𝐉𝐔𝐒𝐐𝐔'𝐀 𝐂𝐄 𝐐𝐔𝐄 𝐋'𝐎𝐍 𝐒𝐄 𝐑𝐄𝐓𝐑𝐎𝐔𝐕𝐄
Achilles descendit l'escalier poussiéreux de l'entrée Est 3, respirant bruyamment à cause de son épais masque en fer. Ses pas produisaient un son sec, tel un lancé de sable sur un sol de marbre. Tout semblait particulièrement singulier, personnel, c'étaient des moments qu'Achilles vivait seul. Seul, chaque bruit n'était qu'une réflexion de son existence, chaque chose qu'il voyait n'était offerte qu'à sa vue à lui. Derrière son masque lourd, cependant, aucune odeur ne parvenait à ses narines. Cette barrière de fer l'isolait du monde avec un malin plaisir, au départ cela avait été angoissant, être privé d'un de ses sens était un sentiment désagréable qui menait souvent à une impression de vulnérabilité. Achilles détestait être vulnérable.
Quand il arriva à la fin des escaliers, le jeune garçon déboucha dans une petite pièce modestement meublée. Cette salle semblait refuser l'apport de couleur, celle-ci était scindée en deux, séparée par un mur et pour seul passage une porte massive à l'allure imposante. Seule une cheminée décorait la première partie de la pièce, un peu de bois et du papier étaient mis à disposition et une centaine de boîtes d'allumettes étaient alignées et empilées sur le rebord épais de la cheminée.
Achilles s'empara d'une des boîtes qui était déjà entamée et posa plusieurs bouts de bois et de papiers dans la cheminée. Dans un bruit clair et velouté la petite allumette se décora d'une flamme orangée, dansant dans l'air comme si elle n'avait été fabriquée que pour offrir ce spectacle à la vue de celui qui la tenait. Mais Achilles avait déjà vu ce spectacle si bien que le dandinement de la lumière le rendit indifférent et bien vite la danse symbolique de l'allumette cessa quand elle rencontra un bout de papier dans la cheminée.
Peu à peu la flamme engloutit le papier, le noircissant, affirmant sa domination, s'attaquant aux bouts de bois. Elle ne dansait plus pour plaire, désormais sa danse n'était là que pour montrer sa supériorité. Victorieuse, indomptable, elle brillait, prenant sa teinte rouge aux nuances chaleureuses. Le crépitement du feu n'était que son chant de gloire, c'était un rituel, une fierté, la flamme avait vaincu et dans sa guerre elle était devenue un feu brûlant et menaçant.
Le feu non plus n'était pas inconnu à Achilles, ces flammes mouvantes ne le captivaient plus comme avant. Il se déshabilla rapidement, gardant uniquement son masque qui lui pesait. Puis sans y prêter grande importance, il jeta ses habits dans le feu. Un nouveau défi pour l'élément destructeur qui s'attaquait déjà au coton rugueux des habits sans propriétaire qui se soumettait face à la puissance des flammes.
Le garçon ouvrit alors la porte, porte appelée antivirus. Il entra à la l'intérieur et traîna ses nombreux sacs de toiles remplis au maximum puis la referma derrière lui et sentit chaque parcelle de son corps se faire aspirer. La porte était une merveille des sciences, par un phénomène complexe elle détectait tout virus et envoyait des cellules pour tout simplement éliminer le virus. La porte ne s'ouvrira que lorsque le corps sera éliminé de n'importe quel virus. La première fois Achilles avait paniqué, cela prenait longtemps, le froid était mordant, le masque lourd et stressant, Achille avait failli paniquer. Pourrait-il un jour rentrer ? Mais la porte s'était ouverte et les battements de son cœur s'étaient calmés. Ainsi, le jeune garçon attendait toujours et quand la porte s'ouvrît il se dépêcha de sortir avec ses sacs, entendant le vibrement caractéristique de la porte qui se refermait derrière lui.
Ce n'est qu'après avoir entendu ce vibrement et vérifié que la porte était fermée qu'il enleva son masque. Achilles prit de grande goulée d'air, regardant son masque d'un regard noir. L'autre côté de la pièce était un peu plus joyeux concernant les fournitures que la précédente. Une rangée de petits casiers carrés y résidait, tous de la même couleur crème maussade que les murs et le sol.
Achilles composa son code sur son casier et un petit bruit indiqua que les verrous s'étaient ouverts et que le casier pouvait être ouvert. A l'intérieur résidait que très peu de choses, des habits propres que le jeune garçon se dépêcha d'enfiler, et un petit sachet de baies souterraines qu'il prit. Il déposa dans son modeste casier son masque et ses ustensiles de chasses et de pêches qu'il avait récupéré d'un des sacs de toiles. Il referma le casier, composa son code et s'éloigna qu'après avoir vérifié que le casier était fermé, le masque ayant coûté une fortune.
Il préleva plusieurs baies entre ses doigts et les engouffra dans sa bouche, savourant le petit sirop sucré et amer qui se répandait sur sa langue. Il rangea le sachet dans une de ses poches et s'empara de ses sacs, les traînant plus que les portant.
Achilles commença alors à descendre un énième escalier tout aussi poussiéreux que le premier. Encore une fois le silence était présent, il était seul à descendre ces escaliers déplaisants et en tirait un certain confort. Il appréciait ces moments de solitude. Peu à peu l'escalier fut éclairé par des lumières jaunes, artificielles, loin d'atteindre la chaleur de la lumière du Soleil. Plus il descendait, plus son moment de solitude se rapprochait de sa fin. Bientôt le murmure de voix inconnues se transforma en un brouhaha caractéristique de l'entrée dans la salle d'accueil. Quand il arriva en bas, il regarda les plusieurs bureaux à la recherche d'un de libre. Son regard se posa sur une silhouette familière et il y traîna ses lourds fardeaux.
Les salles d'accueil ne faisaient parties d'aucun Underground, elles permettaient d'aller d'un Underground à un autre, il y en avait trois. La première était celle-ci, elle permettait l'accès aux deux Undergrounds de classes pauvres : l'Underground Poussière et l'Underground Boue. La deuxième permettait l'accès aux cinq Undergrounds de classe moyenne : les Undergrounds Fer, Acier, Cuivre, Charbon et Topaze. La troisième salle d'accueil permettait l'accès aux six Undergrounds de classe riche : les Undergrounds Or, Argent, Diamant, Saphir, Rubis et Émeraude.
