𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟑








𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄  1 3



















            JE NE SAIS s’il s’agit-là d’une tentative désespérée de garder la tête sur les épaules et ne pas sombrer dans la folie. Mais j’ai pris la décision de ne pas accorder crédit aux paroles du duc. J’ai la ferme certitude qu’il se plait à effrayer les autres dans un accès de méchanceté éhonté.

            Cependant, cette affaire est autrement plus grave que quelques blagues abandonnées au détour de conversation.

— Je ne sais si elle vient du Tartare et ne tiens pas à écouter vos élucubrations sur le sujet. Une créature a déjà fait cinq victimes sur vos terres. L’une d’entre elles va peut-être survivre mais nous n’en savons rien, je tonne. Il est urgent que…

— Huit.

            Je me fige, surprise par cette interruption. Les bras croisés sur sa poitrine, le duc observe la malade allongée sur un lit d’appoint. Le drap blanc forme un contraste avec sa peau hâlé qui a tout de même particulièrement blanchi.

            Mes sourcils se froncent.

— Huit ?

— Huit femmes ont présenté ces blessures. Sept d’entre elles sont mortes et une est celle-ci, insiste-t-il.

            Après un diner pour le moins animé, le duc m’a menée à l’infirmerie jouxtant son laboratoire pour s’enquérir de l’état de la patiente. Celle-ci semble en voie de rémission.

            Mais nous ne sommes pas à l’abris qu’elle fasse une crise cardiaque à son réveil, tout comme la première. Ou plutôt, la septième, à en juger les dires de l’homme

— Comment ça, il s’agit de la huitième victime ? Une plein d’autres femmes ont été tuées de cette façon et vous ne m’en avez pas parlée ?

            Un voile couvre les traits de l’homme qui se contente de grommeler :

— Je ne suis pas sûr d’apprécier votre ton. Je suis encore libre de décider à qui je fais part des affaires urgentes de mon duché et vous n’êtes sûrement pas en première position sur la liste.

— Je m’excuse du peu mais c’est quand même devant moi que ce sont échouées les deux autres victimes ! je rétorque.

            Son œil smaragdin se plante dans le mien, vorace :

— Ne vous inquiétez pas, j’en suis tout-à-fait conscient.

            Mes poings se serrent. J’entends nettement le sous-entendu de sa phrase à sa façon de grogner tel un animal. De toute évidence, quelque chose le préoccupe, dans cette affaire.

— Vous me croyez coupable ? je gronde.

— Non.

            Je me détends. Cependant, je suis surprise d’entendre sa voix se faire soudainement si douce. Le « non » a été déclaré dans un rire léger et il hausse les épaules avant de secouer la tête.

            Puis, s’éloignant de la malade, il marche quelques instants dans la salle, observant les rideaux couvrant les fenêtres ou même les ustensiles de médecine éparpillés sur les plateaux.

— « Croire » n’est pas le bon mot, ajoute-t-il.

— Je suis une druide ! Jamais je n’outrepasserais le pouvoir des dieux et me permettrais de sacrifier une de leur création ! Sauf si cela doit sauver le plus grand nombre ! J’ai prêté serment et vous le savez ! Si j’avais tué ces femmes, la colère de Némésis se serait déjà abattue sur m…

— Arrêtez de parler comme si les dieux se préoccupaient des actions des sephtis.

            Sa phrase est brutale, similaire à une claque que l’on m’aurait assénée sur la joue. Je ne réponds pas, me contentant de le foudroyer du regard.

            Cependant, lorsqu’il reprend la parole, il parvient à emporter ma colère aussi rapidement qu’il l’a créée :

— Ceci dit, ces harpies l’avaient bien mérité. Et je peux comprendre que vous leur ayez réservé ce châtiment. Je saisis moins pourquoi vous les sauver à présent, mais…

            Soulevant le drap blanc, je tente de dissimuler la chaleur de l’agacement demeurant en moi. Seulement ma surprise a déjà balayé ma rage.

            Tout en inspectant les blessures au ventre de ma patiente, je demande :

— Et puis-je savoir en quoi elles l’avaient méritées ?

— Allons, cessez de me prendre pour un imbécile ! Vous savez exactement qui sont ces femmes ! Ne les avez-vous pas examinées ? siffle-t-il.

            Mes sourcils se froncent et j’abandonne mon auscultation. Je ne saisis pas du tout le tournant que prend cette conversation. Il me semble qu’il me manque énormément de clés pour comprendre ce que le duc tente de dire.

            Il m’observe quelques instants. Ses yeux analysent mon visage et ses sourcils se haussent.

— Et bien, ça alors… Vous ne savez vraiment pas à qui vous avez à faire… Il ne s’agit pas d’un mensonge…

— Si monsieur avait l’amabilité de m’éclairer, je lui en serais gré, je chuchote avec impatience.

            Mesquin, un sourire en coin vient étirer ses lèvres. La lueur amusée traversant son regard lorsqu’il réalise qu’il sait quelque chose que j’ignore ne m’échappe pas.

            Bon sang, j’ai soigné les pires harpies des villages bordant ma forêt et jamais je n’ai été aussi agacée.

— Sa plante de pieds, finit-t-il par lâcher.

            Mes traits retombent brutalement. Non, ce ne serait quand même pas…

            Sans plus de cérémonie ni d’égard pour ma patiente, j’arrache le drap que je jette au sol. Puis, dans un geste colérique, je tranche les lacets nouant son soulier avec un scalpel et jette la chaussure sur le sol. Puis, saisissant son mollet, je lève sa jambe sans délicatesse et observe la plante de pied droite de cette femme.

