Chapitre 10
L'été est arrivé plus vite que prévu. Il n'y a plus de neige ou de froid qui nous frappe de plein fouet dès que l'on sort d'un bâtiment. En six mois nous n'avons rien trouvé de concluant et les monstres continuent d'affluer par centaines. Oxenfurt donne le sentiment d'une ville assiégée. Les champs n'ont pas donné les ressources qu'ils auraient dû, le manque de nourriture et de repos se fait sentir dans chaque bâtisse, chaque regard, chaque animal. Même les poules semblent amaigris, les chevaux ont perdu énormément de poids, c'est presque s'ils ne tiennent plus sur leurs pattes. Eskel et moi-même avons décidé de tuer nos monstres à pied. Cinq par jour. Nous avons accumulé une très grande quantité d'or, mais à quoi bon s'il n'y a rien à acheter ?
"Je pense que nous n'avons pas la bonne stratégie' souffle Eskel assis sur son lit, le visage dans les mains à réfléchir. "Qui pourrait s'en prendre à la Rédanie de la sorte ?
- Si les monstres continuent d'arriver c'est que le sorcier est toujours dans les parages
- Alors pourquoi est ce que l'on ne le trouve pas ?! S'énerve Eskel en se levant d'un coup vif.
- Peut être que c'est simplement quelqu'un que l'on a pas soupçonné depuis le début. Certains mages cachent leur pouvoir au quotidien pour vivre en paix, répondé-je sans grande conviction.
- Oui sûrement, mais qui ?"
Eskel retombe lourdement sur son lit faisant craquer ses lattes sous son poids. Il pouffe de rire et fait comme si il n'avait rien cassé. Je le regarde sourire avec douceur, cela fait des mois que nous nous battons contre un ennemi inconnu et cela nous a terriblement affecté.
"Que nous a préparé Brynhild aujourd'hui ?' demande-t-il alors en regardant entre les lattes du parquet pour essayer de voir notre hôte travailler aux fourneaux.
"Je dirais un ragoût comme tous les jours depuis qu'elle n'a plus accès aux légumes, proposé-je en haussant les épaules.
- Il y a une odeur de pain qui s'élève dans l'air, remarque-t-il en arquant un sourcil."
Nous échangeons un regard entendu et descendons en courant dans les escaliers comme des enfants pour nous ruer vers les cuisines. Nous n'avons pas mangé convenablement depuis longtemps, cette odeur nous ramène immédiatement à Kaer Morhen et aux bons plats que nous pouvons manger durant l'hiver. En nous voyant arriver, Brynhild nous offre son plus grand sourire faisant remonter ses joues qui elles aussi avaient perdues de leurs rondeurs.
"Les sorceleurs, je vous attendais. Je suis allée au village voisin ce matin, j'ai pu traverser le sentier qui y mène grâce à votre bon travail et ils m'ont vendu du pain à prix d'or. 800 pièces le kilo, vous vous rendez compte ?"
Un silence pesant s'installe. Elle s'est ruinée pour ses clients. Ni une, ni deux, Eskel et moi avons la même réaction, sortir nos pièces d'or de nos poches et l'étaler sur le plan de travail couvert de farine qui se trouve entre notre hôte et nous. Brynhild nous héberge depuis la fin de l'hiver et le loyer que nous payons n'est pas suffisant pour elle de s'en sortir. Au début nous n'y prétions guère attention, mais la situation avait changé, nous nous étions liés d'amitié avec elle et avons vécu la pauvreté. Nous sommes en capacité de l'aider, c'est notre devoir de le faire.
Les joues de Brynhild s'empourprent en apercevant la quantité de pièces d'or qui s'étale devant elle, bien assez pour acheter plusieurs kilos de pain.
"Je ne peux pas accepter, vous êtes trop bons. Vous nous débarrassez de tous ces monstres, c'est la moindre des choses que je vous héberge à un faible prix.
- C'est simplement pour que je puisse mieux manger, le ragoût je n'en peux plus. Rien de sentimental, prenez l'argent et achetez de quoi nourrir vos clients avec" dit Eskel d'un ton très froid.