Les Undergrounds les plus pauvres étaient les plus proches de la surface, ainsi les plus exposés au virus, ceux de classe moyenne étaient plusieurs dizaines de mètres plus profond et enfin les Undergrounds riches étaient à une centaine de mètres de la surface, bien protégés du virus. Ils ne vivaient pas dans un monde égal.
"Je suis de retour. Chasse." dit-il en désignant d'un coup de tête les larges sacs qu'il portait.
L'employé le regarda de haut en bas avant de soupirer et de tamponner le papier que venait de lui tendre Achilles. Le garçon ne perdait pas son temps avec de longues phrases inutiles dans ces moments-là, il allait droit au but.
"Ta sortie du mois est épuisée Achilles, commença l'homme aux petits yeux noirs, l'air renfrogné sur sa chaise visiblement inconfortable.
- Je sais, répondu simplement le plus jeune sachant très clairement ce qui allait suivre.
- Alors ne reviens pas me demander une faveur dans une semaine, se plaignit l'employé en vain regardant enfin Achilles lui reprochant indirectement toutes les fois précédentes où il avait réussi à remonter à la surface avant la fin du mois.
- Tu sais que je le ferai quand même. Au revoir Elric." s'exclama Achilles, mentir non plus ne faisait pas partie de sa personnalité, sauf quand c'était une nécessité.
L'employé n'eut pas le temps de répondre qu'Achilles partait déjà, sa chevelure blonde courte bouclée et ses yeux noirs se fondaient dans la masse de cheveux blonds et yeux noirs communs dans l'Underground Poussière. Il soupira un grand coup, ce gars allait finir par ramener le virus et à ce moment-là il sera dans une situation très complexe.
Achilles sortit de la salle d'accueil et entra dans l'Underground Poussière. Par réflexe il trottina vers la section 5.M, passant devant pleins de marchands qui fixaient ses larges sacs en se demandant qu'est-ce qu'ils pourraient bien renfermer. Les dits sacs laissaient de grandes traces dans la terre sèche et poussiéreuse. Il arriva devant un petit commerce et déposa ses sacs de toiles sur la surface en bois du comptoir. Il tapota d'abord la cloche mais ne voyant pas le propriétaire arriver il décida d'avoir recours à la bonne vieille méthode.
"Todd ! C'est Achilles !" cria le jeune blondinet en regardant fixement la porte qui séparait le comptoir et l'arrière boutique.
Quelques secondes plus tard, la porte qui menait à l'arrière boutique s'ouvrit dans un grand grincement strident. Un homme de grande taille et coiffé d'une petite queue de cheval blonde en sortit.
"Alors qu'à déniché mon ptit gars ?" demanda le dénommé Todd alors qu'il essuyait ses mains dans un foulard couleur crème avant de le ranger dans une des poches de son long tablier blanc.
Achilles lui affichait un sourire fier et ouvrit un à un les sacs qu'il possédait, prenant le temps de savourer le regard curieux du boucher tout en ne l'impatientant pas assez pour qu'il le presse. Un seul resta fermé et celui-ci fut placé à ses pieds, indiquant que le contenu de ce sac n'était pas dans l'échange.
"Tu remarqueras que j'ai beaucoup de poissons, de plusieurs tailles qui varient. Tu trouveras aussi des animaux terrestres dans le lot." déclara le blond en croisant les bras, il se préparait déjà à prendre le ton qu'il gardait pour les affaires.
Le boucher, Todd, inspecta alors quelques pièces avec attention, la fine moustache qui décorait le haut de sa lèvres supérieure trembla légèrement quand ses lèvres bougeaient de concentration. Achilles avait appris à étudier ces signes faciaux, ici Todd semblait hésiter, il faisait bien son métier, il pouvait en être fier.
"Je t'en donne soixante-quinze tickets repas et vingt ivies, commença Todd après avoir croisé les bras, posant une main sur son menton à moitié entrain de penser aux manières de conserver cette quantité de viande.
- Tu m'en donnes cent tickets repas et vingt-cinq ivies, continua Achilles en fixant le boucher droit dans les yeux, il semblait plus vieux, plus grand quand il dit cela et le grognement de Todd traduisît son mécontentement.
- Hors de question, grogna le propriétaire de la boucherie en se refroidissant à vue d'œil, une partie de lui était maintenant en train de calculer s'il pourrait faire des bénéfices avec une offre pareille.
- Très bien alors j'irai voir un autre marchand-
- Quatre-vingt-dix tickets repas et vingt-deux ivies, l'interrompit Todd alors qu'il décroisait légèrement ses bras musculeux.
- Pas assez, dit-il en remballant ses sacs, refermant un à un avec soin les sacs de toiles.
- Achilles... gronda le boucher à l'allure désormais rigide, pourtant il ne regardait pas le jeunot, mais les sacs qui peu à peu retournaient sur le sol.
- Je ne négocie pas les prix, j'ai besoin de ce que je demande et j'échange ce que j'ai, tu le sais, annonça le petit chasseur avec autorité.
- Très bien mais ça a intérêt à en valoir la peine sinon je viens moi même récupérer mes ivies et mes tickets !" concéda finalement le boucher en décroisant les bras et soufflant de frustration avant de se tourner vers une caisse pour s'emparer de ce qu'il devait à Achilles, il aimait et détestait faire des affaires avec Achilles.
Le blond sourit alors qu'il reposait soigneusement les sacs qu'il donnait à Todd, n'en gardant qu'un seul. Il empocha les vingt-cinq ivies et les cent tickets repas en remerciant le boucher avec enthousiasme. Libéré de son lourd fardeau, le blondinet trottinait déjà vers la section 3.M.
Chaque Underground était divisé en plusieurs sections et ces mêmes sections étaient divisées selon le sexe des personnes y ayants l'accès.
Dans les Undergrounds, hommes et femmes étaient séparés pour diverses raisons mais celle qui revenait le plus était que c'était pour éviter la surpopulation et ainsi mieux contrôler et réglementer les Undergrounds. Achilles n'en croyait pas un mot.
