𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐕𝐈𝐈
A R T D U
— C R I M E —
ALLONGEE AU FOND de la baignoire, je savoure la sensation de chaleur qui s’enferme autour de moi à mesure que l’eau grimpe. Le robinet produit un son continu en fond qui pourrait dissimuler le bruit de nos voix mais je ne me préoccupe plus des éventuels micros cachés çà et là — Mikasa les a mis hors d’état de nuire.
Alors, à présent assise sur le tabouret de bois posé devant le carrelage noir composant les murs, tentant de ne faire aucun commentaire sur les plantes disposées un peu partout et donnant une dominance, verte, noir et brune à l’endroit, elle me fixe.
La cuve ligneuse dans laquelle je suis est assez agréable. Une dense mousse blanche couvre sa surface, dégageant une puissante odeur de jasmin. Et, la tête basculée an arrière, je regarde le plafond lisse et blanc.
Je me détends quelques instants en profitant de mes pansements à l’épreuve de l’eau. Bientôt, elle m’aidera à me laver.
— Vous êtes allée loin. Trop loin.
— Parce que je suis dans l’appartement du grand méchant loup ? je demande avec un rictus.
— Parce que vous avez de graves blessures, tonne-t-elle. Rendez-vous compte que vous n’êtes pas capable de vous battre, là.
Je hausse un sourcil en sa direction. Il est rare qu’elle se permette d’employer un tel ton avec moi, l’éducation de son clan faisant qu’elle considère toujours ses supérieurs hiérarchiques avec un profond respect. Toutefois, lorsqu’elle s’inquiète pour un tiers, elle a tendance à se laisser déborder.
Cette femme a beau être froide, elle a un grand cœur.
— Je ne suis pas non plus capable de me battre en temps normal, je susurre. Ma force réside dans mon intelligence.
— Qui ne vous saura d’aucune utilité si Sieg découvre votre identité et pose une arme sur votre tête.
— Et c’est pour ça que tu es là, chérie.
Pour toute réponse, elle détourne le regard. Quant à moi, je lâche un soupir de plaisir. Sieg ne rentrera pas avant plusieurs heures, ce qui me laisse le temps de prendre mes aises. Et, surtout, de faire le point sur ce que je rate, actuellement.
Mes yeux se posent sur la jeune femme qui devine aussitôt mon ordre implicite.
— Les yakuzas semblent avoir calmer le jeu mais les tensions sont toujours vives, surtout depuis la mort d’Alexei. Beaucoup se demande comment vous allez réagir.
Mes sourcils se froncent.
— Lui et moi n’étions pas amis.
— Effectivement mais, et j’en viens à la partie la plus intéressante de notre discussion, il se trouve que votre véritable lien à Alexei a été dévoilé dans la journée.
Aussitôt, je me raidis. Les paroles de Mikasa sont directes, aucun détour n’a été fait et elles vérifient toujours ses informations. Mon poing se serrent sous la surface de l’eau. Comment ça, « dévoilé » ? Qui donc a pu faire une chose pareille ?
Et, surtout, combien sont au courant ?
— Les plus gros syndicats du crime organisé savent que vous détenez l’Annuaire Rouge, madame. Mais ma question est…
Ses yeux se lèvent en ma direction. Son regard se fait sévère. Pour la première fois depuis qu’elle a accepté de servir sous mes ordres, je devine sa fureur.
— …quand comptiez-vous nous le dire ?
Aussitôt, ma mâchoire se contracte. Tout cela est mauvais. Très mauvais. Sergei trouve la mort et la raison de notre lien est dévoilée au grand jour. Non seulement les chances que mon identité soit découverte sont élevées, mais aussi celles que mes lieutenants soient pris pour cible.
Ils sont connus pour servir le Corbeau Blanc mais nul ne s’en inquiétait outre-mesure. En revanche leurs liens à l’Annuaire Rouge — qui n’est autre que moi — pourrait les mettre dans une très indélicate posture.
— Madame, depuis quand avez-vous…
— Qui ? je la coupe d’une voix sèche.
— Madame…, tente-t-elle d’insister.
Mais le regard que je pose sur elle, froid et obscure, est sans appel. J’exige de connaitre l’identité de la personne qui a divulgué cette information. Car je ne compte sûrement pas la laisser s’en tirer indemne.
Péniblement, elle déglutit. Elle comprend le sérieux de cette situation et n’est pas idiote.
Alors, sans protester davantage, elle finit par capituler, ses épaules se voutant.
— Un héritier du clan Ackerman. Le fils unique de l’Oyabun.
— Son nom, Mikasa.
Elle hésite un instant, consciente qu’elle s’apprête à dénoncer son cousin. Mais elle sait aussi que je n’aurais aucun mal à trouver l’identité de cet homme. Alors, bien vite, ses yeux se posent sur moi tandis qu’elle tire un papier replié sur lui-même de la poche arrière de son jean.
Me le tendant, elle me laisse le saisir et le déplier de mes mains mouillées avant de lâcher :
— Livai Ackerman.
Aussitôt, je devine ma pupille se dilatant, quoi que je parvienne à maitriser le restant de mes réactions corporelles. Je ne veux pas inquiéter Mikasa davantage.
