𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐗𝐈𝐈
A R T D U
— C R I M E —
LA MAIN DE LIVAI est comme une brûlure sur mon coude. Ferme, elle tient avec ardeur mon bras, comme pour s’assurer que je ne puisse pas m’enfuir. De mon mieux, je garde une expression impassible. Mais, au fond de moi, un rire menace de franchir mes lèvres.
Je suis le Corbeau Blanc. Chaque pays du monde est contrôlé par une de mes franchises. Des millions de personnes œuvrent pour moi dans l’ombre sans n’avoir jamais vu mon visage. Mon intelligence est telle que j’ai pu mener des foules entières à me suivre aveuglément sans même que celles-ci ne me connaissent.
Ma couleur de peau. Mon genre. Ma religion. La taille de mes yeux. Ma nationalité. Les langues que je parle. Mon prénom. Mon âge. Ma taille. Mon poids. Ma silhouette. La couleur de mes cheveux. Si même mes cheveux sont visibles…
Tout cela n’est qu’un mystère qu’ils jugent pour la plupart insondable. Un mystère profond dont ils n’arriveront jamais à bout. Un chemin tortueux ne menant qu’à un cul-de-sac.
Alors cet homme aux yeux de glace et lèvres de feu s’imagine-t-il réellement qu’une simple main sur mon coude suffira à me retenir si je décide de m’en aller ?
L’esprit de Sieg Jäger semble être aussi tordu que le mien et je ne vois que cela pour expliquer le fait qu’il soit parvenu à deviner mon plan. Oui. Cet homme qui a su se faire passer pour un agent du FBI simpliste, un abruti complètement possédé par l’idée de sauver une pauvre jeune femme échouée sur son paillasson est décidemment assez intelligent pour pouvoir espérer un jour me cerner.
Mais Livai Ackerman n’est qu’un homme froid bouillonnant de passion. Un mercenaire rendu abruti par son désir de protéger ses proches.
— L’Annuaire Rouge ne les sauvera pas, vous le savez ? je déclare simplement.
Ses doigts se crispent sur mon coude, comme pour m’avertir. Mais je n’y prête pas attention, me contentant d’observer le couloir du palais que nous traversons présentement. Celui-là est richement décoré. Il me rappellerait presque le célèbre palais de Versailles du point de vue intérieur.
Les murs blancs sont richement décorés d’ornements dorés. Des figures d’anges sculptés dans les parois, jaillissant de celles-ci, avoisinent des fleurs ainsi que d’autres décorations. Le sol de marbre blanc est si lustré qu’il renvoie notre reflet. Lequel est illuminé par les lourds lustres de cristal pendant au plafond à intervalles réguliers. Et quelques tabourets aux pieds d’or et velours vermeil sont posés çà et là, face à quelques larges tableaux.
Mon regard s’attarde sur eux. Elles forment une harmonie, étant visiblement majoritairement inspirée du style baroque et rococo. L’Escarpolette de Fragonard est accrochée à côté d’une colonne dorée.
Un sourire me prend.
— C’est un faux de très mauvaise qualité, je commente en regardant la peinture médiocre. Si vous me payez assez, je vous donnerai une copie plus vraie que vraie. Et avec un généreux supplément je pourrais même vous dégoter l’originale que je remplacerai par sa copie.
— L’art est le cadet de mes soucis, répond-t-il d’une voix rude.
Là-dessus, un léger rire franchit mes lèvres.
— Si vous saviez combien d’argent on se fait dans ce milieu, vous n’auriez pas le même discours, je chantonne.
— Je respecte plus les faussaires que les trafiquants d’armes en ce sens que les dommages sont moins graves quand le premier sévit mais vous restez des criminels, lance-t-il.
— Peut-être…
Tournant la tête vers lui, j’analyse brièvement son profil. Ses traits sont fins, la pâleur de sa peau de porcelaine ne rend que plus visible l’ardeur de ses fines lèvres et la puissance de ses hématites. Le mélange de couleur que son visage forme est saisissant. Quelques aspects de la palette qu’il me faudrait pour le peindre me viennent en tête.
Quel sujet étonnant.
— …Mais nous demeurons quand même les plus classes de tous.
Là-dessus, ses yeux roulent dans ses orbites, trahissant son agacement. Un rictus me prend. A l’ordinaire, il est pourtant réputé pour être un homme impassible et doué lorsqu’il s’agit de cacher ses émotions.
Avec moi, cependant, la donne change, à priori.