Je commence à mieux cerner le personnage maintenant. Il se cache parfois des répliques froides et méchantes pour que personne ne sache qu'il a tendance à prendre les gens en pitié et qu'il souhaite les aider. Sous ses phrases sans cœur se cache une véritable bonté que je n'ai vu chez aucun sorceleur à ce jour.
Brynhild reprend sa couleur normale et accepte notre présent sans broncher. En échange, elle nous donne à chacun une miche de pain chaud que nous nous empressons de dévorer. Le goût du pain me réchauffe immédiatement le cœur et je ne peux m'empêcher de sourire.
"Cela est plaisant de vous voir heureuse mademoiselle Eyvor, si vous avez besoin de quoi que ce soit n'hésitez pas, je serais aux fourneaux toute la journée.
- Et bien, j'aurais bien une question à vous poser, dis-je sans vraiment réfléchir.
- Bien sûr je vous écoute.
- Connaissez vous un mage qui habite à Oxenfurt et dont nous n'avons jamais entendu parlé ?"
Elle prend un instant pour réfléchir, ses yeux fixent le mur d'un air pensif.
"Il y en avait bien un, mais il est mort il y a des années maintenant.
- Mort comment ? demande Eskel.
- Le pauvre enfant s'est suicidé du haut de la falaise. Il aurait été un mage brillant malheureusement les critiques sur ses pratiques l'ont mené à mettre fin à ses jours.
- Comment ça ? dis je intriguée.
- Vous ne l'avez pas entendu de moi, répond Brynhill en baissant la voix alors qu'il n'y a personne d'autres que nous dans la cuisine. On raconte que le petit avait des talents exceptionnels mais des mauvaises intentions, alors que c'est le garçon le plus gentil que je n'ai jamais rencontré. Il a subi un harcèlement de la part des gens de la ville si important qu'il a préféré mourir. Si jeune.. Il avait seulement 17 ans..
- Où a-t-il été enterré ? Ça peut-être une piste.
- Il n'y a pas eu d'enterrement, nous n'avons jamais retrouvé son corps" s'enquit notre hôte aux bords des larmes.
Eskel me regarde fixement et à la même idée que moi. S'il n'y a pas de corps, cela signifie qu'il n'y a peut-être pas de mort et que l'adolescent est encore en vie. S'il a le potentiel que nous a décrit notre hôte alors entre de mauvaises mains il pourrait faire des ravages, comme détruire une ville et bientôt un royaume.
*^*
La ville d'Oxenfurt est depuis toujours réputée pour ses ateliers, ses échoppes, ses commerces et ses boutiques qui par centaines se trouvent dans les rues colorées, les grandes avenues et les ruelles excentrées. Je sais depuis mon plus jeune âge que tout est trouvable dans cette cité, n'importe quelle babiole se trouve forcément dans l'un des magasins.
Pendant la période de famine que nous traversons, de nombreux restaurants et auberges se sont retrouvés à fermer par manque d'argent ou de nourriture à fournir à leurs clients. Brynhild et la Luthe enchantée représente l'un des derniers vestiges d'une ville autrefois pleine de vie et de ressources. Le bourg des miracles a perdu de son intérêt et les visiteurs se font de plus en plus rares. Les rumeurs sur la dangerosité de la ville se sont propagées dans tout le continent à une vitesse phénoménale, et personne ne vient aider les villageois dans le besoin. Autrefois très réputée pour ses banquets et ses beuveries sans fin, la ville a maintenant plus un air de ville fantôme que de ville de fête et de distraction.
Nos jours de recherche se ressemblent fortement. Nous sommes allés de maison en maison pour savoir si quelqu'un connaissait un certain Griffin, mais tous les habitants nous donnèrent des réponses similaires :
"Pauvre garçon, il n'aurait pas dû subir un tel harcèlement à un si jeune âge"
"Griffin ? Oui, il venait souvent ici. Je l'appréciais beaucoup, sa disparition à été très difficile à vivre."
"C'était un bon garçon. Les élèves du lycée étaient jaloux de son talent, c'est eux qui l'ont poussé à son acte."
