𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 2
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— MENELAS, VEUX-TU cesser ? je lance à travers la pièce. Veuillez m’excuser, mon ami est charmant mais possède une fâcheuse tendance à casser absolument tout ce qui se trouve dans cette demeure.
La femme assise à ma table fronce les sourcils d’un air désapprobateur. Depuis les quatre années qu’elle vient ici, chaque visite étant séparées de quelques jours, elle a largement remporté son titre de « fidèle cliente ». Cependant, tout comme la plupart des nobles venant quérir mon aide, elle prend systématiquement soin d’arborer une mine écœurée lorsqu’elle pénètre ma modeste demeure.
Ramenées en quelques torsades d’un roux élégant, les cheveux de Minerta font ressortir le vert de ses yeux. Elle est sans doute la marchande la plus influente de la ville bordant cette forêt. Sa fortune tirée du commerce de poissons lui permet de multiples visites dans cette chaumière qui jure tant avec les habituels lieux qu’elle fréquente.
— Vous savez, je pourrais vous offrir de l’aide pour ranger votre demeure…, lance-t-elle, les lèvres pincées, tandis que j’étale sur son bras une cire chaude à l’aide d’un morceau de bois plat.
La mixture refroidie et je suis son regard, observant la bicoque m’entourant. Mes épaules se haussent. Soit, la cuisine, le lit et le séjour sont amassés dans la même pièce traversée en son centre du tronc d’arbre autour duquel des gnomes ont bâti ma demeure. De plus, le tout a une apparence assez rustique. Mais l’intégralité de mes grimoires sont rangés avec soin dans les étagères et mes fioles, étiquetées.
— J’ai fait le ménage hier.
— Oui mais… ARGH ! hurle-t-elle soudainement quand j’arrache la cire d’un geste franc.
— Calmez-vous, il s’agissait de la dernière zone à épiler, je murmure en coupant le feu sous la casserole et saisissant une fiole d’huile d’argan. Cela dit, je vous remercie pour cette gentille proposition. Je sais que vos journées sont chargées donc prendre du temps pour venir net…
— Ne dites pas de bêtises, je vous aurais envoyé quelqu’un.
Je souris, amusée, et masse délicatement son bras rougi. Par-dessus son épaule, la fenêtre de mon logis me permet de voir le carrosse gardé par deux soldats, au bord du marais. Ils appartiennent à Minerta. Aucun danger ne l’a jamais réellement guettée mais je suppose que se déplacer avec une escorte lui donne un genre.
— Bien. Que voulez-vous, maintenant ? D’autres soins ou je vous donne les traitements à faire chez vous et nous nous saluons ? je demande.
— Vous avez ravivé ma couleur et fait mon épilation… Si possible, j’aimerais que vous veniez me voir chez moi pour le massage, lance-t-elle en jetant un regard appuyé au meuble me servant de table de massage sur lequel Ménélas est actuellement assis, léchant son fondement.
Mes yeux s’écarquillent en voyant la scène. Je m’abstiens du moindre commentaire, craignant de m’embarrasser davantage. Mais l’envie de le saisir par la peau du cou et l’envoyer dans le marais me démange.
— Alors je suppose que je peux prendre les traitements à emporter… Voyons… Je veux des soins pour mes rougeurs, mon mari a besoin des médicaments pour son cœur et ma fille adore vos petits cailloux.
Je ne fais aucun commentaire et me lève, allant chercher dans mon armoire les quelques sachets concernés. Cependant, cela est sans compter sur Ménélas qui a cessé de faire sa toilette et observe avec condescendance ma cliente.
Des petits cailloux ? Je rêve où cette abrutie parle de nos cristaux ?
Je ne réponds pas. Nul ne sait que je suis capable de discuter avec Ménélas. Je ne sais pas si cela m’attirerait des ennuis de le crier haut et fort. Je ne tiens pas à tenter l’expérience.
— Je tiens à vous rappeler que ce que vous appelez des « petits cailloux » sont des pierres semi-précieuses aux pouvoirs divins. Je ne peux en vendre librement.
— Et pourquoi cela ? lance-t-elle, courroucée. Vous en avez bien donné à ma fille, la dernière fois !
— Je n’en ai rien fait. Les pierres appartiennent à celui qui les trouve, il s’agit d’un cadeau des dieux. Votre fille a trouvé cette améthyste en jouant dans l’herbe alors je ne la lui ai pas donnée : je l’ai laissé prendre ce que les déités lui avaient donné, j’explique.
