𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐗𝐈𝐈𝐈











A    R    T       D    U
—      C      R      I      M      E      —






























             ASSISE SUR LE LIT trônant dans ma nouvelle chambre, je patiente silencieusement. Mon regard est rivé en direction du mur me faisant face où s’étend un large tableau. Lui aussi est de Fragonard. Le Verrou. Ou, comme j’aime à l’appeler, le consentement.

             Sur la toile, un homme et une femme sont visibles. Leur portrait diffère en fonction du regard posé sur eux. Tantôt, nous pouvons voir un couple passionné s’étreignant, fermant en toute hâte le verrou afin de se jeter dans le lit pour se livrer à quelques plaisirs charnels. Tantôt, depuis un autre point de vue, est visible une femme se débattant contre un agresseur, tentant d’ouvrir le verrou qu’il vient de fermer.

             Je n’ai jamais apprécié ce tableau. Depuis mon premier coup d’œil en sa direction, il m’a envahi d’un profond inconfort, une sensation particulièrement déplaisante au cœur de laquelle je me sentais prisonnière. Tant et si bien que, malgré les prix qui m’ont été proposé, jamais je n’ai accepté de la reproduire.

             Pas une seule fois.

             Cette toile n’a pas connu et ne connaitra pas le privilège de se voir recopier par mes doigts et pinceaux habiles. Qu’importe, j’ai pu obtenir davantage de profits ailleurs. Et ceux-là m’ont d’ailleurs permis de construire mon empire.

— La vue vous plait-elle ? retentit une voix depuis le seuil de ma porte.

             Un sourire me prend et je baisse la tête. Sieg Jäger. Evidemment.

— Cette toile me gêne, je réponds simplement.

— Pourtant il s’agit de l’original, souligne-t-il.

— Là est justement le problème.

             Je lève les yeux en sa direction. Il est adossé à l’encadrement de la porte, un rictus malicieux étirant ses lèvres. Ses yeux plissés provocateurs me jaugent, l’espace de quelques instants. Je sens ses pupilles scanner mon visage puis mon corps assis.

             Un léger rire le prend.

— Un problème, agent Jäger ? je demande d’une voix douce et mélodieuse.

— Aucun.

             Il se montre détaché, calme. Pourtant, il ne parviendra pas si aisément à me faire oublier la ferveur avec laquelle il m’a parlée, tout à l’heure, l’animosité dans ses gestes quand il m’a saisie.

             Je ne comprends peut-être pas sa façon étrange de fonctionner. Mais je me fais la promesse de l’observer minutieusement, à l’avenir.

— Que faites-vous ici ? je finis par demander, déjà lasse du petit jeu qu’il essaye d’instaurer entre nous.

— Je suis venue vous guider jusqu’à la salle à manger et aussi m’entretenir avec vous d’une future réception.

             Mes sourcils se haussent. Mon intérêt a été piqué. Je doute qu’ils puissent envisager de tenir une réception en ce lieu trop reculé pour faire venir la moindre personne. Cela signifie qu’elle se déroulera ailleurs. Avec ou sans moi.

             Dans les deux cas, je pourrais en profiter pour m’enfuir. Soit en leur faussant compagnie au détour d’un cocktail. Soit en me glissant au travers des passages secrets que doit renfermer cette bâtisse et que je trouverais aisément, profitant de leur absence.

— Une réception ? je répète simplement en haussant légèrement un sourcil. Et en quel honneur ?

— Le vernissage d’une de vos œuvres.

             Mon souffle se coupe brièvement dans ma poitrine. Je m’efforce de feindre l’indifférence. Tout de même, il me faut quelques instants avant de parvenir à me repositionner convenablement sur le lit, prise au dépourvue.

             Une de mes œuvres ? Cela signifie qu’Armin en aura volé dans mon atelier, ce qui n’est pas très compliqué compte tenu du fait qu’il en a les clés. Je fais de mon mieux pour ne pas penser à sa trahison. Car à chaque fois que celle-ci me vient à l’esprit, mon sang se met à bouillir dans mes veines et l’envie de lui en coller une magistrale me prend.

             Mais une question demeure, néanmoins. S’ils comptent vernir publiquement mes œuvres, cela signifie-t-il qu’ils vont révéler mon identité au grand jour ?

— Mes œuvres sont des copies, je fais tout simplement remarquer.

— Là est justement la raison pour laquelle cette réunion sera clandestine.

