𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐗𝐗𝐗
A R T D U
— C R I M E —
UNE DOUCE PRESSION sur mon épaule me tire de ma torpeur. Fronçant les sourcils, j’ouvre les paupières avant de lever les yeux vers le visage se découpant devant moi. Livai me regarde, ses yeux glacés détaillant mes traits.
Dans mes bras se trouve Lila, blottie contre moi. Encore légèrement embrumée, je sourie à cette sensation. Jamais je n’aurais cru la retrouver un jour. Elle m’a profondément manquée.
— Tout va bien ? je demande, étonnée qu’il m’ait réveillée.
Acquiesçant, il caresse doucement la tête chevelue de sa fille qui remue dans mes bras. Une dense chaleur s’empare de moi en la sentant faire. Elle m’apaise et mon cœur déborde de joie au fur et à mesure des secondes s’écoulant à ses côtés.
Il chuchote :
— Je comptais juste préparer le petit-déjeuner pour Lila et…
Il hésite un instant. Ses yeux glissent sur le côté et des rougeurs teintent ses joues.
— Je me demandais si tu voulais quelque chose, murmure-t-il.
Je ne sais pas pourquoi cela me surprend. Après tout, hier, il m’a vue rentrer, en pleurs, et me jeter dans le lit de mon enfant. Il doit vouloir faire un geste pour m’apaiser. Et ce geste a aussi l’effet de me toucher.
Doucement, je repose la tête de mon enfant sur les oreillers puis, je me relève. Livai me suit tandis que je sors dans la chambre. Nous refermons derrière nous et marchons jusqu’à ma cuisine.
— Ne fais pas attention à ce que tu as vu hier, je gronde, embarrassée.
— Navré, poupée, mais je vais devoir te désobéir sur ce point.
M’arrêtant brutalement, je me tourne vers lui. Il fait de même. La chaleur qui était née en moi lorsqu’il m’a proposé de petit-déjeuner à ses côtés vient soudainement de fondre. Je n’aime pas qu’on se permette de désobéir à mes injonctions.
Mon regard noir ne l’impact pas le moins du monde. Haussant les sourcils, il continue à marcher pour atteindre la cuisine.
— La mère de mon enfant ne va pas bien, j’estime devoir savoir ce qu’il se passe.
— Tu estimes mal, je tonne tandis qu’il sort quelques paquets de biscuits du placard.
— Et pourquoi cela ?
— Nous ne sommes pas amants, Livai. Nous ne sommes même pas des exs, dans mon esprit, car je n’ai aucun souvenir de ma vie à tes côtés. Alors ne te permets pas d’exiger quoi que ce soit venant de moi.
Se redressant, il dispose les ingrédients sur le plan de travail. Face à moi, il pousse un soupir avant de me regarder. Ses yeux glacés sont inhabituellement doux. Plus aucun mépris ni agacement ne les habite.
— Toi, tu n’en as aucun souvenir mais moi, si.
Une dense chaleur m’enlise et mon estomac se contracte. Versant du lait dans une tasse, il entreprend ensuite d’y ajouter quelques ingrédients et poursuit :
— Il s’est passé beaucoup de choses depuis l’époque où je me glissais derrière toi pour poser mes mains sur ton ventre rond. Mais je n’oublie pas notre première rencontre, l’aspect de ton appartement rempli de toiles quand je te rendais visite, nos nuits ensemble ni la fois où tu as découvert que tu étais enceinte.
Mes sourcils se haussent et mon cœur bat plus rapidement.
— Raconte-moi.
Il me regarde, étonné.
— Comment je te l’ai dit ? Raconte-moi, s’il-te-plaît.
Les psychologues ont tous été limpides sur le fait que ce n’était pas l’effondrement de l’immeuble suie à l’explosion qui m’avait rendue amnésique, mais bel et bien un traumatisme. Mon esprit a sélectionné les souvenirs qu’il a effacés.
Cela explique pourquoi j’ai tout oublié de ma relation avec Livai. Y compris ce moment.
— Tu étais en train de peindre, comme d’habitude et je faisais du sport, à côté. Comme j’étais couvert de sueur, je suis partie prendre une douche. En jetant un mouchoir à la poubelle, j’y ai trouvé le test de grossesse.
— J… Je te l’ai pas dit moi-même ? je demande.
Il laisse voir un faible sourire.
— Quand je t’ai confronté, tu m’as dit que tu avais oublié « ce détail ». Déjà à l’époque, tu refusais d’admettre quand tu étais effrayée. Alors, au lieu de me dire que tu n’avais pas osé me l’annoncer de peur que je te laisse avec cet enfant adultère, tu as préféré me laisser le découvrir par moi-même, jeter le test là où je le trouverais à coup sûr…
Je déglutis péniblement.
