ℭ𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝐎























































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             LES TRAITS D’EREN sont tirés et son regard, inhabituellement sombre. La tendre candeur enjolivant naturellement ses traits a fondu. Comme à chaque fois qu’il pose les yeux sur moi. Mais cette fois-ci, sa haine n’est pas dirigée contre ma personne.

             Bien que ses mains soient fermes sur mes bras, je sens qu’il se retient de les serrer davantage afin de ne pas me faire mal. Me reculant, j’époussète ma robe avant de lui offrir un sourire moqueur.

— Allons quoi, petit ? Tu ne sais pas ce que font les adultes entre eux ? je susurre.

             Les hommes sont des voraces. De monstrueuses créatures dont nous pouvons tirer profit qu’en les manipulant.

             Eren est mon jouet et il le sait. Depuis notre rencontre, je le traite comme un marchepied. Croit-il sincèrement que je vais lui faire le plaisir de me montrer faible devant lui ? Que je vais éclater en sanglots et me réfugier dans ses bras ? Que je vais hurler et le supplier de tuer le grand méchant loup ?

             Ses sourcils se froncent.

— Vous sembliez plutôt effrayée, à l’instant, fait-il remarquer.

— Tu as dû me confondre avec ton propre reflet dans mes yeux. Je n’ai peur de rien et sûrement pas des petits êtres dans ton genre.

             Contractant la mâchoire, il regarde au loin, semblant se contenir. Malgré moi, mon cœur se serre.

             Ce qui s’est produit avec Erwin Ier m’a rappelé la raison pour laquelle je fais tout cela. La liberté. Je veux pouvoir fuir ce château, voguer à mes occupations, vivre comme je l’entends. Car, même si j’ai attiré le roi dans mes filets, mon pouvoir n’est que limiter.

             Et en refusant de céder à ses avances ce soir, j’ai perdu mes privilèges. Bientôt, il me fera jetée aux oubliettes.

             Je refuse d’être à nouveau enfermée.

— Accompagne-moi jusqu’à Mirta. Elle m’a demandé la lampe. Ensuite, tu pourras discuter avec le prince Moorath. As-tu parlé avec Onyankopon, comme je te l’ai demandé ? L’Impératrice Arnaise n’aura pas beaucoup de temps à nous consacrer.

— J… Mais…, hésite-t-il en observant ma toilette, visiblement atterré.

             Levant les yeux au ciel, j’agrippe son bras et le tire à ma suite. S’il se laisse faire durant quelques pas, il nous arrête bien vite, se défaisant brutalement de ma prise. Je me tourne alors vers lui, passablement agacée.

— Pourquoi vous êtes dans cet état ? demande-t-il.

             Mes muscles se raidissent.

             La sensation des bras du roi m’emprisonnant contre son torse me revient. La douleur de la morsure me traverse, paralysante. La panique quand il m’a projetée sur le large lit m’enlise à nouveau.

             Un spasme me parcourt. Mais je relève le menton, ne voulant lui montrer la moindre faiblesse.

— J’aime quand c’est sauvage. On peut passer à autre chose ou vous voulez regarder l’état de mes jambes, aussi ?

             Ses joues revêtent une teinte rose et il détourne brutalement le regard.

— Vous êtes insupportable ! crache-t-il. Moquez-vous de moi, allez-y ! Ça m’apprendra à me faire du souci pour un démon.

             Là-dessus, il me dépasse sans un regard. Je l’observe faire, légèrement décontenancée, tandis qu’il s’enfonce dans ce couloir obscurcit par la tombée de la nuit. Mon cœur se serre. Il est vrai que me moquer de lui était purement méchant.

             Mais je ne lui fais pas confiance. Alors je suppose qu’il n’aura plus qu’à recoller les morceaux de son égo brisé seul car j’ai mieux à faire.

— Alors, pour l’impératrice ? je demande en le rattrapant puis lui emboitant le pas.

— Elle n’accepte de me voir qu’en présence d’Onyankopon et lui seul, cingle-t-il.

             Mes lèvres se pincent. Il devra se passer de moi pour cette entrevue et cela ne m’enchante guère. Les hommes ont tendance à être bourrin et la diplomatie est généralement le cadet de leur soucis — cela explique d’ailleurs l’état des relations de Camelot avec les autres nations.

             Eren se tourne vers moi, semblant deviner mes pensées.

— Je respecte et connais le communauté Arnaise. L’ancienne amante de ma marraine l’était et j’ai été élevé dans ses traditions durant une bonne partie de ma vie.

— Voilà qui est rassurant.

             Enfin, nous nous arrêtons. Devant nous se trouve une porte de bois. Mirta siège dans l’une des tours mais, tout à l’heure, nous avons convenus de se retrouver dans ce placard à la tombée de la nuit afin de préserver une discrétion totale.

             Après tout, le roi peut aller et venir comme bon lui semble dans le château — y compris les appartements de la cartographe.

— Pour ce qui est de la reine Lylian, je lance en observant la surface de bois devant moi, …je pense que tu sais comment gagner ses faveurs.