Les habitants ressentent beaucoup de peine mais personne ne semble penser qu'il puisse être vivant, il y a même une tombe à son nom dans le cimetière principal de la ville. Une tombe vide et pourtant encore aujourd'hui couverte de fleurs et de bougies en son honneur. La nuit commençait à tomber et les couleurs orangées des flammes semblaient danser dans ce cimetière vide.
"Il est peut-être vraiment mort, souffle Eskel en touchant du bout des doigts les pétales de roses tombées au sol. Et si nous faisions une fausse piste Eyvor ?
- C'est pourtant la plus logique, répondé-je. Un petit garçon torturé se fait passer pour mort pour se venger en secret d'une ville qui lui a fait du mal.
- Ne parlez pas ainsi de mon Griffin, dit une voix frêle derrière nous. Ne profanez pas les morts que vous ne connaissez pas."
Je me retourne doucement et aperçois une dame d'une soixantaine d'années qui se rapproche lentement de la tombe devant laquelle nous nous trouvons. Elle pose alors un bouquet de tulipe blanche et une petite sacoche qui semble contenir une petite somme de pièces d'or.
"Les villageois disent que je me fais piller par un inconnu mais je sais que c'est mon fils qui vient les chercher tous les mois. Je sais qu'il est vivant, dit-elle d'une voix faible qui semble se casser à chacun de ses mots.
- Vous croyez que Griffin est vivant ? demandé-je surprise.
- Bien sûr qu'il l'est mad'moiselle, son âme n'a pas encore quitté notre monde je peux le sentir juste ici, dit-elle en posant délicatement sa main contre son cœur. Si nous nous cachons derrière les arbres ici vous aurez la chance de l'apercevoir quelques minutes. Ce sont mes minutes de réconfort chaque mois."
Eskel la suit d'un pas nonchalant ne croyant pas un mot de ce que vient de dire la vieille dame mais se cache tout de même derrière les épais buissons qui séparent les différentes allées. Je me glisse derrière lui et commence à attendre. Il ne se passe rien pendant un long moment puis j'entends la respiration de la vieille dame s'arrêter. Quelqu'un vient d'apparaître dans un silence de mort devant la tombe de Griffin.
L'étranger est couvert d'une longue cape sombre qui cache son visage. On peut toutefois l'apercevoir se pencher pour récupérer les fleurs et les pièces d'or. Je n'ai pas le temps de réagir que je vois déjà Eskel se ruer sur lui et le plaquer au sol avec violence. D'un geste brusque, il arrache la capuche et révèle le visage de l'inconnu, il glisse son épée sous sa gorge pour le décourager de bouger ou de s'échapper.
La vieille dame court en pleurant et en maudissant mon partenaire. Pourtant elle s'arrête en apercevant le visage de l'inconnu.
"Ce n'est pas mon fils, ce n'est pas Griffin" gémit-elle en éclatant en sanglot et en tombant à genoux sur le sol.
"Qui es-tu sale voleur ? crache Eskel en collant son épée si proche de sa gorge qu'une goutte de sang perle et coule le long du cou de l'inconnu.
- Je peux vous expliquer, bégaye-t-il le souffle saccadé.
- Je ne veux pas d'explication, tuez cet homme sorceleur, je vous en supplie ! hurla la vieille femme couverte de ses propres larmes.
- Votre fils est vivant ! Si vous me tuez vous ne saurez jamais où il se trouve."
Eskel resserre alors violemment son étreinte et place sa main autour de la gorge du voleur.
"Si tu mens, je t'enverrai en enfer si lentement que tu me supplieras de t'achever.
- Je.. Je.. Je ne suis que l'écuyer de monsieur Griffin, son homme de main, je fais le sale boulot pendant qu'il prépare son plan.
- Quel est ce plan ? demandé-je agacée.
- Je ne peux pas vous le dire ou il me tuera.. souffle l'écuyer.
- Si tu ne le dis pas maintenant, tu sais ce qu'il t'attend de ma main, grimace Eskel.
- Je préfère mourir de votre main Monsieur le sorceleur, tuez moi maintenant et libérez moi..."
Eskel le relâche alors et l'écuyer porte ses mains à sa gorge et reprend de fortes inspirations.
"Quel est ton nom écuyer ?
- Jacob, je m'appelle Jacob.. Je peux vous amener à Griffin mais je ne parlerai pas plus.."
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