             Mes sourcils se haussent. Il fait un pas dans ma chambre, se décollant de l’encadrement de la porte et dévoilant le verre large de whisky qu’il tenait au bout de son bras dissimulé.

             Son autre paume vient se glisser dans sa poche.

— Votre réputation est telle que vos copies s’achètent parfois plus chères que les originales.

             Mes traits retombent aussitôt. Cette simple phrase m’a permis de réaliser où cet abruti comptait en venir. Et il est absolument hors de question que je les laisse faire une telle chose. Je suis même décontenancée à l’idée que, eux, ait pu envisager cela.

             Surtout après le discours d’Ackerman sur les cadavres que laissaient dans mon sillage certaines de mes œuvres.

— Mes seules copies s’achetant plus chers que l’originale sont le Cauchemar de Füssli. Et vous savez très bien pourquoi, je gronde.

— En effet, susurre-t-il avec malice en m’approchant.

             Je le fixe tandis que ses pas réduisent de seconde en seconde la distance entre nous. Je ne me sens pas bien. Tout cela ne me dit rien qui vaille. Je n’apprécie pas ce qu’il se passe maintenant.

             Eux qui ont, à l’origine, semblé si sensibles aux victimes liées à l’Annuaire Rouge semblent prêts à laisser celles-ci se multiplier.

— Ne vous inquiétez pas, Corbeau Blanc, lance-t-il en s’arrêtant devant moi. Nul parmi nous ne dévoilera votre identité.

             Je garde la tête haute malgré sa présence imposante. Il est debout, à quelques centimètres de mes genoux. Je suis obligée de tordre mon cou pour le voir et il me fixe de ses yeux perçants depuis sa hauteur.

             Sa large main vint soudain saisir ma mâchoire que je contracte, fixant mon regard sur lui.

— En revanche vous savez pertinemment les dangers que représentent ces copies pour le monde.

             Mes poings se serrent. Physiquement, je ne pense pas pouvoir gagner un combat à mains nues contre lui. Mais mon envie de le frapper me démange.

— Après tout, il me semble que des bouts d’Annuaire ont été abandonné sur toutes vos copies de ces œuvres et il en existe vingt-quatre en tout. Organiser un vernissage de l’une d’entre elles et donc effectivement… risqué.

             Je ne réponds pas, ne voulant trahir quoi que ce soit de mes pensées et de la vérité. Mais intérieurement, je fulmine.

             Comment ont-ils pu savoir ce que je n’ai jamais dit à personne ?

             Sa main demeure sur ma mâchoire, ferme et tenace. M’efforçant de ne rien laisser paraitre de mon trouble, je le fixe avec ardeur. Mais il semble deviner mes tourments intérieurs et laisse un léger rictus étirer le coin d’une de ses lèvres.

             Je lutte contre l’envie de lui refaire le portrait, à présent.

— Vous savez que vous êtes une femme particulièrement belle ? demande-t-il, me fixant de ses yeux légèrement plissés derrière ses lunettes.

— Oui.

             Si cet abruti pense pouvoir me prendre au dépourvu à l’aide de phrases aussi stupides, il se fourre le doigt dans l’œil. Qu’il me vante mille et une qualités, je demeurerai droite et fière, intangible.

             A présent et je le sais, l’avenir de mon empire se joue. Et ce ne sont sûrement pas quelques compliments maladroits qui me feront oublier cela.

— Et votre confiance en vous n’ajoute que plus de valeurs à votre charme.

— Taisez-vous.

             Ma voix est grondante. Il y réagit dans un gloussement, ce qui ne me donne que davantage envie de l’étriper, d’autant plus quand je le vois porter nonchalamment son verre de whisky à ses lèvres.

             Quel abruti, décidemment.

— Plus le temps passe en votre compagnie, plus je réalise pourquoi Armin vous a épousée. En revanche, les raisons qui l’ont poussé à vous quitter, elles, me semblent très obscures et je crois que jamais je ne parviendrais à le comprendre.

             Un sourire venimeux arque mes lèvres. Il garde sa main sur ma mâchoire et me sent faire ce mouvement. Alors, reposant les yeux sur moi, il observe avec attention cette nouvelle expression faciale.

             J’ai su susciter son intérêt.

— Attendez un peu que je m’immisce dans votre vie et vous réaliserez.

— Je n’ai pas de fiancée ni de personne à qui je tiens particulièrement, souligne-t-il en haussant un sourcil. Vous ne pourrez pas me faire de mal en tuant simplement la première venue.

             Un gloussement me prend.

