ℭ𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟗
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LES ROBES COULEUR prune me donnent l’air revêche et mesquine. Je le réalise, maintenant que je regarde la reine. Ou plutôt, le simulacre de reine qui a revêtu mes traits, il y a déjà un mois de cela. Les sujets ont eu l’air de s’accoutumer au changement de monarque.
Pas moi.
Je dois avouer que la perspective de regarder ma personne siéger sur un trône sans que certains privilèges ne me soient accordés m’agace passablement. Mikasa a la gloire, les festins, le pouvoir et, je suis dans l’obligation de l’admettre… Eren. Si le prix à payer pour une telle vie est de porter le visage d’une autre, je me vois forcée de constater qu’elle s’en sort à bon compte.
Ma mâchoire se contracte. Je hais cette maudite peste de bas étage. Elle ne mérite guère plus qu’une solide claque administrée à l’arrière de la tête, assez pour la faire s’effondrer dans des escaliers. L’arrêt de son cœur n’entrainera pas aussitôt la mutation de son visage alors je n’aurais qu’à la cacher, le temps qu’elle redevienne Mikasa aux yeux de tous.
Puis, j’apparaitrais normalement à mon trône. Eren n’y verra que du feu. Quant aux autres, jamais ils n’ont imaginé l’éventualité qu’une usurpatrice ait pris ma place.
Seulement, si cette idée m’a longuement taraudée, j’ai fini par l’abandonner. Tuer Mikasa ferait du mal à Eren. D’abord, j’y ai vu là un plan de vengeance idéal. Puis, je ne sais quelle chose exactement m’a poussée à me sentir peu à l’aise à l’idée de le faire souffrir.
Il le mérite pourtant amplement.
J’ai cependant obtenu ce que j’avais cherché, au cours des dernières années : ma liberté. Alors pourquoi n’ai-je pu rester dans une campagne perdue ? A cause de l’ennui ? Balivernes. Façonner des armes, fomenter des complots, développer quelques nouvelles cordes à mon arc… Un rien pourrait me distraire. D’autant plus que nous nous trouvons à Camelot, le royaume de la magie.
Depuis fort longtemps déjà, j’aspire à développer quelques techniques. La confection de potions en fait partie ainsi que l’ensorcellement d’armes. Cependant, si j’ai passé les trois premières semaines de ma liberté à profiter de celle-ci, tout cela s’est vite vu recouvert d’une épaisse couche acre de lassitude rendant le buffet à volonté de la vie hors du château tout à fait immangeable.
Une femme portant mon visage est assise sur le trône. Elle tient la main de mon amant. Elle gouverne un royaume qui aurait dû me revenir.
Et, pire encore, elle le fait mal.
— Monsieur Hervé ? appelle soudain une voix claire et plutôt douce.
Je lève les yeux et les pose sur ceux, d’un bleu azur, d’Armin. Le blondinet a quitté sa cuirasse pour un pourpoint de noble qui sied davantage à la vie au sein du palais. Derrière lui se trouve une porte menant à la salle du trône. Il se tient debout dans un couloir rempli de paysans à l’air profondément crasseux et, parfois, ivres.
Mais l’homme qu’il regarde n’est autre que moi.
— Lui-même, je réponds d’une voix grasse.
— Le couple royale va vous recevoir.
J’acquiesce et me lève, tenant mon ventre arrondi rangé dans une large blouse grise, laquelle est centrée au niveau de la taille par une corde grossièrement nouée où est glissée un marteau. Sur mes épaules et ma tête, une cape beige se trouve, dissimulant mon visage rougie et boursoufflé.
Mes trois semaines pleine de liberté et d’apprentissage n’ont pas été inutile. Arrachant une touffe de cheveux à un paysan à qui j’ai prêté main fort, je me suis concocté une dose non-négligeable de potion de polymorphie — la même qu’utilise Mikasa actuellement.
— Je vous en prie, me lance Armin en ouvrant la porte.
— Vous êtes un brave petit.
Il sourit à mon compliment et j’entre dans la salle, bien plus éclairée que le couloir. Devant moi, un long tapis pourpre s’étend, formant une allée gardée par des chevaliers en armure, jusqu’à une estrade où se trouve deux trônes. Un seul est occupée. Celui du roi.
Eren est affalé dans son siège. Je ris intérieurement. Les séances de doléances sont des rites initiés par le roi Arthur lui-même. Il s’agit d’heures durant lesquelles le roi reçoit les paysans pour écouter leurs plaintes et tenter de les résoudre. Lorsque j’en avais parlé à Eren, il y de cela plusieurs mois déjà, il avait été outré que je les qualifie d’ennuyantes.
Pourtant, il semble à deux doigts de s’endormir, là.
Mikasa, en revanche, est debout. Droite comme un « I », elle le fait en signe de respect pour ses gens. Je me retiens de lever les yeux au ciel. Qu’elle se la joue fayote et première de classe passe encore. Mais qu’elle le fasse en utilisant mes traits est tout à fait inadmissible.
— Bonjour, Votre Majesté, je lance en me laissant tomber maladroitement à genoux. Et bonjour, à son écuyer aussi.
Mikasa se tend en m’entendant utiliser ce titre. Elle lance un regard à Eren qui sourit vaguement, visiblement amusé. Courroucée qu’il ne daigne prendre sa défense, elle crache d’une façon assez hargneuse :
— Je suis la reine, je vous signale ! Et non un écuyer ! Relevez-vous.
— Navré, navré, je réponds sans pour autant l’être.
La mettre en colère était presque trop facile.