— Vous vous foutez de moi ? Alors, parce que Mikasa est d’origine Lylian, elle peut m’ouvrir les portes du palais ?

             Levant les yeux au ciel, je soupire.

— Et dire que le futur roi est un abruti dont le cerveau ne dépasse par la circonférence d’une olive, je cingle.

             Me tournant vers lui, je le fusille du regard. Sans surprise, il soutient ce contact visuel, très peu ravi par mon insulte sur son intelligence.

Mikasa est une lylian à la cour de Camelot. Mirta est une moorath à la cour de Camelot. Onyankopon est un arn à la cour de Camelot. Adélaïde est une gibraskienne à la cour de Camelot. Tous se sont installés ici lorsqu’Erwin a pris le trône.

— Et alors ?

— Alors Erwin hait les étrangers plus que tout. La seule raison pour laquelle il a fait ça c’est pour pouvoir conclure des alliances politiques. Le roi Arthur était réputé pour ne pas faire de discrimination et, durant les premières années de son règne, il a tenu à renvoyer la même image, j’explique.

— Ça n’a pas duré longtemps, maugrée le brun.

— Tout ce que je vous demande de retenir est ceci : geste politique. Si la reine lylian voit que vous vous montrez très proche de la seule lylian du palais, elle aura tout intérêt à vous placer sur le trône ! Car la future reine de Camelot serait donc lylian !

             Les sourcils d’Eren se froncent.

— Vous êtes odieuse ! Vous me recommandez de manipuler l’une de mes plus proches amies pour que…

— Navré, je ne crois pas avoir demandé de pleurnicher, simplement que vous obéissiez à mes ordres, je cingle dans un sourire factice.

             Sa mâchoire se contracte violemment. Je peux tout de même le féliciter pour la retenue incroyable dont il fait preuve au quotidien. Beaucoup aurait cédé à leurs pulsions de violence depuis longtemps.

— Et puis, ce ne sera pas dur. Vous êtes déjà épris d’elle.

             Là-dessus, j’ouvre la porte. Mais je n’ai même pas le temps d’entrer dans la salle que la main d’Eren se pose sur la surface, la refermant brutalement. Le claquement résonne dans les couloirs. Il est juste derrière moi, son bras au-dessus de ma tête.

             Malgré ma surprise, je feins un profond ennui quand je me retourne.

— Qu’est-ce qu’il veut encore, le…

             Mais ma voix meurt dans ma gorge quand je constate notre proximité. Là, penché vers moi, seuls quelques centimètres nous séparent. Son torse sculpté frôle le mien habillé d’un corset, nos nez se touchent presque.

             Seulement il ne recule pas.

— D’où venez-vous ? chuchote-t-il.

— Je vous demande pardon ?

— Je sais que vous n’êtes pas de Camelot car vous êtes prisonnière de guerre mais jamais vous ne m’avez expliqué vos origines. Le démon d’Ak Ram Ka’han a sévi durant une guerre, il y a quelques années, mais celle-ci opposait un groupe de personnes non-identifiées à notre royaume. Pas une nation.

             Je déglutis péniblement. L’image du visage de marbre de mon empereur ressurgit dans mon esprit.

— Vous ne connaissez pas toutes les nations de la carte et la mienne ne peut rien vous apporter, je tonne entre mes dents serrées.

— Je suis pourtant assez doué en géographie, sourit-il sournoisement. Pourquoi ne pas vouloir aussi mettre votre peuple dans notre poche ? Est-ce lié au fait que vos propres soldats vous aient livré ? De quelle terre êtes-vous natives ? Pourquoi vous être battus contre nous ?

             Ma mâchoire se contracte. Ses questions deviennent trop personnelles et commencent à m’agacer. Ma nation n’est plus rien pour moi. Mon empereur m’a tourné le dos et ses opposants m’ont vendu à Camelot.

             J’avais des ordres, à l’époque. Je n’ai pas choisi d’agir de gaité de cœur. Jamais je n’oublierai le hurlement des hommes dans cette clairière.

— Mon peuple n’apparait pas sur les cartes et c’est tout à fait logique, je crache.

             Ma phrase vise à l’embrumer. Mais, à ma grande surprise, il écarquille les yeux.

— Car vous n’avez pas de terres… Vous êtes un peuple nomade, n’est-ce pas ?

             Je suis surprise qu’il connaisse l’existence de telle population. Les enseignants ont tendance à faire taire cette partie là de leur science, jugeant peu importante l’évolution de voyageurs éternels. Certains sont même prêts à renié le fait que nous soyons une nation, un peuple, avec des empereurs.

             Nous avions pourtant des terres, à une époque. Mais elles ont été perdues. Là est la raison pour laquelle le peuple des Voyageurs porte aussi le nom de Sans-Royaume.

             Notre situation politique est instable. Nos deux empereurs, l’Imperecea et l’Impereceo passent leurs temps à s’entretuer et les plus grands soldats parmi nous choisissent leurs camps. Olympe, Edward, la Louve, la Vipère… Ces personnes se sont rangées derrière l’Imperecea.

