🌻 Chapitre 19- Un couple atypique
Finalement, je ne pensais pas qu'unir Molly et Yong serait une affaire aussi simple à résoudre.
Et pourtant, les voilà ensemble, au QG, sous les yeux ébahis de Summer et Bree, mais également de Dylan, Enrique, ainsi que toutes les personnes se trouvant à ce même endroit. Les deux tourtereaux sont assis sur le canapé, main dans la main, et gênés accessoirement d'être à ce point le centre de l'attention.
-Attends... c'était donc ça que tu nous cachais depuis le début, Yong?, lance Dylan, incrédule.
L'intéressé se contente de baisser les yeux sous le regard insistant du Brigand. Molly fait de même face aux questions de Summer et Bree.
-Depuis quand t'es amoureuse de lui?
-Pourquoi tu ne nous as rien dit?
-Ou plutôt: pourquoi t'en as parlé à Joyce et pas à nous?
-C'est vrai qu'on aurait dû faire plus attention, mais quand même!
Je décide de voler à la rescousse du nouveau couple.
-On se calme, s'il vous plaît!, je dis en levant les mains. Laissez ces jeunes gens tranquilles ou vous finirez par les traumatiser à vie.
Ils se tournent tous vers moi avec un air accusateur.
-Tu nous as bien caché ton jeu, toi aussi, lance Bree en me pointant du doigt. Pourquoi tu ne nous as rien dit?
Ce à quoi je hausse les épaules.
-Vous me l'avez pas demandé, j'imagine?
-Mais... comment on aurait pu savoir?
-Bah... en demandant?
-De toute façon, même si on te l'avait demandé, t'aurais sûrement refusé, dit Summer. T'as l'air d'être quelqu'un d'honnête donc ce serait pas étonnant.
-Ah bon? J'en ai l'air, tu trouves?
Sans laisser à Summer le temps de me répondre, Enrique me demande:
-Écoute, je crois qu'on est beaucoup à se demander comment t'as fait pour les mettre en couple, alors si tu pouvais nous expliquer...
Je laisse échapper un petit rire.
-J'ai pas fait grand chose, en réalité. Je me suis juste arrangée pour que Molly et Yong puissent se voir discrètement, et puis je leur ai suggéré de vous convier ici pour officialiser leur relation. Rien de plus sorcier.
Et visiblement, ce n'est tellement pas sorcier que tous, à l'exception de Molly et Yong, me fixent comme si je leur mentais. Molly choisit alors d'intervenir:
-Croyez-le ou non, mais c'est comme ça que ça s'est passé. C'est nous qui, indépendamment l'un de l'autre, avons confié à Joyce... enfin, ce qu'on ressentait l'un pour l'autre. Et elle a tenu le secret.
-Ouais, renchérit Yong. Et elle nous a aidés alors qu'elle aurait tout aussi bien pu refuser. C'est en partie grâce à elle qu'on a réussi à se mettre ensemble. Alors... merci, Joyce, ajoute-il en se tournant vers moi.
Il n'y a pas à dire, recevoir des compliments après avoir accompli quelque chose, ça remonte l'ego à bloc.
D'ailleurs, en voyant à quel point Molly et Yong sont à l'aise l'un avec l'autre, Dylan, Enrique, Summer et Bree finissent par arrêter de les déranger en leur posant toutes sortes de questions. Puis Summer sourit.
-En tout cas, vous allez bien ensemble, tous les deux. Ça fait plaisir à voir!
-Mouais, rétorque Bree en faisant la moue. J'espère qu'il te rendra heureuse, Molly.
-Vous en faîtes pas pour ça, intervient Enrique. Yong est un mec bien.
Et quelques minutes plus tard, quand je m'apprête à partir, Dylan s'approche de moi et discrètement, il me dit:
-Vu que t'as réussi à mettre Yong et Molly ensemble, tu crois que tu pourrais faire pareil avec Bree et moi?
Je sais que je ne devrais pas, mais j'éclate de rire.
-Quoi?, demande Dylan, offensé.
-Non rien. C'est beau de rêver.
