𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 𝟏
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LES ANCIENS DISENT que lorsque les dieux nous ont abandonnés, l’Ange de la Mort nous a couverts de ses ailes de corbeau.
Le panier d’osier posé sur l’herbe verte ne cesse de se remplir. A genoux dans les buissons, j’ignore les épines accrochant puis déchirant l’étoffe de ma longue tunique et persiste à me tordre dans tous les sens afin de cueillir la plus belle des pousses. Malgré l’obscurité omniprésente des branchages du hallier, je parviens à m’orienter. Mes yeux ne me sont d’aucune utilité mais je tâte avec attention chaque plante. L’une d’entre elles m’arrache un sourire victorieux. Je l’ai trouvée. Celle qui me faut. Malgré les ténèbres, poussée par l’habitude, je dégaine ma serpe d’or à la lame acérée et coupe la fleur.
Dans un soupir de soulagement, je me laisse tomber sur les fesses, jaillissant ainsi du bosquet. Les lueurs orangées du soleil déclinant filtrent à travers les feuilles des hauts arbres et me permettent de mieux contempler ma prise. Les pétales de l’ircanat, d’un rouge irisé, se referment délicatement en une pointe ornée d’une perle blanche.
— Regarde comme elle est belle, Ménélas ! Elle nous ferait presque oublier que son jus sert de remède aux diarrhées foudroyantes ! je m’exclame dans un sourire fier. Ménélas ?
Mes sourcils se froncent lorsque je regarde mon panier d’osier. Mon ami se trouvait allongé sur l’herbe verte et baignant dans les rayons du soleil quand je suis entrée dans le buisson. A vrai dire, depuis que je suis arrivée ici et ai commencé à cueillir des pousses puis les jeter dans mon cabas, il n’a pas bougé d’un poil.
Me levant, je regarde autour de moi. Mélénas est assez atypique et peu de personnes l’apprécient. Sa façon de disparaitre sans arrêt lorsque nous regardons ailleurs ou son air teigneux et condescendant y sont sans doute pour quelque chose. Pour ma part, cela ne m’a jamais dérangée. Alors d’ordinaire, je ne me formalise pas en le voyant filer en un battement de cils. Je sais, de toute façon, que lorsque je rentrerai dans la chaumière que nous partageons, il se trouvera déjà dans notre lit, dormant paisiblement.
Seulement, maintenant, quelque chose me déplaît, bien que je ne sois en mesure d’expliquer cet inconfort.
— Ménélas, où es-tu ? j’insiste en ramassant le foulard bleu dont je m’étais servie pour couvrir mes plantes et m’enroulant dedans. Quelque chose ne va pas ? Tu as besoin d’un remède ?
Un frisson parcourt mon échine. Mes poils se hérissent. Observant autour de moi, je ne trouve que des troncs d’arbres éparpillés en une forêt dense. Cette dernière m’est familière, je m’y rends chaque soir au coucher du soleil afin de ramasser quelques plantes et, lors d’heureuses journées bénies par les dieux, des pierres. Elles me sont utiles et le mot est faible.
A vrai dire, ces ressources me sont vitales.
Etant née sans pouvoir magique, contrairement au restant des mortels, j’ai dû renoncer à mon identité. Au cours d’une cérémonie, un sorcier m’a pris mon nom ainsi que ma date de naissance avant de m’envoyer croupir sur une île où le soleil ne brille jamais — Hélios a mieux à faire que de se balader près de cet endroit de malheur. Là-bas ne vivent que les personnes comme moi, les « sephtis » : des personnes « reniées par les dieux ».
Un beau jour et bien avant ma naissance, quelques crétins ayant sûrement trop bu ont pris la décision de rédiger un livre. Un volumen assez long pour couvrir les murs de ma maison plusieurs fois qu’ils ont savamment appelés Le Décret des Dieux. Au sein de ces lignes se trouvaient de nombreuses affabulations qui m’auraient fait rire, en d’autres circonstances. Mais l’une d’entre elles m’a condamnée à un destin des plus sombres.
« Loi Divine 456.
Les sephtis étant nés sans pouvoir magique, une conclusion peut en être légitimement inférée : ces créatures ont été reniées par les dieux et portent le signe du Mal en elles. Afin de ne pas fâcher les dieux ni contaminer les innocents, les sephtis ne devront pas vivre aux côtés des bons et justes humains. »
Ce simple paragraphe, je n’ai eu de cesse de le répéter. Je l’ai appris avant même de savoir lire ou écrire. Je le ressassais sans discontinuer, les larmes aux yeux, en grandissant. J’étais terrifiée et y pensais nuit et jour lorsque mes camarades lançaient leur premier sort et que je n’étais capable d’en produire aucun. J’avais réalisé que j’étais une septhis, une femme sans pouvoir magique.