Il y avait 8 sections dans chaque Underground. La section 0, utilisée qu'une fois par an à l'occasion des purges des Undergrounds, hormis cela ce secteur était inactif la plupart du temps, personne n'osait s'y approcher. La section 1 était l'endroit où les nourrissons étaient nourris, abrités et pris en charge. La section 2 était là où se trouvaient tous les bâtiments consacrés à l'éducation. La section 3 était l'endroit où se trouvaient toutes les résidences des habitants, appelé "espace de vie". La section 4 comportait tous les bâtiments où les habitants travaillaient, sauf les travaux commerciaux. La section 5 était connue comme le marché, tout le reste des travailleurs n'ayant pas accès à la section 4 avait accès à la section 5, on trouvait uniquement l'essentiel dans le marché. La section 6 était la section réservée aux séniors, aux personnes âgées qui méritaient, peu importe leur Underground, de se reposer. Enfin la section 7 était la seule section non divisée entre les sexes, la section 7 s'occupait de tout ce qui touchait la grossesse et l'envie d'avoir un enfant.
Les sections étaient désignées par leurs nombre et la partie dont on avait le droit d'accès selon son sexe : M pour Masculin et F pour Féminin.
Dans les Undergrounds un nombre limité de naissances était permis par an, pour encourager le repeuplement nécessaire et ce en quantité respectable ces places devaient être remplies chaque année. Le gouvernement décida de léguer une bourse annuelle supplémentaire aux parents pour les encourager à devenir parents. Chaque an et ce jusqu'à ce que les enfants atteignent l'âge de 19 ans ils recevront une bourse supplémentaire non négligeable.
Ainsi si un homme souhaitait avoir un enfant il devrait se rendre au secteur 7, en informer une ou un employé qui le mettrait en contact avec une femme qui elle aussi souhaitait un enfant, et inversement. Le rapport sexuel entre ces deux individus était alors permis, cependant la fécondation in-vitro était privilégiée, évitant un potentiel attachement entre les deux futurs parents et garantissant une bonne fécondation.
Il était coutume que l'homme s'occupait de la femme jusqu'à ce qu'elle accouche et l'accouchement marquait la fin de leur relation. Les individus ne pouvaient plus se voir, ils s'oubliaient et continuaient leurs vies respectives avec leurs bourses supplémentaires.
Les parents ne connaissaient jamais leur enfant. A la naissance l'enfant était directement emmené dans une autre salle où les infirmières et infirmiers les séparaient selon leur sexe. Les bébés étaient alors transmis à la section 1 qui s'en occupait avec attention jusqu'à qu'ils atteignent l'âge adéquat pour aller dans un des nombreux orphelinats de la section 3. Aucun enfant ne connaissait ses parents. Aucun parent ne connaissait son ou ses enfants.
Quand Achilles arriva dans la section 3.M, il se dépêcha, slalomant dans le dédale de maisons et de bâtiments tous plus délabrés et pathétiques les uns que les autres. Il se rendait à l'un des nombreux orphelinats de la section.
Les orphelinats étaient nombreux pour satisfaire la demande et loger les futurs travailleurs. Dès qu'un orphelin réussissait à obtenir un appartement, toujours à moitié en ruine et jamais très bien isolé, c'était une fierté immense, signalant le début de l'indépendance.
Les orphelins étaient logés, souvent dans de petites pièces qu'ils partageaient avec d'autres orphelins, la plupart du temps ils pouvaient s'arranger pour être avec des personnes qu'ils appréciaient. Ils étaient aussi nourris, rien de bien spécial le minimum pour les garder en vie et en bonne santé, certains chanceux pouvaient se permettre quelques douceurs et cuisinaient alors dans la cuisine de l'orphelinat avec les rations qu'ils leur étaient dédiées.
L'orphelinat d'Achilles se fondait lui aussi dans le décor, une bâtisse grande en bois usé qui ne pourrait pas être remplacé, le bois, comme tout autre matériau, coûtait cher et le peu qu'ils avaient était une mine d'or qu'ils n'osaient pas dégrader. Quand Achilles ouvrit la porte il ne fut plus surpris du grincement grave et rocailleux de la porte, l'huile était trop chère et si l'on en possédait ce n'était certainement pas pour la gaspiller sur des portes.
Les pas du blondinet résonnaient chacun avec une note différente, un instrument à lui même, pas très élégant mais efficace, il avait appris à apprécier le bruit du bois qui grince dans un gémissement de vieillesse, les cheveux sur sa nuque ne s'en hérissaient plus.
Achilles, après avoir monté des escaliers sinueux où chaque marche était parfaitement l'opposé de l'autre, entra dans une des nombreuses pièces de l'orphelinat. Dans sa chambre, un garçon de son âge lisait un livre, sa tête légèrement penché en avant sous la concentration alors qu'un doigt se posait sur ses lèvres signifiant son sérieux. Ses cheveux mi-longs ne lui arrivaient pas aux épaules, ils tombaient gracieusement autour de sa tête, attiré vers le centre de la Terre comme un marin serait attiré par le chant fatal d'une sirène. Quand ce dernier entendit les pas de son colocataire, ses grands yeux noirs se tournèrent vers Achilles.
"Tu es déjà de retour, alors ça s'est bien passé ?" demanda-t-il en se levant de sa chaise, replaçant une mèche rebelle derrière son oreille avec un petit sourire timide.
Achilles posa son lourd fardeau, créant un rapide son creux, et s'étira légèrement, certain qu'il aurait des courbatures le lendemain.
"J'ai pas le virus, j'ai bien pêché et chassé et Todd nous a donné 25 ivies et cent tickets repas. Et toi ? répondu le plus grand des deux, énumérant à peu près l'essentiel de sa sortie à l'extérieur et de son échange commercial.
- Génial !!! Moi j'ai relu vite fait mon cours et commencé à me documenter pour mon exposé, sur le métier que l'on souhaite exercer, raconta-t-il le sourire aux lèvres, jouant avec ses mains comme il avait l'habitude de le faire, un petit tic nerveux qui était resté.
- Tu seras bientôt un fantastique soigneur, l'Underground en a besoin. Qui sait, tu seras peut-être si bon que tu pourras partir de ce trou à ras... Littéralement, dit-il en le regardant du coin des yeux alors qu'il s'affairait à ranger l'argent et les tickets repas dans un lieu sûr, il espérait sincèrement que son partenaire pourrait partir, ici la vie n'avait rien à lui offrir et il en était conscient.
- Tu sais que je ne partirais pas Achilles. Si jamais j'ai cette proposition, toi tu ne pourras pas venir avec moi... répondu le plus petit alors qu'il baissait le regard honteux:
- Je sais. Chaque habitant doit rester dans son Underground sans demande directe du gouvernement. Le gouvernement n'a aucune pitié par rapport aux couples, puisque de toute façon c'est considéré comme contre nature ou illégal. Mais je préfère largement que tu y ailles plutôt que tu restes ici, soupira Achilles avec amertume, rangeant son sac en toile dans un tiroir et regardant discrètement la réaction du blondinet aux cheveux mi-longs.