Mais les yeux froids comme de l’acier me fixant à travers l’image usée, cette photographie visiblement prise dans un photomaton et montrant un visage masculin symétrique semblant avoir été taillé dans du marbre, des joues légèrement creusées au-dessus d’une mâchoire carrée, un nez fin posé entre deux iris grises ne me sont pas inconnus, loin de là. Même plus, les quelques mèches lisses et noires comme des plumes de corbeau semblent signer ce faciès unique.
Cet homme que j’ai croisé après être sortie de ma réunion avec les Oyabuns Azumabito et Ackerman. Cette ordure qui s’est permis de me prendre de haut, cette raclure qui a exigé que je corrige mon ton en sa présence.
Un rire sans joie manque de traverser mes lèvres. Sans doute son égo a-t-il été touché et il a décidé de se venger.
Mais il apprendra à ses dépens que je ne suis pas âme de laquelle on se joue.
Ma main crispée sur la photographie, je peux presque sentir mes phalanges me tirailler tant je la saisis avec force. Pour qui cet abruti se prend-il, au juste ? Et comment a-t-il pu avoir accès à une telle information ?
Son « scoop » balancé aujourd’hui ne me met pas seulement dans l’embarras. A vrai dire, il met en péril toutes les personnes travaillant sous mes ordres. Tant de fidèles soldats qui risquent d’être enlevés et torturés afin de donner des informations qu’ils n’ont pas.
Alors c’est sans la moindre hésitation que, posant un regard noir sur le visage de Mikasa, j’ordonne abruptement :
— Toi aussi, fais appel à tous les syndicats. Et dis-leur que celui qui m’apportera la tête de Livai Ackerman aura l’Annuaire Rouge.
ꕥ
Un soupir d’aise me prend. Enfin, après une nuit fortement désagréable, un bain aussi apaisant — par sa chaleur — que douloureux — à cause des frictions que j’ai dû faire sur ma peau — et une épreuve compliquée durant laquelle j’ai peiné à enfiler mes vêtements, je suis enfin sortie de cette salle de bain et propre.
Devant moi, tandis que j’attends dans un jogging de l’agent, légèrement embarrassée par le fait que je ne porte aucun sous-vêtement et que mon intimité soit en contact direct avec le tissu, Mikasa change les draps. Dans des mouvements aussi fluides que précis, elle plie ceux souillés et en place de nouveau.
Bientôt, se retirant avec les linges sales en main, elle disparait derrière la porte et je m’avance vers le lit. Un soupir d’aise me prend quand le parfum d’orchidée et de vanille — les senteurs de la lessive de l’agent — influe dans mon nez. Je n’hésite pas avant de m’allonger, détendue.
Les yeux clos, j’entends bientôt les talons de la noiraude résonner. Le grincement de la porte m’indique qu’elle est revenue. Puis, la sensation d’une couette posée sur moi et l’odeur musquée de son parfum me parviennent. Elle vient de me couvrir.
A nouveau, ses pas s’éloignent. Elle s’est posée, debout contre la commode, les bras croisés dans son éternelle position signalant qu’elle attend des informations.
— Les micros sont hors d’état de nuire partout, tonne-t-elle d’une voix grave. Nous avons une heure avant l’arrivée de Sieg pour tous les remettre en marche mais, avant cela, je veux savoir.
Un soupir franchit mes lèvres. Ce ton sérieux et exigeant trahit l’enjeu de la situation.
— Savoir quoi ?
— Ce qu’est l’Annuaire Rouge.
— Un annuaire avec une couverture rouge, je réponds simplement.
Un sourire me prend. Je peux presque deviner ses yeux se levant au ciel dans ses orbites.
Elle ne répond pas, sachant pertinemment que je vais bientôt flancher et lui dire la vérité.
Et effectivement, soufflant fortement, je bascule sur le dos. Mes yeux se posent sur le plafond creusé de moulure épousant les contours de la pièce et soulignées de guirlandes LED. Elles sont vraiment jolies.
— Je n’ai aucune envie de vous mettre en danger en vous l’expliquant.
— Sauf qu’on est déjà en danger parce que le monde sait que vous avez l’Annuaire et que nous sommes liés à vous, je me trompe ?
— Non, je cède. Le problème c’est ça, justement.
Mes paupières se closent à nouveau. Je suppose que je vais devoir me résoudre à jouer cartes sur table, après tant d’années.
— L’Annuaire Rouge est une légende remontant à la Guerre Froide. Selon les dires, il s’agirait d’un carnet regroupant le nom de tous les espions ayant travaillés pour les gouvernements ainsi que leurs actions, j’explique. De quoi refoutre un beau bordel entre les Etats-Unis et la Russie qui cherchent constamment n’importe quel prétexte pour s’attaquer l’un l’autre.
— La découverte d’un tel carnet créerait un grand remue-méninge et une période d’instabilité. Voire même des raisons d’entrer en guerre, explique-t-elle. Et vous avez ça en votre possession ?
Un sourire me prend.
— Non.