Je savais qu’un jour, ils viendraient. Que leurs doigts crochus m’arracheraient à ma vie paisible et que je serais balancée sur cette maudite île où les gens de notre espèce sont parqués. J’avais conscience qu’il y aurait un avant et un après. Une vie paisible puis une où je ne serais plus qu’une sephtis, une fille reniée par les dieux, vivant loin du restant des Hommes.
Ce que j’ignorais, en revanche, était l’existence de l’entre-deux. Le passage qui marquerait la mort de la personne que j’étais et la naissance de celle que je suis devenue en posant pied sur cette île de malheur.
La cérémonie de l’Ash. Celle où, en quelques formules incompréhensibles, un sorcier m’a pris mes souvenirs, mon identité, mon passé. Je ne sais plus d’où je viens, quel était mon nom ni quand je suis née. Je n’ai que quelques bribes de ma vie d’avant.
A vrai dire, dans ma mémoire ne restent que les nuits que j’ai passé à pleurer, comprenant que je n’avais pas de pouvoir magique.
Ma gorge se serre. Je n’aime pas repenser à cette époque.
— Mélénas ! Dépêche-toi ! Nous devons rentrer avant la tombée de la nuit ! je hurle à tue-tête.
A présent, j’ai pu quitter cette île et m’implanter ici. Rares sont les personnes au courant de ma véritable nature. Les nobles des environs viennent se faire soigner dans ma chaumière, à l’abri des regards indiscrets. Mon secret est bien gardé. Je perdrais tous mes clients s’il venait à être découvert. Je vis au jour le jour, mon fier Mélénas pour seule compagnie.
Il est le seul que j’aime et jamais je ne cesserai de le faire.
— Mélénas, tes blagues sont toujours de mauvais goût mais celle-ci, plus particulièrement encore ! je m’inquiète, continuant de m’enfoncer dans cette forêt que je connais si bien.
— Ce Mélénas m’a l’air bien impoli. Laisser une jeune femme sans défense seule dans une forêt sauvage… Voilà qui est bien loin de l’idéal du chevalier.
La voix nasillarde qui vient de résonner appartient à un petit homme trapu au front proéminant. Ses sourcils broussailleux surplombent deux yeux enfoncés dans leurs orbites. Je réalise en le voyant qu’il est la raison pour laquelle je me sentais si inconfortable, depuis quelques instants.
Il devait m’épier, cacher derrière un arbre, se délectant de ma panique croissante.
— Puis-je vous aider ? je demande en ramenant mon panier contre mon torse, mal à l’aise.
Il me sourit d’un air mauvais. Je n’aime pas ce rictus. Ma gorge se serre et mes jambes me démangent. L’envie de fuir se fait pressante seulement je crains qu’il ne me rattrape.
— Effectivement, je pense que tu peux m’aider, lâche-t-il en respirant lourdement. A vrai dire, je suis venu ici pour te voir, ma chère druide.
— Un mal vous ronge-t-il ? J’ai dans ce panier de quoi soigner bien des maux. Permettez-moi de vous offrir…
— Non. Je suis venue te voir parce que les ragots de la ville disent que tu habites seule, n’est-ce pas ? Une pauvre petite chose sans défense en plein milieu de la forêt.
Mon cœur bat à tout rompre. Ce n’est pas la première fois que ce genre de scènes se produit. Certains hommes, dès qu’ils entendent la légende d’une femme vivant seule, perdue au milieu de nulle part, sentent leurs entrejambes les démanger. Ils songent qu’ils pourront lui rendre visite et que nul ne l’entendra hurler, dans l’immensité de la forêt.
La petite teigne se présentant à mon regard est donc loin d’être la première crapule pensant avoir dégoté l’occasion parfaite de soulager ses bourses que personne ne veut vider. Cependant tous finissent de la même manière.
— Pour votre bien, je vous recommanderais de vous en aller, j’annonce d’une voix ferme.
— Ah ouais ? rit-t-il grassement. Je comptais plutôt t’encourager à me montrer le chemin de ta chaumière. Vois cela comme un acte de gentillesse de ma part. Au lieu de te prendre sur ce sol comme une malpropre, je te laisserais le confort de tes draps.
Malgré ma peur, j’éclate d’un rire incontrôlé. Ses sourcils se froncent et il dégaine son couteau, réduisant la distance entre nous. Plus que quelques pas nous séparent.
— Tu crois que je rigole ? crache-t-il. Que je ne vais pas le faire ?
— Oh non, je sais que vous ne rigolez pas. En revanche, je sais aussi que vous n’allez rien faire.
A son tour de s’esclaffer, dévoilant sa bouche édentée. Je suis fort aise de me trouver si loin de son haleine que je devine pestilentielle.
— Ah ouais ? lance-t-il. Parce que tu crois que tu peux m’arrêter ?
— Moi, non. Mais lui, si.