             J’ai été la seule à me placer du côté de l’Impereceo, devenant ainsi son bras droit. Mais il m’a abandonnée dans les geôles de ce château.

— Cette discussion est terminée, je gronde.

             Puis, le poussant brutalement, j’entre de force dans la pièce et ferme la porte derrière moi, profitant de l’obscurité du placard.














             Mais mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine.



























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             Mon cerveau ne cesse de chauffer tandis que je songe à la conversation que j’ai eu avec le Forgeron, tout à l’heure. J’ai longtemps cru que les peuples nomades n’existaient que dans les légendes. Mes quelques questions à mes enseignants étaient constamment balayées d’un revers de main et il me conseillait de me concentrer davantage sur les « empires bien réels ».

             Pourtant, d’après un grimoire trainant dans les étagères de ma marraine, le peuple des Voyageurs est particulièrement puissant et fort. Il a voyagé plus loin que n’importe quel autre nation et livré des batailles impressionnantes. Gouverné par deux empereurs, leurs douze plus grands soldats tiennent lieu de ministres.

             L’auteure de ces pages, Olympe Loreen, en fait partie.

             Songeant qu’il me faudrait remettre la main sur ce livre et le parcourir plus attentivement, je pousse la porte de ma rustique chambre. Dans un soupir, j’ôte ma chemise en lin avant de marcher jusqu’au lit en bois trainant au fond de la pièce.

             Mais un sursaut me prend quand, à la lueur de la lune filtrant par la petite fenêtre, je surprends une silhouette. Naturellement, j’empoigne la dague à ma ceinture mais mes muscles se relâchent rapidement quand je reconnais les contours de Mikasa.

             Ses joues rosissent quand elle détourne le regard. Me rappelant aussitôt de ma nudité, je ramasse ma chemise que j’enfile une nouvelle fois.

— Navrée, je ne voulais pas te déranger !

— Ce n’est rien ! je la rassure aussitôt en approchant.

             Une longue robe blanche l’habille. Cette tenue lui va à ravir, faisant ressortir ses courts cheveux ébènes. Elle me sourit, embarrassée.

— Tu dois te dire que c’est étrange, que je vienne dans ta chambre aussi tard dans la nuit…, minaude-t-elle.

— Oui mais tu seras toujours la bienvenue !

— A vrai dire, j’étais venue en début de soirée car tu rentres toujours à ce moment-là mais je ne sais pas pourquoi, tu as été plus long aujourd’hui.

             Ma mâchoire se contracte. Si j’ai été plus long, c’est à cause de ce maudit Forgeron mal élevé.

             Son visage me revient à l’esprit et mon cœur bat avec force tandis que mon sang bouillonne. Rien que de resonger à elle, à ses lèvres tout près des miennes, son souffle s’écrasant sur ma peau lors de notre dernière conversation, nos nez se frôlant…

             La chaleur est insoutenable. Ma colère me consume. Je voulais la pousser à bout en lui parlant de son peuple l’ayant abandonnée.

             Mais en resongeant à l’état de sa robe, je me sens merdeux. Car je sais pertinemment qu’elle m’a menti en prétendant avoir passé un moment torride. Seulement, ne voulant pas la pousser, j’ai préféré me taire.

             Et, au lieu de la ménager, j’ai cédé à ma colère après.

             Quel rustre je fais.

— Eren ? Tout va bien ?

             Levant les yeux sur la noiraude, j’intercepte son regard inquiet.

— Oui ! Beaucoup ! Tu voulais me dire quelque chose ? je lance à toute vitesse, tentant d’oublier le sombre sentiment s’emparant de moi face au visage de cette femme.

— Et bien, il se trouve que je dois des excuses au Forgeron…

             Mes sourcils se froncent.

— Je n’aurais jamais cru entendre ces mots franchir ta bouche, j’admets.

— Et bien, j’ai l’ai traitée de vile manipulatrice, lance-t-elle avec un regard gêné, je croyais qu’elle cherchait à te séduire alors que, au contraire…

             Là, un sourire étire ses lèvres.

— Elle m’a invité à manger à la table de l’Impératrice Lylian, demain. Elle y sera en tant que maitresse du roi et veut que tu m’accompagnes, moi. Pas elle. Que l’Impératrice voit que nous sommes proches l’un de l’autre !

             Ses yeux pétillent de malice. Elle n’a jamais particulièrement caché les sentiments qu’elle éprouve à mon égard. Tout comme j’ai toujours su lui signifier que ceux-là étaient partagés, bien que nous ne soyons encore qu’amis.

             Le sourire de Mikasa pourrait être réconfortant mais ma mâchoire se contracte sous l’effet de la colère. La noiraude croit à un geste d’amitié de la part du Forgeron mais il ne s’agit que de manipulation.

             Comme toujours.


















             Elle a eu tort de revenir sur ses paroles, finalement. Car cette femme n’est vraiment qu’une vile manipulatrice.


















































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