🌻 Chapitre 27- Tournesol
J'avoue que j'appréhendais beaucoup de devoir de nouveau contacter ma famille. Et pourtant, aux premiers mots échangés, j'ai compris qu'aucun d'entre eux n'a tenu rigueur de mon absence.
Connectée à mon ordinateur pour mon premier appel avec eux depuis des jours, les mines préoccupées et bienveillantes de mes oncles, de mes tantes, de mes cousins et cousines, ainsi que ma grand-mère, me saisissent et me font chaud au cœur. Le fait de pouvoir parler avec eux en espagnol, ma deuxième langue natale, y est également pour quelque chose.
-¡Hola todos! Comment ça va?, je dis à ma famille en souriant.
Débiter cela le tout avec un immense sourire me parait assez hypocrite étant donné mon absence de nouvelles, mais le simple fait de les voir suffit à me mettre de bonne humeur. S'ensuit alors une longue discussion où j'ai le loisir d'avoir d'apprendre ce que devient ma famille. Comme j'y attendais, je reçois des questions sur mon silence de plusieurs jours. Et comme avec Thiago et Sonia, je leur raconte tout sans rien omettre. Avec l'inquiétude que je leur ai causée, je leur dois au moins ça.
-Voilà un peu ce qu'il en est de ma vie, j'ajoute pour finir après mes longues explications sur mes états d'âme du moment. J'ai tellement de questions à vous poser sur pourquoi m'avoir envoyé ici, et en même temps... Bah, j'ai peur d'être déçue.
Aux regards presque coupables qu'ils me lancent et aux visages honteux qu'ils abordent, j'ai l'impression qu'ils pensent un truc du genre: "Il fallait bien que ça arrive un jour..." Au bout d'un moment, mon oncle Diego me dit:
-On aurait dû t'en parler avant, sobrina... Mais on ne savait pas quand, ni comment.
-Le plus tôt aurait été mieux, réplique ma tante Carmen. Et je ne sais franchement pas pourquoi on a attendu si longtemps.
-Ne recommence pas, Carmen, intervient ma tante Pilar. On a déjà dit qu'elle était trop jeune, à l'époque.
-Écoutez, elle n'est plus si jeune que ça ! Il y a des choses qu'elle est en mesure de comprendre.
Et voilà que je suis sur le point d'assister à une joute verbale entre mon oncle et mes tantes, sous le regard impuissant de leur conjoint respectif et de leurs enfants. Mon père, Fernando, était l'avant-dernier de sa famille. Il arrivait juste après mon oncle Diego, ma tante Carmen, et juste avant ma tante Pilar. Quand mon père était encore vivant, il se pouvait qu'ils se disputent beaucoup, tous les quatre, sans que ça n'altère leur bonne entente. Ils étaient proches comme pouvaient l'être une fratrie ayant perdu leur père très jeune, et devant assister au désespoir de leur mère qui tente de joindre les deux bouts.
Le décès soudain de mon père a été une vraie déchirure pour eux tous. Je perdais mon père, comme mon oncle et mes tantes avant moi. Et ma mère perdait son mari, comme ma grand-mère juste avant elle. Mais surtout, c'était mon père qui apportait la bonne humeur au sein de sa famille. Ma grand-mère Esperanza répétait que lui et mon grand-père se ressemblaient beaucoup. Depuis ce terrible drame, même si mon oncle et mes tantes ont su rester ensemble dans la douleur, ça ne les empêche pas de se prendre la tête pour des choses me concernant, comme c'est le cas en cet instant précis.
-Vous me dîtes si je dérange, hein?, je lance en les voyant commencer à se disputer.
Décidément, il n'y a pas que chez ma tante Rosa où on se dispute à mon sujet juste en face de moi.
