Prologue

Je ne me souviens plus de rien avant mon arrivée dans la vallée de Kaer Morhen et, plus particulièrement, de sa sinistre forteresse. Je ne connais que le froid, Maître Vesemir et les garçons vivants dans la forteresse à mes côtés.

Ma chambre donnant directement sur la vallée de Kaer Morhen est couverte de neige, aucun signe de vie n'est visible d'ici. Malgré la peau de bête que je porte sur mes épaules, j'ai le sentiment que le froid me transcende. Le soleil apparaît doucement au dessus des montagnes et pénètre dans l'enceinte de la forteresse, lui donnant alors un semblant de lumière.

Des bruits de pas commencent alors à résonner à travers les murs de pierre. La bâtisse se réveille en même temps que ses habitants. Quelqu'un toque alors à ma porte :

"Eyvor, tu es réveillée ?"

Je me dirige alors vers la porte pour l'ouvrir et tomber nez à nez avec Maître Vesemir, déjà en tenue de combat. Ses cheveux blancs et longs sont rattachés à l'arrière en une queue de cheval simple. Il entre dans ma chambre, s'assied sur mon lit et m'invite à faire de même. J'écoute donc ses indications et m'assois en silence à ses côtés.

"Comment tu te sens aujourd'hui ?

- Mieux qu'hier, mais sûrement moins bien que demain Maître Vesemir, et cela grâce à vous."

Il me sourit et passe l'une de ses mains derrières le dos, un geste se voulant réconfortant.

"Lorsque je t'ai trouvé seule dans la neige, respirant à peine, j'avais peur de ne pas réussir à te soigner. Tu m'as prouvé ta force en reprenant des couleurs jour après jour. Je me dis que tu serais peut être capable de devenir une sorceleuse et de passer l'épreuve des herbes, bien que la légende raconte que seuls les garçons sont capables d'y survivre.

- Est ce vrai ? Demandé-je soudain, inquiète.

- A vrai dire, aucune demoiselle ne s'y est essayée auparavant."

Il me sourit, se lève et se dirige pour quitter ma chambre.

"Comme tu m'as l'air prête, pourrais-tu réveiller les garçons de ton couloir pour moi, Eyvor ?"

Je hoche la tête immédiatement. Il quitte alors ma chambre, et j'en fais rapidement de même. Dans mon couloir se trouve deux autres portes, l'une menant sur la chambre de Géralt et l'autre sur celle d'Audar et Dyri, les jumeaux de la forteresse. Je commence par réveiller les frères avant de me diriger vers une épreuve plus compliquée : sortir Géralt de son lit. Je toque doucement à sa porte et entre dans sa chambre.

Bien que la lumière ait pénétrée dans l'ensemble de la pièce, Géralt est caché sous sa couette, qu'il a porté à son visage.

"Géralt ? Maitre Vesemir nous attend."

Je n'entends qu'un grognement sourd émanant des draps couvrant le garçon. Je me dirige alors à pas de loup jusqu'à celui-ci et saute dessus en hurlant. Géralt, surpris, sort immédiatement de son lit, m'attrape et me plaque son genou sur la gorge. Je le repousse avec force pour qu'il retombe à mes côtés et passe une main sur ma gorge.

"Tu es fou..

- Il ne fallait pas réveiller le grand Géralt, s'indigne-t-il.

- Je ne vois aucune personne pouvant porter ce titre dans cette pièce, lui répondé-je en tirant la langue.

- Courez pour votre vie, gente dame !"

J'ai à peine le temps de quitter la pièce qu'il se met à me courser en riant. J'accélère donc, traversant les couloirs et bousculant les meubles alors je me fraye un chemin jusqu'à la salle du petit déjeuner.

En tombant face à face avec Maître Vesemir, je m'arrête nette et Géralt en profite pour sauter sur mon dos afin de me faire tomber.

"Craignez le courroux du grand Géralt ! hurle-t-il alors en posant ses fesses sur mon ventre.

- Les enfants, gardez vos forces pour la cérémonie. Vous ne vous êtes pas entraînés dur pour tout gâcher avec une course.

- Le grand Géralt gagnera la cérémonie des herbes, et deviendra le plus grand sorceleur de l'histoire. La petite Eyvor deviendra son valet !

