𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟏






𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄  2 1

















            JE SUIS ENCORE sonnée lorsque je pose pied sur la terre ferme. Trois heures de carrosse se sont pourtant déroulées depuis le moment où Némésis m’a révélé la vérité sur la femme que je voyais en rêve depuis des années.

            Cependant cela n’a pas aidé à éponger ma stupeur.

— Puis-je savoir où vous étiez ? retentit soudain une voix.

            J’ignore sans vraiment en être consciente l’homme debout devant ma porte. Le ciel est noir et seul le balais des lucioles illumine l’herbe devant ma demeure. Je comptais initialement rentrer demain, aux premières lueurs du jour.

            Cependant j’ai ressenti le besoin de mettre le plus de distance possible entre moi et ce temple. Et ce, vite.

            Soudain, une main attrape mon poignet. Alors que je m’apprête à rentrer chez moi, on me retient fermement en arrière, m’empêchant de progresser. Là seulement, je réalise pleinement que j’ai ignoré l’homme m’ayant parlé plus tôt.

— Je n’apprécie pas que l’on se moque de m…

            Le duc Fushiguro ne termine pas sa phrase. Ses yeux smaragdins s’écarquillent lorsque je tourne la tête vers lui. Puis, à la lueur des lucioles flottant entre nous, je distingue l’ombre les voilant soudain.

            Sa main demeure fermée sur la mienne. De l’autre, il essuie ma joue. Je réalise alors que je pleurais. Mais je n’y accorde pas trop d’importance, légèrement désarçonnée par la caresse de son pouce sur ma peau.

— Qui vous a fait ça ? gronde-t-il.

— Q… Quoi ? Personne… Lâchez-moi, s’il-vous-plaît, j’ai sommeil…

— Vraiment ? insiste-t-il.

            Mes pieds se font lourds et je ne lutte même pas contre moi-même dans l’idée de poursuivre son mensonge.

— Non. Mais je suis fatiguée. Alors même si je sens que Morphée va se faire désirer, je vais m’assoir.

— Je ne vous demandais pas si vous aviez vraiment sommeil, répond-t-il en levant les yeux au ciel, visiblement agacé.

            Je ne m’inquiète pas de ses états d’âme. La seule chose qui m’importe, pour l’instant, est que sa main est refermée autour de mon poignet, ce qui m’empêche de bouger.

— Ecoutez, j’ai fait huit heures de carrosse aujourd’hui, j’ai simplement besoin de manger un bout et…

            Je pousse un soupir en fermant les yeux. Depuis la cérémonie en l’honneur de Lycus, je n’ose pas remettre les pieds au village et je n’ai donc acheté aucune provision. Jusque-là, je survivais grâce aux dons des villageois.

            Cependant, pensant partir pour quelques jours et me restaurer sur place, j’ai vidé toutes mes réserves ce matin.

            Le duc semble comprendre ce qui me tracasse car sa main lâche soudain mon poignet avant de se poser dans le bas de mon dos.

— Venez diner avec moi.

— Je n’ai aucune envie de mettre les pieds dans ce village où tout le monde me déteste. Ou plutôt, où il est de bon ton de mal me regarder, je couine.

— Personne ne vous reconnaitra, ne vous en faites pas.

— Pourquoi ? je demande. Vous êtes Vierge ?

            Les personnes Vierges sont capables de métamorphose. Là est la raison pour laquelle, lorsque j’ai entendu Ménélas me parler, la première fois, j’ai cru qu’il s’agissait d’un humain sous forme animale, soit métamorphosé de sa propre volonté ou ayant subi une mauvaise blague d’un autre.

            Cependant, Ménélas est bien un chat.  

            Le duc éclate d’un rire grave. Sa poitrine se secoue tandis que je l’observe, consternée.

— Et bien, j’ai un fils, donc…

            Il me regarde avec malice, visiblement très amusé. Quant à moi, trop fatiguée pour feindre quoi que ce soit, je me contente de le fixer sans masquer mon air réprobateur.

            Le silence s’éternise.

— Je parlais du signe astrologique, je finis par déclarer.

            De façon presque imperceptible, un éclat traverse ses yeux. Il hausse les sourcils avant d’adopter à nouveau l’éternelle expression impassible le caractérisant.

— Oui, je… Bien sûr. Moi aussi, je… Parlais du signe astrologique…

            Je lève les yeux au ciel, décontenancée par son immaturité.

— Quoi qu’il en soit, je reprends au bout d’un moment, sans métamorphose, je ne vois pas comment vous pouvez me faire passer inaperçue. Alors je vous remercie, mais c’est non…

— Ce n’était pas une question.

            Légèrement surprise, je me tourne vers lui. Résolu, il m’observe. Son visage est ferme et, je crois que s’il se laissait aller, il croiserait ses imposants bras sur sa poitrine pour me prouver combien il est fort.

            Trop fatiguée pour me contenir, je lève les yeux au ciel :

— On vous a déjà dit que vous étiez un gamin capricieux ?

