→˚₊· ܴೈ 𝓙𝐨𝐮𝐫 𝟏 : 𝒆𝒓𝒆𝒏 𝒙 𝒓𝒆𝒂𝒅𝒆𝒓
EREN X READER
— episode 1 —
DANS UN COIN RECULE de France, là où les pins constituent de longues forêts habillant des montagnes d’un drap vert, où la brume est si dense que les nuages semblent frôler le sol et où les âmes refusent même de s’égarer, l’immense château d’Halloween High s’élève.
Constitué de multiples tours et ailes s’étendant derrière un large lac traversé par un pont, la bâtisse prend place. Ancienne, elle semble tout droit sortie de vieux livres d’histoire ou contes plus vieux encore. Et, dans le vaste désert qu’est devenu cette région, il est censé de s’imaginer que ce splendide palais a été laissé à l’abandon.
Pourtant, une fois le pont franchis et la large grille de fer forgé ouverte, quelques pas seulement séparent n’importe quel visiteur d’un lieu de savoir et apprentissage. Une université peu commune dispensant une ribambelle de cursus allant du plus banale — tel que la médecine — aux plus incongrus — comme la médecine… sur des monstres.
Il s’agit d’un véritable lieu d’échanges culturels où nous tous sommes…
— (T/P) !? Tu m’écoutes, oui ?
La voix stridente de Shanti perce soudain mes tympans. Sursautant, je me tourne vers la jeune femme dont la peau n’est constituée que de plaques de cuivres visées les unes aux autres. Ses yeux de chats délicatement travaillés s’animent dans leurs orbites quand elle les lève au ciel, exaspérée.
Elle est un robot. Un vieux modèle. Particulièrement tenace et dont le cœur cuivré est sans doute le plus aimant de tous.
— Tu pensais encore à la rédaction ton article ? demande-t-elle.
— Ecoute, le professeur Aizawa m’a chargé d’une tâche extrêmement importante et je me sentirai nul de ne pas le mener à b…
— Pour la première fois depuis plusieurs siècles, on va installer du wifi dans cette fac et un site internet affilié, j’ai compris ! tonne-t-elle en levant les yeux au ciel.
Depuis notre rentrée datant du début de la semaine, les professeurs et personnels universitaires n’ont eu de cesse de nous rabâcher tout cela. Je peux donc comprendre que cela l’agace.
D’autant plus que j’ai eu tendance à en remettre une couche.
— Je suis vraiment désolée, Shanti.
— Ne le sois pas. Avoir la tâche d’écrire la page d’accueil de ce site, c’est quand même énorme, me rétorque-t-elle d’un air doux. Je n’apprécie juste pas de penser au moment où cette école sera connue de tous et où nous n’aurons plus d’intimité.
— Si ça peut te rassurer, nous allons juste la faire connaitre comme une légende mais nous n’indiquerons pas sa localisation. Personne ne nous rendra visite car le système d’inscription va rester le même : c’est l’école qui nous invite à la rejoindre. Nul ne saura où nous sommes.
— Pas même le pays ? demande-t-elle, suspicieuse.
J’attrape ma lèvre entre mes dents, soudain embarrassée.
— Ah non mais c’est pas vrai ! Avec internet, les gens sont complètement cinglés et peuvent de trouver un puit de pétrole avec une rumeur ! C’est d’ailleurs pour ça que je veux pas qu’on mettre de wifi ici !
— Non, tu ne veux pas car les autres robots ici pourraient se connecter mentalement à internet et faire des recherches sur tous les sujets pendant les évaluations, ce qui te ferait passer pour une naze.
— Ah ouais ? Et est-ce qu’une « naze » peut faire ça ? lance-t-elle d’un air provocateur en levant sa main.
L’une de ses phalanges se décale sur la droite dans un bruit mécanique, laissant apparaitre une fine flamme bleue. Je n’ai même pas le temps de me moquer d’elle que le feu s’éteint.
Je me tourne vers le nouveau venu qui vient de souffler dessus. Celui-ci ricane :
— Si tu peux le faire alors oui, une naze peut le faire, ma grande.