Maintenant que je me trouve proche d’elle, je ne peux que confirmer ce que je me suis dit en la voyant passer en coup-de-vent dans le couloir, tout à l’heure. Cette couleur me va encore moins que l’atroce forme de la robe qu’elle a choisie.
Je pourrais presque avoir l’impression qu’elle cherche à m’humilier en parant mon corps de tels attirails.
— Puis-je savoir ce qui vous amène ici ? lance-t-elle en levant le nez d’un air assez hautain.
Je suis sûre que quand je prends l’air hautain, je n’ai pas l’air aussi stupide qu’elle en ce moment… Cette morue me pousse à détester ma personne.
— Mais bien sûr, vous le pouvez, vous le pouvez, je lance en hochant la tête.
Eren ne semble plus aussi ennuyé. Il laisse même filer un rire franc tandis que Mikasa semble outrée. A leurs yeux, je ne suis qu’un vieux paysan débile et maladroit qui ne se rend pas compte de son incorrection.
— Ce n’était pas une vraie demande ! cingle-t-elle en croisant les bras d’un air agacé.
— Fichtre alors ! Me voilà embarrassé !
Puis, fouillant dans le pli de ma cape, j’en sors quelques pièces de bronze. M’approchant, j’ignore les gardes qui se raidissent en me voyant franchir une distance entre moi et les monarques. Mais Eren leur fait signe de rester à leur place.
Je tends la main à Mikasa. Elle met quelques secondes avant de prendre les pièces que je lui tends. Interloquée, elle les observe et je recule de quelques pas.
— Pour me faire pardonner ! Tu as de quoi t’acheter une jolie poupée de cire ! Ma fille adore ce genre de bibelots. Ils coûtent un peu cher pour un paysan comme moi mais je ne peux rien lui refuser, tu comprends…
La mâchoire de la femme se contracte vigoureusement. Ses yeux s’écarquillent tandis qu’Eren éclate d’un rire franc et sonore. Il ne cherche même pas à dissimuler le dédain que lui inspire la « reine ».
— Je ne vous ai pas autorisé à me tutoyer ! Je suis la reine, je vous signale ! Peut-être quelques jours aux cachots vous aideraient-ils à vous en souvenir !?
— Ce brave homme te complimente, ne soit pas si revêche, lance Eren en se redressant.
— Me complimente !? Il m’insulte !
— Il déclare que tu lui fais penser à sa fille. Il aime visiblement sa fille. Voilà une façon bien particulière de déclarer son respect à sa souveraine !
Mikasa le toise à la manière d’un chat en colère.
— Ne me prendriez-vous pas pour une parfaite abrutie ? lance-t-elle en posant son regard sur son époux puis moi.
Là, le sourire amusé du roi fond comme neige au soleil. Il se tourne vers la femme et, les dents serrées, crache animalement :
— Et vous, auriez-vous oublié qui je suis mais surtout, qui vous êtes ?
Mes sourcils se haussent. Bien sûr, quiconque ignore la véritable identité de la femme debout à côté du trône ne peut décemment percevoir la menace sous-jacente. Mais, moi, je le fais. Un sourire carnassier étire mes lèvres.
Le brun se tourne à nouveau vers moi. Mais, dès qu’il voit le rictus déformant ma bouche, un éclair traverse ses yeux. Il semble surpris. Cela ne dure que quelques instants avant qu’il ne reprenne contenance.
Je me réprimande aussitôt. Si je veux passer pour un paysan maladroit, il est primordial que j’évite de sourire de façon si mauvaise en regardant la reine.
— Je vous en prie, expliquez-moi votre problème, propose le roi.
— Des brigands ont incendié ma ferme. J’aimerais réparation.
— Parce que vous croyez que le royaume a que ça à faire de payer pour les actes de barb…
— Accordé.
Mikasa se fige en entendant la réponse du monarque. Ce dernier se lève sans prêter attention aux protestations silencieuses qu’elle émet au travers de son regard atterré. Faisant un signe à ses soldats, il déclare haut et fort :
— Au cours de cette séance de doléances, six paysans ont évoqué des incendies. Je m’en vais consulter mon premier ministre pour savoir de quelles informations il dispose. Votre réparation, mon cher, sera payé de la main de ces brigands eux-mêmes une fois que nous les aurons trouvés.
— Vous partez ? Les doléances ne sont pas finies !
Eren jauge un instant Mikasa du regard.
— Vous semblez vous en sortir avec superbe, comme toujours.
Décontenancée, elle s’assoit sur son trône. Le brun me dépasse sans un mot. Je ne courbe pas l’échine en le voyant faire, lui manquant volontairement de respect. J’espère ainsi m’attirer son courroux, qu’il s’indigne en me voyant si impoli envers sa personne.
Mais il se contente de sourire.
Je me retourne lorsqu’il sort par une porte différente de celle que j’ai prise pour entrer. Là, Mikasa lance :
— Suivez-le. Il s’agit de la sortie de la salle du trône. Là-bas, un chevalier vous accueillera. Vous lui expliquerez le déroulé de la séance d’aujourd’hui, la décision du roi et il vous expliquera en détail les marches à suivre.
J’acquiesce. M’en allant, je l’entends soupirer :
— Vous n’êtes pas censé me tourner le dos, je suis la reine !
Je m’arrête dans ma marche, me figeant. Toujours dos à elle, je ne peux m’empêcher de laisser un sourire carnassier étirer mes lèvres lorsque, jetant un regard par-dessus mon épaule, je plante mes yeux dans les siens et demande malicieusement :
— Vraiment ?
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même moi j'ai
de la peine pour
mikasa mais...
bref, on dit rien
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