Chapitre 1

J'ouvre les yeux avec lenteur. Malgré les années qui sont passées, je n'oublie pas cette terrible journée qui a fait ce que je suis aujourd'hui, une sorceleuse. Je me relève et aperçois Géralt, les deux mains dans la rivière, entrain d'essayer d'attraper le repas du jour.
Cela fait bien longtemps qu'il a perdu son côté joueur et malicieux. Ténébreux est plutôt le terme que je lui aurais attribué, et cela fait son charme auprès de ses nombreuses conquêtes.

"Eyvor, peux-tu préparer les chevaux ? Nous ne sommes plus très loin de Blaviken.

-Tu comptes y laisser le monstre j'espère. L'odeur va finir par rester sur mes vêtements.

- Ne t'inquiète pas. Je l'amène à un certain Stregobor, il me paye et on sera vite partis"

Je soupire, espérant que ce soit vrai pour une fois. D'une main, j'attrape la brosse pour nettoyer les poils boueux de nos chevaux et de l'autre une roche pour décrotter leurs sabots. Ces pauvres bêtes nous promènent toute la journée et Géralt y prête à peine attention. Il ne prête pas attention à grand chose d'ailleurs.
J'observe de loin l'homme qui me fait rêver depuis des années. J'ai toujours voulu qu'il s'intéresse à moi comme il s'intéresse aux autres, qu'il m'enlace et prenne soin de moi. Mais pour lui,  je ne suis qu'un compagnon de voyage.

Une fois les chevaux scellés et prêts, je le rejoins autour du feu sur lequel il a mis à cuir des poissons.

"Mange, nous devons partir au plus vite."

Sans un mot de plus, il finit son poisson d'un croc, met le monstre à l'arrière de sa scelle et monte à cheval. Obligée de suivre son rythme, je me dépêche, me hisse sur ma monture et le suis au trot.

"Pourquoi tu ne t'intéresses à rien, Géralt ?" Finis-je par demander en trouvant le chemin long.

"De quoi tu parles ? Je tue les monstres, je me fais payer et je trouve d'autres monstres à tuer.

-Ce n'est pas une vie ! Ce n'est pas de l'aventure mais de la torture.

-Nous faisons ce que l'on nous demande.

-Justement ! Et si, pour une fois, nous prenions du temps pour nous ? 

-Et tu veux faire quoi Eyvor ?

-Boire une bière ? Je t'invite, mais s'il te plaît, oublions les monstres ne serait ce qu'une journée."

Il grommelle légèrement mais finit par accepter avec un sourire aux lèvres.

"Très bien ma belle. Nous passerons l'après-midi au bar à boire de la bière et à chanter des chansons."

Je ne sais pas s'il se moque de moi ou non, mais sa réponse me fait rougir. Je cache mon visage sous ma longue chevelure blanche et le dépasse au galop. Il ne tarde pas à récupérer mon rythme et il continue de sourire.

Une fois arrivé à Balviken, nous laissons les chevaux à l'entrée de la ville. Un petit bar animé attire mon attention. J''attrape le bras de Géralt et le traîne à l'intérieur. La chaleur prend rapidement possession de nos corps et nous retirons nos peaux de bêtes qui nous servent de manteaux. Rapidement, je me dirige vers le bar où une jeune fille triste vide pinte sur pinte. Elle me lance un regard sans vie et continue à boire.

"Une jeune fille peut m'amener voir Stregobor, je récupère les sous et je reviens."

Je hoche la tête et commande une bière. La jeune fille qui semble légèrement éméchée me rejoint et s'assoit à mes côtés. Elle plonge ses yeux bleus dans les miens et m'offre son plus grand sourire. Ses cheveux, de la couleur de la paille, coupés de façon anarchique et irrégulière, lui arrivaient juste en dessous des oreilles. Elle est vêtue d'un corselet de velours et d'une jupe, asymétrique qui lui couvre uniquement la cheville du côté gauche. Un glaive et un poignard décore son accoutrement en pendant mollement depuis sa ceinture.

"Vous n'êtes pas d'ici vous ?"

Je hoche négativement la tête.

"Vous êtes des sorceleurs ?"

Je hoche positivement la tête.

"Est ce que tu peux m'aider sorceleuse ?

-Je m'appelle Eyvor.

-Enchantée. Moi c'est Renfri"

Elle esquisse un sourire et me tend sa bière.

"Tiens je te l'offre, tu as l'air d'avoir une semaine compliquée.

-Une vie compliquée, dis-je en riant.

-Elle ne peut pas être pire que la mienne."

Je la dévisage rapidement et décide de me prendre au jeu. Elle est marrante.

"Je suis une sorceleuse. Tout le monde me voit comme un monstre sans émotion, commencé-je.

Je suis née princesse mais également après l'éclipse. Je suis donc maudite et pourchassée par tous les mages du pays qui veulent ma mort."

Elle est forte. Je prends une grande gorgée de bière et reprends.

"L'événement qui a permis ma mutation a tué tous mes camarades à part Géralt, le sorceleur avec qui je suis arrivée.

-Effectivement,  dur de le supporter tous les jours celui là, dit-elle en riant. Quand j'étais petite, un soldat devait m'emporter dans les bois, me tuer et rapporter mon coeur et mon foie. Mais il me viola puis eut pitié de moi. Je l'ai donc tué avec une broche."

Sa voix se casse sur sa dernière phrase. Je pose une main sur son épaule, geste qu'elle repousse délicatement du revers de la main.

"Cela fait des années que je traverse le pays, que je tue des monstres et que je n'ai pas reçu d'amour de quiconque. L'homme dont je suis amoureuse se fiche de moi et collectionne les conquêtes. Pour lui, je ne suis rien, continué-je.

-Tu ne penses pas qu'il est comme ça justement parce qu'il tient à toi ?

-Étrange façon de tenir à moi..

-Un jour, un prince m'a sauvé des mains du mage qui veut le plus ma mort, Stregobor. Mais en me ramenant chez lui, son père m'a torturé à n'en plus finir. Si je ne l'avais pas tué, je serais encore là-bas. Pourtant, le prince n'a rien fait. Cela ne voulait pas dire qu'il ne tenait pas à moi."

Elle me sourit doucement mais je me raidis instantanément. Elle a prononcé le nom de Stregobor, mage que Géralt est allé voir pour récupérer l'argent. Je m'inquiète soudainement pour lui et cours le rejoindre à l'extérieur, laissant Renfri avec ses pintes vides.
J'ouvre a peine la porte que je tombe nez à nez avec lui.

"Il faut qu'on parle", disons-nous en même temps.

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