🌻 Chapitre 23- Le point de non-retour
Joseph a à peine le temps de poser les yeux sur moi qu'il devine que quelque chose me tracasse. C'est, du moins, l'impression que j'ai à cet instant précis.
Je l'ai trouvé en train d'enlever les poussières à l'aide d'un plumeau dans la salle à manger, et c'est en voulant me saluer qu'il a compris que je souhaitais lui parler.
-Je vois que quelque chose vous dérange, Joyce. Est-ce que tout va bien?
Ne sachant pas comment formuler ce qui me tient à cœur, je commence à tourner mon pied droit nerveusement. Au bout d'un moment, je prends une inspiration, puis me jette à l'eau:
-Il y a un truc dont je voudrais vous parler, et c'est à propos de ce bouquin.
Là-dessus, je lui montre la couverture de ce fameux livre en question. L'expression de mélancolie qui apparaît sur son visage est si visible que l'espace d'une seconde, je me demande si ce n'est pas moi qui ai rêvé. Malgré ça, le majordome esquisse un petit sourire qui n'en reste pas moins triste.
-Ah, vous l'avez retrouvé, ce livre...
Il semble hésiter, puis finit par me dire:
-Asseyons-nous, si vous le voulez bien. Ce sera mieux pour discuter.
Je m'y exécute aussitôt, et je suis rapidement suivie par Joseph, lequel a d'abord posé son plumeau sur un meuble. Une fois tous deux assis l'un en face de l'autre, le majordome commence à se triturer nerveusement les mains, et cela ne fait qu'accentuer mon anxiété ainsi que mon impatience. Qu'est-ce que ce livre a d'aussi important pour qu'il suscite de telles réactions? Et en quoi est-ce que c'est lié à cette Letitia qui en est visiblement la propriétaire?
Tant de questions dont je redoute les réponses que je m'apprête à entendre.
-Savez-vous à qui appartenait ce livre?, me demande finalement Joseph.
Appartenait. Il a bien dit appartenait. Je pousse un soupir pour essayer de calmer les battements de mon cœur.
-Sur la dernière page, l'auteur l'a dédicacé à une certaine Letitia Jones, je réponds en essayant de garder ma voix la plus neutre possible.
Le regard du majordome est alors empreint d'une grande tristesse.
-Ah, Letitia, murmure-t-il dans un souffle.
Je serre mes poings pour contenir mon impatience grandissante. Si Joseph continue de faire le mystérieux, je vais sûrement finir par craquer.
Calme-toi Joyce. Prends plusieurs inspirations, comme le disait papa.
Malgré ça, je n'arrive pas à appliquer les conseils de mon père. A la place, je retiens ma respiration. La voix de Joseph me parvient alors:
-Je dois vous avouer que je ne peux pas penser à cette jeune fille sans avoir un pincement au cœur. D'autant plus qu'elle vous ressemblait beaucoup...
-Oh bon sang...
Mon cœur cogne si fort dans ma poitrine que c'en est douloureux. Je passe une main sur mon visage, alors que je demande à Joseph d'une voix rauque:
-Elle est morte, c'est ça?
Je vois dans les yeux du majordome une expression de douleur qui n'est pas sans rappeler celle qui était présente dans ceux de Taylor et de tante Rosa.
-Elle... elle aurait eu le même âge que vous, dit-il avec difficulté.
Sans que je ne puisse contrôler quoi que ce soit, je me lève d'un bond avant de me diriger vers la fenêtre de la salle à manger qui donne accès au jardin. Là, je fais mon possible pour contenir au mieux mon émotion. Je m'accorde quelques instants pour calmer ma respiration avant de demander à Joseph, la gorge nouée:
-C'était la petite sœur de Taylor, hein?
Il ne répond rien, mais son silence est plus qu'éloquent.
-Et... comment c'est arrivé?
Je suis bien consciente qu'en demandant cela, je risque d'entendre des choses qui ne feront que davantage m'accabler. Mais je préfère continuer sur ma lancée tant que j'en ai encore le courage.
De là où je suis, je parviens à entendre la respiration de Joseph, et je devine sans peine qu'il essaie lui aussi de maîtriser ses émotions.
-Écoutez, je ne sais pas si je devrais vous le dire...
-Dîtes-le moi, Joseph. S'il vous plaît.
Ma voix est à la fois abrupte et plaintive. Vraiment, tous ces sentiments contradictoires qui se bousculent en moi deviennent de plus en plus étouffants. Et quelque chose me dit que ça ne va pas aller en s'améliorant.
