『5』
L'odeur des grains de café que l'on moulait avec patience, de la crème se mêlant au chocolat et du sucre caramélisé vint rapidement emplir les narines de Rieka qui venait à peine de pousser la porte du petit café dans lequel elle avait rendez-vous. Dans ce genre de moment, elle adorait avoir un odorat surdéveloppé. Elle redécouvrait des odeurs, en percevait chaque dimension avec un plaisir nouveau. Un petit sourire aux lèvres, elle retira ses gants et balaya la salle du regard avant de trouver les personnes qu'elles cherchaient. Sans attendre une seule seconde, elle se dirigea vers eux d'un pas déterminé et rapidement, des bras l'entourèrent chaleureusement.
— Ca fait longtemps ! s'exclama Hélène
— Je suis contente de te voir, souffla la louve, réellement heureuse de revoir son amie.
— Et moi on m'oublie ?
Rieka retint un rire puis se détacha d'Hélène avant d'offrir une étreinte à Dylan qui esquissa un sourire au même moment. En réalité, il l'avait vu il y a peu de temps, contrairement à la sorcière, mais il adorait taquiner les autres alors il ne se retenait pas de le faire. Le trio s'assit autour d'une table, table qui était déjà garnie d'un chocolat chaud pour Hélène et d'un irish coffee pour Dylan. L'Alpha profita qu'un serveur passe à côté d'elle pour commander un thé à la rose puis elle se re-concentra sur ses amis.
— Ca me fait plaisir de vous retrouver là.
— Heureusement que tu es arrivée. J'ai bien cru que j'allais finir par brûler les plumes de notre pauvre Corbeau.
— Si seulement tu n'étais pas une vieille sorcière aigrie, répliqua Dylan.
Hélène ricana, pas du tout vexée par les propos du noiraud qui avait toujours ce sourire au coin des lèvres, indiquant qu'il n'était pas vraiment sérieux. Rieka les jaugea tout deux du regard, retenant un petit sourire amusé. C'est qu'ils s'entendaient plutôt bien, ces deux là.
— Ca faisait bien longtemps que l'on ne m'avait pas qualifié ainsi, continua la sorcière.
— Hm ? Depuis quand ? lui demanda le jeune homme.
Subitement, le visage d'Hélène prit une teinte sombre et son sourire s'effaça lentement. Ses lèvres se pincèrent et son regard se perdit dans son chocolat chaud qu'elle touillait dans le vague. Rieka jeta un coup d'oeil au Corbeau qui haussa les épaules, bien qu'il était conscient qu'il avait fait une bêtise.
— Oublies, je-
— Non, je... Ca va.
Elle inspira un coup et leva le regard, passant une main nerveuse dans sa chevelure de jais.
— Le dernier à m'avoir appelé comme ça était celui que j'aimais.
— ... "Aimais" ? souffla Rieka.
— Il s'appelait Aziel. C'était un loup-garou. Un Gamma fort au pelage presque aussi blanc que le tient, Rieka. Et ses yeux... Ses yeux étaient comme l'émeraude, j'aurais pu m'y perdre dedans.
La louve ne put s'empêcher d'attraper la main de son amie qui semblait souffrir rien qu'à l'idée de repenser à ce fameux Aziel. Sa lèvre inférieure torturée par ses dents, la sorcière avait les yeux brillants de larmes. La douleur était encore plus réelle aujourd'hui.
— Ca fait dix ans qu'il est mort et il ne se passe pas un jour sans que je ne pense à lui.
— Je suis désolé, je n'aurais pas dû... commença Dylan.
— Non, ne t'inquiètes pas, s'opposa Hélène en riant un peu. C'est juste moi qui n'arrive pas à... à surmonter la douleur.
La sorcière plongea alors son regard dans celui de l'Alpha qui ressentit comme un écho. Son coeur se serra brutalement et elle comprit qu'Hélène était l'exemple même de son cas. Dix ans après la mort de celui qu'elle aimait, elle était toujours dans un état douloureux à voir. C'était donc le destin de Rieka ? Sans qu'elle ne le réalise, ses doigts serrèrent la main de la sorcière qui n'eut aucune réaction. Elle fut l'erreur de repenser à Taehyung, pendant une fraction de seconde.