— Qu’est-ce que tu veux, Eren ?
Le garçon venant de s’arrêter à notre hauteur me toise du regard. Il n’apprécie pas que je lui adresse la parole car son « rang est supérieur au mien ». Mais il existe une autre raison qui le bouffe de l’intérieur.
Moi, le bas de l’échelle sociale, l’humaine de service flanquée de son robot désuet, est la seule personne de toute cette université à rivaliser avec lui au niveau de nos résultats scolaires.
— Je t’ai pas sonnée, la cloche.
Fronçant le nez, il tourne ses yeux émeraudes ainsi que le restant de son visage en direction de mon amie, me laissant apercevoir la pointe de ses oreilles taillées. Ces dernières trahissent ses origines elfiques autant que son aura éthérée et, surtout, son égo surdimensionné.
Bien que ce stéréotype se soit longtemps avéré vrai, bien des elfes rompent aujourd’hui avec leur tradition suprémaciste. Mais Eren, héritier de la couronne d’un empire planté au milieu d’une forêt enchantée, a été élevé dans l’idée qu’il était de la race supérieure.
Cela se voit bien à son refus de porter notre uniforme scolaire brun ou son obsession avec les bijoux. Une chaine d’or traverse ses longs cheveux bruns ramenés en une demi-queue-de-cheval et une quantité astronomique de doigts couvrent ses mains.
— Le robot décadent, dis à ta pote, le déchet-vivant, que Aizawa veut nos articles demain à l’aube.
— Comment ça, nos articles !? je m’exclame. Je dois faire la présentation du site !
— Et moi la première page dans un vieux journal régional, lance-t-il sans me regarder.
Un rire moqueur franchit mes lèvres, attirant le regard de quelques personne éparpillés dans ce vaste couloir.
— Et ça te fait quoi d’être derrière une vulgaire humaine ? je demande.
Enfin, il ose se tourner vers moi.
— Derrière toi ? répète-t-il, visiblement amusé par ma formule.
— Internet est international. Plus personne ne lit la presse écrite et…
— Les humains ne lisent pas la presse écrite, me corrige-t-il. Les créatures, elles, si. Sans arrêt, même. Nous n’apprécions pas internet.
Il marque un point.
— De plus, hideuse mégère, lance-t-il en s’approchant de moi, se penchant en ma direction. Nous sommes en zone blanche, ici. Le wifi ne sera jamais installé.
Je tressaille. Mais aussitôt, relève la tête et tâche de me reprendre.
— Tu n’auras qu’à pleurer quand mon article sera plus lu que le tien.
— Quelle menace poignante, souligne-t-il en haussant un sourcil.
Sans me laisser le temps de répondre, il tourne les talons. Mes poings se serrent tandis que ses bottes frappent le sol en damier et que sa chemise de soie blanche brille comme une lumière éclatante au milieu des mur de pierre et arcades se succédant pour former le couloir.
Serrant les dents, je fais de mon mieux pour ne pas frapper sur l’immense statue à l’effigie de Dracula plantée à côté de nous.
— Quel connard ! je m’exclame.
— Dis… Tu crois qu’il dit vrai ? demande Shanti.
Me tournant vers elle, je surprends son regard inquiet. Bien qu’elle ne tienne pas à devenir plus décadente encore face à internet, elle et moi formons le duo de naze par excellence. A côté de métamorphes, gorgone et autres créatures capables de mille prouesses, elle passe pour une naze et moi, un vulgaire déchet inutile.
Je ne suis pourtant pas l’unique humaine, ici. Mais, pour sûre, je suis la seule qui rivalise avec des elfes.
— Je n’en sais rien, j’admets. Je n’espère pas. Nous aurions enfin eu une porte de sortie. Après avoir participé à une tâche si importante, je n’aurais plus été que l’humaine mais la rédactrice du site de l’université Halloween High.
— Et moi sa pote super sexy, lance-t-elle dans un regard rêveur.
Je lève les yeux au ciel.
