𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐗𝐈𝐗
A R T D U
— C R I M E —
LE SOLEIL TAPE AVEC vigueur sur les rues blanches. Cela doit faire plusieurs heures que Livai s’est assis silencieusement derrière le volant et nous mène à la nouvelle planque. Même si lui et Sieg n’avaient pas prévu que je demeure en vie assez longtemps pour découvrir celle-ci, ils s’en accommoderont.
Et, quand je sens le véhicule noir aux vitres teintées ralentir, je réalise qu’ils n’auront sûrement aucun mal à me loger.
Regardant à travers la fenêtre, j’aperçois l’étendue du domaine. Sous les roues, le goudron de l’autoroute a laissé place à des pavés d’un rouge tirant sur le gris, usé par les allés et venus des passants. Mais il est tout de même réhaussé par la végétation.
Devant nous, une haie s’élevant sur quelques centimètres entoure le bac d’une fontaine. Au centre de celle-ci s’élève un premier étage constitué de figures de femmes tenant une coupole, sur laquelle repose des enfants en tenant une autre et ainsi de suite à plusieurs reprises. L’eau s’échappant de chacune de ses sculptures se verse dans une danse fluide dans les assiettes avant d’atterrir au bac le plus large sous la forme d’une étendue d’un bleu céruléen.
Quelques mètres derrière, la porte d’entrée de la villa est visible. Circulaire, elle est surplombée d’une arcade façonnée dans un style orientale. De chaque côté de celle-ci, deux palmiers forment un halo de bienvenu. Depuis les arbres s’étende d’autres bosquets entourant la villa.
Derrière l’arcade, d’autres parties de la demeure sont visibles. Une multitude d’ailes semblent se succéder, respectant toujours les mêmes tons — les murs sont beiges, les tuiles rougeâtres et les fenêtres, parcourus de motifs floraux.
Perdue au milieu de nulle part, ce lieu semble tout droit sorti d’un film.
— Je ne sais pas combien de temps on va rester ici, lance Livai en coupant le moteur. Mais c’est discret.
Derrière nous, la voiture du blond s’arrête. Je ne le regarde pas dans le rétroviseur, me contentant du son.
— Je peux te poser une question ?
Le noiraud ne répond pas, je considère cela comme un « oui ».
— Pourquoi t’as accepté une collaboration avec moi si tu es convaincu de ma culpabilité ?
Le miroir fixé au-dessus du pare-brise me renvoie son reflet. Je le vois nettement effectué un sourire en coin, ses lunettes de soleil dissimulant ses yeux et rappelant l’ébène de ses cheveux ainsi que celle de son tee-shirt.
De celui-ci jaillit d’ailleurs ses deux bras musclés et maculés de tatouages à l’effigie de son clan.
— Tu t’en ai doutée, je suis des ordres. Alors même si Sieg comptait se débarrasser de toi hier, je ne l’aurais pas laissé faire. Mon employeur te veut vivante.
— Ton employeur ? je répète. C’est moi ou il est juste un prétexte ?
Il ne répond pas.
— Pendant des années, tu m’as soupçonnée d’être responsable de la mort de ton père mais tu n’agis que maintenant ? Après avoir tant rongé ton frein, tu t’en prends à moi seulement aujourd’hui ? Et tu acceptes de suivre les ordres de ton gentil patron ?
Malgré la noirceur des verres de ses lunettes, je devine le vacillement qui a brillé, à l’instant, dans son regard.
— Je te l’ai dit, j’ai des ordres. Je ne comptais pas agir mais j’ai été engagé et…
— Tu mens.
Ma voix est froide, autoritaire. Sa tête se tourne vers le rétroviseur et nous échangeons un long regard en dépit de sa monture. Un silence s’installe durant de longs instants. Je sais qu’il tente de m’intimider, il doit réserver ce genre de contact visuel aux personnes lui donnant le plus de fil à retordre.
Mais cela ne suffira pas avec moi. Je suis le Corbeau Blanc.
— C’est trop personnel. Sinon tu ne te serais pas amusé à mentionner le nom de ma fille juste pour me torturer. Tu m’en veux salement, je suis même sûr que ça te pourrit, j’explique. Mais ça n’a rien à voir avec ton père. Depuis le soir de l’explosion les soupçons sont tournés vers moi pourtant tu n’as jamais cherché à m’atteindre.
Sa mâchoire se contracte.