- Pourquoi est-ce que l'on parle de ça de toutes manières ? C'est pas comme si on avait à affronter cette possibilité maintenant. Ça se trouve je ne serais même pas retenu pour devenir soigneur, dit il à voix basse, le regard toujours fixé sur un creux du sol.
- Tu le seras. Je te le promets." conclut Achille avant de déposer un tendre baiser sur le front de Timéo.
Achilles finit de ranger et s'étira de nouveau avant de se laisser tomber lourdement sur son lit qui s'affaissa brusquement, fermant les yeux pour se reposer.
Timéo et lui avaient 17 ans, ce qui faisait que l'année prochaine ils devraient décider quel métier ils souhaitaient faire. Le gouvernement se penchera sur le sujet et donnera leur mot final, bien sûr pourquoi laisser des individus dits libres faire leurs propres choix ?
Achilles ne savait pas ce qu'il voulait faire, tout ce qu'il savait c'est qu'il voulait protéger son Timéo. Timéo, lui, voulait devenir soigneur, dans les Undergrounds un soigneur était un médecin dont la médecine reposait sur les plantes souterraines, un métier très important, et ce dans le but de protéger son Achilles.
Les deux jeunes hommes étaient en vacances, bientôt ils entreraient en dernière année. Les vacances ne duraient pas longtemps, trois semaines seulement. La rentrée avait lieu deux jours après la purge, comme ça les professeurs ne perdaient aucun élève en cours d'année, quand Achilles y pense c'est une décision assez morbide.
Les purges avaient lieu une fois par an et ce depuis deux cents deux ans, la première purge avait été organisée douze ans après la création des Undergrounds et l'apparition du Virus. Chaque année, des enfants de 14 à 18 ans étaient choisis au hasard dans chaque Underground et envoyés dehors sans équipement.
Officiellement, le but était d'éviter la surpopulation. Officieusement, le but était d'étudier l'évolution de la résistance au Virus et du Virus lui-même. Plusieurs entrées aux Undergrounds étaient dédiées aux survivants des purges, cependant ceux qui survivaient au Virus et qui réussissaient à trouver une porte n'ont jamais été réintégrés dans la société. Certains disaient qu'ils finissaient par mourir, d'autres disaient que cela n'arrivait jamais, et d'autres comme Achilles croyaient que si le gouvernement ne leur disait rien la dessus c'est parce qu'il ne voulait pas qu'on le sache.
Achilles rouvrit les yeux lentement pour regarder Timéo et fut surpris de voir celui-ci pleurer. Le blond se redressa d'un coup pour prendre immédiatement son autre moitié dans ses bras, caressant ses cheveux mi-longs blonds, l'attirant dans une douce étreinte sans le brusquer.
"Qu'est-ce qu'il y a Timéo ? demanda inquiet Achilles, sa voix caressant l'air et se propageant d'une manière si douce que Timéo ne pouvait rien lui cacher.
- Je... C'est juste que j'ai peur... Demain c'est la purge et je n'arrête pas de me demander ce que je ferai si ça tombait sur nous... Sur toi... avoua Timéo en se blottissant contre Achilles, cela faisait trop longtemps que son cœur se serrait à l'idée de ce moment, il n'arrivait plus à feindre l'indifférence.
- Nous sommes beaucoup dans Poussière, énormément même, ça ne tombera pas sur nous, tout ira bien, c'est notre dernière année et après nous sommes libres ! Tout va bien se passer, j'en suis sûr, dit Achilles tendrement en déposant de doux baisers sur les joues de son colocataire, bien sûr il mentait, il ne croyait pas à ce qu'il disait et son cœur se resserrait d'appréhension à l'idée de voir leur futur à deux se détruire pendant l'énumération des personnes allant à la purge.
- Tu as raison... Oui c'est vrai, ça ne va pas se produire... On va rester ensemble, hein ? continua le futur soigneur en s'essuyant les yeux et afficha un petit sourire timide, plus pour Achilles que pour soi-même, il savait qu'Achilles n'en croyait pas un mot mais lui avouer ne ferait qu'empirer les choses.
- J'y compte bien." le rassura Achilles alors qu'il posait une main sur la joue douce et pâle de Timéo avant de l'embrasser avec tendresse. Sa peau était chaude, réconfortante et ce n'était que dans ces moments-là qu'Achilles avait l'impression de respirer de l'air pur et de sentir la chaleur du Soleil sur sa peau.
Dans les Undergrounds les relations de même genres étaient communes suite à la séparation entre les hommes et les femmes. Mais le gouvernement n'acceptait pas ces relations et ne les reconnaissait pas comme tel, ce qui menait à la séparation de plusieurs couples lorsque l'un ou l'une des deux obtenait une opportunité de transfert.
Timéo se calma presque immédiatement et s'assit à côté d'Achilles, regardant le mur d'en face silencieusement. La chambre était simple, seule la couleur marron foncé décorait les murs en bois de l'orphelinat alors que les fournitures étaient faites en carton et en plastique. Les lits n'étaient que des matelas jetés par terre aux ressorts et aux plumes à moitié perdu dans les années.
Le plus jeune des deux n'était pas comme Achilles, il ne cherchait pas à condamner le gouvernement et à cracher sur l'existence, il vivait dans le but de sauver, de construire, d'aimer. Achilles, lui, vivait car il ne pouvait rien faire d'autre, car il y avait Timéo fin de l'histoire. L'un voyait le futur comme un chemin lumineux et magnifique, l'autre le voyait comme un chemin sinueux et incertain.
Leur couple n'était pas un secret, la discrétion n'était pas le point fort de Timéo, ainsi les hommes ne comprenaient pas comment deux personnes aussi différentes pouvaient s'aimer autant et aussi intensément. Un phénomène étrange pensaient-ils tous mais attendrissant, voir Achilles enfin sortir de sa carapace était un spectacle que beaucoup trouvaient émouvant.
Timéo regarda Achilles qui de nouveau fermait doucement les yeux, fatigué après sa sortie dehors. Il sourit légèrement et se leva silencieusement, chose compliquée par le bois capricieux qui ronchonnait de son utilisation intensive. Il inspecta le butin que le plus vieux lui ramenait avec de petits yeux curieux. Il trouva alors les quelques plantes nouvelles qu'Achilles avait ramassé pour lui, connaissant la passion de Timéo,Timéo sentit son cœur grandir dans sa poitrine et il tourna la tête pour regarder Achilles en train de dormir. Comment pouvait-on aimer quelqu'un autant ?