— T’es pas croyable, je ris doucement.
— Bah quoi ? Le seul point positif quand tu as été conçu par un vieux misogyne, c’est qu’il te colle nécessairement tous les critères de beauté possible.
Elle n’a pas tort. Son teint n’est jamais brouillé, toujours uniforme. Ses cheveux sont constamment doux et jamais graisseux, son corps est athlétique et le moindre de ses traits, travaillé au millimètre près pour attirer le regard. Et il le fait d’ailleurs très bien.
Si je ne trainais pas dans ses pattes, elle aurait même sûrement déjà été élue reine d’une cérémonie quelconque. Là est la raison pour laquelle j’espérais que cet article nous rachète une réputation… Car je m’estime responsable de l’état de la sienne.
— Sois pas trop chagrinée ! me lance-t-elle en frappant mon épaule d’une main ferme. Tu vas tout déchirer demain, je le sens !
Bien que je ne la croie pas, j’acquiesce doucement.
ꕥ
Le ciel revêt une délicate couleur rosée quand, un parchemin à la main, je prends le couloir de droite et m’arrête devant un large portrait d’un marquis. A côté, une porte est ouverte. Je la franchis et pénètre la vaste salle de classe parsemée de pupitres, vieilles machines à écrire, rouleaux de parchemin.
Au fond, sur une estrade de bois, un long bureau s’étend devant un tableau noir. Deux hommes s’y trouvent déjà. Le premier, profondément cerné et dont les longs cheveux noirs tombent en cascade sur ses épaules est mon professeur d’expression écrite, le démon du sommeil Shota Aizawa.
En face de lui, Eren a les bras croisés. Et il me lance un regard moqueur quand la voix de notre enseignant résonne :
— Vous êtes en retard, jeune fille.
— Pour ma défense, « l’aube » n’est pas un horaire précis, je fais remarquer.
Aucun des deux ne répond et j’arrive à leur hauteur. Au même instant, le noiraud tend au brun son écrit et attrape le mien. Ses yeux parcourent la feuille à toute vitesse tandis que je retiens ma respiration, appréhensive.
Mon enseignant n’est pas du genre à me détester car je suis humaine. En revanche, il est particulièrement exigeant. Bientôt, il me tend mon parchemin.
— Bien.
Nous redressant tous les deux, nous fixons le professeur, attentif à son jugement.
— (T/P), tu rédigeras l’article.
Interloquée, mes épaules tombent tandis que je hausse un sourcil. Bien sûr, que je rédigerai l’article ! Je voulais simplement lui montrer mon premier jet.
— Vous pouvez y aller.
Il se retourne, près à traverser l’arcade parée d’un rideau dans le fond de sa classe et qui mène à ses appartements privés.
— Attendez ! tonne la voix d’Eren. Vous pouvez m’expliquez ce que c’est que ce merdier !?
Jetant un regard au brun, j’aperçois sa peau rougis et ses veines saillantes. De toutes évidences, il a compris quelque chose que je ne sais pas car je ne vois pas ce qui peut bien le rendre soudainement furieux.
— Non, je ne peux pas, lance simplement la voix de l’enseignant tandis qu’il referme le rideau derrière lui.
A l’instant où nous nous retrouvons seuls, un frisson parcourt mon échine. L’air s’est brutalement épaissi et réchauffé, je sens la colère d’Eren grandir et prendre possession de l’atmosphère. Le silence est semblable au calme avant la tempête.
Me tournant vers la porte, je m’apprête à rebrousser chemin. Mais, aussitôt, il se plante devant moi. Ses yeux vert émeraude me scrutent, empli d’une fureur que je ne lui ai jamais vu — lui qui a tendance à se montrer simplement méprisant.
— Qu’est-ce que t’as fait, hein ? T’es allée pleurer dans les jambes de papa-Aizawa ? « Oh ! Le méchant elfe, il m’a fait du mal ! Le gros vilain ! Bouuuhh ! »
— C’est quoi ton problème ? je le coupe, interloquée.