— Et comment tu l’as pris ? Tu n’as pas été trop en colère ? Sous le choc ?
Ses sourcils se froncent et il me regarde, légèrement surpris.
— (T/P), je crois que tu ne comprends pas… Les choses étaient très différentes, à l’époque. Jamais je n’aurais pu être en colère pour ça, je…
Il semble hésité à trouver ses mots.
— Je t’aimais. Vraiment.
Ma gorge se serre. Les paroles de Sieg me reviennent. A deux reprises, des personnes à qui je tenais profondément et qui ressentaient la même chose que moi ont dû s’éloigner. L’un a compris que j’étais mêlée au meurtre de sa coéquipière et l’autre a été emprisonné par ma faute.
Des larmes embuent mon regard. Il le remarque. Mais il ne dit rien. Le silence se fait.
Et, comme s’il n’avait fallu que cela, entre nous, une simple discussion apaisée pour que notre méfiance disparaisse, je murmure soudainement :
— Je crois que j’ai assassiné l’ancienne équipière de Sieg.
Sous le choc, les épaules de Livai s’affaissent. Mais il ne dit rien, me laissant continuer.
— Et le pire, c’est que je n’en ai strictement aucun souvenir. Je… je ne sais pas ce que j’ai fait, avant de devenir le Corbeau Blanc. Et le Corbeau Blanc est une chimère, c’est une femme qui ordonne des actions depuis son piédestal, trop haute perchée pour réaliser que des gens meurent par sa faute. C’est… C’est quelqu’un qui…
Ma gorge se serre. Une larme coule sur ma joue. Etonnamment, Livai semble peiné de me voir ainsi. Il détourne les yeux, la mine sombre.
— Sais-tu ce qu’on fait aux traites ? je lance. Combien ils sont torturés avant d’être tués sans aucune once de pitié ?
Il acquiesce. Un rire triste franchit mes lèvres.
— L’Annuaire Rouge n’existe même pas, Livai ! J’ai créé ce mensonge par volonté de venger la mort de mon enfant ! Je comptais désigner les responsables comme membres de l’Annuaire Rouge, dire qu’ils étaient des policiers infiltrés afin qu’ils vivent les pires atrocités avant de mourir ! Je voulais venger mon enfant !
Peu à peu, les yeux de Livai s’écarquillent tandis que je parle. La légende de l’Annuaire Rouge a secoué bien des familles issues du milieu. Si tous sont prêts à mourir pour lui, nul n’est prêt à admettre qu’il n’est qu’un tissu de mensonges. Pas après tant de décès pour l’obtenir. J’ai moi-même risqué ma vie à maintes reprises, manquant d’être assassinée par des personnes le cherchant.
Mais je m’en fichais car je n’étais plus moi-même. Le Corbeau Blanc n’est pas un être humain mais un ange vengeur.
Et seuls les cieux comprennent la douleur que j’éprouvais.
— Je suis devenue un monstre quand j’ai cru Lila morte. Je ne me pardonnerai jamais pour mes actes, je murmure. Tout ça… Pour rien.
Lorsqu’il pose à nouveau les yeux sur moi, je détourne le regard, craignant d’y voir du jugement et de la dureté.
— Mais au moins, lorsque je me concentrais sur l’idée que la mort de mon enfant m’avait rendue comme ça, je parvenais à me dire que même si ce n’était pas pardonnable, c’était explicable. Alors apprendre qu’en réalité, j’étais déjà une tueuse avant… Que j’étais déjà un monstre…
— Tu n’es pas un monstre, me coupe-t-il brutalement.
Je lève enfin le regard jusqu’à lui et mon cœur se serre. Il ne semble pas dégoûté, au contraire. Une profonde empathie anime ses traits et, quand il marche doucement vers moi, je comprends qu’il ne me juge pas et ne le fera jamais.
Qu’il reste, quelque part, enfoui sous ces yeux de glace, un homme qui m’a aimée.
— Si tu étais un monstre, tu ne pleurerais pas, maintenant. Tu n’aurais pas honte… Je t’ai connue à l’époque, tu es entrée dans ce milieu car Foucault t’a forcée à peindre ces toiles. Et une fois qu’on approche le monde du crime organisé, on ne peut pas espérer s’en sortir sans se salir les mains.
— Mais j’ai fait tellement de mal, je murmure.
— Nous tous, (T/P). Cela ne veut pas dire que tu es condamnée à endurer le poids de tes actions.
Doucement, il se plante devant moi. Ses doigts attrapent mon menton et je frissonne à ce contact. Il louche sur mes lèvres avant de regarder mes yeux. Nos bustes se frôlent à chaque respiration.
— Sais-tu ce qu’Oscar Wilde disait ?