Là-dessus, je tourne les talons et quitte précipitamment le QG, sous les exclamations de Dylan qui ne cesse de répéter: "Tu t'en tireras pas comme ça, Martinez!"
Il ne l'a pas volé, son sobriquet de "brigand".
***
J'entre à peine dans la salon que je suis immédiatement saisie par l'ambiance particulièrement lourde qui règne. Joseph est le seul à s'y trouver et pourtant, sa triste humeur semble se répandre dans toute la pièce.
J'aperçois alors Pégase, lequel se dirige vers moi en couinant, comme atteint par la mélancolie visible du majordome.
-Hé, mon grand, je dis doucement en chatouillant les oreilles de mon labrador préféré.
La voix de Joseph se fait alors entendre:
-Oh, Joyce... vous voilà.
Je lève aussitôt la tête vers sa direction. Il me paraît encore plus fatigué qu'en temps normal, et je n'en ignore pas la raison. L'enterrement de sa mère a eu lieu il y a quelques jours déjà, et il a voulu passer un peu de temps avec le reste de sa famille avant de reprendre son service chez ma tante.
C'est donc la première fois depuis ce triste événement que j'ai l'occasion de revoir le majordome.
Je rejoins aussitôt Joseph près d'une des fenêtres du salon avec Pégase sur les talons. Une fois arrivée près de lui, je me tiens silencieuse. Nous restons ainsi pendant un moment, puis je décide de prendre la parole:
-J'ai appris pour votre mère Joseph. Toutes mes condoléances.
J'ai essayé d'avoir l'air le plus compréhensif possible. Je suis bien placée pour savoir que ce genre d'épreuve est ô combien difficile à vivre, et que l'aborder avec la personne en question venant de subir une perte est toujours délicat.
Mais Joseph n'a pas l'air d'en être offensé le moins du monde. Il se tourne vers moi et je peux voir toute la reconnaissance qui émane son regard.
-Vous êtes gentille. Vraiment.
A travers ces quatre mots, j'ai l'impression qu'il en dit beaucoup plus que ce qu'il venait réellement de dire. C'était comme s'il ne me remerciait pas uniquement à cause du soutien que je viens de lui apporter, mais également pour mon attitude envers lui en général.
Comme s'il lisait dans mes pensées, il me confirme.
-Vous savez, depuis que vous êtes arrivée, je pense que vous êtes la seule parmi mes supérieurs à vous être préoccupée de mon bien-être. Je ne veux pas dire que Madame Jones ou Mademoiselle Taylor sont de mauvaises personnes, mais je crois que leurs diverses occupations ne leur donnent pas forcément le temps de prendre du temps avec leur personnel. Ce qui, du reste, n'a pas vraiment lieu d'être puisqu'un maître ou une maîtresse de maison n'est supposé(e) avoir uniquement une relation professionnelle avec le reste du personnel.
Je hausse les épaules en guise de réponse.
-Je suppose que c'est comme ça que j'ai été élevée. Mes parents ont toujours tenu à ce que je traite tout le monde de la même façon, quelle que soit l'origine ou le milieu social des gens. Ils m'ont éduquée dans cette optique-là, et de leur côté, je les voyais toujours en train de discuter et plaisanter avec des personnes de tout milieu. Alors je pense que, inconsciemment, je reproduis leurs gestes. Ils étaient comme ça, mes parents. Toujours en contact avec les autres. Et on m'a toujours dit que je tenais d'eux.
C'est la première fois que j'ai l'occasion de parler de mes parents depuis le décès de ma mère. Et je suis contente que ce soit avec Joseph, le majordome discret mais en même temps très présent. Il m'a inspiré confiance dès le premier jour, et ce trait de qualité ne s'est jamais démantelé.
Il hoche la tête face à ma réponse.
-Ma mère aussi était ainsi, dit-il après un moment de silence. Toujours chercher ce qu'il y a de mieux chez les autres. Je ne sais pas si ça avait un lien avec le fait que sa propre mère avait grandi avec des bonnes sœurs, mais elle nous a également a élevé dans angle-là, mes frères et moi.