Heureusement, mon abuela Esperanza réussit à calmer le jeu. Malgré son apparence frêle que les épreuves ont fragilisé avec le temps, elle a toujours eu un mental de guerrière. Après avoir ordonné à mon oncle et mes tantes, en espagnol, de cesser leur dispute, elle s'adresse à moi de façon plus douce:
-Joyce, mi corazón, sais-tu pourquoi tes parents ont choisi ce prénom pour toi?
J'hausse les épaules en guise de réponse.
-Aucune idée. Enfin si... J'ai cru comprendre que papa et maman m'ont choisi un nom anglophone pour faciliter mon intégration, mais il y a plus que ça, visiblement.
Ma grand-mère prend alors une inspiration, comme à chaque fois qu'elle s'apprête à raconter quelque chose.
-C'est ce qu'ils disaient, mais il y a bien plus que ça... Quand nous devions faire le choix entre te laisser vivre ici avec tes oncles et tes tantes, ou te faire vivre chez un membre de ta famille que tu ne connais pour ainsi dire pas, la réponse nous a semblé aller de soi. Pour nous, il était impératif que tu restes avec nous, que tu connais depuis toujours. Il fallait que tu te reconstruises dans un endroit qui t'est familier... Mais l'avocat de ta tante Rosa nous a fait savoir que tu devais t'éloigner de là où tu as vécu des événements douloureux. De plus, nous a-t-il dit, ta tante tenait absolument à faire ta connaissance. Puis nous en avions discuté davantage avec ton oncle et tes tantes. Nous avons eu des échanges houleux à ce sujet.
-Ah ça oui ! approuve ma tía Carmen qui n'est pas réputée pour avoir la langue dans sa poche. On faisait plus de bruit à nous tous que lors d'un concert de metal.
Cette intervention m'arrache un sourire. Mon abuela reprend ensuite avec son accent mexicain qui a le don de me rassurer:
-Finalement, nous avons convenu qu'il était plus avantageux pour toi de rejoindre ta tante Rosa. Et d'après ce que tu nous as raconté, tu t'es fait assez rapidement à cette nouvelle vie.
-Mouais... J'avoue que beaucoup de choses m'échappaient, comme par exemple le fait que je n'ai jamais entendu parler de ma tante jusqu'à mon déménagement. Et pourquoi je n'ai jamais su qu'elle était une actrice mondialement connue. Et quels étaient ses rapports avec ma mère. Je pense que ça pourrait expliquer pourquoi elle a autant de soucis personnels.
Il me semble à ce moment-là que la lumière du jour se fait plus éclatante. On dirait que le soleil lui-même a décidé de servir de projecteur pour illuminer ma chambre.
-D'ailleurs abuelita, ça ne m'explique toujours pas le rapport entre le choix de m'envoyer vivre dans le Wisconsin et mon prénom, je fais remarquer.
Ma tía Pilar prend la parole à son tour:
-A vrai dire, c'est ton père qui est venu avec l'idée de t'appeler ainsi. "Joyce" signifie "joie", mais également "champion". En choisissant ce prénom, il t'a bénie en disant que tu serais celle qui apporterait de la joie non seulement au sein de ta famille, mais également avec tes amis et tous ceux que tu rencontreras.
-Je me souviens très bien de ce qu'il nous a dit juste après ta naissance, enchaîne mon tío Diego avec une expression nostalgique sur le visage. "Je prie pour que cette enfant grandisse entourée d'amour, quelle qu'en soit la provenance. Je prie également pour toutes les relations qu'elle tissera et pour l'impact qu'elle aura pour chacune de ses futures rencontres. Et enfin, je prie pour qu'elle soit une source de joie pour toutes les personnes avec qui elle tissera des liens, qu'elle soit un véritable girasol pour chacun."
