Chapitre 11

Jacob tient parole. Le jour est à peine levé, les oiseaux ne chantent pas encore, que nous sommes sur le sentier qui mène à l'extérieur de la ville. Les chevaux marchent au pas, laissant des légères traces de sabots dans la terre sableuse que nous foulons tranquillement. Je marche à côté de ma jument pour éveiller mes muscles lentement et passe ma main sur sa croupe pour la rassurer, elle est bien trop souvent surprise par différents monstres lorsque l'on part à l'aventure de bon matin.

Une heure passe dans un silence presque religieux avant que Jacob ne le rompe en se raclant très peu élégamment la gorge. Il crache sur le sol et emprunte un chemin en dehors du sentier et s'engouffre vers une grotte insalubre. Quelques bougies émettent une faible lumière qui illuminent faiblement les murs de la caverne jusqu'à une salle souterraine éclairée de mille-feux. L'odeur de la magie se fait alors sentir très fortement et je ne peux réprimer un éternuement bruyant.

"Jacob, dit une voix ténébreuse. Tu n'es pas venu seul ?

- Je suis venue avec votre mère et deux sorceleurs, Maître Griffin. Je m'en excuse mais ma vie était en danger et j'ai agi lâchement, dit-il en posant ses deux genoux à terre et son front transpirant contre le sol froid de la grotte."

La vieille dame qui n'a dit mot jusque-là se fraye un chemin jusqu'à la silhouette capuchée de son fils. Elle le sert alors dans ses bras et laisse échapper des larmes qui roulent sur ses joues fatiguées.

"Griffin, je savais que tu étais vivant.. Je le savais..

- Maman, dit-il d'une voix douce en posant sa main sur le haut de la tête de la vieille dame."

La scène aurait pu être émouvante si nous n'étions pas face au sorcier qui essaye de réduire la Rédanie en cendre depuis des mois.

"Je vous souhaite la bienvenu sorceleurs, dit enfin Griffin en retirant la capuche qui cachait jusque-là son visage."

La première chose que je vois c'est sa jeunesse qui est trahie par ses traits fins et sa peau lisse et hâlée. Ses cheveux longs et gras sont ramenés en arrière en une sorte de chignon mal coiffé, des mèches brunes dépassent et tombent mollement sur son visage. Et quel visage, des balafres en tout genre, sûrement vestige de sa chute du haut de la falaise, ornent ce faciès pourtant enfantin. Ses yeux d'un marron profond dégage une énergie froide qui me met mal à l'aise l'espace d'un instant, ce sont les yeux d'un tueur.

« Tu te fous de nous ? s'énerve d'un coup Eskel. Cela fait des mois que nous nous battons contre des monstres créés de toutes pièces et tu nous souhaites la bienvenue comme si nous n'étions pas ennemis.

- Vous êtes-vous seulement demandé pourquoi je faisais ça ? répondit Griffin sans relâcher l'étreinte de sa mère.

- Tous les jours, soufflé-je agacée, et nous n'avons trouvé aucune raison valable pour justifier la cruauté de vos actes.

- Pourtant, dit-il d'un ton lent qui commence à nous agacer avec Eskel, vous êtes les premiers concernés."

Eskel sort l'épée d'argent de son baudrier et la pointe en direction de Griffin en jurant de tous les noms pour qu'il parle. C'est le moment que choisit Jacob pour s'éclipser vers le fond de la grotte.

"Le Roi de Rédanie veut épouser Ciri, l'enfant de surprise de votre ami Géralt de Rive. S'il arrive à son but, Cintra lui reviendra de droit et son pouvoir ne fera qu'augmenter. Ce rigolo au pouvoir ne fait que détruire ce qu'il touche, il faut qu'il en possède le moins possible si nous voulons que la paix dure en Rédanie.

- Nilfgaard est en chemin, la paix ne durera pas, répond Eskel.

- Créer des monstres n'est pas une solution, vous ne faites que mettre en danger les habitants du Royaume et pire que ça, vous mettez au quotidien votre propre mère en danger, dis-je essayant de le convaincre d'arrêter.

- J'en suis parfaitement conscient, mais il n'existe pas d'autres solutions.

- C'est une méthode de lâche ! Si tu veux t'en prendre au Roi de la Rédanie, va directement le voir, l'attaquer, lui parler, m'énervé-je en oubliant le vouvoiement que j'avais utilisé jusque là. Fait ce que bon te chante, je m'en fiche, mais arrête de sacrifier des vies innocentes qui n'ont rien à voir avec ces jeux d'alliances. Et puis Géralt est parti récupérer Ciri, les sorceleurs la protégeront de leur vie. Le Roi de Rédanie ne mettra pas sa sale main sur elle, il ne croisera même pas son regard."

Griffin se détache de sa mère et se rapproche d'un pas lourd vers moi, faisant vibrer sous ses pieds la pierre froide du sol de la caverne.

"Peux-tu m'en faire le serment sorceleuse, dit-il en tendant sa main et son avant-bras dans ma direction.

- Le serment ?

- Les sorceleurs protégeront le lionceau de Cintra jusqu'à leur mort, et si le Roi s'en empare et que ton serment est rompu, je viendrai te tuer moi-même sorceleuse.

- J'en fais le serment, mage" dis-je en saisissant fermement l'avant-bras du mage. "Promets-tu de ne plus attaquer des innocents et de réparer les torts que vous avez causés ?

- J'en fais le serment, sorceleuse." D'un geste vif, il tranche nos deux paumes jointes et nos sang s'entremêlent dans nos mains. Son regard sombre n'a pas quitté le mien un seul instant. Il n'a pas le regard d'un jeune adulte, mais celui de la mort elle-même. Si j'échoue, il viendra pour moi et me tuera de cette même main qui a scellé le serment.

"J'espère que nous ne nous reverrons jamais sorceleur"

Sur ces mots il lève les mains. L'odeur âcre de la magie envahit mes narines et un voile brumeux se pose devant mes yeux. L'instant d'après je me réveille dans mon lit à la Luthe enchantée, le corps engourdi et courbaturée.

"Alors c'est fini ? soufflé-je en touchant mon crâne douloureux.

- Il nous reste encore quelques monstres avant les premières neiges, dit Eskel en riant, mais la suite sera plus tranquille.

- Est-ce que nous devrions prévenir Djikstra de notre découverte ?

- Tu souhaites lui dire toi-même que tu as conseillé au sorcier le plus puissant de sa génération de s'en prendre à son Roi ?"

Je laisse échapper un gloussement.

"Non surement pas"

Eskel me sourit, se lève et vient s'asseoir à mes côtés. Il passe son bras autour de mes épaules et commence à se moquer de moi en m'imitant en train de faire le serment avec Griffin et mettant ma vie en danger sans réfléchir pour des habitants d'une ville et une enfant que je ne connais pas. Il se met à rire tellement fort que je suis sûr que Brynhild peut nous en attendre depuis la cuisine. Et tandis que je le regarde rire, plier en deux, la bouche ouverte et la main sur le ventre, je me dis qu'il avait raison en début d'année et qu'il a bien réussi à me faire un peu oublier Géralt.

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