Le majordome marque une pause avant d'ajouter:
-Pour tout vous avouer, je pense -j'en suis même certain- que c'était la mentalité qu'elle avait lorsqu'elle est arrivée aux États-Unis quand elle était enfant, dans le courant des années 1930. Notre famille avait fui l'Allemagne alors que le nazisme montait en puissance. C'était également la période où la xénophobie était particulièrement forte, aussi bien en Europe qu'aux États-Unis. Ma mère nous a raconté, à mes frères et moi, à quel point l'intégration de notre famille a été difficile, et nos origines étrangères ont beaucoup joué dans le rejet que nous avions subi. Malgré cela, ma mère ne s'est jamais découragée. Elle n'a jamais cherché à rendre les coups qu'on lui a donnés, et cette qualité l'a accompagnée toute sa vie. Et c'est ce qu'elle nous a transmis, à mes frères et moi. Et aussi, elle nous a toujours encouragé à donner sans rien attendre en retour. Avec le recul, je me dis que c'est peut-être de là qu'est né mon désir d'être majordome.
Il ouvre la bouche, comme s'il voulait ajouter une dernière chose, puis il s'abstient au dernier moment. Quant à moi, je tente d'assimiler tout ce que Joseph vient de me dire et le parcours qu'il vient de me décrire. Je ne pense pas qu'il pouvait rendre de meilleur hommage à sa mère.
Je toussote alors pour cacher mon émotion grandissante face à l'évocation de ce récit d'une vie.
-D'ailleurs à ce propos, Joseph...
Je m'accorde une courte pause pour me préparer à ce que je m'apprête à confier.
-Vous parliez d'intégration, tout à l'heure... Eh bah, mes parents ont dû faire face à ce que ça impliquait, aussi. Mon père était mexicain, et il était mexicain dans une région où les gens n'en voyaient pas tant que ça. Du coup, à l'école, on l'appelait par burritos nachos. Un truc bien puéril, en gros. On arrêtait de lui lancer aussi des "Ay caramba!". Et ça c'est pas arrangé, en grandissant. On le traitait d'immigré ou d'envahisseur... Quant à ma mère, elle était moitié blanche et moitié noire. Là encore, là d'où elle venait, le métissage était mal vu. Selon elle, les gens lui disaient qu'elle était trop foncée pour être blanche, ou trop claire pour être noire. Et je pense que c'est ce qui les a rapproché, tous les deux. Ils n'arrivaient pas forcément à trouver leur place. Mais en même temps, je crois qu'il y a quelque chose dans leur attitude qui faisait qu'ils se moquaient intérieurement de toutes les remarques qu'on pouvait faire sur eux. Comme s'ils leur disaient - pardonnez mon langage - : je vous emmerde.
J'inspire lentement avant de reprendre:
-Alors vous pensez bien que lorsque les gens autour d'eux ont appris qu'ils allaient avoir un enfant, ils ont dû essuyer toutes sortes de remarques disant qu'ils allaient mettre au monde un mutant ou que sais-je. Comme si avoir un enfant avec plusieurs origines différentes était le crime ultime. Genre une moitié mexicaine, un quart Blanc et un quart Noir... Mais je pense que mes parents leur ont dit d'aller se faire voir. Ça aussi, c'est un truc qu'ils faisaient souvent. Ne pas laisser l'attitude des gens influencer la leur, et rester fidèles à eux-mêmes et à leurs convictions. Et l'une d'entre elles, c'était justement le fait de pouvoir se lier d'amitié avec les gens, peu importe d'où ils viennent. Ils ont été comme ça jusqu'au bout. Surtout ma mère, malgré ses problèmes cardiaques.
Joseph hoche la tête suite à ce que je viens de raconter. Il finit par murmurer:
-Quand on y pense, chacun a reçu un héritage différent de la part de nos parents, que ce soient des valeurs, des convictions ou encore une histoire... A présent, notre mission est de l'entretenir et de le préserver, car c'est finalement la plus belle chose que nos disparus peuvent nous laisser.