— Ne fais pas l’innocente !
— Mais de quoi tu parles !?
D’un geste rageur, il s’empare de mon parchemin. Puis, brandissant les deux copies devant mon regard, tonne agressivement :
— Zone blanche. Pas de wifi. Pas de site. Un journal. Pas de page d’accueil. Zéro d’article tapé. Un article écrit. Un SEUL article. Deux copies. Un seul choisi. TOI COMPRENDRE OU TOI N’ETRE QU’UNE GROSSE CONNE !?
Haussant les sourcils, je ne réponds pas. Bien sûr, les hurlements du brun m’arrachent un sursaut. Mais je suis trop concentrée ce qu’il vient de dire. Bien sûr, cela corrobore les paroles de notre enseignant…
Mais alors pourquoi ne pas nous avoir dit clairement que nous concourions ?
— A quoi ça servait de faire croire à tout le monde qu’ils allaient installer internet ? je marmonne.
— Mais c’est pas vrai mais, Seigneurs des Hautes Forêts, pourquoi m’avez-vous placer sur le chemin d’une gamine AUSSI CONNE !? s’exclame Eren et levant la tête vers le plafond.
Je n’ai le temps de m’insurger qu’il me regarde à nouveau.
— Ils ont essayé d’installer internet et quand ils ont réalisé qu’ils n’y arriveraient pas, Aizawa a décidé qu’il choisirait une copie parmi les nôtres ! Putain, et c’est elle qui a eu l’article alors qu’elle est conne comme un balai !
Je lève les yeux au ciel, lasse de ses remontrances.
— Je peux vraiment plus te supporter, toi et le favoritisme dont tu bénéficies, toi et ton humanité, toi et te sale gueule…
— Tu sais quoi, Eren ? je lance.
Il lève un regard interrogatif vers moi.
— Si ma tête te revient pas, t’as qu’à parler à mon cul.
Là-dessus, je le double. Et, marchant le long de l’entrée menant à la porte, je lève la veste de mon uniforme d’une main afin de dégager une vision de mes fesses dans ma jupe plissée et brandit mon majeur de l’autre en direction de l’elfe.
Je sais qu’il me regarde. Je sens son regard brûlant sur moi et devine sa mâchoire se contractant.
Alors, un sourire aux lèvres, je franchis la porte et déboule dans le couloir. M’enfonçant dans celui-ci, je repasse devant le portait puis bifurque pour revenir sur mes pas. Là, le corridor s’étendant donne en partie sur l’extérieur.
A ma gauche, des portes mènent aux salles de cours tandis qu’à ma droite, d’innombrables arcades se succèdent, donnant sur un large balcon d’où on peut admirer une vue imprenable sur le lac et les forêts alentours. M’arrêtant dessus, je prends une grande bouffée d’air.
Dans quelques minutes à peine débuteront les cours d’histoire de la magie noire et Muzan Kibutsuji a tendance à être plutôt stricte en matière de ponctualité. De plus, sa haine des humains fait de moi la cible privilégiée au sein de son cours.
Mais pour rien au monde je ne mettrais fin à mon rituel matinal.
— Je vooooooooooole ! retentit une voix guillerette, à quelques mètres de moi.
Dans les airs, une jeune fille rondouillette aux cheveux châtains virevoltes. Dans son dos, deux ailes plutôt petites et roses s’étendent, papillonnant.
— Encore heureux que tu voles, Ochaco, tu es une fée, je souris doucement.
— Mais j’ai pas le droit de le faire dans notre monde ! Là, je suis libre !
Effectuant un cercle dans les airs, elle lance un sachet violet que j’attrape au vol avant de tourner les talons, la remerciant. Enfonçant ce nouveau bien dans ma poche, je cours à toute vitesse le long des couloirs. J’aurais aimé m’attarder plus longuement à ses côtés mais je ne veux pas me mettre en retard.
Autour de moi, les arcades, tableaux, statues et chandeliers se succèdent. Dévalant de nombreuses marches, je parviens à hauteur d’une autre aile et, après avoir dépassé l’imposante tapisserie accrochée aux murs et représentant une forêt, j’atterris devant une élégante double-porte ouvragée.
