9.
On m'apporte à manger à la même heure que la dernière fois. Ce n'est pas l'homme qui boîte mais celui qui m'a emmené à l'étage quelques heures plus tôt. Il dépose un bol et quelque chose qui ressemble à un morceau de pain. Il récupère l'autre récipient vide. Il se relève et s'apprête à refermer la porte quand il se ravise et se tourne vers moi.
— Si tu dois aller aux chiottes, c'est maintenant ou vers midi, c'est clair ?
Je lève la tête vers lui.
— Histoire que t'ailles pas faire contre les murs parce que c'est pour moi la corvée de nettoyage.
Et sans attendre ma réponse, il claque la porte derrière lui. Par chance, je n'avais aucune envie pressante. Néanmoins, je venais de recueillir une information de plus et pas des moindres. Bien que mes blessures n'aient pas encore guéri, je ne perds pas mon objectif de vue.
« Je vais sortir d'ici ! »
Le numéro que ces hommes m'ont joué un peu plus tôt était censé me dissuader de tenter quoi que ce soit. Certes, j'ai cru que j'allais mourir, mais ce n'est pas le cas. Je n'ai pas peur de me battre. Je dois sortir à tout prix de cet endroit. Grâce à l'information que je viens de récolter, cela me laisse encore plus de choix. Je comptais tenter quelque chose le prochain soir où l'on m'ouvrirait mais, à présent, je sais que je peux aussi sortir dans la journée. Je cogite pour savoir quelle est la meilleure option.
〤
Je vois le jour se lever au fur et à mesure. La fraîcheur de la pièce ne m'inquiète plus. Mon corps semble s'y être plus ou moins habitué. Ce qui me préoccupe le plus à présent c'est la nourriture. J'ai dévoré le dîner qu'on m'a apporté depuis un moment déjà et j'ai toujours de terribles crampes d'estomac. Je sais que je n'aurai pas plus d'un repas dans la journée. C'est certainement pour m'affaiblir un maximum et c'est pour ça qu'il faut que je parte le plus vite possible, avant d'être trop faible pour pouvoir tenter quoi que ce soit. Je laisse passer la matinée. Je tente de ne pas prêter attention aux gargouillis de mon ventre.
J'entends alors des bruits de pas et bientôt la porte s'ouvre. Il doit être midi comme l'homme me l'avait dit. Je peux voir vaguement son visage et constate qu'il me regarde. Je ne bouge pas et baisse simplement la tête.
« Non, ça sera pour ce soir. »
Il récupère le bol et repart après un dernier coup d'œil vers moi.
Peu de temps après, j'entends un nouveau bruit. Ça ressemble à un moteur. Une voiture ? Le son me provient de l'ouverture. Je m'en approche tout en sachant que je ne pourrai rien voir.
« Oui ! C'est bien le bruit d'une voiture. »
Elle démarre et j'entends le bruit du moteur s'éloigner petit à petit avant de disparaître complètement. Le calme revient. Je me rassois de nouveau contre le mur faisant face à la porte.
« Cette fois c'est décidé. Ce soir, je me tire d'ici ! »
Je m'allonge sur le flanc droit et fixe la porte. Je refoule les questionnements et les doutes quant au plan que j'ai élaboré tout au long de la matinée.
« Je vais sortir d'ici ! »
Peu à peu, mes yeux se couvrent d'un voile et bientôt, je m'endors.
〤
— Tu sortiras, quand l'heure sera venue...
Je m'éveille. Mes yeux tombent sur cette même porte. Je reste allongé pendant encore quelques minutes puis me redresse. Jetant un regard vers la fenêtre, je vois le crépuscule arriver.
« C'est pour bientôt... »
〤
La porte grince, puis s'ouvre. La lumière blanche envahit la cave. Je me tiens sur le côté, prêt à foncer sur l'homme dès qu'il passera un pied. Seulement, au moment où je m'apprête à mettre cette pensée à exécution, je m'aperçois avec horreur que ce n'est pas le même qui entre. Non. C'est le masqué.
— Tu fous quoi, là ?
Il m'aveugle avec sa lampe torche. Me protégeant le visage de mon bras, je sais que l'effet de surprise est interrompu.
« Eh merde ! »
Puis une idée me traverse l'esprit.
— Alors ?