Tout avait commencé après qu'Achilles ait été transféré d'orphelinat pour "comportement ingérable" quand ils avaient 12 ans, il fut placé dans la chambre de Timéo et tout s'était passé naturellement.
D'abord le plus jeune avait tant bien que mal essayé d'établir un lien, c'est-à-dire qu'il avait suivi Achilles partout où ce dernier allait dans le but de le forcer gentiment à prendre connaissance de sa présence. Par une suite d'événements et surtout par une détermination inébranlable de la part de Timéo les deux devinrent meilleurs amis très rapidement à la grande surprise des gérants de l'orphelinat.
Ce fut Timéo qui confessa ses sentiments amoureux en premier quand les deux avaient 14 ans et Achilles menti par peur de ce sentiment nouveau, par peur de vulnérabilité. Ce ne fut que quelques mois après qu'Achilles avoua l'aimer, devenu esclave de son cœur et de ses sentiments pour Timéo. Depuis, les deux blondinets vivaient heureux dans leur petit couple.
Au départ Timéo avait été contre l'idée que le plus vieux aille dehors chasser mais Achilles n'avait pas écouté et s'était fait pardonner en permettant à son amoureux de goûter un excellent plat de poisson, oui c'était à la limite de la manipulation mais tout ce qui marche ne peut pas être condamné.
Timéo rangea soigneusement les plantes dans un petit bocal qu'il posa à côté des dizaines de petits bocaux qui décoraient son bureau. Puis il sortit de la chambre pour se balader un peu et ainsi se changer les idées, ayant de nouveau le cœur lourd par l'appréhension de ce jour maudit. Mais dès qu'il sortit de la section 3.M il ne vit que les employés du gouvernement se diriger vers la section 0 pour installer l'équipement nécessaire aux purges des Undergrounds.
Il fit rapidement demi tour pris d'une angoisse nouvelle et plus violente. Il marchait lentement vers un coin isolé de la section 3.M, s'asseyant sur le sol poussiéreux et sale, oubliant les mots doux d'Achilles. Désormais il ne voyait plus que la purge, la purge, la purge, il n'entendait que son prénom et celui d'Achilles appelés par le maire, il se voyait succomber à la maladie, il avait peur. Tellement peur.
Ce n'est qu'après plusieurs heures qu'il se leva enfin, prêt à rejoindre Achilles. Il essuya ses larmes et afficha son éternel sourire superficiel que seul Achilles savait détester. Le lendemain serait éprouvant.
• • ● • •
Achille fut réveillé par la sonnerie stridente de l'orphelinat, cette sonnerie qui avait le don de le glacer jusqu'au sang et de lui vriller les tympans. Le jour de la purge était le seul jour des vacances où l'alarme retentissait, le seul jour où le cœur des élèves se serrait et où ils priaient pour avoir la chance d'aller à la rentrée deux jours après.
Il se leva pour voir Timéo dans le lit d'en face se frotter les yeux, encore à moitié endormi. Il sourit légèrement en le voyant, tout irait bien, si Timéo allait bien alors il irait bien.
Les deux jeunes hommes allèrent dans l'une des salles de bains de l'orphelinat, frottant chaque parcelle de leur peau jusqu'à l'irritation dans le but de chasser la moindre crasse de leur corps. Une fois séchés, ils vêtirent leurs habits de purges, pour Timéo s'était une chemise blanche avec un pantalon crème, apprêté d'un ruban vert autour de son cou et de ses poignets, l'équivalent de bijoux dans l'Underground Poussière. Achilles, lui, mît un pull un peu rêche de couleur rouge foncé et un pantalon noir. Ils se coiffèrent les cheveux rapidement, chaque nœud fut rapidement éliminé et quand ils furent enfin prêts ils descendirent les escaliers pour se trouver au milieu de l'attroupement d'orphelins de leur orphelinat, tous debout dans la salle commune.
Une deuxième sonnerie stridente retentit, signalant le départ nécessaire des orphelins. Les orphelins sortirent lentement de l'orphelinat, tel un cortège morbide se dirigeant à leur mort. Achilles et Timéo se tenaient la main, marchant au pas, ne se regardant pas car se regarder serait trop douloureux.
Bientôt ils arrivèrent au secteur 0. Le secteur était différent des autres, certes il était tout aussi poussiéreux, tout aussi sale, mais ce secteur renfermait tous les cris et tous les pleurs qui avaient eu lieu sur ces terres maudites. C'était un endroit cauchemardesque, l'année on l'ignorait, dans nos cauchemars on s'y trouvait et en ce jour déchirant on y allait.
Seul les potentiels recrus de la purge y allaient, femmes et hommes de plus de 18 ans ne venaient plus, pourquoi viendraient-ils ? Eux qui avaient craint ce secteur, rien ne les rattachait à cet endroit lugubre, rien ne les obligeait à assister aux pleurs des plus jeunes et aux adieux déchirants des couples et des amis. Alors seul un attroupement d'adolescents de 14 à 18 ans se trouvait ici, un unique petit passage entre deux gros blocs d'adolescents séparait les filles et les garçons.
Le représentant de l'Underground Poussière arriva, se tenant sur une petite estrade et tapota son micro pour s'assurer que celui-ci marchait. Il était de grande taille, ses cheveux roux étaient soigneusement coiffés et ses yeux verts brillaient derrière les verres de ses lunettes. Il ne venait pas de l'Underground Poussière, ni de l'Underground Boue, il venait d'un des Undergrounds riches, ses traits physiques le dénonçaient.
Achilles serra la mâchoire, bien sûr que c'était un homme d'un Underground riche qui était là, eux qui n'avaient presque pas à craindre les purges, eux qui vivaient plus confortablement que le plus riche d'ici. Timéo caressa sa main avec son pouce pour le calmer, sentant la pression qu'Achilles effectuait inconsciemment sur sa main.
Chaque année les purges des Undergrounds avaient lieu, chaque année chaque underground pauvre donnait 35 candidats à la purge, chaque année chaque underground de classe moyenne donnait 10 candidats à la purge et chaque année chaque underground riche donnait 5 candidats à la purge. 150 candidats par an, dont presque la moitié venait des undergrounds pauvres. Ils ne vivaient pas dans un monde juste.