Mes muscles se raidissent soudain.
Cette voix… Cette question… Cette position… J’en suis sûre, ce n’est pas la première fois que je vis cela.
— « Chaque saint a un passé et chaque pêcheur, un avenir. »
Là, comme s’il n’avait fallu que ce murmure, mes sanglots s’apaisent et ma gorge se desserrent. Comme libérée d’un poids, j’observe les traits du noiraud tandis qu’il détaille les miens silencieusement.
Ses sourcils se froncent légèrement tandis qu’il semble réfléchir.
— Et, je parle en tant qu’homme qui a vécu à tes côtés et a appris à te connaitre, jamais tu n’aurais tué quelqu’un froidement. Les conséquences de tes actions en tant que Corbeau Blanc te font du mal et te rattrape maintenant que tu sais que Lila est vivante. Mais jamais, avant sa disparition et même après, tu n’aurais toi-même tué quelqu’un.
Sa main glisse sur ma joue et il caresse ma pommette.
— Raconte-moi.
Je prends une profonde inspiration, mal à l’aise.
— Sieg m’a fait écouter l’extrait de son micro. Elle était seule dans une ruelle. J’avais prévenu la police que Foucault se trouverait là-bas. Il savait que c’était moi car j’étais aussi celle ayant informé Sieg de comment… Enfin… T’enfermer.
Il acquiesce simplement, m’encourageant à continuer.
— Elle est tombée, a supplié de ne pas tirer avant de dire… « Corbeau Blanc » deux fois, je murmure. Et puis, il y a eu une détonation.
— Corbeau Blanc ? répète le noiraud. Alors que tu n’existais pas encore, à l’époque ?
— Elle l’a dit en coréen.
— « 하얀 까마귀 » ? demande-t-il.
J’acquiesce.
— Elle parlait bien ? Ou elle avait un accent ?
— Un accent.
— Et tu es sûr que c’est ce qu’elle disait ? Il n’y aurait pas une possibilité que tu sois induite en erreur par le fait que c’est ton nom ?
Mes sourcils se froncent et je me recule, préoccupée.
— Que veux-tu dire ?
— Ce que je veux dire est que la première fois que j’ai entendu les mots « 하양, 카마, 귀 », l’accent de mon interlocuteur était si peu travaillé que j’ai compris « 하얀 까마귀 ».
— Blanc, karma, oreille ? Mais ça ne veut strictement rien dire.
— Ne t’attends pas à une phrase cohérente de la part de quelqu’un qui prononce si mal les mots qu’on en entend d’autres.
Mes sourcils se froncent. Il soupire en passant une main sur son visage. De toute évidence, il sait quelque chose que je ne sais pas.
— Ce n’est pas le contenu, qui importe. C’est la signification. Hayang ne veut pas simplement dire blanc, c’est une ville de Corée dont est originaire Foucault. Le karma est un concept qu’il a invoqué à diverses reprises pour justifier ses meurtres, tout comme la loi du Talion. Et oreille… Cela fait référence aux espions.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— N’a-t-elle pas crié ces mots ? Tu m’as dit qu’elle les a prononcés à deux reprises ? déclare-t-il.
— Effectivement. Elle les a dits à toute vitesse. Comme pour convaincre l’autre de ne pas tirer.
— C’est parce que ces mots étaient un mot de passe. Les hommes de Foucault le prononçaient en prison, là où j’étais, pour se reconnaitre en faisant croire aux gardiens que cela signifiait « bonjour » chez les gangsters.
Mes yeux s’écarquillent.
— Attends… Tu es en train de me dire que Félicie travaillait pour Foucault ? Et que le soir où elle a tenu à aller seule là-bas pour le « coincer », c’était parce qu’elle allait en fait voir son complice ? je demande.
— Et, malgré le mot de passe, il l’a tuée. Si elle l’a répété si hâtivement, c’était pour le convaincre qu’ils étaient dans le même camp mais cela n’a servi à rien. L’autre avait déjà choisi de la tuer. Et plus tard, quand tu as pris pour nom « Corbeau Blanc », qui ne veut pas vraiment dire quoi que ce soit, tu t’es désignée coupable de complicité dans divers meurtres dont le sien. Car bien des rapports de police évoque cette formule dans l’arrestation de malfrats ou même dans des rixes en prison.
Ma gorge se serre. Il me regarde, préoccupé.
— (T/P), la personne qui t’a incité à porter ce nom est sans doute la même que celle qui a tué cette Félicie.
Mon estomac se retourne et ma gorge se serre. Une âme sombre m’a manipulée depuis le début. A mi-voix, je murmure son nom :
— Mikasa Ackerman.
2172 mots
chapitre des révélations...
j'espère que c'est clair 😅
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