— Vous êtes des abrutis prétentieux. Et en ce qui concerne vos toiles spécifiquement, dois-je vous rappeler combien de personnes sont mortes car elles s’imaginaient qu’elles avaient un lien avec l’Annuaire Rouge ?
Sa voix sort dans un grondement tandis qu’il contracte la mâchoire. Oh oui, il me hait. A un point qui lui rend impossible la tâche de ne rien me dévoiler de ses émotions.
Et s’en devient grisant.
— Vous savez, je réponds avec un sourire, je ne fais que vendre des morceaux de mon talent. Ce que font les personnes de celui-ci ne me regarde pas.
Brutalement, il s’arrête. Sa main agrippée à mon coude m’oblige à faire de même. Seulement je n’ai le temps de le regarder à nouveau, ses paumes se posent soudain sur mes épaules, me propulsant contre l’un des murs du couloir.
Se plaçant en face de moi, il vient poser son avant-bras au-dessus du creux de mon épaule avant de se pencher en ma direction, projetant sa chaleur sur mon corps. Son eau de Cologne envahit mes narines, s’infiltrant en elles et titillant mes sens. Quelques mèches de ses cheveux noirs chutent sur son front et bougent quand il avance son visage vers le mien.
Ses yeux écarquillés trahissent sa colère au même titre que ses dents serrées. Et, lorsqu’il parle, son souffle se projette sur ma bouche.
Ardent.
— Arrêtez votre char. Armin vous aime et Sieg vous admire donc ils ferment les yeux sur bien des choses. Mais ce n’est sûrement pas à moi que vous allez faire croire que vous ne savez rien sur la raison pour laquelle certains achètent toutes vos toiles. Pas les originales que vous copiez mais vos toiles, à vous, vos copies.
Mon cœur bat avec ardeur. Il sait.
— Vous avez caché quelque chose pour remonter jusqu’à l’Annuaire Rouge dans vos toiles, n’est-ce pas !? Et des gens s’entretuent à cause de votre connerie !
Un instant durant, je ne rétorque pas, abasourdie. Tout compte fait, le noiraud est peut-être plus intelligent qu’il en a l’air. Ou alors il tient cette brillante théorie de Sieg ou Armin. Pas d’Edward. Ce dernier est décidément trop con ou défoncé — voir les deux — pour même réaliser que je suis le Corbeau Blanc.
Puis, penchant délicatement mon visage en sa direction, je finis par murmurer :
— Quand on ne s’est pas brossé les dents, on évite de parler aussi prêt d’une dame, Ackerman.
Ses sourcils se haussent, pris au dépourvu. Je n’attends pas plus et, le poussant sans ménagement, le dépasse avant de continuer à marcher dans le couloir, souhaitant mettre le plus de distance possible entre lui et moi.
Tout cela ne me dit rien qui vaille. Depuis des années, nul n’a jamais pu cerner quoi que ce soit à mon propos. Et, aujourd’hui, trois hommes savent mon nom, mon visage ainsi qu’une partie de mes secrets.
L’Annuaire Rouge est un document particulièrement sensible. Alexei Starkov a mis sa vie en danger en laissant savoir qu’il comptait le trouver et il a payé ses ambitions de sa vie. Moi, de mon côté, ait davantage voulu faire taire l’existence de ce carnet, notamment au travers de divers subterfuges.
Mais Livai dit vrai, quoi que cela m’agace de le dire. Si mes mensonges coûtent la vie à certains, il est grand temps d’arrêter les frais.
— Corbeau, vous allez trop loin.
Mes muscles se raidissent et j’arrête de marcher aussitôt. Pour qui cet abruti de majordome se prend-t-il, au juste ?
Lentement, les poings serrés et prête à en découdre, je me retourne. Mais aussitôt, mes yeux tombent sur le visage de l’intéressé. Ses traits ont repris leur allure statique et ses lèvres demeurent pincées. Il ne laisse rien voir de ses émotions.
Seule sa main est levée en direction d’une porte ouverte.
— Vous allez littéralement trop loin, reprend-t-il en voyant la colère dans mes yeux. Votre chambre est ici.
Aussitôt, la température en moi retombe.
— Oh… Autant pour moi.
Puis, le menton levé et la posture fière, je marche en direction de la porte. Dès lors je franchis le seuil de celle-ci et passe devant Ackerman, je lui glisse simplement :
— J’ai failli vous retirer quelques précieux centimètres.