— Oui, répond-t-il avec un sourire victorieux, comprenant que je capitule.

            Là-dessus, il glisse son bras sous le mien. Je ne proteste pas et lui emboite le pas. Ménélas, qui était rentré s’étaler dans le large lit, revient sur ses pas pour nous suivre.

            Je soupire mais ne dis rien. Il doit se dire que si le duc me sert à manger des légumes de qualité, il aura aussi quelques pièces de viande onéreuses.

            Nous atteignons bientôt sa voiture.

— Je rêve où vous avez fait atteler un véhicule pour un trajet d’une vingtaine de minutes à pied ? je demande.

— J’ai fait atteler un véhicule car mes éclaireurs m’ont dit que vous aviez l’air fatiguée.

            Des éclaireurs ? Cet allumé a envoyé des éclaireurs me chercher ?

— Dis-donc, vous devez drôlement vous ennuyer, je lâche en entrant dans le carrosse, me laissant choir sur son banc.

            Mon cœur rate un battement en réalisant à quel point nous sommes proches l’un de l’autre. Nos nez se frôlent et je peux sentir le parfum du bois de cèdre de sa demeure sur sa peau. Ses iris émeraudes me couvent de leur regard coruscant. Je peine à respirer convenablement.

            Le silence se fait, presque solennel. Soudain, il louche sur mes lèvres. Un sourire étire les siennes, haussant sa cicatrice.

— Est-ce que je m’ennuyais ou est-ce que je m’ennuyais de vous ?

            Je tressaille. Il esquisse un sourire victorieux face à me réaction et regagne son banc. La voiture démarre.

            Le voyage m’a réellement éreintée car, dans la chaleur des lieux et malgré les paroles du duc, je me détends rapidement. Mes yeux se ferment tandis que je me conforte dans la douceur de ma cape. Bercée par les mouvements de la voiture tanguant d’abord sur les bouts de bois jalonnant la forêt puis tressautant sur les rues pavées, je me laisser aller.

            Bientôt, je n’ai plus la force d’ouvrir les paupières.

            Même lorsque le carrosse s’arrête, je ne bouge pas. Je sais pourtant que je dois descendre. Seulement je ne veux pas. Je suis trop bien, lovée dans mon coin.

            Le banc devant moi craquèle. Le duc se lève. Un instant, j’imagine qu’il va sortir. Seulement il s’arrête devant moi. Je le sens s’accroupir. Je l’ignore, espérant qu’il va s’en aller.

            S’il-vous-plaît, laissez-moi tranquille. Je veux dormir. Ne me forcez pas à me lever.

            Soudain, un bras se glisse sous mes genoux et un autre m’attire contre un torse. Je me laisse faire, ma tête tombant contre des pectoraux fermes. La respiration régulière du duc et son parfum de cèdre m’apaise.

            Il me semble que mes muscles se détendent encore davantage.

— Monsieur ? appelle une voix.

— Replace la capuche sur sa tête. De sorte à couvrir son visage. Et fais en sorte que personne ne croise notre chemin jusqu’à la chambre.

— Bien, monsieur.

            Une main douce et délicate dépose un tissu sur mes traits. Je reconnais le parfum fleuri de Mélania.

            Quelques minutes s’écoulent et elle revient en affirmant que la voie est libre. Ensuite, bercée par les pas du duc, je ne fais plus trop attention à quoi que ce soit.

            Il me semble que nous sommes entrés dans un lieu car la luminosité a changé. L’air froid de la rue a laissé place à la chaleur d’un espace couvert. Une bonne odeur de nourriture flotte autour de nous.

            Mon esprit a ensuite erré, songeant que ces sensations étaient bien agréables. Un instant je me suis dit que j’étais embarrassée à l’idée d’avoir été ainsi portée. Mais j’ai remis ce sentiment à demain.

            Oui. Je songerais à tout cela demain. Pour l’instant, je ne souhaite que me détendre.

            On pose mon corps sur un matelas agréable. Ma cape m’est ôtée ainsi que mes souliers. Une couverture est remontée jusqu’à mon cou.

            Là, une main caresse mon front. Douce. Chaude.

            Elle me rappelle la délicatesse avec laquelle me touchait Némésis quand, il y a longtemps, elle me laissait poser la tête sur ses cuisses pour me raconter des histoires.

            Enfin, Némésis…

            Je sens une larme rouler sur ma pommette à cette pensée. Aussitôt, un doigt l’essuie avec délicatesse. Puis, une main se pose sur ma joue. Chaude.

— Ne me dites pas la vérité si vous le souhaitez. Mais je trouverais qui vous a fait ça et je le punirais.

            Mes songes m’emportent presque.

            Mais avant de tomber dans les bras de Morphée, j’ai le temps de me demander pourquoi cela compte à ce point, à ses yeux.






















voici le vingt-et-unième chapitre
de cette fanfiction !

j'espère que ça vous a plu !

































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