Chapitre 9

Vesemir nous réveille avant l'arrivée des premiers rayons de soleil. Les yeux lourds et le corps encore fatigué, je le suis jusqu'à la salle principale, même Eskel semble surpris par l'heure du départ.

"Personne ne pourra savoir ce que vous allez faire avant que vous finissez entièrement. Suis-je bien clair ?" Demande notre maître d'un ton grave.

Nous hochons la tête. A peine le temps d'une embrassade que nous sommes déjà sur le chemin, la neige commence à fondre et les premières couleurs du printemps émergent dans tous les recoins de la forêt. Je n'ai pas dis aurevoir à Géralt, je touche nerveusement mon médaillon et pris secrètement pour que nous puissions nous revoir à l'hiver suivant.

Le silence de la forêt est presque pesant. Les oiseaux ne sont pas encore réveillés, aucun chant, aucun bruit n'est perceptible. Seul le pas régulier des sabots sur la terre ramollie par la rosée du matin vient troubler le calme.

Vesemir nous avait donné des indications très simples. Trouver Sigismund Dijkstra, chef des Services Secrets Rédaniens, qui avait envoyé juste avant le début de l'hiver un message de détresse à Kaer Morhen. Cela a fortement surpris Vesemir car Sigismund est un homme très influent en Rédanie, peut-être même plus puissant que le Roi lui-même. Toutefois, s'il y a choisi de contacter les sorceleurs et non de se débrouiller seul, c'est qu'il est dans une situation plus que compliquée. Dans sa lettre, il raconte que des monstres arrivent en permanence autour de la cité d'Oxenfurt. Sigismund pense que quelqu'un les envoie, il souhaite que l'on découvre leur origine mais surtout qu'on débarrasse la ville des monstres.

"Cela devrait nous ramener une forte somme d'argent" répète encore une fois Eskel le sourire aux lèvres.

"Tu as l'air moins affreux quand tu souris, dis-je alors sans réfléchir.

- J'ai un très grand succès auprès des femmes.

- J'imagine, sourié-je en laissant échapper un rire.

- Tu ne me crois pas ?" se braque-t-il en arquant un sourcil. Le bougre s'est vexé bien vite pensé-je. Il faut dire qu'Eskel a une sacré réputation, bien qu'elle soit plus petite que celle de Géralt, il a une amante dans chaque ville. A ses dires.

- Si, si, je te crois, pouffé-je.

- Toi au contraire, tu n'as pas un grand nombre de conquête, glisse-t-il en essayant de m'énerver.

- Je ne cherche pas à avoir un tableau de chasse, contrairement à toi.

- Ou alors, tu ne penses qu'à..." il s'arrête et réfléchit un instant "Je te le ferai oublier avant l'hiver prochain."

Je lève les yeux au ciel. Si cela pouvait lui faire plaisir d'y croire. Il me donne un coup de coude amical dans les côtes.

"Ce que tu peux être agaçant Eskel.

- Et toi ennuyante."

Il fait alors trotter son cheval pour me distancer. Le trajet allait être long.

Il nous fallut presque deux semaines pour atteindre la cité d'Oxenfurt, et deux jours de plus pour repérer Dijkstra dans une taverne de la ville. Pour un espion, il n'est pas très discret, il est habillé de couleurs vives et de vêtements flamboyants, une bière à la main à la table la plus éloignée du bar. Les lumières de la taverne sont tamisées, le soleil étant couché seule les bougies éclairent l'endroit lui donnant un aspect mystérieux. Les tables en bois sont devenues collantes à cause de tout l'alcool qui a été renversé, pour cacher cela les bancs sont couverts de peaux de bêtes. C'est une taverne plutôt rustique.

Nous nous dirigeons vers notre cible. Pour une fois tous les regards ne sont pas sur nos visages abîmés et mes cheveux blancs mais sur le barde qui fait l'animation. Il chante d'une voix forte des aventures qu'il aurait apparemment vécu au cours de sa vie. Nous ne prêtons pas attention et nous nous asseyons à la table de Dijkstra.