— Je... Enfin...
Prenant un air désemparé, je me mets à sautiller d'un pied à l'autre.
— T'me fais quoi, là ?
Me tortillant sur place cette fois, je fais mine d'avoir peur de lui.
— Oh putain, j'y crois pas. Tu veux chier, c'est ça ?
J'acquiesce avec de petits gémissements.
— Bon ça va, ça va ! fait-il avec un pas en arrière, dégoûté. Allez, amène-toi.
Je le suis jusque dans l'étroit couloir. L'homme marchant en tête, je peux rapidement le détailler.
Il porte une tenue simple composée d'un jogging et d'une veste en cuir. Son masque lui donne un côté impressionnant mais en réalité il n'en est rien. Il ne semble pas si imposant que cela. Il est de carrure relativement moyenne et ne me dépasse que de quelques centimètres. De plus, il ne semble jurer que par son arme, un combat à mains nues le mettrait à coup sûr en grande difficulté.
Tandis que je peaufine les derniers détails de mon plan de secours, je ne fais pas attention au fait qu'il ne me conduit pas à l'endroit où se trouvent les escaliers et la trappe. Nous avons pris la même direction, mais il s'arrête devant une porte avec un trou de serrure.
Je ne comprends pas et je le vois sortir de sa poche un trousseau de clés. Il cherche celle qui convient à la serrure devant lui. Baissant les yeux, je remarque alors son pistolet. Parfaitement en évidence, il suffit que je tende la main pour l'attraper. Il me tourne le dos et semble complètement absorbé par la recherche de la bonne clé. L'occasion est trop belle.
« Maintenant ! »
Je me jette sur lui. Seulement, il a de très bons réflexes. J'ignore comment il a fait, mais il a réussi à se décaler au moment où mes mains allaient se refermer sur le revolver. Dépourvu, je lui envoie alors une droite dans la mâchoire qui lui arrache un cri de douleur. Je l'ai eu, mais contrairement à ce que j'aurai pensé, il est toujours debout. Je tente un nouveau coup. Il le stoppe et malgré son masque je peux voir une grimace de rage déformer son visage. Dans ses yeux brillent une lueur terrible, cruelle.
— J'vais t'crever !
Avant même que je n'ai le temps de frapper de nouveau, je vois son poing s'approcher dangereusement de mon visage. Un choc violent au niveau de ma tempe entraîne ma tête sur le côté. Mon oreille siffle et déjà ma vue se brouille. Nauséeux, je m'arrache tant bien que mal à cet état second. J'ai juste le temps de tourner ma tête face à mon adversaire que de nouveau il m'envoie son poing en travers de la bouche. Cette fois, c'est tout mon corps qui est entraîné par le coup. Haletant, hébété, je titube pour rester debout.
Je l'ai sous-estimé. Il sait se battre. Il semble même y être habitué. Du coin de l'œil, je le vois s'avancer vers moi. Je pose mes mains sur mes genoux, à demi-courbé pour reprendre haleine. Puis, lorsque j'évalue qu'il est assez proche, je me redresse vivement et lance une nouvelle frappe vers sa tête. Il n'a aucun mal à l'esquiver et pour la troisième fois, son poing vient s'écraser avec force dans mon visage. À moitié assommé, je ne tiens plus sur mes jambes. Elles flanchent. Mais avant que je ne m'effondre, il me maintient et me balance plusieurs coups de genou dans le ventre. Je me retiens de vomir. À chaque coup l'air me manque. Je suffoque.
Après quoi, il me jette violemment contre un des murs du couloir. Je reste là, en position foetale, à gémir. J'ai mal. Ma tête tourne et je me sens faible. J'ai la nausée. Le goût amer de la bile et celui métallique du sang se mélangent dans ma bouche. Les larmes me montent aux yeux. À ce moment, je réalise à quel point j'ai peur...
— P'tit merdeux, commence-t-il en se massant la mâchoire, ça va être ta fête !
