contre papa Toji qui fait tout pour nous ! Annulez sa condamnation, je vous en supplie !

           Sans lui laisser le temps de répliquer, je balance une bourse à travers la fenêtre. Celle-ci manque de le percuter au visage mais il l’attrape sans le moindre mal. Il l’ouvre et écarquille les yeux.

— Je… Qu’est-ce que c’est que tout cet argent…

— La somme que je vous dois niveau impôt et loyer pour les années que j’ai passées ici. Joli pactole, hein ?

— Mais… Même si les druides gagnent très bien leur vie, il y a toutes vos économies, là-dedans ! Je peux le sentir ! La somme est trop grande, non. Je n’ai pas envie que le docteur du village crève de faim.

           Il me tend la bourse. Je ne la saisis pas, l’ignorant royalement.

           En effet, malgré ma richesse, plus de la moitié d’elle se trouve là-dedans. Je vais sans doute devoir vendre mes pierres, moi qui me refusais à la faire. Seulement c’est un maigre prix à payer pour ne plus avoir de dette envers cette enflure.

— Je ne veux rien vous devoir.

— Mais vous ne me devez rien. Sinon je vous aurais demandé rétribution depuis longtemps. Gardez votre argent.

           Je ne réponds pas. Comprenant que mon silence risque de durer un moment, il pousse un soupir las.

— Ecoutez… Même si vous n’êtes pas techniquement médecin, vous êtes la doctoresse de ce village et donc fonctionnaire. Cela signifie que je suis censé payer tous les mois et je ne l’ai jamais fait. Là-dedans se trouve sans doute tous vos salaires en retard alors reprenez cela.

— Il y a quand même les taxes, je réponds fermement en caressant la tête du chaton qui a fini de manger.

           Le duc soupire et pose la bourse sur le rebord de la fenêtre.

— Considérez que vous les avez payés en m’aidant à trouver l’Ange de la Mort.

           Il marque une hésitation.

— Et le reste… C’est une compensation pour ce que j’ai fait à votre peuple.

           Je me fige. Mes muscles se tendent. Une compensation ? Du coin de l’œil, je le vois tourner les talons. Mais je ne peux le laisser faire.

           Saisissant la bourse, j’ouvre la porte à la volée et l’envoie dans sa direction, Le sachet le percute entre les deux omoplates.

           Il cesse de marcher mais ne se retourne pas.

— UNE COMPENSATION !? je hurle, furieuse.

           Il se tourne enfin. Ses yeux smaragdins se posent sur moi. Cependant ils ne parviennent pas à m’hypnotiser. Pas maintenant. Pas lorsque je suis dans une telle rage.

           Pointant l’index en sa direction, je crache :

— Rien. Aucune pièce. Aucun diamant. Aucune larme. Aucun mot. Aucun regard. Aucune commémoration. Aucune excuse. Rien. Vous entendez ? Rien ne rachètera jamais ce que vous avez fait à mon peuple.

           Mes yeux s’imbibent de larmes. Je ne peux lutter contre les pleures qui dévalent mes joues. Ma voix s’étrangle.

— RIEN, VOUS ENTENDEZ ? JAMAIS RIEN !

           Il me fixe de son regard indéchiffrable. Je ne saurais deviner ce qu’il se cache derrière ses traits. Il me semble que ses émotions les plus primordiales sont celles qu’il dissimule le mieux.

           Pendant de nombreuses minutes, mes sanglots résonnent dans la clairière. Je me maudis de me laisser aller après lui avoir si fièrement tenue tête mais je ne peux pas m’empêcher.

           Il m’a tout pris. Ce que je croyais avoir perdu lors de la cérémonie de l’Ash, je me suis efforcée de le récupérer.

           Et il me l’a pris.

           Qu’importe si Lycus est celle ayant donné les ordres, si cette sale pouffe a donné l’assaut finale. Il savait. Il était conscient. L’impératrice elle-même, malgré sa répugnance vis-à-vis des sephtis, a ordonné de faire exécuter cette femme pour préserver l’intérêt du plus grand nombre.

           Mais il est quand même allé jusqu’aux Enfers pour la ramener.

           Le silence s’éternise. Il finit par le rompre. Sa voix est ferme et son timbre, monotone, lorsqu’il déclare :

— J’étais venue vous donner rendez-vous. Demain, pour les essayages de vos robes. Ce n’est pas négociable.

           Là-dessus, il tourne les talons. Laissant cette bourse, l’affranchissement de toutes mes dettes, sur le sol. Le dos droit, il s’éloigne de moi, laissant les chaines invisibles de l’asservissement sur mes épaules.

           Mon dos, déjà courbé, s’affaisse un peu plus sous le poids de ces liens. Alors, les yeux rivés sur cette maudite bourse, je déclare assez fort pour qu’il m’entende :

— Je vous tuerais.

           Il cesse de marcher. Mais il ne se retourne pas.

— Que Némésis me brûle de sa rage divine. Que Zeus me foudroie de fureur. Qu’Arès me déchiquète de sa lance de colère. Que Thémis m’écrase en punition. Qu’Artémis me transperce de ses flèches. Qu’Aphrodite m’étrangle de sa ceinture dorée. Qu’Hadès m’aspire jusqu’au Tartare. Que Perséphone me change en plante. Que l’Olympe entier me châtie ! Je n’en ai que faire.

           Il se tourne vers moi. Le temps d’un instant, je parviens à voir une émotion sur son visage terne. Une brève seconde. Presque trop courte pour que je parvienne à identifier cet éclat.

           La stupeur.

— J’ai toujours obéi aux dieux. Je me suis pliée en quatre pour eux, pensant qu’ils me protégeaient car ils venaient me voir en rêve. Je me suis déchainée. Alors qu’ils se fichaient de moi. De nous.

           Il soutient mon regard. Mon poing se serre.

— Alors, pour une fois, je ne les écouterais pas. Ils vous ont laissé revenir sur Terre, avec Lycus, car ils approuvaient ce que vous vous apprêtiez à faire. Ils savaient ! Mais ils ont laissé survenir ! Alors je le redis !

          Levant la tête, je fixe le soleil qui m’aveugle. Je garde mes yeux rivés sur lui malgré les larmes coulant sur mes joues. Hélios ne peut qu’affronter mes iris.

— FAIS LE TOUR DE LA TERRE, HELIOS, ET LORSQUE TU ATTEINDRAS L’OLYMPE, DIS-LEUR QU’ILS PEUVENT BIEN ME CHÂTIER…

           Je baisse les yeux, regardant le duc. Il sait que ce ne sont pas des promesses en l’air. Les druides respectent ce qu’ils assurent au dieu.

— …Je te poursuivrais en Enfers.
























voici le vingt-troisième chapitre
de cette nouvelle fanfiction !

j'espère que ça vous aura
plu !
























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