— Ecoutez, arrêtez un peu de vous regarder dans le blanc des yeux.
Sans perdre une seconde, le Corbeau s'imposa à la vision des deux jeunes femmes et leur lança un grand sourire.
— Il est hors de question que je me ballade avec d'aussi jolies filles qui font la tronche.
— T'es sérieux, Dylan ? souffla Hélène en haussant un sourcil.
— Très ! Laissez moi vous raconter une histoire.
— A quoi tu joues... se lamenta Rieka.
— Mais- Laissez-moi au moins commencer !
Les deux femmes le regardaient, dubitatives, mais bel et bien la bouche fermée. Satisfait, le noiraud prit une gorgée de son café puis se remit à parler, heureux d'avoir l'attention de ses deux amies.
— Quand j'étais petit, j'aimais beaucoup me promener en forêt. Mais à l'orphelinat, on avait rarement le droit de sortir seuls et-
— Tu es orphelin ?! s'exclama Rieka.
— Chut ma belle, le narrateur n'a pas fini son histoire.
La louve se renfrogna, gonflant un peu ses joues mais tout en retrouvant le silence.
— Donc je disais, à l'orphelinat, on ne pouvait pas vraiment sortir seuls. Et comme je suis un rebelle, j'ai décidé qu'un soir, j'irai me balader en forêt.
— Mais quelle bonne idée, ironisa Hélène.
— On ne critique pas le protagoniste, rappela à l'ordre Dylan avant de continuer. Il faisait nuit noire mais j'adorais ce que je vivais : l'air frais de la nuit, l'éclat de la Lune au-dessus de ma tête, les branches sous mes pieds. Puis il y a eu ce loup. Un énorme loup, aux yeux rouges sang.
— Un Ancien... souffla l'Alpha.
— En effet. Il s'est approché de moi, les crocs à découvert. J'étais si petit que de là où j'étais, j'avais l'impression que ses dents étaient des poignards d'ivoire. Il s'est approché, jusqu'à n'être qu'à un mètre de moi. Et là... le néant.
Les deux amies se jetèrent un regard avant de reporter leur attention sur Dylan qui semblait totalement plongé dans son histoire.
— Et ensuite ? pressa la sorcière.
— Ensuite, je me suis réveillé avec un affreux mal de tête. J'étais étendu sur une table, pieds et poings liés, comme une étoile de mer étalée sur son rocher, ricana le noiraud. Au-dessus de moi, j'avais les têtes de tous pleins de loups, de différentes couleurs. J'ai trouvé ça fascinant sur le coup. Comme un enfant devant un dessin merveilleux.
Rieka pinça les lèvres, sentant son coeur battre un peu plus vite. Elle n'aimait pas la tournure que prenait cette histoire et elle se doutait fortement de la suite. Une suite qu'elle préférait ne pas entendre.
— Il n'y avait qu'un humain. Ou plutôt devrais-je dire, quelqu'un sous forme humaine. D'un coup, il m'a ouvert le torse d'un poignard d'argent. La douleur a enflammé tout mon être et de sa main, il m'a littéralement arraché le coeur d'une poigne ferme.
— Mais c'est immonde ! s'emporta Hélène.
— J'ai vu la Mort au-dessus de moi, prête à me bercer. Et alors qu'ils mettaient en moi un nouveau coeur, elle a pris la forme d'un corbeau. Et c'est ce que je suis devenu.
Rieka serra les dents et détourna le regard. Les Anciens avaient décidément des méthodes des plus barbares qu'elle n'allait jamais pouvoir accepter.
— Pourquoi tu nous as raconté tout ça, Dylan... souffla Hélène, bouleversée.
— Pour vous rappeler une chose.
Doucement, il attrapa les mains des deux jeunes femmes et leur adressa à toutes deux un doux sourire.
— Tous les trois, on a vécu les pires épreuves. On a souffert, c'est vrai. On a connu l'ombre. Mais tout ça, c'est pour vous dire qu'au bout du tunnel, il y aura toujours une lumière. Tout ça, ça nous a rendu plus fort.
Son sourire s'accentua un peu plus et une lueur farouche se mit à danser dans son regard.
— Si forts que maintenant, le monde tremble à l'entente de nos noms.
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