"Je vous ai attendu tout l'hiver, grommelle-t-il sans nous regarder.

- Nous ne travaillons pas l'hiver, annonce Eskel, il y a trop peu de monstres.

- Ici ils ont été des milliers" répond l'espion en claquant sa chope de bière avec fracas sur la table. Le barde chante suffisamment fort pour couvrir le bruit et ne pas nous attirer d'ennuis. "Qu'est-ce que vous n'avez pas compris dans mon message quand je vous ai dit que c'était urgent ?" grogne-t-il.

"Nous sommes là maintenant, dis-je pour apaiser la tension. Peut-être pourriez vous nous expliquer ce que vous souhaitez de nous.

- Des mages mal intentionnés ont libéré leurs monstres dans notre pays, et aujourd'hui des dizaines de Rédaniens meurent chaque jour. Vous êtes ici pour prouver le mal que ces magiciens font et me débarrasser de ces monstres, ils détruisent le commerce et en plus de tuer, traumatisent les habitants. Cela ne peut plus durer !

- Nous attaquerons demain matin, répondé-je. La route a été longue, il faut que nous réfléchissions à un plan d'attaque.

- Combien serons-nous payés ? ajoute alors Eskel.

- Nous verrons ça une fois votre travail fini."

D'un geste vif, Eskel sort son poignard et le plante à quelques centimètres de la main de Dijkstra.

"Je ne tue pas les monstres gratuitement, dit-il soudain menaçant.

- Cinq cents couronnes par monstre."

Eskel me jette un regard inquiet. Dijkstra n'est pas un simple marchandeur qui demande un contrat, il connaît la valeur de l'argent. Alors pourquoi donne-t-il une somme aussi forte pour chacun des monstres ? Nous cache-t-il quelque chose ?

Je fronce les sourcils. C'est certain qu'il ne nous dit pas tout.

"Marché conclu", répondit Eskel en lui serrant la main avant qu'il change d'avis "Nous commencerons demain à la première heure".

*^*

Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit.

La création de monstre est interdite depuis bien longtemps chez les mages. Personne a Aretuza et dans les pays alentours n'auraient transgressé cette loi. Ou alors pour quelle raison ?

Je me retourne une énième fois sur le lit que nous a fourni l'aubergiste de La luthe enchantée. Cette dame un peu forte et très souriante a entendu toute notre discussion de la veille et nous a offert le logement pour nous remercier. Une chambre simple, deux lits de chaque côté, une fenêtre sans rideau et une salle de bain de fortune. La lumière de l'aube traverse le verre sale de la fenêtre et vient se projeter sur le mur face à moi. Le soleil s'est levé, il est temps de travailler.

Un grommellement sur ma droite m'annonce qu'Eskel est réveillé. Une chope d'eau, du pain de la veille et un porridge de dernière minute feront l'affaire pour la rude journée qui nous attend. Je vérifie toutes mes armes avant de sortir et de récupérer mon cheval à l'écurie.

Mon souffle dans l'air froid matinal forme des volutes de fumées plus épaisses que d'habitude. Eskel a le regard dur en montant sur sa jument, lui aussi sent que quelque chose ne va pas dans ce contrat. Il n'a pas l'habitude des grosses sommes d'argent et ne semble pas s'en réjouir, contrairement à hier soir où l'euphorie lui a fait accepter sans réfléchir.

Quelques minutes plus tard, nous sommes en dehors de la cité. Tout est calme, pas un monstre en vue. Eskel pointe du doigt des petites araignées sur le sol qui semblent se diriger vers une maison en mauvais état sur le bas côté du chemin. Je fronce les sourcils.

"Ce n'est quand même pas.. souffle-t-il.

- Je n'espère pas, répondé-je."