En entendant cela, j'avoue avoir du mal à identifier toutes les émotions qui m'assaillent. De la tristesse, de la nostalgie... Mais aussi et surtout une sorte de feu qui s'empare de mon être, comme si ma détermination venait d'être renouvelée. C'est ce feu qui pousse les gens à donner le meilleur d'eux-mêmes, peu importent les circonstances.
Ma vue est à présent brouillée de larmes non versées, et je fais un effort surhumain pour les réprimer.
-Vous avez raison, Joseph, je finis par dire.
Un silence apaisant et confiant s'installe dans le salon. Même Pégase est resté calme durant tout le temps de notre échange.
A un moment donné, le labrador se met à aboyer avant de courir en direction du couloir. Là, je suis surprise de voir une nouvelle arrivante faire son entrée.
-Tante Rosa?, je lance en voyant ma tante s'introduire dans le salon sans cacher ma surprise. Qu'est-ce que tu fais là?
-J'habite ici, je te rappelle, me rétorque-t-elle.
Toujours aussi aimable, ça fait plaisir.
En l'observant, je remarque qu'elle porte une longue robe violette brillante, avec par-dessus un manteau avec fourrure. Comme à son habitude, elle est maquillée comme pas possible, et ses doigts sont couverts de bagues.
-Tu viens de rentrer?, je demande.
-Oui, mais je vais repartir juste après. J'enchaîne les tournages, aujourd'hui.
-Aujourd'hui seulement?, je dis en levant un sourcil.
Elle chasse ma remarque de la main comme si elle cherchait à se débarrasser d'un moustique. Après quoi, elle tourne les talons pour faire demi-tour. Mais avant de partir, elle fait une pause avant de se tourner vers Joseph.
-Bonjour à vous, Joseph. J'espère que ça ira mieux pour vous.
Avant que le majordome n'ait le temps de répondre quoi que ce soit, Rosa disparaît dans le couloir. Le comportement de ma tante me laisse abasourdie.
-Wow... c'était très chelou, pour changer.
J'entends Joseph étouffer un rire.
-Si vous voulez mon avis, je suis persuadé que votre tante nous a entendu discuter.
-Non, vous croyez?
-En tout cas, c'est bien la première fois depuis un bon bout de temps que je l'entends me dire quelque chose d'aussi... compatissant à mon égard.
Je hoche doucement la tête. Alors comme ça ma tante nous a entendu... Ça veut sûrement dire qu'elle a dû écouter une bonne partie de notre conversation, malgré le côté personnel de tout cela.
Peut-être faudrait-il que je parle de ça avec elle un jour. Mais comment faire sachant qu'elle passe constamment en coup de vent?
J'espère que ce chapitre vous a plu ! Qu'en avez-vous pensé ?
Je ne sais pas si vous l'avez compris, mais le couple atypique dont je fais mention dans le titre concerne à la fois Molly et Yong et les parents de Joyce. "Atypique" du point de vue de leur entourage, à première vue en tout cas.
Sinon, j'ai beaucoup aimé rédiger la deuxième partie. Ça a été un vrai plaisir d'écrire la discussion entre Joyce et Joseph. D'ailleurs pour cette partie, il y a une musique que je n'ai pas arrêté d'écouter en boucle et qui, je trouve, colle parfaitement bien avec le sujet de discussion entre nos deux personnages en J, à savoir ce que le combat d'une personne disparue peut inspirer aux vivants, surtout la partie à partir de 3:00.
La musique en question est la bande-son d'un film, Glory Road (Les chemins du triomphe en français), qui raconte l'histoire de la première équipe noir-américaine de basket-ball dans le cadre de la NCAA, en plein dans les années 1960, décennie qui a vu émerger les mouvements civiques aux États-Unis ainsi que la fin de la ségrégation raciale. Et franchement, je vous le recommande. La thématique du film colle d'ailleurs très bien à l'un des thèmes de ce chapitre.
Le hasard fait décidément trop bien les choses.
https://youtu.be/atN7lvdubxk
Voici la fameuse bande-son au cas où vous voudriez relire le chapitre avec une musique qui inspire de l'espoir et du courage.
Sur cette interlude musicale, je vous dis à bientôt pour un prochain chapitre !
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