-Letitia..., reprend Joseph. Elle a été victime d'un accident de voiture.
Face à ce que je viens d'entendre, mes ongles s'enfoncent dans ma peau tandis que je ferme les yeux, dans une tentative dérisoire de retenir mes larmes. Bon sang, c'est pas vrai... Un autre membre de ma famille est mort à cause d'un accident de voiture. D'abord mon père, et maintenant...
-Ça s'est passé quand?, je murmure alors que ma voix est étranglée par des sanglots contenus.
Il n'est pas question de craquer maintenant. Il faut que je tienne bon. Il faut que je sache.
Il le faut.
-C'était il y a presque un an. C'était... quelques semaines après Thanksgiving.
J'ai la sensation atroce que l'on passait mon cœur à la moulinette. Voilà qui explique en partie le comportement de ma cousine et de ma tante, quelques jours plus tôt.
Letitia aurait sûrement aimé, elle aussi.
Joseph reprend alors la parole avec des trémolos dans la voix:
-Un conducteur un peu saoul a conduit trop rapidement et l'a percutée... Les médecins n'ont pas pu la sauver.
Je l'entends alors renifler. De mon côté, une larme s'échappe de mon œil droit.
-A l'époque, je pressentais déjà que le mariage de votre tante et de ce Robbie Young commençait à battre de l'aile. Mais cette horrible tragédie n'a fait qu'accélérer les évènements. Robbie Young accusait Madame Jones de faire passer sa carrière avant tout le reste, et que la mort de leur fille n'est que le résultat de ce choix de vie. Ils ont divorcé quelques semaines après. Avec tous ces événements, Mademoiselle Taylor en a été anéantie. Elle et Letitia étaient très proches. Elles se racontaient tout, elles étaient aussi très proches de leur père... Et aujourd'hui, même si Mademoiselle Taylor rend souvent visite à son père, je sais qu'elle est consciente que plus rien ne sera comme avant.
Et c'est là que tout me revient. L'ambiance électrique entre Taylor et sa mère lors de mon premier dîner ici, la réaction de ma cousine quand elle a appris que son petit ami a failli me rouler dessus accidentellement... Un autre détail me vient alors à l'esprit.
-La chambre dans laquelle je dors... c'était celle de Letitia, aussi?
Le soupir attristé que pousse Joseph constitue une réponse suffisamment claire. Voilà donc qui explique aussi la réaction de Taylor quand j'ai exprimé le désir de dormir dans cette chambre en particulier. Elle souhaitait conserver un souvenir de sa défunte petite sœur...
Je plante alors mes ongles contre ma poitrine, comme si mon cœur menaçait d'exploser à cause de l'immense douleur qui l'étreint. Les sanglots qui menacent de sortir de ma bouche sont tels que je me mets à trembler. Mes larmes, elles, coulent en cascade sur mes joues.
Joseph murmure ensuite:
-Vous... vous me la rappelez beaucoup, Joyce. Elle avait le même heureux caractère que vous, la même spontanéité... Elle me demandait aussi de l'appeler uniquement par son prénom.
Il fait une pause avant de reprendre:
-C'était elle qui remplissait cette maison de avec sa gaieté. Avant votre arrivée, il y avait un vide sans nom, mais depuis que vous êtes là... Vous avez redonné de la lumière là où il y avait de l'obscurité.
Ces dernières paroles se mélangent dans ma tête jusqu'à créer un épais brouillard. J'ai alors l'impression d'avoir la tête qui tourne après toutes ces révélations pesantes, si bien que je quitte précipitamment la salle à manger, sans un regard pour le majordome.
Pendant que je me dirige en direction de ma chambre, ma vue est si brouillée de larmes que je parviens à peine à distinguer la silhouette de Taylor qui vient de s'introduire dans le hall d'entrée.
-Joyce! Quelque chose ne va pas ?
Sans prendre la peine de répondre, je gravis les escaliers quatre à quatre. Une fois arrivée dans ma chambre, je m'écroule sur un des poufs, secouée par de violents sanglots. Ce que j'ai entendu a déclenché une telle souffrance en moi que je pourrais restée prostrée pendant des semaines.
Oh, si seulement je pouvais retourner au Minnesota, là où j'ai tout laissé...
Je vous avais dit de prévoir quelques mouchoirs... Et ce n'est là que le début de la torture psychologique pour notre Joyce.
Va-t-elle réussir à remonter la pente ? Par quel(s) moyen(s) ?
Comment son entourage va-t-il réagir face à sa subite baisse de moral ?
La réponse... dans les prochains chapitres.
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