Poussant un soupir de soulagement, je remarque que la classe est quasiment vide. Au fond, de larges fenêtres projettent les lueurs naissantes du soleil sur les tables de bois. Celles-ci s’étalent à droite et gauche de la pièce sous formes de rangées se faisant face et encadrant une zone où le prof déambule durant son cours.
Point de bureau ou de tableau. Cet homme possède une voix si calme et hypnotisant qu’il capte notre attention sans même user de support.
M’asseyant à la première rangée, je pose mon sac à côté de moi pour réserver une place à Shanti. Dans la salle, une gorgone est présente — reconnaissable par ses cheveux et ses lunettes de soleil — ainsi qu’un fantôme laissant voir un transparence les pupitres.
Bientôt, la salle se remplie. Parmi les dernières, Shanti laisse bientôt apparaitre sa silhouette. Se frayant un passage entre un cyclope et une fée minuscule voletant autour de lui, elle s’assoit à ma droite.
Je l’observe, un sourire aux lèvres. Le contrejour forme un halo autour de sa tête, faisant ressortir le cuivre de sa peau qui se marie si bien avec l’ambiance de ce château ancien. Je ne peux m’empêcher de remarquer sa beauté ainsi que celle de son voisin et même du ciel.
Je suis heureuse.
— Oh, toi ! Ton rendez-vous s’est bien passé ! devine-t-elle.
— Mieux que bien ! je m’exclame. J’ai évincé Eren et obtenu d’écrire son article !
— Mais c’est génial ! s’exclame-t-elle.
— Oui, je suis si conte…
Ma voix se tait soudain. Ma langue se paralyse et j’écarquille les yeux, posant mes mains sur mes lèvres. Alarmée, Shanti réagit aussitôt, secouant légèrement mon épaule. Autour de nous, l’agitation est telle que d’autres personnes commencent à nous regarder.
Une sirène installée derrière moi pose même une main sur mon dos, tentant de m’apaiser en me « prêtant » sa voix. Sans succès. Ce sortilège assez simple ne suffit pas. Car je ne suis pas aphone. Non. Ma langue est en train de gonfler, m’étouffant.
— Par Neptune ! Qu’est-ce qu’il se passe !? s’exclame-t-elle.
— Il se passe que je ne tolère pas qu’on bavarde pendant mon cours, mes chères.
Du coin de l’œil, je vois la silhouette du démon Muzan jaillir. Un costume du 19ème siècle l’habille et de son chapeau jaillit deux mèches ondulées encadrant ses yeux rouge sang. Il pose d’ailleurs ceux-là sur moi tandis qu’il atteint le centre de la pièce.
Ma respiration est de plus en plus sifflante et pénible. Bien sûr, je pourrais me saisir du sachet qu’Ochaco m’a clandestinement rapporté ce matin — de la poudre de fée qui dissipe ce genre de sortilège.
Mais l’introduction de cette substance à l’université est purement contraire au règlement et le simple fait que j’en porte pourrait me mener au renvoie. Je n’en achète que pour contrer les attaques de personnes comme Eren mais, lorsqu’il s’agit des professeurs, je ne peux qu’encaisser sans rien dire afin de ne pas éveiller les soupçons.
Soudain, l’air pénètre mes poumons et j’écarquille les yeux. Ma langue reprend brutalement sa forme normale et je tousse bruyamment, mon œsophage presque griffé par la force de l’oxygène me revenant.
Quelques ricanements retentissent. Je lève les yeux vers eux et aperçois les amis d’Eren l’entourant. Ils se moquent ouvertement de moi. Mikasa pouffe dans sa main fine et délicate, Mina rit aux éclats, Nami sourit de contentement, Yuno pouffe mesquinement et Francky se tient carrément le ventre.
Une kitsune. Un loup-garou. Une nymphe. Un mage. Un cyborg. Que des créatures de haut-rang entourant un prince plus haut-gradé encore.
