𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐕𝐈𝐈𝐈
A R T D U
— C R I M E —
MA RESPIRATION EST coupée, inerte. Raide sur ce lit, les omoplates atrophiées, je fixe d’un œil vide les trois hommes me faisant face, peinant à réaliser leurs mots.
Le Corbeau Noir.
Comme s’ils ne me craignaient pas, qu’ils ne savaient pas à qui ils ont à faire, ils viennent de m’annoncer de but en blanc que cette chimère s’avère être eux. L’être sombre ayant assassiné Alexei Starkov, ce tueur invisible qui a réussi à surprendre Jean Kirstein lui-même, un de mes plus doués hommes de mains. Ils seraient lui.
Assise sur ce matelas, je soutiens le regard de Sieg Jäger. Sur le sol, les bras lascivement posés sur ses genoux, il me fixe. Le verre de ses lunettes circulaires et dorées miroite légèrement, me renvoyant quelques reflets irisés tandis que ses yeux noisette me fixent avec ardeur. Il sait pertinemment ce qu’il fait, là.
Ses boucles d’or lui donnent l’allure d’un lion majestueux refermant ses pattes sur sa proie. Et cette dernière n’est autre que moi.
Mes yeux glissent jusqu’aux menottes attachant mon poing droit. Elles sont classiques, pas bien évoluées. Il me suffirait de me déboiter le pouce pour les retirer et, avec la dose d’anti-douleur que j’ai déjà ingérée, il ne s’agira pas là d’une tâche compliquée.
Cependant je ne suis pas bien sûre de pouvoir aller plus loin, poursuivre davantage mon chemin après m’être défaite de mes liens.
Mes iris se posent sur la figure austère de Livai Ackerman, debout et appuyé dans l’encadrement de la porte. Aucune expression ne traverse ses traits. Ceux-là sont stoïques, intangibles, droits. Pourtant, je discerne une forme de plaisir sournois sous ses prunelles d’acier. Sans doute est-il ravi de m’avoir attrapée, moi, la femme qui s’est montrée si irrespectueuse envers son clan.
Soudain, l’Annuaire Rouge me revient. Selon les dires de Mikasa, cet homme n’est nul autre que la raclure qui a dévoilé le secret qui me liait à Alexei Starkov. Et sans doute est-il aussi celui l’ayant tué.
Je déglutis. Sa mère semblait savoir qui était le Corbeau Noir. Un rire jaune me prend tandis que je ne lâche pas le noiraud du regard. Evidemment, Kuchel savait pour les activités louche de sa progéniture.
Mais quel est l’objectif de cet homme, au juste ?
— Tu n’es pas en position de rire, lâche-t-il dans un grondement, les bras croisés.
— Et tu n’es pas en position de me prendre de haut, je réponds au travers d’un sourire malicieux.
A ma plus grande déception, il ne réagit pas. Je peux même presque voir l’ombre d’un rictus sur son visage.
Je l’aurais cru du genre à frapper une femme au moindre écart, se défouler sur quelqu’un mentionnant sa petite taille ou même rouer de coups pour le plaisir de rouer de coups. Mais il sait que je ne l’attaque de cette façon que pout le provoquer, car je suis dos au mur.
Alors je suppose qu’il ne s’en formalise pas et trouve même ma pique amusante.
Contrairement à moi qui n’apprécie pas le moins du monde cette position. Je suis cheffe d’un cartel prospère, dirigeant d’une main de fer une multitude d’hommes prêts à mourir sous mes ordres, établissant avec élégance des frontières si prestigieuses que les habitants des quartiers que j’occupe seraient et sont fiers de dire qu’ils vivent sous la coupe du Corbeau Blanc. Alors qui croient-ils être, au juste, pour m’attacher ?
— Je vous conseille de me libérer, j’annonce froidement.
— Sinon quoi ? raille Livai. Tu pleures et appelles Mikasa à la rescousse ?
— Sinon je vous émascule, mon cher, je réponds d’une voix douce et distincte, un sourire sur le visage. Et je ne vous ai pas autorisé à me vouvoyer.
Si Livai et Sieg ne réagissent pas, le dernier croise les jambes dans un geste défensif. Mes yeux se posent alors sur celui-ci que l’agent fédéral a désigné comme étant Edward. Et le changement entre sa tenue et celle — tout en élégance — des deux autres est saisissant.
Un jogging gris habille ses cuisses croisées tandis qu’un tee-shirt marron fait ressortir ses yeux. Une courte barbe blonde — et visiblement teinte — habille son menton tandis que ses cheveux de la même couleur et présentant une racine noire sont attachés dans un chignon plus qu’approximatif.