- Je ne serais le valet de personne !" m'indigné-je en le jetant sur le sol et en écrasant son ventre à mon tour.

Agacé, Maître Vesemir nous attrape tour à tour et nous met à l'exact opposé l'un de l'autre pour que nous ne battons pas durant le petit déjeuner. Malgré tout, je le vois me tirer la langue à l'autre bout de la table.

Je ne connais pas les autres garçons et je suis bien trop timide pour faire leur connaissance. Maître Vesemir m'a rassuré en me disant que seuls les garçons présents avec moi durant les entraînements sont vraiment important à retenir, Audar, Dyvi et Géralt, car ce sont eux qui seront à mes côtés durant l'épreuve des herbes. Les noms d'Eskel et Lambert résonnent régulièrement entre les murs de la forteresse, mais je ne saurais mettre de visage sur leurs noms.

Je finis mon petit déjeuner en silence et rejoins les garçons dans la salle qui définira mon avenir. Soit je survis, soit je meurs, m'a expliqué Maître Vesemir. Cela ne me fait pas peur, je sais que je survivrai à l'épreuve. Mon corps couvert de cicatrices témoigne de l'entraînement acharné que j'ai passé depuis que je suis ici.

Je ne me souviens plus de rien avant mon arrivée dans la vallée de Kaer Morhen, et plus particulièrement de sa sinistre forteresse. Je ne connais que le froid, Maître Vesemir et les garçons vivants dans la forteresse à mes côtés.

Je sais donc que l'avenir qui m'est réservé sera à leurs côtés.

Nous nous mettons alors en cercle, prenant les mains des autres comme si c'était la dernière fois.

"Chers élèves, voici votre dernière initiation ici à l'école du loup. L'épreuve est plus dure que toutes celles que vous avez déjà passée. Mais je crois en vous et en votre pouvoir. Vous y parviendrez."

Maître Vesemir nous mène alors vers une petite table possédant quatre chaises. Devant chacune de ces chaises se trouvent des flacons contenant entre autres du liquide céphalo-rachidien de foënard, une glande à poison de manticore, une langue de brouxe albinos et bien d'autres encores. S'il suffit simplement de les manger, l'épreuve me parait bien simple. Nous nous asseyons alors sur les chaises qui nous sont indiqués.

"Grâce à ces potions, vous deviendrez des sorceleurs, ou une sorceleuse. Aux yeux du monde, les sorceleurs sont des mutants avec des capacités surnaturelles qui reçoivent un entraînement spécial ainsi qu'une préparation en vue de devenir des tueurs de monstres professionnels à embaucher. Beaucoup croit qu'ils sont incapables d'avoir des émotions, cependant ce n'est pas entièrement vrai. Les sorceleurs sont spécialement entraînés pour tuer ou désenvoûter les monstres, aussi leur réputation de tueurs hors pair les précède et certains les confondent avec de vulgaires assassins ou tueurs à gages.

Mais à mes yeux, vous serez toujours mes puissants enfants. Maintenant, buvez et mangez mes chéris."

Je prends les différents flacons à une vitesse fulgurante et me lève pour demander à quitter l'épreuve qui me semble terminée. C'est alors que mon corps se met subitement à trembler, de tels mouvements que je ne peux empêcher. Je tombe lourdement au sol lorsqu'une douleur vient traverser l'entièreté de mes membres, me laissant échapper un cri strident et puissant. Je me recroqueville sur moi même et cherche Géralt du regard. Je l'aperçois sur le sol face à moi, ses cheveux se décolorent à vu d'oeil pour devenir blanc et ses yeux virent au jaune. Du sang coule de sa bouche. Je peux lire toute sa souffrance à travers les traits de son visage. Il se rapproche comme il peut de moi et m'attrape la main que je serre immédiatement. Dans un dernier cri de souffrance, je perds connaissance et Géralt disparait de ma vision.

C'est des années plus tard, que j'appris que de tous les élèves vivants avec moi dans la forteresse, seuls Eskel, Géralt, Lambert et moi avions survécu. L'épreuve des herbes resta alors gravée à jamais en moi. A la fois par la couleur de mes yeux, devenus jaunes, par celle de mes cheveux, aussi blanc que la neige, mais également par le sentiment que mon enfance s'est arrêtée ce jour là. Ce fut le seul jour de ma vie où je ressentis une douleur aussi forte.

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