𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐗𝐗𝐈𝐗










A    R    T       D    U
—      C      R      I      M      E      —


































             LE COMBINE DU TELEPHONE posé sur mon oreille, j’observe le sourire narquois qu’affiche Foucault, derrière le plexiglas. Le orange ne lui sied guère au teint. Mais il sait qu’il est en position de force si je suis ici.

             Ricanant, il m’imite et parle dans le boitier noir :

— Je t’écoute, que viens-tu demander aujourd’hui ?

— Sieg Jäger. Pourquoi tu as fait tuer sa coéquipière ? je demande d’une voix cassante.

             Un rictus étire ses lèvres.

— Tu aimerais le savoir, hein ? me nargue-t-il. Ou plutôt… Tu aimerais savoir si c’est toi qui l’as tuée ?

             Ce matin, en me réveillant après un marathon de films Disney avec Livai, j’ai décidé que tout cela ne pouvait plus durer. Je veux élever mon enfant, prendre mes distances avec le monde du crime et si mon anonymat au cours des années peut me permettre de m’éclipser telle une ombre, certains détails retiennent mon attention.

             Mon passé. Qu’ai-je fait, au juste ? Jusqu’à quel point je peux me pardonner ? Est-ce que je mérite de rester dans la vie de ma fille ?

Evidemment, quelqu’un qui appelle le Corbeau Blanc juste avant de caner, rit-t-il doucement, ça soulève des questions…

— Le Corbeau Blanc n’existait pas, à l’époque, je crache. Je veux savoir ce qu’elle voulait dire par ces mots.

             Il ricane.

— Bien sûr que si. C’est juste qu’à ce moment-là… tu travaillais pour moi.

             Je me raidis. Il fait la moue, moqueur.

— Pauvre petite chose… La voilà qui découvre que le grand méchant loup lui a donné naissance ! C’est moi qui aie créé le Corbeau Blanc et, même si tu t’es retournée contre moi, tu n’en reste pas moins une garce qui a fait de très vilaines choses.

             Mon sang se glace dans mes veines. Il aime l’idée de me tétaniser d’effroi et il y parvient presque. Mais il est hors de question que je lui laisse deviner les sentiments qui m’anime.

— Complexe divin ? Convaincu d’avoir tout crée, même ta Némésis ? Pauvre petit chou, tu me fais de la peine.

             Sans plus de cérémonie, je raccroche avant de me lever. Mieux vaut couper la conversation ici. Venir en ces lieux était inutile. Et si je m’attarde trop longuement à ses côtés, je lui donnerai l’occasion de m’attaquer sur bien d’autres plans.

             Dont Lila.

             Faisant un signe de tête au gardien, j’attends que la porte se déverrouille dans un bruit strident. Puis, sortant de la prison sans être arrêtée par qui que ce soit — lui comme moi avons des passe-droits dans ce genre de lieu — je m’arrête sur le perron de la prison.

             Une voiture attire mon attention. Ou plutôt, son chauffeur.

             Soupirant, je rejoins la berline noire garée et m’assied sur le siège passager. Sieg, assis derrière le volant, me laisse faire, silencieux. Un silence tendu s’installe dans la voiture. Je finis par le briser.

— Il n’a rien voulu me dire sur le décès de Félicie.

— C’est étonnant, cingle le blond avec sarcasme.

             Levant les yeux vers lui, je remarque sa main crispée sur le volant. Un soupir franchit mes lèvres.

— Je ne sais vraiment pas qui l’a buté. Mais effectivement, il y a des chances que ce soit moi. Alors fais-moi la gueule, Sieg, c’est simplement logique. Sache juste que celle que je suis aujourd’hui n’abattrai pas une policière.

— Vraiment !? s’exclame-t-il en me jetant un regard noir.

— Vraiment.

             Un rire sans joie et douloureux secoue sa poitrine. Mon cœur se serre en le voyant ainsi. Il ôte ses lunettes et pince l’arête de son nez.