Entre ses doigts git un joint fumant sur lequel il tire depuis tout à l’heure, recrachant une fumée acre dans l’air. Remarquant que je fixe l’objet, il se redresse légèrement :
— Vous en voulez ? demande-t-il.
Mes sourcils se haussent. Pour sûr, il est bien différent des deux autres.
— Je suppose que vous savez pourquoi vous êtes ici, demande Sieg en ignorant la remarque du blond.
Je me tourne vers l’agent sans répondre. Celui-ci poursuit :
— L’Annuaire Rouge. Nous le voulons.
Un faible rire me prend et je penche la tête sur le côté.
— Parce que vous êtes du côté des méchants ou des gentils ? je lâche d’un ton ingénu dans un sourire.
Depuis la porte, j’entends distinctement Livai faire claquer sa langue contre son palais et l’ignore. Sieg, de son côté, m’offre un sourire amusé.
— Nous avons tous nos propres intérêts.
— Si je voulais vraiment vous entendre parler pour ne rien dire je vous aurais demandé quels bienfaits vous apportez à la société, je réponds en levant les yeux au ciel. Pourquoi voulez-vous l’Annuaire Rouge ?
— Pour une mission. Nous voulons savoir si la couverture d’un agent est compromise. Il se trouve que Livai et moi travaillons sur ce dossier depuis des années. Il est un membre du FBI infiltré dans le clan Ackerman. Nous avons besoin de ce nom.
Mon regard demeure sur Sieg. Celui-ci n’a pas rompu notre contact visuel tout au long de son discours, pas même pour grappiller quelques souvenirs afin de mettre en forme sa réponse. Celle-ci, bien que complexe, lui ait venue d’une traite. Et il y a ajouté beaucoup de détails. Trop de détails.
Il veut à tout prix me convaincre qu’il dit la vérité.
— Vous mentez, je lâche dans un faible rictus.
Aussitôt, les traits de son visage tombent et il abandonne sa fausse moue inquiète. Il sait qu’il ne sert à rien de tenter de me duper. Un court silence prend place. Il me jauge, m’observant sans mon masque de victime.
A la lumière des ailes du Corbeau Blanc.
— Vous êtes aussi observatrice qu’on le prêtant.
— Est-ce moi qui suis observatrice ou vous qui êtes abruti ?
Dans notre dos, un rire éclate. Je ne prête même pas attention à Edward et Sieg non plus. Le blond doit être défoncé, incapable de réaliser qu’il faut qu’il garde une certaine posture en ma présence.
Les bras toujours croisés, Livai remue légèrement et je tourne la tête vers lui.
— Nous voulons l’Annuaire Rouge, c’est tout, lâche-t-il. Et nous n’avons aucun compte à te rendre.
— Bien sûr que si. Et vous allez me vouvoyez avant de vous prendre mon pied au cul.
Mon regard se fait sombre. J’ai horreur du manque de respect. D’autant plus de la part d’un homme censé être obnubilé par les règles de hiérarchie.
— Je te vouvoierais quand tu m’auras donné l’Annuaire Rouge, rétorque-t-il.
— Je ne l’ai pas.
Livai pousse sa joue de sa langue dans un geste d’agacement.
— Alexei m’a dit que tu l’avais.
— Et il est connu qu’un parrain du crime organisé est un homme de confiance. Dis-moi, tu crois pas n’importe qui, toi, je raille sarcastiquement. Laisse-moi deviner, t’es aussi le genre de petit garçon qui croit son père quand il lui dit qu’il va chercher du lait ?
Un rire me prend.
— T’inquiètes pas, bout de chou. Il va revenir, il est juste à l’épicerie depuis quinze ans.
Aussitôt, je me trouve plaquée sur le lit. Je n’ai eu le temps de cligner des yeux, tout est passé extrêmement vite. Livai a fondu sur moi, grimpant sur le matelas en posant son avant-bras sur ma gorge, me maintenant contre la surface moelleuse.
Et, bientôt, une forme circulaire dur et froide vient se presser contre ma tempe dans un cliquetis mécanique. Une arme.
Il me tient en joug.
Là, au-dessus de moi, si proche que ses mèches noires comme les ténèbres tombent sur mon front, appuyant avec force sur son pistolet qui va laisser une empreinte profonde dans ma peau, ses yeux d’acier fixant avec hargne mon visage, il me fixe. Soit, ses traits demeurent statiques, inexpressifs.