Cette tradition est assez vieille et considérée comme désuète. Aujourd’hui, la plupart des pierres se vendent, surtout depuis que des galeries sous-terraines gorgées de minerais ont été découverts.
Je dois avouer que, d’ordinaire, je donne en réalité mes pierres. Car je suis avant tout guérisseuse et qu’elles peuvent aider mes patients. Cependant je refuse d’en céder à une personne les qualifiant de « petits cailloux ». Elle n’a aucune idée de leur valeur.
— Soit, je ne veux pas m’attirer la colère de mes dieux alors, qu’il en soit ainsi, lâche-t-elle d’un air pincé.
Elle ne me croit pas mais n’ose pas mettre en doute la parole d’une druide. Quant à moi, je ne veux lui dire trop évidemment d’aller se faire voir car je ne souhaite point perdre une cliente si fortunée. Alors je me contente de déposer quelques sachets devant elle en lui annonçant le prix.
Tendant la main pour récupérer l’argent, je ne suis pas surprise de la voir déposer la bourse à côté de ma paume, m’ignorant royalement. Un sourire amusé étire mes lèvres quand elle se lève sans un aurevoir et quitte les lieux.
Sacré numéro. Si un jour elle tombe gravement malade, tu vas devoir lui expliquer pourquoi tu utilises des pierres sur elle alors que les dieux te les ont données, à toi.
— Il y a des marchands de pierres dans toutes les villes alors elle sait que je mens, qu’on peut vendre des pierres. Mais je ne vends tout de même pas les miennes et tu le sais. Je les donne.
Ce qui est stupide car tu pourrais te faire une fortune.
— Les pierres m’aident à soigner, Ménélas. Les dieux me les donnent pour que j’accomplisse mon devoir de guérisseuse. Quel piètre druide je ferais si je tirais de leur don une coquette somme !
Alors tu pourrais toucher le pactole en vendant tes biens les plus rares mais tu préfères les donner, par respect pour les dieux ? Dois-je te rappeler qu’ils t’ont reniée ?
Je déglutis péniblement tout en rangeant la cire. Ménélas a toujours su que j’étais une sephtis. Je ne lui en ai pourtant jamais parlé et ne sais pas comment il a pu le deviner. Mais il l’a fait.
— Les dieux n’ont pas abandonné les sephtis, Ménélas. Ce sont les Hommes qui l’ont fait. Et ils ont justifié leurs actes en brandissant le fait que les déités auraient ordonné qu’il en soit ainsi. Mais je connais la vérité.
Sous un ciel gris, un soir, j’ai appris durement combien les dieux tenaient à nous. Peut-être est-ce ce jour-là que j’ai décidé de devenir guérisseuse.
— Le peuple considère que les pouvoirs magiques sont des dons des dieux. Alors, quand quelqu’un nait sans, le abrutis s’imaginent que cela signifie qu’il est maudit. Mais il y a une différence, Ménélas, entre ne pas être béni et être maudis.
Laquelle ?
Ma gorge se serre. Je place quelques pousses dans un pochon de tissu fin que je resserre, concoctant un sachet de thé aux puissants pouvoirs antiinflammatoires.
— Je ne le sais pas encore, je finis par répondre.
Ménélas m’observe sans rien dire, perché sur la table que ma cliente vient de quitter. Me tournant vers lui, je m’apprête à changer de sujet en le sermonnant sur son insistance à nettoyer son fondement à la vue de mes clients quand je remarque un visage, à travers la fenêtre.
Son regard vide fixe ma personne sans la voir. Je fronce les sourcils en remarquant des feuilles mortes et toiles d’araignées prisent dans ses longs cheveux bouclés. Sa peau, d’une pâleur presque effrayante, est maculée de trace de boue.
— Madame ? Puis-je vous aider ? je demande en plongeant mes iris dans ses yeux marqués par un pli épicanthique.
Elle ne répond pas.
— Avez-vous besoin de quelque chose ? Un thé pour vous réchauffer ou…
Elle disparait, s’en allant. Je me précipite à la porte et franchis son seuil pour la rejoindre. Quelques pas me suffisent tant elle est lente. Ses bras écorchés tombent le long de son corps et ses épaules sont voutées en avant. Le dos de sa robe est déchiré jusqu’aux genoux.
A en juger par la qualité de cette étoffe et la précision des détails cousus dedans, il doit s’agir d’une bourgeoise.