Mais celui-ci ne rit pas, se contentant de me fixer d’un air dur.
De toute évidence, il n’a toujours pas digéré ce qui s’est produit ce matin.
— Bien, reprend Muzan. Les perturbateurs… calmés, nous allons pouvoir reprendre cette classe. En espérant ne pas avoir à intervenir à nouveau.
— Un grand malade, murmure la sirène derrière moi, n’ayant visiblement pas digéré le fait qu’il m’ensorcelle de façon si violente.
La classe se fait soudain silencieuse. Notre professeur, s’arrêtant dans ses éternels cent pas, jette un regard par-dessus son épaule en direction de cette fille.
— Plait-il ? murmure-t-il d’une voix à peine audible mais qui résonne dans le silence angoissé des lieux.
Même les amis d’Eren ont cessé leurs pitreries. Lui ne me regarde plus, griffonnant sur son parchemin d’un air ennuyé.
Soudain, un bruit de froissement retentit derrière moi. A peine ai-je le temps de me retourner et d’apercevoir un nuage noir ensevelissant la sirène que cette dernière hurle. Son cri résonne comme des éclats de verre avant qu’elle ne disparaisse.
Atterrée, je fixe sa chaise vide, de longs instants durant.
Il ne l’a pas tuée ? Si ? Non. Bien sûr que non. Même dans ce théâtre d’horreur où enseignent les plus obscures guerriers, de tels sévices sur les élèves ne sont pas autorisés. Il doit s’agir d’une magie que je ne connais pas car aucun élève autour de moi ne semble horrifié. En revanche, ils sont manifestement terrorisés.
— Ceci, résonne à nouveau la voix du professeur, est un sort de magie noire. Il est considéré comme tel car j’ai expédié cette sirène à un endroit terrifiant, ait pénétré son esprit pour la plonger au cœur de son cauchemar et la violation de cet esprit catégorise ce sortilège comme étant de la magie noire.
Je comprends mieux les regards terrifiés. Quel genre de tordu fait cela ?
— Prenez vos plumes et vos encriers, annonce-t-il. Car nous allons parler du tristement célèbre démon qui officie ici et qui se trouve être le créateur de ce sortilège, Shota Aizawa.
Non sans un frisson, je m’empare de mes outils et me concentre sur mon parchemin.
ꕥ
— Tu ne m’ôteras pas de la têtel’idée que ce n’est pas normal de traiter les gens comme ça ! je m’exclame.
Assise à la fenêtre de la chambre que je partage avec Shanti et Ochaco, j’observe le jardin s’étendant à l’extérieur. Eren s’y trouve, allongé dans l’herbe avec ses amis. Ils mangent quelques fruits visiblement volés en cuisine.
Détachant mon regard de cette scène, je le porte sur les trois lits à baldaquins posés le long des murs circulaires de la pièce. Nous occupons une tour, comme le restant des filles de notre âge. Les meubles de bois et rideaux blancs sont illuminés par des chandeliers.
Shanti est partie resserrer quelques boulons mais Ochaco est bien présente, allongée sur son matelas.
— Je ne dis pas que c’est normal. Je suis même quasiment sûre que Muzan va être sanctionné pour avoir utilisé de la magie noire sur une élève mais c’est un ancien guerrier. Il n’a pas la mesure des choses, ne se rend pas compte quand il outre passe ses fonctions.
— Plusieurs centaines d’années au comptoir et le gentil monsieur est pas foutu de savoir qu’il est déplacé de violer les barrières psychiques d’une élève !? je m’exclame.
Ochaco hausse un sourcil.
— Quoi ?
— Disons seulement que niveau « viol des barrières psychiques », elle n’est pas mal non plus, souligne-t-elle. C’est une sirène.
— Elle n’avait fait de mal à personne !
Voyant que je ne l’ai pas convaincue et ne voulant perdre mon temps à me disputer, je me lève et saisit mon sac. Elle me laisse, comprenant sans doute à mon parfum ou je-ne-sais quelle autre connerie que je vais par tarder à hurler si nous persistons dans cette conversation.