"Bonjour, bonjour. En l'honneur de la 202ème purge des Undergrounds, le gouvernement exige 35 candidats de l'Underground Poussière", une petite pause, le représentant se racla la gorge, mal à l'aise devant cette assemblée de têtes blondes, il se sentait dévoré par les yeux noirs des adolescents.
Achilles entrelaça ses doigts avec ceux de Timéo, bientôt les prénoms des candidats attendus déferleront de la bouche du représentant. Bientôt ils sauront s'ils devront pleurer ou célébrer ce soir.
"Anaïs, Anna, Clara, Clarisse, Constantina, Diane, Elisabeth, Emma, Joséphine, Lisa, Louise, Lucie, Marie, Romane, Rose, Victoire et Vivienne pour les filles." commença le représentant.
17 filles avaient les yeux grands ouverts et s'avançaient pour se ranger devant l'estrade. Achilles serra encore plus la main de Timéo. Il y aura 18 garçons alors. 18 garçons. Ils étaient bien une petite centaine.
"Anatole, Antoine, Baptiste, Clément, Corentin, Émile, Fabien, Florian" continua le représentant.
Plus que 10 garçons, plus que 10 garçons, plus que 10 garçons. Achilles sentait son cœur battre à en sortir de sa poitrine, les jointures de ses doigts tournèrent au blanc tant il serrait la main de son bien aimé. Il savait qu'il était hors de danger, le représentant annonçait les prénoms dans l'ordre alphabétique, dès que Baptiste avait été appelé Achilles avait été sauvé.
"Grégoire, Hélios, Hyppolite, Joseph, Léo, Marc, Patt, Phil, Simon" enchaînait le représentant.
Plus que un. Plus qu'un garçon et tout irait bien. Il regarda Timéo, vit la rougeur de stresse qui colorait ses oreilles, vit ses grands yeux noirs attentifs. Timéo serrait à son tour sa main.
"Et Timéo pour les garçons." finit le représentant.
Achilles sentit son cœur se fracasser, exploser en mille morceaux alors que sa main sentait que Timéo commençait à le lâcher pour partir à son tour vers l'estrade. Il paniquait, que devrait-il faire ? Qu'est-ce qui était recommandé dans cette situation là ? Comment devait-il réagir ? Sans qu'il ne s'en rende compte, des larmes s'accumulèrent aux coins de ses yeux, un voile de brume brouillait sa vision. Timéo tira sur sa main pour l'encourager à le lâcher. Non. Non. Non !
"Je veux y aller aussi ! Laissez-moi prendre sa place ! Je vous en supplie !" cria-t-il de sa voix éraillée, chaque mot lui pesait, sa prise de parole fut le signal que ses larmes attendaient et d'un coup elles se mirent à couler. Achilles détestait être vulnérable.
"Impossible."
Impossible ? Achilles releva la tête pour voir le représentant secouer la tête.
"Le nombre de candidats est extrêmement bien calculé, un seul de plus et tout est déséquilibré. De plus, le gouvernement choisit les candidats avec soin. Impossible." acheva le représentant.
Achilles fut forcé de lâcher la main de Timéo. Il le voyait, voyait son dos, ses cheveux, ses jambes, ses pieds, ses bras. Le voyait marcher, loin, loin de lui, près de l'estrade. Timéo était loin, déjà il lui échappait des mains, Achilles n'avait pas sa place à côté de lui, Achilles détestait le gouvernement.
"La purge commencera demain. Vous pouvez retourner chez vous et vous reposer." conclut le représentant.
Trop dur. C'était trop dur. Achilles ne bougeait pas, il ne voyait plus, n'entendait plus, ne comprenait plus rien. Il perdait Timéo. La mort le lui prenait. De quel droit la mort lui enlevait son bien aimé ? Non. De quel droit le gouvernement lui prenait son bien aimé ? Un sentiment de rage se propagea dans son corps, il se fit violence pour ne pas hurler sa rage mais au moment où sa résistance faiblissait, une main se posa sur son épaule.
Par ce simple geste toute colère fut éradiquée, rien n'existait sauf Timéo et lui. Sans se dire quoi que ce soit, ce n'était pas nécessaire, ils savaient ce que dirait l'autre, ils se prirent l'un et l'autre dans leurs bras. Ils se collèrent à leurs bien aimés, pleurèrent, l'un pour son amoureux, l'autre pour lui-même.
L'un voyait toujours le futur comme un chemin sinueux et incertain, l'autre le voyait désormais comme un chemin sombre et douloureux. Tous leurs espoirs s'étaient brisés en un seul mot : "Timéo".
Silencieusement, les deux amoureux rentrèrent dans leur orphelinat délabré, qui, bizarrement, leur semblait si chaleureux en ce moment. Silencieusement ils montèrent dans leur chambre. Le bois ne dit rien, respectant avec silence leur amour brisé, s'inclinant face à la grandeur de leur détresse. Silencieusement ils s'allongèrent sur le lit. Silencieusement et s'embrassèrent. Silencieusement ils s'endormirent.
• • ● • •
Achilles se réveilla au milieu de la nuit, les yeux bouffis de sommeil et des larmes qu'il avait versé, à côté de lui il vit que Timéo était assis et regardait la fenêtre d'un air lointain.
"Comment est-ce que tu te sens ?" demanda Achilles en se redressant, passant un bras autour de la taille de Timéo avec tendresse.
Timéo tourna la tête pour plonger son regard dans celui d'Achilles. Il sourit légèrement, mais ce mouvement, si simple soit-il, sembla lui coûter beaucoup. Sa lèvre inférieure se mit lentement à trembler et le visage de Timéo fut bientôt inondé de larmes. Timéo ne pouvait pas garder son masque plus longtemps, il savait que cela était impossible avec Achilles, alors il s'abandonna à sa tristesse, laissant sa tête tomber sur l'épaule d'Achilles.
"Je suis désolé... déclara-t-il entre deux sanglots, sa main se refermant autour du tissu du haut de pyjama d'Achilles.
- Pourquoi ? Tu n'as pas à t'excuser. C'est à moi de m'excuser. Je n'ai pas pu te sauver..." il sourit douloureusement, passant une main dans les cheveux de sa deuxième moitié sentant une larme chaude rouler sur sa peau dans une plainte dramatique.