Je descends de mon cheval et le laisse sur le chemin principal pour qu'il puisse s'enfuir en cas de danger. Je le tapote doucement le long de son encolure et me dirige d'un pas lent et silencieux vers la maison. Elle a l'air abandonnée. Une partie du toit est décrochée, les fenêtres brisées et une forte odeur s'en dégage me brûlant le nez. Plus je me rapproche et plus je sens distinctement l'odeur âcre de la magie. Eskel passe devant moi, pousse la porte battante et entre. Après quelques secondes qui me semblent être une éternité. Le sorceleur se retrouve projeté par l'une des fenêtres vers l'extérieur de la maison dans un hurlement puissant. Je le regarde les yeux écarquillés de terreur. Sa tête a frappé un arbre et il saigne abondamment. Il se relève rapidement, prends une potion et ses yeux virent au noir.

"Nous avons affaire à un Koshchey, Evoyr, prépare toi, il faut que l'on attaque en même temps."

Je regarde à nouveau la maison et le monstre sort lentement par le trou présent dans le toit de la maison. Devant moi se dresse une bête immense, de la taille de la maison, mi-crabe mi-araignée, dégoulinant d'un liquide noir qui contraste avec ses yeux verts brillants, presque fluorescent.

Dijkstra avait raison, cette créature a été créée de la main d'un magicien.

"Les Koshchey craignent l'argent, me souffle Eskel en sortant son arme."

Je saisis la mienne avec rapidité mais n'arrive pas à réfléchir. La bête fait trois fois ma taille, et me terrifie. Je glisse ma main dans ma sacoche qui contient mes potions et en avale une en une fraction de seconde. Le temps se ralentit, ma respiration et mon coeur également. Malgré l'effet puissant de la potion je n'arrive pas à voir les attaques du monstre avec quelques secondes d'avance, si bien que je me prends un de ses violents coup de pattes dans le visage de plein fouet. Cela me fait perdre l'équilibre et je crache un jet de sang. Le koshchey est plus rapide que prévu.

Je tiens mon épée d'argent devant mon visage et la tiens de mes deux mains. Chaque coup que je lui porte doit être fatal. Du coin de l'œil je vois Eskel qui tente de contourner la bête mais sans succès, elle se jette sur lui. Je profite que l'attention de l'araignée soit portée sur mon partenaire pour escalader la maison, monter sur le toit et me jeter du haut de celui-ci pour planter mon épée dans la carapace du monstre. A peine une égratignure, l'épée n'a pas pénétré la carapace. Celle-ci me projette à terre et se rue sur moi. Je place mon épée devant mon visage et part son attaque en lui tranchant l'une de ses pattes en coupant l'une de ses articulations.

La bête pousse un cri strident et plonge sa tête sur la mienne pour me la dévorer. Je lui plante mon arme sous le cou mais ça n'a pas d'effet et ses chélicères sont maintenant en contact avec ma peau, le liquide noir qui sort de sa bouche me brule. J'entends Eskel crier au-dessus de moi et lui glisser une chaîne d'argent sous la gorge pour la tirer en arrière. La bête recule de quelques centimètres, suffisamment pour que je puisse m'extriper de justesse et rouler sur le côté.

Je lance mon épée au sorceleur qui avec les deux armes découpe, en même temps, deux pattes du koshchey. Trois pattes en moins mais encore cinq de fonctionnelles. Il évite un violent coup de pince en s'allongeant sur le dos de la carapace de la bête, glisse les deux épées d'argent au niveau de la nuque que j'avais à peine égratignée et d'un coup sec, tranché la tête de l'araignée-crabe en deux.

La tête roule et le corps du monstre s'effondre dans un bruit sourd.

"Merci, soufflé-je en me relevant et en essuyant mon visage.

- Derrière toi !" Glape alors Eskel.

Je me retourne et mon cœur s'arrête de terreur. Les cris du koshchey lors du combat en avait ramené deux autres, d'une taille similaire, peut-être plus grands.

"Je comprends mieux les cinq cents couronnes" grogne Eskel pour lui même.

D'un geste vif, mon partenaire m'attrape le bras et me cache à l'intérieur de la demeure abandonnée pour cacher notre odeur dans les volutes de magie. Il tate sa sacoche et pousse un grognement de mécontentement.

"Je n'aurais pas assez de potions pour ces deux là. Ce n'est pas un combat que nous pouvons mener aujourd'hui.

