2.

   Le silence revient. Chargé. Lourd. Un silence à se crever les tympans à force d'écouter.

   J'ai cessé de crier après une ou deux minutes. Ça ne sert à rien. J'épuise le peu de souffle qu'il me reste. La ventilation de la pièce ne reposant que sur une petite fente, l'oxygène manque.

   Une boule se forme dans ma gorge. Plié en deux, les bras serrés contre mon ventre, je tente de réprimer les spasmes qui me secouent. Je reste ainsi, de nouveau adossé à la porte. Pendant près d'une demi-heure.

   Je ne pleure plus à présent. Les sillons séchés laissés par les larmes sur mes joues en sont la preuve.

   Je tremble. Mais ce n'est plus de peur. J'ai froid. La température ambiante est toujours aussi glaciale. La sueur trempant mon corps s'est transformée en un bain gelé. Grelottant, je vois mon haleine se transformer en une fumée blanche. Elle s'envole sous mes yeux formant de petits fantômes pâles et évanescents.

   Perdu. Je suis perdu. Je ne sais plus trop quoi penser. Je suis fatigué, épuisé.

« C'est sûrement à cause du froid. »

   Je voudrais bouger, changer de position. Mais je n'y arrive pas. Les membres de mon corps ne répondent plus. J'ai les jambes raides et les bras ballants. Mon esprit est brumeux. Mes paupières... lourdes...

   Je m'éveille en sursaut. Pourtant, seuls l'obscurité et le silence demeurent. Toujours.

   « J'ai dormi ? Combien de temps ? »

   Je lève mes yeux bouffis vers la minuscule fenêtre. Les rayons filtrés par l'interstice ont viré au rose orangé. La nuit ne tardera pas à tomber. À cette pensée, mon corps frissonne. Je serai alors dans le noir le plus complet.

   Dépourvu, je lance ma tête en arrière. Elle se heurte violemment à la porte juste derrière moi. Une douleur lancinante résonne dans mon crâne. Je l'enlace de mes bras, les yeux humides. Les dents grinçantes. Recroquevillé et gémissant comme un animal blessé.

   — Merde ! Quel con ! À quoi tu t'attendais, sérieux ?

   Mes doigts massent la surface endolorie avec des mouvements circulaires.

   — Ça fait mal !

   Soudain, je remarque quelque chose. Quelque chose, d'anormal. En parcourant l'arrière de ma tête, je rencontre une sorte de grosseur.

   « Une bosse ? D'où vient-elle ? »

   Je réfléchis. C'est alors que la mémoire me revient en partie. Je me souviens. Petit à petit. Morceau après morceau. Les pièces du puzzle s'assemblent, s'emboîtent entre elles. Reconstituant mes souvenirs.

   « Mikaïl... Je m'appelle Mikaïl. »

   Comment cela ne m'est pas venu à l'esprit plus tôt. Je suis dans cet endroit depuis plusieurs heures déjà, et jamais la question de mon identité ne m'a frappé avant. Je ferme les yeux. Me concentre sur ma mémoire fraîchement revenue. Mes souvenirs sont encore flous. Ils me reviennent éparpillés, comme des flash-back.

   « Mon nom de famille est Davy. Mon âge ? J'ai dix-sept ans. Non, dix-huit. Mon anniversaire date d'il y a trois jours. Le quatre septembre. Donc, aujourd'hui on est... le sept ? »

   Je ferme les yeux, toujours un peu plus fort. Comme si ma vie en dépendait.

   « Mais... Et si j'étais enfermé depuis bien plus longtemps que ça ? Peut-être un jour. Voire même deux... »

   La panique me reprend. Je m'efforce de respirer plus lentement. Il faut que je pense à autre chose. Ma main rencontre de nouveau la bosse sous mes cheveux.

   « Y avait-il quelqu'un avec moi... quand c'est arrivé ? Est-on en train de me chercher à l'heure qu'il est ? »

   Non, et je le sais très bien. Je n'ai plus personne depuis longtemps. Amis comme famille. Ils sont morts ou perdus dans l'immensité du monde. De sombres images me reviennent à l'esprit. Je secoue vigoureusement la tête pour les chasser. Mon passé. Je ne veux pas me rappeler de ça. Pas maintenant...

   « Comment ça s'est passé ? »

   Toute mon attention se porte alors sur cette question.

   Je plonge au plus profond de mes souvenirs. J'ai beaucoup de mal à visualiser les événements. Et s'ajoute à cela, la curieuse impression que certains de ces souvenirs ne m'appartiennent pas.

   « La seule chose dont je me souviens c'est d'une voiture. Non. Plusieurs. Puis, un parking. Et cette douleur affreuse, insupportable, à l'arrière de la tête. Une forêt, et... c'est tout. »

   Mes yeux s'ouvrent de nouveau sur cette cave vide et sombre. Étrangement, je suis déçu. Peut-être qu'au fond de moi je souhaitais que ce ne soit qu'un cauchemar.

   « Mais quel imbécile ! »

   Je souris.

   « Voilà que je parle tout seul maintenant ? »

   Je fais l'étonné, mais c'est ce que je fais depuis que je me suis réveillé dans cet endroit. D'aussi loin que je me souvienne, je me suis toujours parlé à moi-même. Je sais que je ne suis pas le seul dans ce cas. Beaucoup le font. Même si en général, les gens préfèrent garder ça pour eux, on les prendrait pour des fous.

   « Je deviens fou. Ou peut-être que je l'ai toujours été. »

   Je ne sais pas pourquoi, mais je sens une irrésistible envie de rire monter en moi. Trop de pression, trop de fatigue, trop d'émotions. Je craque d'un coup. Mon rire nerveux ricoche en cascade sur les murs de la cave. Je ne m'arrête que lorsque des larmes se mettent à couler de mes yeux...

   Je me lève et chancelle jusqu'à l'interstice. Désormais, c'est une couleur violette qui s'en échappe.

   J'ai beau être grand, je n'atteins pas l'ouverture. Rien n'y fait. Même en me hissant sur la pointe des pieds. La cave doit avoir une hauteur de plus de deux mètres. Je tends un bras désespéré à travers la fenêtre. Elle est juste assez grande pour y passer le bout de mes doigts. L'air frais de la nuit vient se mêler à celui de la cave. Mes poils se hérissent. Je tâte le terrain aussi loin que mon bras me le permet. Je le retire et le ramène vers moi. De la terre humide colle à mes doigts. Je les frotte entre eux. Je reste là un moment à les contempler, le regard vague.

   Je sens de nouveau la fatigue me gagner, et m'allonge au centre de la pièce. Je ne sais pas quoi attendre. Ni à quoi m'attendre.

   Je fixe toujours ma main, tendue au-dessus de moi. Comme si ce peu de liberté à laquelle elle a pu goûter, se propageait dans tout mon être à partir de l'instant où je la regardais. C'est stupide. Mais que puis-je faire d'autre ? Attendre. Patienter. Penser à des choses idiotes, insensées. C'est tout ce que je peux faire.

   Je me sens sombrer petit à petit. La vision de ma main se brouille. Mon bras tombe avec un choc sourd sur le sol et je sens la morsure des dalles glacées sur ma peau nue. J'ai froid. Encore. Mais je suis bien trop fatigué pour m'en préoccuper. Soudain, un bruit. Autre que ma respiration. Des crampes me tiraillent l'estomac. J'ai faim. Mais pour ça aussi je suis trop fatigué.

   « J'ai sommeil... »



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