Du coin de l’œil, je le vois lever les yeux au ciel mais ne m’en formalise pas, préférant sourire légèrement avant de découvrir ma vaste chambre. Et, à la vision de celle-ci, mes yeux s’écarquillent.
L’expression « cage dorée » prend tout son sens.
Le parquet lustré de la salle renvoi le reflet de celle-ci, composé de murs blancs aux moulures dorées, lustres de cristal se balançant depuis le plafond et tableaux surplombant des meubles anciens de bois. Rien de bien différent du couloir, en somme.
A l’exception peut-être de la large fenêtre donnant sur le jardin aux multiples fontaines et du lit à baldaquin s’étendant dans la pièce. Quelques rideaux opaques blancs sont accrochés par des cordes aux fils tressés, dévoilant des couvertures de soie particulièrement surprenante et attirante.
Armin semble se souvenir de notre lune de miel. L’hôtel présentait les mêmes imposantes décorations. Et j’avais eu plaisir à y dérober quelques tableaux onéreux.
Nous étions heureux, à l’époque.
— Regardez-moi ce lit ! je m’exclame en approchant le matelas. Ce serait un crime d’y dormir seule !
Là-dessus, mon regard glisse jusqu’à l’encadrement de la porte juste pour voir le visage agacé de Livai se tordre en une moue exaspérée. Et cela ne rate pas. Aussitôt ma phrase se termine-t-elle qu’il lève les yeux au ciel en secouant la tête.
Un faible rire franchit mes lèvres. S’il est aussi facile de le mettre mal à l’aise, je ne vais pas me priver, à l’avenir.
— La chambre est belle mais votre séjour ne sera pas de tout repos, lance l’homme. Croyez-moi, vous allez nous dire comment trouver l’Annuaire.
Aussitôt, mes sourcils se haussent. Ai-je bien entendu ce ton menaçant ? Un sourire fend mes lèvres. Je laisse mon visage s’arquer en une moue particulièrement condescendante. Qui croit-t-il être, au juste, pour me parler sur ce ton ?
Lentement, j’approche de lui. Mes sourcils légèrement froncés, un rictus mi-joueur, mi-furieux aux lèvres.
— Et qui croyez-vous être, au juste, pour me menacer ? je siffle.
Il ne répond pas, se contentant de me fixer, impassible.
— Je ne crains déjà pas les yakuzas mais alors le fils de l’oyabun… Vous n’êtes même pas à la tête de votre organisation, croyez-vous sincèrement que vous pouvez me parler sur ce ton ?
— Vous êtes ma prisonnière, je vous parle comme bon me semble.
Mon sourire croit, je m’arrête devant lui avant de me pencher en sa direction. Là, mes lèvres en face des siennes, charriant sa bouche pulpeuse et rougeâtre, je nargue notre proximité.
Mes yeux demeurent ancrés dans les siens, j’accroche ses iris d’acier. La chaleur entre nous est dense. Je le vois.
Il respire difficilement.
— Vous avez tout faux.
Penchant la tête sur le côté, je m’approche d’autant plus. Nos lèvres se frôlent. Un léger rire franchit ma bouche.
— Je suis votre invitée. Alors j’attends d’être traitée avec le respect qui m’est du.
Brutalement, sa main attrape ma gorge, me forçant à reculer. Son regard se durcit et ses sourcils se froncent tandis que ses doigts d’acier mettent à nouveau de la distance entre nous. Sa prise est ferme, sa colère est grande. En lui rappelant notre différence hiérarchique, il semble que j’ai touché un point sensible.
Ouvrant les lèvres, il garde les dents serrées lorsqu’il crache :
— Vous n’êtes rien de plus qu’une salope qui profite du malheur des autres. Vous ne méritez pas les efforts que fait Armin pour vous accueillir. En réalité, vous ne méritez même pas un regard.
La gorge serrée, je peine à respirer et continue à le regarder. Mais je parviens tout de même à laisser filer :
— Alors…pourquoi…vous…ne…me…quitter pas…du regard ?
Ses yeux s’écarquillent et, aussitôt, sa main lâche ma gorge. Malgré moi, mon buste se repenche en avant et je prends de profondes inspirations, tentant de calmer la puissance de mes battements de cœur. Il me regarde faire, impassible.
Puis, après quelques secondes de silence, il lâche simplement :
— Car je ne réalise pas que le visage de celle qui a gâché ma vie est le vôtre.
2080 mots
j'espère que ce
nouveau chapitre
vous plaira
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