- Qu'est ce que tu proposes ?" demandé-je surprise. Eskel ne refuse jamais un combat, pourtant ce matin son visage trahit son inquiétude grandissante.

- Il faut que nous nous cachions. Si Djikstra dit vrai et que les monstres continuent d'affluer alors cela ne sert à rien de les combattre, nous y laisserions la vie. Il faut que nous trouvions l'origine du mal et utiliser nos forces pour la détruire."

Eskel a raison. Quelque chose cloche dans ce contrat et nous en sommes tous les deux conscients, maintenant il faut en trouver la raison.

Nous sommes restés accroupis dans la maison détruite et insalubre, l'odeur du cadavre du monstre cacha parfaitement notre odeur et les koshcheys s'en allèrent rapidement. Les chevaux ont pris peur pendant le combat et sont rentrés à l'étable aussi vite qu'ils ont pu, nous forçant à rentrer à pied jusqu'à la La luthe enchantée.

C'est les pieds et les mains meurtris par le froid que nous entrons dans l'auberge. A peine la porte s'ouvre que la chaleur me transcende et ramène peu à peu mon corps à sa température habituelle. Il est à peine midi mais je commande une chope de bière et un plateau de charcuterie et de pain, en attendant que notre employeur décide de venir nous rejoindre comme convenu. Le craquement de la porte qui s'ouvre pour la dixième fois depuis que nous nous sommes installés me fait soupirer.

"Si ce n'est pas Djikstra je te jure que,

- Qu'est ce que vous jurez Eyvor ? Dit-il en me regardant d'un œil sévère.

- Que je viens vous chercher moi même dans votre beau palais Monsieur, répondé-je agacé par son retard et ses mensonges."

Il s'assoit à côté d'Eskel en prenant soin de poser ses habits colorés sur une peau de bête pour ne pas les abîmer. Il ne dit pas un mot avant d'être servi. Brynhild, la propriétaire de l'auberge en profite pour nous amener de la charcuterie supplémentaire et nous remercie d'une voix si basse que je ne l'entends quasiment pas. Eskel claque alors sa main contre la cuisse de notre employeur et la serre aussi fort qu'il le peut de sa main de fer.

"Tu as essayé de nous arnaquer mon brave et tu crois que tu vas t'en sortir comme ça ? dit-il furieux. Nous avons rencontré trois koshcheys ce matin, cela n'arrive jamais. Je n'ai jamais vu ça !

- Je vous avais prévenu de la gravité de la situation, répondit Djikstra sans se démonter face à la colère d'Eskel. Je vous l'ai dit et vous n'avez pas écouté ! Vous les sorceleurs vous avez un égo bien trop important, vous pensez pouvoir tout résoudre à la force de vos épées mais là nous ne sommes pas face à de simples monstres ! Nous sommes face à un complot contre la Rédanie !"

Il plaque sa main sur son visage et dévisage chaque table pour vérifier que personne ne l'a entendu. Eskel le lâche par surprise.

"Qu'avez vous dit ? soufflé-je alors.

- Vos propos sont très graves, complète Eskel, si on apprend que vous avez,

- Personne n'apprendra rien, grogne Djikstra à voix basse. Personne n'apprendra rien et vous allez résoudre ce problème rapidement.

- Vous avez parlé de complot, répète-je. Pourquoi ?

- Je crois.. dit-il en parlant de plus en plus bas que je du lire sur ses lèvres pour tout bien entendre. Je crois que quelqu'un cherche à attaquer la Rédanie mais se sert de monstres créés par des mages pour atteindre ses fins.

- Qui ça ? Nilfgaard ? s'enquit Eskel et buvant sa pinte.

- C'est possible maintenant qu'ils ont Cintra, nous sommes peut être le prochain royaume qu'ils vont vouloir conquérir"

Un silence pesant s'installe alors dans l'auberge. La musique et le bruit ambiant ne s'est pas arrêté mais nos pensées sont si fortes que nous n'entendons plus rien autour de nous. La guerre ? Était-ce la prochaine étape de notre périple à Oxenfurt ?

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