L'émotion grandit en moi alors que ces paroles me parviennent. Mi girasol, c'était le surnom que me donnait mon père. "Mon tournesol". Cette fleur qui est toujours tournée vers le soleil, peu importent les circonstances. Et ce que mon père a annoncé le jour de ma naissance prend sens: il a toujours voulu que je sois cette fille pleine de joie, d'entrain, courageuse et pleine d'esprit. A l'image du tournesol qui est attiré par le soleil, mes parents ont toujours souhaité que je reste fidèle à moi-même. La vague de tristesse que j'ai ressentie ces derniers temps à cause de ce contrecoup me revient en mémoire, et une pointe d'amertume me ronge la poitrine.
-J'ai pas tenu ma promesse, je dis d'une voix sourde. J'ai pas réussi à... vous savez...
Je ne me sens même pas capable de terminer ma phrase. Heureusement pour moi, mon abuela semble avoir saisi le fond de ma pensée.
-Joyce, ce n'est pas parce que tu es de tempérament joyeux que tu n'as pas le droit d'être triste. C'est tout à fait humain, d'être triste. Personne ne fait exception. Et l'un n'empêche pas l'autre, bien au contraire. C'est en vidant son sac que l'on redémarre mieux. Sinon tu n'as plus aucun équilibre.
Ces paroles créent une profonde résonance en moi, s'enfonçant dans ma chair pour s'enraciner jusque dans la moelle de mes os.
-Vider son sac pour mieux redémarrer, je répète.
-Dans tous les cas, nous nous joignons tous aux prières de tes parents te concernant, continue mon abuela. Personnellement, je suis intimement convaincue que Dieu ne t'a pas placée ici par hasard. Si tu es arrivée au sein de la famille de ta tante qui rencontre des difficultés, il y a forcément une raison. Tu as une personnalité magnétique et les gens apprécient ta bonne humeur. Ce sont des dons que le Seigneur t'a donné, nieta. A toi d'en faire bon usage.
Je ne peux m'empêcher de sourire. La famille du côté de mon père étant croyante, mon enfance a été baignée de chants traditionnels catholiques en espagnol, avec également du gospel. De ce que j'ai compris, ma mère était, elle, d'arrière-plan protestant. Est-ce que c'était également le cas de ma tante? De quoi alimenter encore mon stock de questions à lui poser.
-Mais du coup, concernant mes autres prénoms, Miranda et Peyton... Quelqu'un peut m'expliquer?
Mon tío Diego se met à rire.
-Ah ça, il faut voir avec tes tantes.
Je lance un regard outré à mes tantes Carmen et Pilar.
-Donc c'est à cause de vous que j'ai des prénoms aussi nuls?
-C'est de notre faute, fait ma tía Pilar en faisant semblant de s'apitoyer. On tenait absolument à te donner d'autres prénoms, et tes parents n'ont pas pu refuser.
-Oh d'accord, tout le monde est complice dans cette affaire alors, y compris vous tous qui n'êtes pas intervenu pour faire arrêter ce massacre!, je dis en accusant faussement les autres membres de ma famille, ce qui leur fait rire aux éclats.
Au même instant, il me semble que ce qui me restait de mélancolie au fond de moi est en train de fondre.
Alors alors, ce chapitre... Qu'en avez-vous pensé ?
C'était assez important de voir de plus près ceux avec qui Joyce a grandi, et aussi de voir l'environnement dans lequel elle a baigné depuis qu'elle est née, mais également comment tout ça a permis de structurer qui elle est.
Avez-vous aimé la conversation qu'elle a eu avec sa famille du côté paternel ?
Comme vous l'avez peut-être remarqué, on peut voir comment sa mélancolie a été peu à peu surmontée. Ce sont d'abord ses amis du Wisconsin qui ont remarqué sa détresse, puis ce sont ses deux meilleurs amis qui l'ont guidée et conseillée, et c'est enfin sa famille qui a bouclé la boucle en lui rappelant qui elle est. Cet enchaînement de soutien lui a permis de se rebooster.
Bref, c'était l'instant explication et analyse de personnage.
Je vous dis à la prochaine pour la suite !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top