Sortant, je dévale l’escalier en colimaçon avant de bifurquer devant une gargouille plantée sur le sol et immobile. A côté d’elle, une autre — cette fois-ci, vivante — lit un bouquin. Je traverse les couloirs à toute allure, prête à débouler avec plusieurs minutes d’avance devant la porte de notre cours de potions.
Arrivant à celle-ci, j’ouvre la porte. Les chaudrons vides s’étalent au centre de la vaste salle. Les vitraux aux murs projettent quelques couleurs sur l’installation. Je n’ai même pas le temps de choisir où je vais m’installer par rapport au bureau du professeur au fond que le bruit de la porte se refermant dans mon dos attire mon attention.
Me retournant, je tombe sur Eren. Il verrouille le loquet, ses cheveux entièrement détachés sur ses épaules.
Je l’observe faire, méfiante. Puis, il s’appuie contre la porte, me jetant un regard indéchiffrable.
— Qu’est-ce que tu veux ? je crache.
— Tu t’es bien rincé l’œil ?
Mon estomac se tord et je manque d’écarquiller les yeux, embrumée par la honte.
— Te cacher aux fenêtres pour observer bouffer ? Franchement, même venant d’une humaine, je m’attendais à mieux, souligne-t-il.
— Tu te fais des films. J’étais juste dans ma chambre. Et puis pourquoi t’étais allongé sous ma fenêtre, d’abord ? C’est plutôt à moi de te poser la question !
Levant les yeux au ciel, il balaye cette conversation d’un geste de la main et s’approche doucement. Hébétée, je le regarde faire. Son pas est souple.
— Pourquoi tu n’as pas utilisé ta poussière de fée contre Muzan ?
— Ma quoi ? je lance, sur la défensive.
— Inutile de nier, Ochaco est proche de Nami. Je suis au courant depuis le début, lance-t-il. Je veux juste savoir pourquoi tu t’es pas protégée contre un sortilège aussi grave. Hein ? C’est quoi ton problème ? T’aime souffrir ?
Secouant la tête, je lui jette un regard noir.
— Je n’ai absolument aucune idée de quoi tu parles !
— Evidemment…
— Et puis, si tu pensais réellement que j’avais de la poussière, pourquoi tu passes ton temps à m’ensorceler ?
De la soirée où j’ai été contrainte de formuler à haute-voix tout ce qui me passait par la tête à celle où j’ai imité la vache à chaque fois que quelqu’un éternuait — en plein hiver — en passant évidemment par la formidable après-midi où ma peau est devenue violette et mes dents, noires, Eren a su me faire payer ma présence dans cette université.
Contractant sa mâchoire, il marque un temps d’arrêt avant de répondre :
— Espèce d’idiote, c’est justement parce que je sais que tu as de quoi te débarrasser de ces sortilèges que je te les lance.
— Monsieur est trop aimable ! je réponds d’un ton cérémonieux en posant une main sur mon cœur et faisant une révérence.
— Je ne m’en prends pas à une personne qui ne peut pas se défendre, insiste-t-il. La preuve en est, je t’ai toujours laissé assez d’autonomie pour que tu puisses fuir et prendre de la poudre en cachette.
Un rire moqueur secoue ma poitrine.
— Tu n’as surtout pas la force mentale pour me lancer des sortilèges plus puissants.
Dès lors mes mots résonnent-ils dans l’air qu’Eren fait un geste rapide du doigt. Aussitôt, mes jambes cèdent sous mon poids et je me retrouve à genoux devant lui. Tête baissée. Je tente de relever la nuque ou me remettre debout mais une force invisible m’immobilise. Jamais je n’ai été aussi peu maitre de moi-même.
Pas même ce matin, face à Muzan.
Dans ma position, je vois ses chaussures avancer sur le sol. Il se plante devant moi. Sa main se pose brutalement sur ma mâchoire et un frisson parcourt mon échine à ce contact. Brutalement, il relève ma tête.