— Si la raison de ta haine envers moi avait vraiment été la mort de ton père, tu me serais tombé dessus le lendemain de la tragédie. Tu n’aurais sûrement pas attendu qu’on t’emploi, n’aurais sûrement pas empêché Sieg de me tuer et tu aurais encore moins accepté de passer un accord avec moi.
Il évite mon regard à présent, faisant du mieux qu’il peut pour ne pas agiter furieusement la jambe et trahir son anxiété.
— Tu veux mon avis ? je lance.
— Non, mais je vais quand même y avoir droit, de toute façon.
— Tu sais que je n’y suis pour rien dans l’explosion de cette bombe. Mais ton patron, en t’engageant, t’as fait une autre révélation sur moi et c’est cette révélation qui t’enrage.
Son poing, laissé à l’abandon à côté de ses cuisses, se serre furieusement. Il croit visiblement que je ne le vois pas. Mais tout est limpide.
— C’était quoi la fameuse phrase déjà ? Ah, oui ! « Je ne réalise pas que le visage de celle qui a gâché ma vie est le vôtre. » Je suis bien curieuse de savoir de quoi il s’agit. Cela doit avoir un lien avec le fait que vous avez appelé votre équipe le Corbeau Noir.
Un léger rictus me prend.
— Le Corbeau Noir est un clin d’œil au Corbeau Blanc. Mais quand ton père est mort, je portais encore mon ancien prénom. Alors ce n’est pas à celle que j’étais que tu en veux mais celle que je suis devenue.
— Quel grand esprit de déduction, raille-t-il.
— Il fait de moi la personne la plus puissante dans cette voiture.
Mon ton est ferme et mon regard, droit. Je ne laisserai pas cet enfoiré s’imaginer qu’il peut se moquer de moi comme bon lui semble. Il ne fait que suivre les ordres de sa mère, j’ai bâti un empire à la sueur de mon front.
Et mon organisation a d’ailleurs écrasé la sienne.
— Tu es peut-être plus forte que moi…
Le bruit mécanique d’un cran de sécurité ôté retentit dans la voiture. Tête basse, il ne me regarde toujours pas. Ses yeux sont rivés sur le pistolet qu’il tient dans ses mains, sur ses cuisses. Son ton détendu en dit long sur son habitude de tenir ce genre d’engin.
— …mais nous sommes tous faibles de la même façon devant une balle, Corbeau Blanc.
Sans bouger la tête, il lève les yeux vers le rétroviseur, y croisant mon regard par-dessus ses lunettes de soleil. Ses yeux gris me font l’effet d’une décharge électrique. Cet homme m’en veut à mort et je n’ai aucune idée de ce qui peut le pousser à me garder en vie. Mais une chose est sûre, il ne compte pas me laisser respirer éternellement.
Puis, comme pour ponctuer sa menace, il m’adresse un clin d’œil.
ꕥ
La nuit est tombée sur le domaine. Assise sur les canapés de cuir bronze occupant le vaste salon, je ne songe pas à grand-chose. La découverte des lieux m’a occupé un temps. J’ai même constaté dans un rire que la décoration intérieure me rappelait la demeure de Gabrielle Solis dans Desperate Housewives.
Puis le calme est revenu. La maison s’est tue. Chacun s’est retiré dans une pièce sans m’adresser la parole.
— Une jolie femme vêtue d’une simple chemise, seule dans le noir a affiché une tête d’enterrement…, résonne soudain une voix. Manque plus que la musique de Pink en fond sonore et on a le clip show classique des films à l’eau de rose.
Me tournant, j’aperçois Sieg dans l’arcade marquant la jonction à l’entrée. Il n’y a pas beaucoup de porte, ici, chaque pièce semble ouverte sur une autre et approfondit la sensation de grandeur.
— Dis-moi, ma belle, à quoi tu penses ? lance-t-il en s’affalant de tout son long sur le canapé me faisant face.
— Dis donc, t’as vite abandonné ta colère, toi.
Il y a quelques heures encore, durant la nuit complète que j’ai passé dans le sous-sol de la galerie d’art clandestine, il a cru percer à jour le mystère de l’Annuaire Rouge. Et lorsqu’il s’est rendu compte que je m’étais joué de lui, j’ai bien cru que son cœur allait le lâcher tant il était furieux.
Mais, à présent étendu devant moi, une bière à la main, il ne semble même plus s’en rappeler.
— Tu es une collaboratrice, maintenant. Je fais avec.
— Je crois que j’arriverais jamais à te cerner, j’hausse un sourcil.
— Quel beau compliment venant du terrible Corbeau Blanc.