Je l'entends se rapprocher de moi et bientôt, ses pieds entrent dans mon champ de vision. Mon cœur cogne brutalement contre ma poitrine. Je tente de me lever, sans succès. La douleur et la peur me clouent au sol. Mon corps semble lourd. D'un bloc. Impossible à bouger. Même lorsque le masqué s'acharne en m'envoyant des coups de pied dans les côtes et tente de m'écraser le crâne. Je ne peux que me recroqueviller au maximum et mettre mes bras en bouclier pour protéger ma tête. J'encaisse les coups non sans pousser des gémissements et des couinements se rapportant davantage à une plainte animale qu'humaine. Les coups pleuvent et ne faiblissent pas. Ils semblent même redoubler de puissance.
« Assez... Assez... »
— Ça suffit ! ordonne une voix rauque.
Les coups cessent aussitôt. Le grincement des marches de l'escalier en bois résonne. Puis, des bruits de pas révélant une démarche claudiquante. Une odeur de cigarette vient se mêler à l'air humide et poussiéreux du couloir. L'homme qui boîte apparaît bientôt à quelques mètres de moi. Les larmes et le sang floutent ma vision. Néanmoins, je le vois prendre une bouffée.
— Pa... Patron, bafouille celui avec le masque, il a essayé de... enfin, j'ai juste voulu...
— Relève-toi, Mikaïl, dit l'homme d'une voix calme tout en expirant.
Je me redresse lentement, m'aidant du mur, les jambes tremblantes, la bave dégoulinant sur le menton, le corps couvert de sueur et de sang. Ma tête bourdonne et je n'ai plus aucune force. Je tremble. C'est un miracle que je tienne encore debout.
L'homme se rapproche en boîtant. J'ai peur. Horriblement peur. Car je sais que s'il veut me tuer, dans mon état, je ne pourrai pas me défendre. Il est proche. À présent. je peux entendre sa respiration. Elle est calme, parfaitement régulée tandis que la mienne est entrecoupée, haletante.
« Il va m'cogner... J'vais... J'vais mourir... »
Il se penche légèrement pour que nos regards soient au même niveau, comme il l'avait fait la première fois. Il me fixe de ses yeux sombres, dont la lumière du néon juste au-dessus de nous, ne semble pas y trouver son reflet.
— Tu l'as bien amoché, constate-il d'une voix sèche à l'adresse de son acolyte, qui à cette remarque, baisse la tête presque honteusement. Tu sais pourtant que c'est de plus en plus dur ces derniers temps d'en chopper sans s'faire coincer.
Puis, il reporte son attention sur moi.
— Ton regard a changé, reprend-il avec un étrange rictus. C'est bien, Mikaïl.
〤
L'eau est gelée. Mais ça fait du bien à mes blessures.
La pièce devant laquelle l'homme masqué m'avait conduit faisait office de sanitaire mais aussi de salle de bain. On m'a envoyé me nettoyer afin de me débarrasser de tout le sang que j'avais sur moi.
Je profite de ce moment sans me demander ce qu'il adviendra plus tard. Je ne sais plus trop quoi penser.
En dépit de cette douche, je porte toujours les mêmes vêtements maculés de sang et de sueur. Preuve qu'on ne veut pas vraiment mon bien. Cette fois, ce n'est pas l'homme masqué qui m'apporte à manger mais bien celui auquel je m'attendais. De toute façon, ça n'a plus d'importance... Je ne veux plus repenser à ce que j'aurai pu faire pour partir.
〤
Je mange la soupe du récipient avec le même morceau de pain en restant sur ma faim. Puis, je m'allonge en plein centre de la pièce. Les rayons passant à travers l'interstice pointent à peine l'aurore.
Je m'apprête à m'endormir quand j'entends une plainte. Je me redresse. Écoute. Cette fois c'est très clair, j'entends des pleurs. Ça ne vient pas de la porte, mais du mur. Je m'en approche.
« C'est impossible ! Je dois être en train de délirer... »
J'y colle l'oreille mais je n'entends plus rien. Je me recouche avec un soupir.
« Je savais que ça arriverait un jour. Eh bien, ça y est, je suis fou ! »
Soudain, les pleurs reprennent et muent en gémissements. Ils semblent si réels... Comme le cri...
— Il y a quelqu'un ?
Silence.
— Ohé ! Euh... Est-ce que... Est-ce que ça va ?
« Bah non ducon, tu parles à un mur ! »
Mais peut-être est-ce l'espoir ou que je me fais des illusions, je continue tout de même.
— Je... Je m'appelle Mikaïl... Et toi ?
— ... Rachel.
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