Je n’ai pas besoin de la regarder pour deviner la façon que viennent d’avoir ses sourcils de se hausser sous la surprise.
— Comment ça, non ?
— L’Annuaire Rouge est une légende. Un concept. En réalité, n’importe quel bouquin contenant des informations sensibles est un Annuaire Rouge. Le premier de l’histoire est celui dont je viens de te parler mais il y en a eu plein d’autres. Je n’en ai possédé qu’un parmi eux.
— Lequel ?
Je ne réponds pas tout de suite. Mais Mikasa insiste.
— Qu’y-a-t-il dans l’Annuaire Rouge que vous détenez, madame ?
Mon silence se poursuit. Je ne suis pas sûre de vouloir la lier à cela.
— Madame ?
Je soupire. Résignée. Il est temps de jouer cartes sur table.
— Le nom de vingt-quatre agents fédéraux sous couverture à l’étranger. Leur véritable identité et la mission qu’ils mènent.
— Pardon ? réagit-elle aussitôt, alarmée.
— Si l’Annuaire que je détiens tombe entre de mauvaises mains, vingt-quatre agents fédéraux seront en danger de mort et tout autant de mission seront annulées. Je détiens de quoi mettre à mal une bonne partie des agences fédérales étatsuniennes, je murmure.
— Où ? Où ça !? fulmine-t-elle se redressant en serrant les poings.
— Mikasa, je soupire faiblement sans détacher mon regard du plafond. Je sais pertinemment que tu brûleras cet annuaire si tu tombes dessus.
— Evidemment ! Avez-vous une idée du nombre de personnes qu’il met en danger !?
— Bien sûr que oui, et c’est pour ça qu’il est précieux.
Je marque un temps d’arrêt. Je ne suis même pas étonnée qu’elle soit aussi dégoûtée. Mikasa a toujours été bien trop tendre pour ce travail, bien qu’elle excelle en tant qu’assassin et homme de main.
Elle est sans nul doute ma meilleure carte.
— L’empire du Corbeau Blanc repose sur cet Annuaire Rouge, je susurre. Il est hors de question que je le détruise.
— Même si tant de vies sont en jeu !?
— Surtout si tant de vies sont en jeu.
Là-dessus, je me redresse enfin. Ignorant les tiraillements parcourant mes membres et la douleur, je me place sur mes fesses et la regarde par en-dessous, n’accordant aucun crédit à son regard empreint de dégoût.
Elle est dans un cartel. A quoi s’attendait-elle, sérieusement ? Une cheffe morale ? Bien sous tous rapports ? Correct ?
Je suis une salope au même titre que mes confrères.
— Ne t’en fais pas, il est en sécurité, avec moi.
ꕥ
Dans un grognement, je me retourne. La couette sur mon corps est confortable mais quelque chose perturbe mon repos et vient même de me tirer de mon sommeil. Mon bras droit. Il est immobile.
Je dois m’être allongée dessus et l’avoir engourdi. Soupirant, je tire dessus. Mais, aussitôt, un bruit métallique retentit et mon geste est entravé.
Mes sourcils se froncent.
Des menottes. Je suis menottée au lit.
Vivement, je me redresse, abasourdie. Mais je n’ai le temps de jeter un regard aux bracelets. La couverture sur moi tombe et je réalise que je ne suis pas seule, dans cette pièce. Plusieurs paires de yeux me fixent.
Au bout de mes pieds et se balançant sur une chaise, un homme que je ne connais pas se balance distraitement, un joint entre les doigts. Quelques tatouages sont visibles sur ses bras jaillissant de son tee-shirt et ses longs cheveux blonds sont noués en un chignon d’où s’échappent quelques mèches.
Derrière lui, dans l’encadrement de la porte, un visage que je ne connais que trop bien me fixe de ses yeux d’acier. Sa bouche fine et ardente esquisse un léger rictus tandis que ses cheveux noirs tombent en chutes de ténèbres sur son front. Livai Ackerman.
Finalement, assis sur le sol, juste devant la porte close menant à la salle de bain, le visage doux et enjolivé de boucles d’or de Sieg Jäger se dessine. Derrière ses lunettes rondes, ses yeux noisette me fixent.
Je me fige. Que font ces trois-là ensemble ?
— Les présentations devraient être faites, lance l’agent fédéral. Et en toute honnêteté cette fois-ci.
Ma mâchoire se contracte. Je me suis faite avoir. Non. Ce n’est possible. Pas moi. Pas par d’incompétents crétins comme un flic éco-plus et un majordome grincheux.
— Mademoiselle, je crois que vous connaissez Livai Ackerman, l’homme sur la chaise se nomme Edward et mon nom est Sieg Jäger.
Je le foudroie du regard. Il sourit face à mon geste. Mais son rictus n’a rien de compatissant. Non.
Il est honnête. Sincère.
Moqueur.
Ils sont heureux de m’avoir attrapée. Et quelque chose me dit qu’ils savent exactement à qui ils ont à faire.
— Nous sommes le Corbeau Noir.
2373 mots
petit chapitre riche
en révélations
on part sur un
kidnapping du coup
j'espère que ça
vous aura plu
:)
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