𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝐎
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 2 O
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JE NE SAIS ce qui est le pire entre les gaz de Ménélas ou ses plaintes incessantes.
— Ecoute, tu pouvais très bien t’abstenir de dévorer cette bête, Ménélas ! je m’exclame lorsqu’il évoque pour la énième fois ses maux de ventre.
Moi vivant, aucune viande ne sera pas dévorée.
— Je t’avais dit qu’il était stupide de manger les offrandes faites aux dieux. Tu as de la chance qu’Artémis se soit contentée de t’infliger une indigestion. Beaucoup serait mort, à ta place.
Allongé sur le dos, les pattes écartées de la façon la moins gracieuse qu’il soit, Ménélas me montre son ventre. Celui-ci, rebondit, se secoue avec le carrosse.
— Veux-tu te tenir ?
Non, je ne veux pas.
Je lève les yeux au ciel en soupirant avant de poser un tissu sur mon nez. Par simple coquetterie, j’emporte toujours avec moi quelques mouchoirs pliés et glisse entre les couches de tissu des fleurs de lavande séchées.
Aujourd’hui, je dois bien avouer qu’elles me sont plus utiles que ce que je n’aurais jamais pu imaginer. Le véhicule étant un espace clos et les vitres, sécurisées, je ne peux pas aérer l’intérieur chargé de gaz.
— Ménélas, tu es absolument écœurant, je gronde.
Depuis peu de temps, la période de naissance des cancers a débuté. La cérémonie d’ouverture s’est extrêmement mal passée — il faut dire que le fait que je réduise à néant une statue à l’effigie de Lycus n’a pas été forcément bien apprécié. Cependant, les conséquences n’ont pas été aussi terribles que ce que le duc Fushiguro imaginait.
Toutes les personnes m’ayant rendue visite ont déposé des cadeaux à mon intention. Elles venaient avec des prétextes inventés, disant vouloir m’acheter des plantes qu’elles trouveraient plus facilement sur la place du marché ou voulant des remèdes contre des maladies qu’elles n’avaient pas.
Toutes souhaitaient simplement me donner des cadeaux.
Pendant ce temps, le duc Toji Fushiguro s’installait dans l’hôtel le plus élégant du village, au grand bonheur de la patronne qui n’a de cesse de se plier en quatre pour lui. Elle persiste à faire défiler les cuisiniers les plus doués et les célibataires les plus séduisants dans son établissement, espérant sans doute marquer des points auprès du duc.
Ainsi, j’ai pris grand soin d’éviter la cité afin de ne pas m’en approcher. Cependant, pour Artémis, j’ai déposé l’une des prises de Ménélas devant son autel, sur la place du village. A l’endroit précis où trônait la figure de Lycus, avant que je ne la détruise.
Le chat n’a pas toléré que je donne l’une de ses prises. Cependant, par respect pour la vie, les druides ne peuvent point s’adonner à la chasse et Artémis est la déesse de la chasse.
Il me fallait trouver un compromis.
Si c’était à refaire, je le referais. J’ai attrapé cette musaraigne, je devais la manger. Je n’allais pas te laisser la cramer pour que son odeur parvienne à Artémis.
— Les druides se doivent de faire des offrandes fidèles aux attributions des dieux, Ménélas.
Alors offre-lui de l’eau de lune ! Apollon et Artémis, frère et sœur, soleil et lune ! Elle en aurait été ravie.
— Je n’en suis pas si sûre, je réponds en plissant les yeux. C’est ce que j’ai fait au cours des dernières années et elle n’a jamais répondu à mes prières.
Cela ne t’a pas traversé l’esprit qu’elle était peut-être occupée ? Au lieu de me voler mes précieuses ressources… Je vais mourir !
— Ménélas.
Oui ?
— Tu es médicalement en surpoids. Sauter un repas ne te tuera pas.
Le chagrin de perdre ma proie, lui, me tuera !
— Tu n’auras qu’à manger la viande que les villageois me rapporteront. Tous disent que je suis végétarienne mais ne semblent pas saisir ce que cela signifie.
Non, ce n’est pas ce qu’ils disent.
— Ah bon ? Et que disent-t-il ? je demande.
Que t’es une bouffeuse de fougères.
Je lève les yeux au ciel, lasse de cette expression. Ménélas a beau désapprouvé mon régime alimentaire, il a été ravi de pouvoir dévorer les pièces que m’ont apporté les villageois. Toutes. Jusqu’à la dernière.