— Madame ! j’insiste en l’atteignant. Est-ce que vous m’entendez ?
Ma main se pose sur son épaule. Elle s’arrête mais ne se retourne pas. Je réalise alors qu’une faible odeur de viande avariée se dégage d’elle. Mon nez se fronce et je la contourne pour me placer face à elle. Cependant ma gorge s’étrangle en voyant son ventre.
Il est lacéré. A de multiples endroits, des coups de griffes maculent sa chaire. Elle semble avoir été sévèrement amochée par une bête — un ours ou même un loup-garou.
— Madame ! Vous devez vous faire soigner ! je lance, affolée, en la saisissant par le bras.
Elle se laisse faire sans commentaire. Je devine qu’elle est trop sonnée pour m’opposer la moindre forme de résistance. Elle ne dit rien et semble fixer le vide.
Nous atteignons la maison et je l’allonge sur la table de massage rembourrée de plumes. Aussitôt, j’arrache le tissu cachant son ventre afin de dévoiler les dégâts.
La plupart des griffures sont particulièrement profondes mais elles ont le mérite d’être peu nombreuses. Ailleurs, fort heureusement, elles semblent superficielles.
— Ménélas, apporte-moi le pochon d’anesthésie ! je tonne.
L’instant d’après, il dépose dans ma main le sachet fourré de camomille, eschscholzia, alinus et avilys. J’ouvre la bouche de la femme qui se laisse faire et enfourne le sachet dedans. Puis, m’emparant de la carafe d’eau cristallisée rangée dans l’armoire, je la verse directement dans sa gorge, par-dessus le sachet. Bientôt, puisqu’elle n’avale pas, l’eau stagne entre ses mâchoires tandis que le pochon flotte dedans.
Ses yeux se ferment. Elle est anesthésiée. Jusqu’à ce que l’eau disparaisse, petit à petit ingurgitée, elle ne se réveillera pas.
— Bien, nous avons quelques heures devant nous pour soigner cette brave dame ! Ménélas ?
Un miaulement sans parole me répond.
— Je compte sur toi pour surveiller le taux d’eau dans sa bouche. Je n’ai pas envie qu’elle se réveille pendant que je la recouds.
Si ce n’est que cela, on peut toujours la noyer dans une bassine pleine de plantes.
— Ménélas, c’est méchant, ça.
Regarde-la ! Elle est sale ! Je n’aime pas la saleté ! Sommes-nous réellement obligés de la soigner ? J’ai beau ne pas apprécier l’autre perruche, je préfère encore quand tu la soignes, elle. Au moins, elle ne vient pas avec des cafards dans les cheveux.
— Minerta ne vient me voir que pour ses soins de beauté mais je suis avant tout guérisseuse, Ménélas, j’oppose en allant chercher les plantes et pierres dont j’aurais besoin. Encore heureux que je soigne les mutilés se présentant à ma porte !
Il ne me répond pas, sautant sur une mèche des cheveux de la femme. Je grimace en réalisant qu’il vient d’écraser un insecte qui y courait.
— Si tu le souhaites, une fois réveillée, nous lui demanderons de prendre un bain.
Il acquiesce et je me penche sur la première plaie, la plus profonde. Arrosant généreusement celle-ci, je saisis un tissu que je plonge dans de l’eau cristallisée et la nettoie. Elle m’apparait plus nettement.
Je recule en voyant l’état de sa peau. Mes sourcils se froncent et je réalise que Ménélas, perché derrière la tête de la patiente, observe aussi la plaie.
Nous échangeons un regard inquiet.
— Tu vis dans la forêt depuis plus longtemps que moi, Ménélas… Tu sais quel genre de bête peut faire de tels dégâts ?
Il ne répond pas tout de suite.
Je n’en ai jamais vu. Mais les légendes que les loups racontent évoquent effectivement des griffures profondes qui laissent la peau boursoufflée et jaunie autour des plaies. Cela dit, les loups sont des crétins donc je ne suis pas sûr que nous puissions les écouter sur ce point. De toute façon, les canidés en général sont…
— Quel genre de créatures, Ménélas ? je le presse.
Il renifle l'air, sa frimousse se plissant. Puis, il observe à nouveau la blessure avant de me regarder.
Ils disent que ces créatures se sont échappées du Tartare.
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voici le deuxième chapitre
de cette nouvelle fanfiction !
je vous remercie pour
l'accueil chaleureux que
vous avez réservé au
premier chapitre !!
merci énormément !
merci pour vos conseils !
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