— Et qui vous dit que je tue ou ai même déjà tué pour arriver à mes fins ?

             Sa main s’adoucit sur ma mâchoire, arrêtant de la saisir. Puis, la lâchant entièrement, il recule de quelques pas, tournoyant sur lui-même pour observer les lieux avant de reposer le verre sur ses lèvres charnues.

             Une gorgée plus tard, il déclare :

— Je n’aurais qu’un mot à répondre à votre question.

             Ses yeux s’abaissent en ma direction, joueurs. Il sait pertinemment ce qu’il est en train de faire et n’en craint pas les conséquences. Un rictus étire ses lèvres. Il attrape mon regard.

             Pendant un instant, je redoute qu’il ne prononce les deux syllabes auxquelles je pense. Et c’est précisément ce qu’il fait.

— Lila.

             Ma réaction est immédiate. Mon sang ne fait qu’un seul tour. Une brutale chaleur grimpe en moi et je ne songe même pas à mes gestes lorsque, brutalement, je me lève de mon lit. Il me regarde faire.

             Je l’approche d’un pas souple et déterminé et, avant même de lui laisser le temps de faire la moindre blague, je percute sa mâchoire de mon poing fermé. Mon coude se tend brutalement, mes phalanges s’écrasent sous sa joue et je savoure la vision de son visage basculant abruptement sur la gauche.

             Quand je récupère ma main, celle-ci est légèrement endolorie. Mais je ne dis rien et me contente de m’éloigner, lui tournant le dos.

             Je ne veux plus le voir. Sinon je ne parviendrais pas à décolérer.

             Seulement ma fureur semble bien déterminée à ne pas retomber. D’autant plus que son rire moqueur résonne soudain dans la pièce. Il semble se délecter de la situation. Sans doute car il n’a aucune idée de celle-ci.

             Alors, me contentant de prendre plusieurs profondes inspirations, je l’ignore du mieux que je le peux.

— Dis-donc, lance-t-il, le numéro de l’ex-femme jalouse est encore plus sexy que celui de la cheffe de cartel furax. Je vais pas me lasser de découvrir toutes vos facettes.

— Partez.

             Ma voix est ferme. Je fais de mon mieux pour la maitriser. Mais quand j’entends à nouveau son rire moqueur dans mon dos et qu’aucun bruit de pas ne me laisse penser qu’il m’a obéi, je craque.

             Et, me retournant, je me rue sur lui :

— J’AI DIT : PARTEZ !

             Ses yeux n’ont pas le temps de s’écarquiller. Je pose mes mains sur sa poitrine et le pousse violemment. Sans me préoccuper de sa force de résistance, du fait qu’il ne bouge pas d’un centimètre, je ne cesse de plaquer mes paumes à son torse.

             Sa mâchoire vire déjà au rouge à cause de mon coup de tout à l’heure.

— Dis-donc, mon cher corbeau, si vous souhaitez à ce point me palper les seins, il n’y a qu’à demander. Surtout que j’ai une libido très élev

             Mais sa phrase meurt dans sa gorge. Ses yeux viennent de se poser plus précisément sur mon visage. Et il y a vu ce que jamais il n’aurait cru voir. Un signe de faiblesse que je ne montre à personne, à l’ordinaire.

             Des larmes imbibant mes yeux.

             La surprise est explicite sur ses traits. Il s’attendait à bien des choses, mais sûrement pas à un tel déferlement d’émotions. Surtout dans les yeux d’une femme réputée pour sa froideur. Mais je ne lui laisse pas le temps de s’apitoyer sur mon sort.

             Ma mâchoire se contracte ainsi que mon poing. Ma voix se fait plus calme. Je recule de quelques pas avant de lui montrer le dos.

— Ne me parle plus jamais d’elle.

             Un silence prend place.

— Vous étiez terriblement amoureuse d’Armin, n’est-ce pas ? demande-t-il d’une voix bien plus sérieuse.

             J’ignore sa question. Il ne comprend rien. Personne ne comprend rien. Et je m’en contrefiche, d’ailleurs. Lila est la raison de notre divorce. Lila est tout. Un nom qui a scellé bien des promesses jamais abouties.

             Alors que plus jamais on ne prononce ce nom en ma présence.








— Je ne mangerai pas ce soir, vous pouvez partir.

 





















2048 mots

ce chapitre était assez court
et il se passait pas
grand chose mais celui
de la semaine prochaine
sera beaucoup plus long
et il y aura
quelques dynamiques
d'enemies to lovers

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