Tant et si bien que je n’ai même pas eu à craindre de laisser la viande pourrir avant d’embarquer pour ce voyage. Nous sommes rentrés dans le carrosse en sachant que nos réserves étaient épuisées.
Je suis quand même surpris que ta cote de popularité soit montée après la cérémonie. Je veux dire, tu as clairement dit aux cancers d’aller voir ailleurs si t’y étais et tout le monde t’adule, maintenant !
— Non. Certains me remercient d’être intervenue et d’avoir empêché la colère des dieux de s’abattre sur nous. D’autres pensent que je suis l’amante du duc car il m’a aidée et tentent de marquer des points auprès de lui, j’explique. Ils n’avaient pas osé s’exprimer, le jour de la cérémonie, de peur de se faire insulter. Mais la majorité était silencieuse et elle n’était pas d’accord avec la venue de cette statue.
L’amante du duc ? Si tu lui prenais la main en public, tu crois que je pourrais avoir du bœuf ?
— Ménélas, je soupire en levant les yeux au ciel.
Le chat bascule sur le flanc, observant le paysage défilant à travers la vitre.
Et, maintenant, alors que le peuple nous couvre de cadeaux, tu t’en vas dans des contrées lointaines. Tu ne sais pas accepter la bonté des humains.
— Ménélas, tu traites les humains de trous du cul des mondes, ce qui ne veut rien dire, alors cesse donc de te croire si bon envers eux.
Ils sont des trous du cul ! Mais lorsqu’ils me vénèrent comme ils le doivent, je suis bien forcé de le reconnaitre et le souligner.
Je lève les yeux au ciel.
— Quoi qu’il en soit, mes questions ne peuvent pas attendre. Et le temple où je me rends est tout de même bien plus proche de notre maison que la demeure du duc.
Mais nous avons été téléportés chez le duc ! Là, cela doit faire quatre heures que nous nous trouvons dans ce carrosse ! Mes pattes sont ankylosées et j’ai faim !
— Je croyais que tu faisais une indigestion !
Cela ne m’empêche pas d’avoir faim !
Je pouffe doucement.
Et puis, pourquoi diable se rendre dans le temple de Némésis ? En pleine période de naissance cancers ! Dis-moi ce que la reine des scorpions pourrait faire pour toi ?
Je déglutis péniblement.
— Némésis est la seule déesse avec qui j’ai eu contact. Alors j’aimerais comprendre pourquoi elle n’a cessé de me répéter que l’Ange de la Mort n’existait pas si, de toute évidence, elle avait tort.
Je triture la manche de ma cape.
— Je l’ai appelée en rêve chaque nuit depuis que j’ai appris la vérité. Mais elle ne répondait pas. Je ne voulais pas me montrer désobligeante en allant jusque dans son temple lui demander des comptes mais je n’ai pas le choix…
Mes entrailles se nouent.
— Je dois savoir pour quelle raison ma déesse m’a caché l’existence de l’Ange de la Mort.
Peu à peu, la carrosse ralentit. Je n’en suis pas surprise. Cela faisait un moment que je voyais des chênes, à travers la vitre du carrosse. Le Temple de Némésis est posé au bord d’un lac entouré de ces arbres.
Le véhiculre s’arrête entièrement. J’ouvre la portière et respire avec bonheur l’air de la forêt, non empuanti des gaz de Ménélas.
Mes paupières se ferment quand ma poitrine se gonfle. Je souris.
Ouais, ça va. N’en fais pas des tonnes, non plus.
Grognon, il me dépasse et marche jusqu’au bord du lac. Mes sourcils se haussent en voyant celui-ci. Jamais je n’étais venue jusqu’au temple auparavant. Alors je ne savais pas si les légendes étaient véritables.
L’étang est bleu. Un bleu assez clair sans devenir pâle, soutenu et assez intense. Une couleur des plus inhabituelles et chatoyantes.
— Le fond est tapis d’aigue-marine, la pierre de naissance des scorpions. Alors l’eau semble avoir pris cette teinte mais elle est aussi commune qu’ailleurs, je vous l’assure.
Je me retourne vers la voix venant de résonner. Mes yeux s’écarquillent en constatant qui me fait face.
De longs cheveux d’ébène tombent telle une cascade scintillante autour d’un visage rond. Ce dernier, semblable à une sculpture de marbre, me sourit avec retenue. Le pli épicanthique de ses yeux remue lorsqu’elle hausse les sourcils d’un air malicieux.
Je ne perds pas une seconde et m’incline en avant.