— Elle est une criminelle traquée par le gouvernement, a organisé des règlements de compte mais a aussi un cerveau tel qu’elle a anticipé et même créé certaines catastrophes économiques ! Mais croyons cette âme pure quand elle déclare qu’elle n’aurait pas été capable d’abattre une gamine qui la suppliait de l’épargner !

— Sieg…

— NON ! NE PRENDS PAS CET AIR CONTRI POUR M’APPELER, N’AGIS PAS COMME SI TU ETAIS UNE VICTIME ! N’ESSUIE PAS TES LARMES DE CROCODILE EN MONTRANT QUE LE MONDE DEVRAIT AVOIR DE LA PEINE POUR TOI CAR TU ES SI MARTYRISEE !

             Je n’ai pas sursauté quand il a hurlé. Et je ne le fais pas quand il frappe le tableau de bord du plat de la main. Mais ma gorge se fait sèche et ma poitrine se contracte. Avant de le connaitre, cette partie de moi était morte.

             Cependant pour la première fois depuis que j’ai pris le nom du Corbeau Blanc, je me sens coupable. J’ai mal. J’ai de la peine pour lui. Je regrette.

             Je n’aime pas le voir dans cet état.

— SAIS-TU CE QUE CA FAIS DE SONNER A LA PORTE DE DEUX PAUVRES GENS EN PLEINE SOIREE ? D’ETRE ACCUEILLI PAR DES SOURIRES QUI FANENT EN REMARQUANT QUE LA FILLE HABITUELLEMENT DERRIERE TOI, PRETE A SAUTER AU COU DE SES PARENTS, N’EST PAS LÀ !? DE REGARDER UNE FEMME S’EFFONDRER ET UN MARI TE TOURNER LE DOS POUR ALLER PLEURER AILLEURS ?

             Ma gorge se serre. Quelques images des nuits passées à l’hôpital me reviennent. Mes mains tremblent. Mes yeux s’humidifient.

« Madame, j’ai le regret de vous annoncer que votre enfant n’a pas survécu. »

« Où est-elle ? Elle va bien ? »

« Madame, je n’ai peut-être pas été claire et veuillez m’en excuser mais votre enfant est décédé. »

« Son père l’a ramène quand ? J’ai son goûter dans mon sac. »

             Les mains de Mikasa saisissant les miennes tandis que j’ouvrais le cartable à l’effigie de Némo couvert de cendre.

« Madame, votre enfant ne reviendra pas. »

             Mes sourcils se fronçant.

« Si. »

             Sa tête se secouant.

« Si, elle doit revenir. »

« Je suis vraiment navrée, madame. »

« Vous ne comprenez pas, il s’agit de ma fille. »

             Le rire nerveux franchissant mes lèvres.

« Elle doit revenir. Je… Comment je vais faire, sinon ? »

« Toutes mes condoléances. »

« Non. »

« J’ai d’autres patients à voir mais je reviens vite. »

« En revenant, prenez un jus en brique, s’il-vous-plaît. Ma fille aime bien ça et elle en voudra quand on va se revoir. »

« Bonne nuit, madame. »

             Il cesse d’hurler, ses yeux se posant sur mon visage. Je réalise alors qu’une larme coule sur ma joue. Je l’essuie.

— Je suis désolée.

             Ma voix résonne comme un sanglot et, le temps d’un instant, j’en ai honte. Il doit le comprendre car, laissant filer un soupir, il glisse simplement la clé dans le volant et actionne le moteur.

             Je tourne les yeux, embarrassée.

— Tu n’es pas une mauvaise personne, lance-t-il. J’ai menti sur le coup de la colère. Parce que je voulais te blesser comme j’ai été blessée. Mais tu n’es pas…

— Qu’en sais-tu ? je lance.

             Doucement, il roule. Cela lui donne un prétexte pour ne pas me regarder. Il fixe la route et j’observe la tristesse embuer son regard.

— J’ai peut-être abattue cette gamine, moi qui me permettais de pleurer le décès de mon enfant. J’ai été à la place de ses parents. Alors hais-moi, Sieg. Je suis une mauvaise personne. J’ai infligé la pire douleur possible.