Mais ses yeux, eux, ils disent tout de sa colère.
— Surveilles ton langage, sale pute de mes deux, grogne-t-il contre moi, son souffle se projetant en volute glacé sur mes lèvres.
— Un fils de pute qui me traite de pute ? je réponds dans une grimace provocatrice. Quelle audace.
Là, sous ses iris, ses pupilles se dilatent brutalement à une vitesse telle qu’on eut dit une goute d’encre échouée sur une feuille et s’étalant. La colère grandit dans le cercle noir, se propageant.
Son avant-bras gauche fait d’autant plus pression sur ma gorge, menaçant.
— Je te préviens salope, t’as intérêt à fermer ta gueule et l’ouvrir que pour parler de l’Annuaire, grogne-t-il. Je suis pas comme tes sbires, moi, je te bute si l’envie m’en prend.
— Alors vas-y, presse la détente.
Mon ton se fait narquois et mon sourire, large.
Je suis peut-être enchainée, son arme est peut-être chargée, il est peut-être un assassin de renom mais une chose est sûre : qu’importe les apparences, je suis en position de supériorité. Ils ont déconné, en tuant Alexei. A présent, je suis la seule qui puisse les mener à l’Annuaire Rouge.
Alors qu’importe ses menaces, il ne m’abattra pas. Et grisante est la sensation de pouvoir absolu qui s’étend en moi quand, malgré l’arme qu’il presse sur ma tempe, le regard du noiraud en dit long sur ce qu’il sait de moi.
A savoir que je suis réellement intouchable.
— Appuie, mon petit, n’ai pas peur, ça va bien se passer.
Son avant-bras sur ma gorge la presse davantage, comme pour m’intimer de me taire. Il fait face à une femme qui a été prête à se blesser, s’entailler et se briser des cotes pour une mission. Il sait que je ne crains aucune forme de blessures.
Il ne peut ni me blesser, ne me tuer. Il est à ma merci. Qu’importe ce qu’il croit détenir.
— Tue-moi, j’insiste. Et dis au revoir à l’Annuaire Rouge.
— Je suis un assassin, j’ai pris cette mission pour le fric mais je m’en cogne de cet Annuaire en réalité. J’hésiterai pas à te buter, salope.
— Ah oui ? je chantonne dans un sourire malicieux.
Puis, plus bas, j’ajoute :
— Qu’en diraient Isabel et Farlan ?
Aussitôt, ses yeux s’écarquillent et ses sourcils se haussent. Atterré, il me fixe, pris de court. Sous le choc, il n’a même pas songé à s’empêcher de me laisser voir ses émotions. Non, son esprit est à dix-mille lieux de ce genre de considération.
Car ses points faibles se comptent sur les doigts d’une main, mais ils se comptent tout de même.
Farlan Church.
Isabel Magnolia.
Erwin Smith.
Hanji Zoe.
Kuchel Ackerman.
Me redressant légèrement, je glisse mon visage dans le creux de son épaule puis, contre ce parfum élégant, je susurre à son oreille :
— Un petit homme mal-aimé s’est un jour trouvé deux bons amis, un formidable frère, une collègue sympathique et une maman. Mais le petit homme mal-aimé n’a jamais su faire preuve d’une grande intégrité avec ses proches. Et mettre leur vie en jeu est devenu une seconde nature chez lui.
Il se tend, à côté de moi.
— La plupart du temps, le petit homme mal-aimé trouvait un moyen de s’en sortir, des stratagèmes finement élaborés. Mais les années passent et le petit homme mal-aimé prend de plus en plus de risques.
Un rire me prend et, attrapant son oreille entre mes dents, je lâche finalement :
— Il semble que l’homme mal-aimé et ses amis vont se faire bouffer, cette fois-ci.
Le canon quitte ma tempe aussitôt. Mais l’instant d’après, un choc violent au niveau de ma tempe me frappe, soudain et brutal. Ma tête bascule sur le côté, emportée par le geste et Sieg, encore assis sur le sol, entre alors dans mon champ de vision.
Livai vient de me frapper avec la crosse de son arme à feu. Des tâches noires apparaissent soudain, brouillant ma vue. Mais un sourire me prend malgré la dense torpeur m’habitant.
Le noiraud quitte le lit ainsi que la chambre, claquant la porte derrière lui dans un geste furieux.
Et, un liquide chaud coulant sur ma tempe, je murmure simplement :
— Mettez le Corbeau Blanc dans une cage, il continuera de chanter.
2120 mots
hey
j'espère que ça
vous aura plu
:)
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top