Achilles regarda par la fenêtre, il n'y avait rien à voir, aucune étoile ne brillait, aucune Lune n'apparaissait, seul le plafond terreux de l'Underground leur était visible. Demain, Timéo pourra voir les étoiles, pensa Achilles alors que son cœur se compressait dans sa poitrine douloureusement. Demain, je ne verrai pas mon étoile, pensa Achilles alors qu'une deuxième larme traçait sa ligne humide sur la peau du blondinet, commençant son œuvre d'art, achevant son trait de pinceau dans le cou de celui-ci.
"Je t'aime Timéo." lâcha-t-il d'un coup, il ne le lui avait jamais dit, de peur de comprendre la signification de ses paroles. Mais sa langue avait agit d'elle-même, et cela en était plus douloureux encore. Il l'aimait et demain il ne pourrait plus le lui montrer.
Timéo, lui, sourit, il pourrait partir serein, tout ce qu'il avait voulu accomplir lui semblait soudain si insignifiant. La véritable chose qui comptait et qui avait toujours compté était Achilles. Maintenant qu'il savait qu'il était aimé, le Virus n'était plus aussi menaçant qu'avant.
"Tu devrais dormir." continua Achilles, en lui caressant doucement le dos, déposant un baiser sur son crâne.
Timéo secoua sa tête, faisant danser tristement ses cheveux blonds, il se blottit un peu plus contre Achilles.
"Je ne veux pas." avoua Timéo alors qu'il semblait graver chaque traits physiques d'Achilles dans sa mémoire.
Achilles ne dit rien de plus et les deux passèrent la nuit à se regarder, à s'aimer en silence, à se montrer leur amour et ce sans qu'aucun n'ait besoin de parler.
• • ● • •
Le lendemain, les deux étaient prêts. Ils n'avaient pas dormis, mais se sentaient plus reposés qu'ils ne l'avaient jamais été. Timéo prépara son sac, prenant le sac en toile d'Achilles, il y engouffra quelques plantes, un carnet et un stylo, Achilles ne le vit pas faire.
Les deux s'habillèrent en silence, se regardant intensément, chaque seconde sans se regarder était une seconde de gâchée. Ils marchèrent vers le secteur 0, 35 adolescents attendaient, plusieurs adolescents les regardaient avec tristesse.
"Je te retrouverai Timéo, je te le promets, promit Achilles, en tenant son amoureux et son seul amour par les épaules.
- Je sais. Je t'aiderais à me trouver." sourit Timéo alors qu'il se rapprochait d'Achilles pour l'embrasser timidement.
Achilles le serra contre lui et profita de ce dernier instant de bonheur, d'amour, de vie et de joie. Il aimait Timéo tellement qu'il en avait mal. Il en souffrait désormais.
Ce n'est que quand Timéo disparût dans les escaliers qui menaient au monde extérieur qu'Achilles fut brutalement confronté à la réalité : Timéo n'était plus là. Ici dans le secteur 0, Achilles comprenait enfin la douleur d'aimer, son cœur était lacéré par les griffes de ses sentiments amoureux, déchiré par ses espoirs pour le futur et poignardé par ses larmes.
Il tomba au sol, à genoux, alors qu'il réalisait enfin qu'il était seul, que toutes ces dernières années il n'avait vécu que pour Timéo et que désormais celui-ci n'était plus là. Pourquoi devrait-il vivre ? Comment ? Comment pourrait-il vivre chaque jour en sachant que dehors Timéo se battait pour survivre ?
Il ne contrôlait plus son corps, son cœur détenait à présent les rênes. Il ne savait pas ce qu'il faisait. Mais tout le monde put entendre son cri déchirant, voilà pourquoi tout le monde évitait la section 0. Dans le secteur 0 résidaient tous les cris des amoureux et amoureuses subissant la perte de leur moitié. Ces cris, Achilles ne les avait jamais compris, mais désormais il criait comme si cela lui ramènerait la seule personne qui avait jamais compté à ses yeux.
Son front se posa sur le sol alors qu'il évacuait son agonie de la seule manière possible : les pleurs et les cris. À certains moments Achilles criait si fort que ses oreilles commençaient à siffler. Les marchands se rassemblaient pour voir qui souffrait à ce point. A certains moments Achilles pleurait si intensément qu'il n'arrivait plus à respirer. Ses mains se plongèrent dans le sol de poussière comme s'il pouvait encore retrouver son Timéo.
Il ne savait pas combien de temps il resta dans la section 0. Il ne savait pas à quel moment Todd l'avait porté dans ses bras pour l'amener à son orphelinat. Il ne savait pas combien de temps il avait dormi dans cette chambre, dans ce lit, où la présence de Timéo était encore semi-présente.
• • ● • •
À partir de ce jour Achilles cessa de vivre. Ayant épuisé sa sortie du mois, il avait interdiction de sortir. Chaque jour passé loin de son amoureux était un jour de gâché, un jour dont il ne voulait pas se souvenir, un jour qu'il ne souhaitait pas vivre. Les cours étaient longs, ennuyeux, les professeurs les pressaient de trouver le métier qu'ils voulaient faire. Achilles voulait être avec Timéo.
Plus les jours passaient, plus le directeur du lycée venait pour annoncer la mort d'un des candidats de la purge. Achilles se rassurait en se disant que Timéo était encore en vie, mais pour combien de temps exactement ?
Un mois après le début de la purge, alors qu'Achilles planifiait sa sortie du mois dans son dernier cours de la journée, le directeur du lycée entra dans leur classe. Comme à chaque fois qu'il rentrait, le cœur d'Achilles cessa de battre, son attention entière posée sur le directeur. Il savait qu'il y avait d'autres candidats encore en vie, mais plus le temps passait, plus le décompte était rapide et plus les chances que le défunt soit son amoureux grandissaient.
"Je viens vous annoncer avec regret qu'un de nos anciens élèves est mort pendant la purge." son regard se posa sur Achilles et un long frisson parcourut tout le corps de l'adolescent.
"C'est Timéo."
Toute la classe se tourna vers Achilles mais celui-ci avait trop pleuré, trop crié, une douleur en plus ou une douleur en moins, il n'était pas à ça prêt. Il se leva d'un coup avant de ranger ses affaires, les larmes coulant gracieusement sur ses joues telles la peinture d'un artiste sur une toile de marbre. Sans un mot il quitta sa classe et sans un mot, le regard rempli de larmes incessantes, il entra dans sa chambre.