— Mais je connais celle que tu es, à présent.

             Ma gorge se serre.

— Le pire c’est que si j’ai tué cette Félicie, c’est pour la même raison qui m’a poussée à trahir Livai, je lance d’une voix étranglée.

             Mes poings se serrent.

— Pour protéger Lila. Et ça veut dire que, même si tu connais celle que je suis, aujourd’hui…

             Il me semble qu’un grand vide se creuse en moi.

— Je le referai si c’était à refaire.

             Il freine. La route est déserte. Cela ne gêne personne. Une larme coule le long de ma joue quand je le vois fermer les yeux, comme pour se contenir. Quand il les ouvre encore, ils sont rouges. Je tremble de peine.

             Il acquiesce finalement, comme épuisé.

— Je te comprends alors je ne suis pas en colère. Mais rien n’effacera la mort de l’amie. Rien n’effacera les années à me dire que j’aurais pas dû la laisser aller seule là-bas. Rien n’effacera la peine dans le regard de ses parents qui me hante encore. Rien.

             Je comprends. Alors, à mon tour, je hoche la tête.

— Et dire que si je t’avais invité dans ma chambre, ce soir-là, c’était pas pour te confronter mais pour me confronter moi-même.

             Mes yeux se posent sur lui. Les siens sont perdus dans le vague, songeant à mille et une choses qu’il ne dira point.

— J’ai menti car j’étais impressionné par toi. Mais tu n’étais pas qu’une amie.

             Mon cœur se serre tant que je peine à respirer.

— Je l’ai su quand je t’ai vu, sur mon paillasson. Tu allais bouleverser ma vie. Je l’ai compris quand tu as commencé ces analyses. Jamais je ne trouverai plus impressionnante. Je l’ai su quand nous avons discuté, dans le jardin de notre première demeure. Tu étais une ennemie telle que j’avais rêvée d’en avoir. Je l’ai su quand tu me l’as fait à l’envers pour le carnet, nul ne me ferait jamais sentir de telles émotions. Je l’ai su quand on a couché ensemble. Je ne désirerai personne d’autre aussi fort.

             Mes poings se serrent.

— Je l’ai su en te regardant dormir…

             Sa main saisit la mienne.

— Je suis amoureux de toi.

             Une larme coule sur ma joue. Et je sais pertinemment pourquoi. Nous n’estimons la valeur de ce que nous avons que lorsque ceci est perdu.

             Je sais que je l’aime aussi car je le perds.

— Mais t’aimer sera trop douloureux. Alors je vais me contenter de veiller sur toi. De faire semblant d’être ton ami, comme avant. Et peut-être que mon cœur s’en remettra.

             Doucement, sa main se pose sur ma joue. Il la caresse longuement, observant mon visage ravagé par la peine. Mes yeux se ferment et je murmure d’une voix étranglée :

— Si tu me pardonnes un jour, reviens.

             Les ouvrant à nouveau, je ne parviens qu’à distinguer les contours flous de son visage quand il secoue la tête de droite à gauche.

— Je ne reviendrais pas.

             Un hoquet me prend.

— Ton incroyable fille a besoin d’une mère et d’un père. Quelque chose me dit que vous aussi avez besoin l’un de l’autre. Alors laissez faire les choses. Tu m’oublieras en aimant Livai. Et je t’oublierai d’une façon ou d’une autre.

             Sans me laisser le temps de répondre, il pose un baiser sur mon front.

             Et je ne sais trop ce qui me prends quand, essuyant mes larmes et croisant les jambes, je lève la tête et annonce fièrement :

— Tu as raison.





















— Et tu ne sais pas à quel point ça me tue.






































             Lorsque je rentre à la maison, quelques minutes après, Lila dort encore. Alors, retirant mes chaussures et me glissant dans son lit, je la prends dans mes bras. Aussitôt, elle se blottit contre moi. Et, malgré ma peine, quand ses mains accrochent mon tailleur, je sourie.

















             Car si Sieg m’a bien fait comprendre une chose, c’est que le seul amour dont j’ai besoin est dans ce lit.



































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