Son ton sarcastique ne m’échappe pas mais je n’y prête pas attention. Cette mésaventure a commencé par ma captivité et devient à présent un partenariat mais je n’oublie pas qu’il existe trop de zones d’ombre sur cette affaire.
En attendant que Mikasa réalise la traitrise d’Armin et vienne me chercher, je compte bien les éclaircir.
— Pourquoi vous en voulez autant à Foucault ?
Il ne répond pas tout de suite, observant l’étiquette de la bouteille de verre figée dans sa main. Puis, sans un regard pour moi, il passe son avant-bras derrière son crâne et pousse un long soupir.
— C’est un criminel, c’est tout. Je veux le coffrer.
— Vous ne lui en voulez pas de la même manière que les autres criminels.
Un silence prend place durant lequel il hésite à se confier. Vient finalement le moment où il doit se dire qu’il ne perd rien à raconter une histoire si insignifiante pour un cœur froid tel que le mien.
— Il y a quelques années, j’ai gagné une putain de réputation en faisant tomber toute une partie d’un gang très influent.
— Celui de Foucault ?
Il rit avant de secouer la tête.
— Non, pas du tout.
Ses yeux se posent sur moi à travers ses lunettes. Il ne veut rien manquer de ma réaction.
— Le clan Ackerman.
Ne voulant lui donner satisfaction, je demeure stoïque. Il ne semble pas s’en formaliser, et, se tournant à nouveau vers le plafond, poursuit son récit :
— J’ai fait tomber une vingtaine de têtes grâce à l’aide d’une collègue. Une petite jeune qui venait tout juste d’arriver et qui s’était trouvée une indic bien installée. Un soir, peu de temps après cette arrestation de masse, j’ai décidé de relancer l’offensive. Histoire de choper le reste.
Posant sa bière sur le sol à côté de lui, il inspire profondément.
— J’étais planqué dans un van et notre indic avait un mot de secours. Elle l’a utilisée. Ma collègue a tenu à se rendre sur les lieux. Foucault lui a collé deux balles dans le dos.
Un rire sans joie le prend.
— Notre indic nous a doublé. Et Félicie est morte.
— Pourquoi l’a-t-il prise pour cible ? je lance en ne compatissant pas intentionnellement, sachant que cela vexera plus le blond qu’autre chose.
Il hausse les épaules.
— C’est ça, le plus drôle. Félicie était flic depuis deux mois. Moi j’étais un agent du FBI. De nous deux, ma tête était celle qui valait le plus cher. Il a dû se contenter d’abattre ce qu’il trouvait.
— Ce n’est pas dans le genre de Foucault.
— Je suis d’accord. Mais c’est quand même la version que j’ai dû servir aux parents de la gamine de vingt piges qui s’est faite exécuter dans un parking miteux.
Aucune larme ne brille dans ses yeux mais je devine son émotion.
— C’est pour ça que tu fais plus équipe avec qui que ce soit ?
— Perspicace, raille-t-il simplement en retour.
Je ris faiblement. Cependant le son semble forcé. Non seulement, malgré ma carapace, l’histoire de cette pauvre enfant assassinée me peine — d’autant plus que Sieg a mentionné une conversation avec les parents de celle-ci. Mais mon attention est d’autant plus marquée par les actes de Foucault.
Pourquoi avoir abattu cette simple fillette ? Tout comme pourquoi j’étais là-bas avec Lila, le jour où ce putain de parking a explosé ?
L’un des débris m’a percuté en pleine tête et j’ai été plongée dans le coma un mois après cela. A mon réveil, la rééducation a été compliquée. J’ai peiné à réapprendre à marcher, ai longtemps butté sur certains mots et ai même cru perdre mon talent en peinture.
Mais j’ai su rebondir, me suis réappropriée mes pinceaux et suis même devenue encore meilleure, passant d’une artiste acceptable à une faussaire hors-pair.
Cependant les zones d’ombre de mon passé demeurent trop nombreuses. Je suis amnésique.
— Parlant de ce fils de pute, résonne soudain une voix dans mon dos.
Livai est debout dans l’encadrement de la porte, une cigarette coincée entre les lèvres.
— Ça, c’est ce que j’appelle un but contre son camp.
Le noiraud ignore ma remarque, son regard se faisant encore plus sombre qu’à l’accoutumée. Et je comprends à son air professionnel qu’il n’est pas vu discuter de sujets anodins.
— On va aller trouver cet enculé et récupérer ce qu’il m’a pris.
2152 mots
hey hey je reviens après une
courte pause
j'espère que ce chapitre chill
vous aura plu
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