Il ne lui restait qu'un petit sac en toile, il le prit et mit dedans quelques provisions mais rien d'autre, il ne reviendrait pas. Il trouverait Timéo et resterait avec lui, comme il l'avait prévu au départ. Achilles n'avait pas touché aux affaires de Timéo pensant bêtement que celui-ci serait bientôt de retour, mais il savait désormais que cela n'arriverait jamais.
Il regarda tendrement les bocaux remplis de plantes et de baies jusqu'à ce que son regard se pose sur un bocal avec l'étiquette "Taxus baccata", en dessous de l'étiquette reposait quelques notes sur cette plante écrit par Timéo. Plante mortelle. Achilles prit le bocal avec lui.
• • ● • •
Achilles arriva dans la salle d'accueil et se dirigea directement vers Elric, puis posa son sac en toile par terre.
"Je vais chasser, dit simplement Achilles en regardant l'escalier qui menait à l'extérieur.
- Je suis désolé pour Tim- commença l'employé.
- Tu n'aurais pas eu à t'excuser si tu m'avais laissé partir plus tôt. Je peux y aller ? le coupa brusquement Achilles, il devait sortir d'ici rapidement sinon il risquait de devenir fou.
- Oui, bien sûr." conclut-il en baissant la tête et en lui tendant une feuille d'autorisation.
Achilles la prit et s'en alla monter les escaliers qu'il avait si souvent monté. Quand il arriva dans la même salle maussade qu'à chaque fois, il ouvrit son casier pour prendre son épais masque en fer et le mit. Cependant il ne ferma pas son casier, ne déposa pas de vêtements de retour. Il n'en aurait pas besoin. Il ne reviendrait pas.
Il attendit que la porte anti-Virus s'ouvre et passa de l'autre côté, regardant la rangée de boîtes d'allumettes sans émotions. Achilles commença à monter les escaliers qui menaient à l'extérieur puis ouvrit la porte et fut ébloui par le Soleil. Il sourit. Peut-être que Timéo, lui aussi, avait eu droit à ce Soleil.
Presque immédiatement il vit une large trace dans le sol, comme si quelqu'un avait délibérément tracé son chemin avec une large branche d'arbre. Les larmes lui montèrent aux yeux : Timéo lui montrait le chemin.
Ainsi commença le long chemin pour retrouver son être aimé, la quête d'une vie, la mission d'un amoureux, la promesse d'Achilles. Chaque pas était plus revigorant que l'autre. Le ciel était plus bleu que jamais auparavant, pourquoi le gouvernement gardait-il un aussi beau paysage caché derrière des mètres de terre à la même couleur marron foncé ?
Achilles continuait à avancer, pas après pas, il savait que la rencontre avec Timéo serait douloureuse, mais rester sans rien faire l'était plus encore, et il n'était pas prêt à abandonner son seul et unique amour.
• • ● • •
Achilles avait perdu le compte du temps, alors quand il vit que le trait faiblissait en profondeur il comprit sans mal qu'il arriverait bientôt aux côtés de Timéo. Les larmes lui montèrent aux yeux en imaginant Timéo qui luttait face à la mort sans pour autant penser une seule seconde à arrêter de le guider. Il serra le poing, si seulement il n'était pas sorti ce jour-là, il l'aurait retrouvé si vite, ils auraient été ensemble dans leurs derniers instants.
Ses provisions descendaient vite mais il en avait pris suffisamment pour tenir encore une semaine, même s'il était persuadé que cela ne serait pas nécessaire.
Le lendemain, réveillé par le chant rare des oiseaux immunisés au Virus, Achilles reprit sa route. C'est au levé du Soleil qu'Achilles trouva le corps de Timéo. Blanchâtre, mais pourtant à l'allure plus vivante que sous terre. Le Soleil faisait briller les cheveux blond de son compagnon défunt et commençait à teinter sa peau pâle d'une jolie couleur caramel.
Achilles enleva son masque et pour la première fois il respira l'air vivifiant de la nature et sentit la chaleur du Soleil sur sa peau. Il jeta son masque au loin, il ne lui servait plus à rien, et s'assit à côté de Timéo, posant la tête de celui-ci sur sa cuisse.
Alors qu'Achilles sortait de son sac de toile le bocal qu'il avait pris sur le bureau de son amoureux, il remarqua que dans la main de Timéo reposait un carnet et un stylo.
Achilles prit le carnet avec appréhension et l'ouvrit doucement. Au fur et à mesure de sa lecture, ses yeux se remplissaient de larmes. Timéo avait documenté chaque jour qu'il avait passé dehors. Il savait maintenant ce qu'avait pensé son amour chaque jour où il se lamentait de leur séparation.
Il ne luttait pas, il laissait ses larmes couler en prenant soin qu'aucune larme ne vienne abîmer l'écriture de son amour défunt. Enfin il arriva à la dernière page écrite.
Cher Achilles,
Je sens qu'aujourd'hui est mon dernier jour dans le monde des vivants. Je sais que c'est toi qui lit. Car je sais que tu es venu me chercher. Peut-être en sachant qu'il était trop tard, peut-être dans l'espoir de me trouver.
Sache que je n'ai jamais cessé de t'aimer, que les derniers jours de ma vie ont été loin de la douleur première à laquelle je m'attendais.
Le monde extérieur est magnifique, le Soleil, la Lune, les étoiles, jamais je n'aurais cru que leur beauté dépassait de loin les descriptions poétiques que nous avions lues.
Je m'en vais avec un sourire sur mon visage, le Soleil chauffe ma peau, la brise me chante une douce chanson et mon cœur sait que bientôt tu seras prêt de moi.
Je t'ai aimé hier, je t'aime aujourd'hui, et je t'aimerais à l'infini.
Je t'attends, mon Achilles.
Ton Timéo.
Achilles sourit d'un vrai sourire de bonheur. Timéo l'attendait, il devrait se dépêcher. Alors, ouvrant le bocal, il préleva l'entièreté des baies rouges qui se trouvaient à l'intérieur.
Il regarda une dernière fois le paysage magnifique qui se trouvait devant lui. La vie extérieure avait tellement plus à leur offrir que la vie souterraine, il en était certain. Alors, se sentant enfin prêt, tenant de sa main libre la main froide et sans vie de Timéo, il versa les baies dans sa bouche et les croqua lentement. Alors qu'Achilles avalait chacune des petites graines des baies, une présence chaleureuse l'enveloppait de ses bras invisibles et en un instant, il était parti. Le même sourire que Timéo infiniment dessiné sur ses lèvres.
Jusqu'à ce que l'on se retrouve, mon amour, fut la dernière pensée d'Achilles.
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