Le bouseux n’a pas le temps de réagir qu’une masse marrone fend les airs, se projetant sur lui. Il pousse un hurlement que je me contente d’écouter, observant calmement la scène. Il engage une lutte contre la chose l’ayant attaqué, sans succès.
Les jambes du crétin battent vainement l’air tandis que quelques giclées de sang tapissent le bas de ma tunique blanche. Je pousse un soupir en constatant qu’une nouvelle fois, je vais devoir la laver.
Bientôt, il cesse de bouger. Ses cris se taisent et il tombe, immobile. J’observe sa gorge déchiquetée et ses yeux exorbités. A côté de lui, son assassin se tient, léchant ses babines.
— Ménélas, tu as encore sali ma tenue, je fais remarquer.
Le quadrupède ne m’écoute pas, se contentant de lécher sa patte imbibée de sang. Je ne peux m’empêcher de sourire quand, levant le coude, il poursuit sa toilette sur son ventre tigré. Il a toujours été obsédé par son hygiène. Je ne l’ai jamais vu assassiner un homme sans s’arrêter à côté de sa dépouille pour faire un brin de toilette. Cela ne m’étonne guère : les chats ont tendance à être très attentifs à cela. Parfois, je me demande si cela fait partie de leur gêne, que Gaïa a décidé qu’ils auraient les oreilles pointues, quatre pattes, une queue et haïraient la saleté
Quoi que cette description ne soit pas exacte. En effet, Mélénas est un chat forestier, une merveille indomptable aux oreilles légèrement arrondies, contrairement à ses cousins qui les ont en pique.
— Qu’étais-tu parti faire, au juste ? je demande tandis qu’il s’approche de moi.
M’accroupissant, je pose le panier au sol. Sans prêter aucune attention aux plantes dedans, il s’installe sur la verdure. Je ris doucement en l’entendant ronronner.
Il doit sentir l’herbe à chat que j’ai arraché spécialement pour lui.
— Allons-y. J’ai un diner à préparer et…
Prends le bouseux avec toi. Il sera mon diner.
— Mélénas ! je le rabroue violemment. Je n’amène aucun cadavre chez nous ! Te rappelles-tu les ennuis que j’ai eus lorsque tu as emporté un bras à grignoter sans que je ne le sache ? Je n’avais jamais été accusée de meurtre auparavant et je ne tiens pas à retenter l’expérience !
Mauviette.
La première fois que j’ai entendu Mélénas me parler, je n’ai pas compris qu’il était la source des paroles que j’entendais. Regardant partout autour de moi, j’ai fini par demander d’une voix timide si c’étaient les dieux qui s’adressaient à moi.
Quand la voix m’a traitée d’abrutie congénitale, j’ai réalisé que ce n’étaient sans doute pas les dieux.
Il parvient à me parler en usant de télépathie. Sa bouche ne remue pas mais il discute avec moi. D’après lui, il n’a jamais été capable de faire une telle chose avec un autre humain et, pour ma part, je ne parviens à communiquer qu’avec lui.
Les livres n’expliquent pas comment un tel phénomène peut se produire.
— J’ai quelques tranches de lards, si tu tiens tant à…
Cela fera l’affaire. Maintenant ramène-moi à la chaumière. Et au pas de course.
— Mélénas ?
Oui ?
— Descend de ce panier tout de suite avant que je ne te botte l’arrière-train.
Ses paupières s’ouvrent, dévoilant ses sclères vertes aux détails impressionnants. Il hésite un instant avant d’obtempérer. Je vérifie l’état de mes pousses. Elles s’en sortent plutôt bien.
Regardant Mélénas, je ne peux m’empêcher de rire face à la moue exaspérée qu’il tire.
— Si tu me dis « s’il-te-plait », je pourrais consentir à…
S’il-te-plaît.
Au moment où j’entends ces mots, il saute sur mon dos. Mes genoux ploient mais je tiens bon, habituée à son petit manège. Il se hisse sur mes épaules, son ventre posé sur ma tête et je commence à marcher.
Au bout de quelques mètres, il commence à fendre l’air de sa queue. Celle-ci, épaisse et touffue, vient se poser devant mes yeux à plusieurs reprises. Je soupire, sachant pertinemment qu’il le fait exprès.
— Mélénas, quand tu m’empêches de regarder, j’avance moins vite. Et si j’avance lentement, nous mettrons plus de temps à arriver et passer à table.
Mes excuses, ma chère.
Je pouffe de rire et franchis les derniers mètres me séparant du marais bordant ma chaumière. Franchissant deux chênes, j’esquisse un sourire satisfait en apercevant la bicoque envahie de végétation.
Ma maison.
— Nous y voilà, Mélénas ! Et avant le coucher du soleil, qui plus est !
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voici le premier chapitre
de cette nouvelle fanfiction !
j'espère qu'elle vous plaira !
ce projet compte énormément
pour moi !!
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