— V… Vous êtes…
— La prêtresse scorpion, messagère de Némésis sur terre, en effet, sourit-t-elle. Allons, relevez-vous.
Je me redresse aussitôt.
Si je n’ai aucun respect pour Lycus, j’ai tendance à admirer ses confrères et consœurs. D’autant plus que Meeva, prêtresse scorpion, est connue pour sa soif de justice.
— Il me semble que vous venez de loin… Comment puis-je vous aider ?
— Je… J’aimerais m’entretenir avec Némésis. Je tente de la joindre depuis un moment mais elle ne répond pas.
Un rire penaud franchit ses lèvres.
— Je crains que Némésis ne réponde qu’aux scorpions… Et, si je ne peux pas dire de quel signe astrologique vous êtes, je sens bien que vous n’êtes pas scorpion.
— Navrée de vous décevoir mais… Il se trouve que nous avons déjà discuté à maintes reprises, je murmure, hésitante. Je viens d’ailleurs la voir pour savoir pour quelle raison elle m’a assurée que l’Ange de la Mort n’existait pas.
Les sourcils de Meeva se haussent brutalement. Ses lèvres se pincent et, derrière elle, le vaste temple à l’entrée faites de colonne me semble s’assombrir.
Des nuages couvrent le ciel.
— Je vous prierais de ne pas prêter des actions et des paroles à ma déesse, druide. Jamais Némésis ne vous adresserait la parole et encore moins pour vous mentir.
— Mais elle l’a fait ! je m’exclame.
Soudain, un coup de tonnerre éclate dans le ciel. La clairière ensoleillée s’est assombrie en un seul instant. Je frissonne lorsqu’une pression se fait sur l’intégralité de mon corps, comme si l’air lui-même cherchait à m’enfermer.
— Comment oses-tu profaner mon nom devant mon temple, vulgaire mortelle ?
Je me fige lorsque cette voix d’outretombe résonne en moi. Devant mes yeux, Meeva s’agenouille. Ma voix s’étrangle et je sue à grosses gouttes en réalisant que la prêtresse scorpion, sur ses terres, ne poserait genoux à terre que devant une personne.
Ou plutôt, une déesse.
— Némésis ! je m’exclame en me retournant, prête à l’imiter.
Mais je me fige soudainement.
— Vous… Qui êtes-vous ? je demande.
Devant moi, une femme se tient. Immense, fière, elle me toise de ses yeux entièrement blancs. Entre eux, un nez large s’étend au-dessus d’une bouche aux lèvres pulpeuses, brune. Sa peau noire, semblant briller sous l’éclat de l’orage, fait ressortir l’écarlate des longues locks pendant sur ses épaules.
— Tu oses me demander qui je suis ? grogne-t-elle de cette voix d’outretombe. Après avoir osé prétendre, devant mon temple, que tu m’as parlée ? Que je t’ai mentie ?
Je tremble, vacillante. Mes yeux s’imbibent de larmes tant je suis terrorisée. Cette femme… Elle est une déesse. Et, devant le temple de Némésis, nulle divinité n’oserait prétendre être elle.
Pas sur son propre territoire. Pas devant sa prêtresse qui la reconnaitrait entre toutes.
— V… Vous êtes Némésis ? je chuchote d’une voix rauque.
Elle acquiesce, l’air crépitant autour de son impériale personne.
— Mais… Mais alors… A qui ai-je parlé au cours des dix dernières années ? je chuchote. C’était forcément une divinité ! Nul à part elles ne peut m’enlever en rêve, c’était…
Un sourire étire les lèvres de Némésis qui semble réaliser ce qu’il se passe. Son cou se tourne brutalement, à la manière d’un oiseau, quand elle penche la tête sur le côté pour mieux me regarder.
— Enfin, je ne parle qu’aux scorpions car je suis leur déesse, ma très chère, me nargue-t-elle.
Je frissonne.
— Et je sais quelle créature tu es, qui veille sur toi depuis l’Olympe… Enfin, depuis le Tartare.
Mes épaules tremblent et je secoue la tête de droite à gauche, refusant d’entendre ce qu’elle s’apprête à me dire. Mais elle persiste.
— Cette femme qui te parle depuis dix ans et qui t’a promis que l’Ange de la Mort n’existait pas, c’est…
Elle éclate de rire.
— Oh, que c’est drôle ! rugit-t-elle en basculant la tête en arrière.
Puis, elle me regarde à nouveau.
— Cette femme est l’Ange de la Mort.
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voici le vingtième chapitre
de cette fanfiction !
grosse révélation...
j'espère que ça vous a plu !
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