            Le duc n’a même pas eu à préciser de laquelle il s’agissait. Je savais que c’était la droite.

            C’est toujours la droite.

            Ma gorge se noue en lisant l’inscription gravée au fer blanc. Ma main se crispe sur son mollet à tel point qu’elle y laissera sans doute un hématome. Un frisson parcourt mon échine.

— Je veux bien croire que vous n’en saviez rien, retentit la voix du duc dans le silence pesant. Votre silence et votre dégoût d’être venue en aide à une telle personne ne peuvent être f…

— Silence.

            Il ne dit rien sur le fait que je lui ordonne de se taire. D’autres m’auraient sans doute déjà égorgée.

            Lâchant sa jambe sans ménagement, le mollet heurte le cadran de bois du lit dans un bruit sec. Je me détourne de cette inscription. Mais je n’arrive pas à en oublier la forme.

            Pas quand tant de souvenirs y sont attachés.

— Voulez-vous rester un moment seul ? demande-t-il.

            Légèrement surprise, je le regarde. Ses yeux sont posés sur la femme. Une certaine noirceur danse dedans mais je ne la comprends pas vraiment.

            Non seulement il ne hait pas les sephtis, mais il semble même touché par ce qui nous est arrivé, il y a dix ans de cela.

            Sans même attendre ma réponse, il tourne les talons. Ma gorge est serrée mais, à l’instant où il atteint le seuil de la porte, je lance :

— Quel est votre signe astrologique ?

            Il s’arrête un instant. Il ne me regarde pas mais tourne légèrement la tête.

— Inutile de me poser des questions détournées, ma chère. Allez droit au but.

            Je ne me fais pas prier. Ce n’est pas la première fois que je lui pose cette question, de toute façon.

Etes-vous un sephtis ?

            Il m’a semblé étrange qu’un homme sachant qu’une sephtis vivait sur ses terres sans payer le moindre impôt la laisse faire. Puis, en me rencontrant, il s’est montré indifférent au fait qu’une sephtis mange à sa table, ce que la plupart des personnes ne peuvent même penser à cautionner.

            Et, maintenant, il regarde cette femme comme si c’était son peuple qui avait été massacré.

            Ses yeux se plantent dans les miens et sa pupille ne vacille pas un seul instant lorsqu’il lâche :

— Non. Je ne suis pas un sephtis.

            Il dit la vérité. Je le sais. Pourtant, il ne semble pas vexé. La plupart des gens se faisant accusés d’être un sephtis hurle et frappe de rage, furieux d’avoir été comparé à notre peuple.

            Tournant les talons, il disparait. Quelque chose le lie au sephtis, même si je ne sais pas de quoi il s’agit…

            « δικαιοσύνη », ça veut dire quoi, ce truc ? Et puis, ce n’est pas un peu long à graver sur le pied ? Ça doit faire super mal ! Y’a rien à dire, les humains sont décidément bizarres.

            Je n’arrive même pas à sourire face à la remarque de Ménélas.

δικαιοσύνη signifie Justice. Les femmes ayant servis aux côtés de Lycus durant la Purgation portent toutes cet emblème sur le pied.

            Avec Lycus ? Mais je croyais que…

— Sa Majesté Egarca Evilans a fait condamner Lycus pour crimes de guerre et génocides. Elle ne peut plus exercer en tant que cheffe des armées mais les femmes qui travaillaient pour elle, les « sisnasas » continuent de traquer et tuer des sephtis afin de « nettoyer » notre monde… Et elles portent toutes cet emblème.

            Une bulle enfle dans ma gorge.

— Lycus ne peut plus diriger d’armées mais elle est toujours l’une des prêtresses ancestrales, je raille. Rien n’a changé pour elle, elle est toujours aussi riche, puissante et épanouie… Et ses sbires continuent de tuer…

            Mes poings se serrent. Une larme coule sur mes joues.

— Mais il y a dix ans, Lycus, la femme morte dans ma chaumière et celle que tu vois là, accompagnée de dizaines d’autres, se sont rendues sur l’île où les sephtis étaient maintenus à l’écart et nous ont massacrés.

            Mon regard se pose sur la femme allongée. Elle semble paisible, prête à se remettre de ses blessures. Oui, elle donne la sensation d’être en voie de guérison.

            M’approchant d’elle, mes mains tremblent. Des larmes brillent dans mes yeux.

— Jamais elles ne comprendront ce qu’elles ont fait au sephtis. Jamais elles ne saisiront le sentiment d’être exclus, parqués dans des camps. Jamais elles ne réaliseront la peur qui nous est inhérente depuis le jour où elles sont venues nous chercher dans ces mêmes camps pour nous massacrer.

            Mes yeux se posent sur la pierre blanche figée entre ses clavicules. Du sélénite. Pour apaiser sa peur, ses troubles, sa terreur.

— Le repos est finie, sisnasas, je gronde.

            Sans même réfléchir, mes doigts se plantent dans sa chaire et arrache la pierre dans une giclée de sang. La patiente se réveille dans des hurlements de terreur. Mais je tourne les talons, quittant la pièce tandis qu’elle se débat, couverte de sang.

            La main posée fermement autour de la pierre blanche couverte d’hémoglobine, j’abandonne cette femme à ses cauchemars.

 



































voici le treizième chapitre
de cette fanfiction !

t/p a du mal à se
contrôler quand on
parle de certaines
choses...

j'espère que ça vous a plu !




















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