Là, mes yeux se plantent dans ses émeraudes. Un nuage de noirceur habite ces dernières.
— Plait-il, ma chère ?
Son ton insidieux et son regard condescendant m’enragent tant que je me débats de toutes mes forces. Je fais pression sur mon corps mais celui-ci reste bloqué, me forçant dans cette position humiliante.
Il sourit d’un air hautain et penche la tête sur le côté.
— C’est bien ce que je pensais.
Soudain, mon corps s’effondre et il tourne les talons pour atteindre la porte. Au moment où il pose sa main pour le verrou pour le rouvrir, je me redresse sur mes jambes. Les élèves entrent alors dans la salle, nous jetant des regards suspicieux.
Nul parmi eux ne sait ce qu’il s’est produit ici. Mais Eren n’oubliera jamais ces dernières minutes est là est ce qui me dégoûte le plus.
Me posant derrière un chaudron, je soupire. A cause des risques que les liquides et vapeurs ne bouffent sa carcasse, Shanti ne participe pas aux cours de potion. Mais Eren et sa bande, si. Et je suis vraiment fatiguée de devoir me les coltiner à chacune de mes classes.
Afin de relever le niveau que mon statut d’humaine m’assigne, j’ai choisi toutes les options possibles de ma licence — sauf les cours de sortilèges puisque je ne produis aucune magie — et eux aussi, étant des héritiers et devant donc suivre les directives de leurs parents à la lettre.
Tant et si bien que, pour l’heure qui suivra, je serais seule.
— Allons, allons ! s’exclame une voix fluette.
Entrant dans la salle, une femme de petite taille aux yeux violets frappe dans ses mains pour attirer notre attention. Un papillon aux ailes vert et roses agite ses ailes, perché sur son crâne.
Kanae Kocho. Professeure de potions. Et aussi mon enseignante favorite, quoi que je sois seule durant son cours.
Lors d’une bataille, son peuple et celui de Muzan se sont affrontés.
Ils se haïssent.
— Aujourd’hui, quelques potions utiles au bon fonctionnement d’une excursion de plusieurs jours. Un philtre dissipant l’odeur de gaz, le mal dans les pieds, les ballonnements, la fatigue chronique et le vertige.
Avant même qu’il ne commence, elle coupe court aux protestations :
— Oui, je sais, les enfants, pas très glamour mais c’est comme ça !
Acquiesçant avec mes camarades, je suis assidument les instructions. L’heure se déroule convenablement et, bien que le chaudron devant moi me face froncer le nez, je suis ravie d’avoir boucler toutes mes potions et de pouvoir remplir la dernière fiole.
Madame Kocho applaudit en me voyant faire, souriant de toutes ses dents. Ceci attire l’attention des élèves qui lèvent les yeux vers nous.
— Bravo, ma chère ! Vous voyez, là est la raison pour laquelle j’apprécie les humains ! Dans notre monde, ils sont les meilleurs potionistes !
Quelques murmures désapprobateurs parcourent l’assistance. Laissant ses ailes roses et vertes jaillirent dans son dos, la fée s’envole sur quelques centimètres avant de flâner dans l’assistance.
— Quoi ? Aurais-je tort ? Cette fille vous bat tous dans ma matière, et de très loin !
Elle lance un regard appuyé à Eren.
— Vous devriez en prendre de la g…
Sa voix meurt brutalement dans sa gorge quand, s’emparant de sa baguette magique accrochée à sa taille, elle exécute un geste sec sur ma droite. Un concert de cris retentit alors et, me tournant vers l’endroit qu’elle pointe, je découvre ce qu’il se passe.
Figées dans les airs, les gouttes d’une potion semblent avoir été arrêtées en plein vol. Sans l’intervention du professeur, elles me seraient sans doute tombées dessus. J’écarquille les yeux en apercevant sa couleur phosphorescente.
Le fantôme à côté de moi m’a balancé à la tête une mixture qui peut dissoudre les chairs. Il a tenté de me défigurer.
— MATHIEU ! SUIVEZ-MOI DANS LE BUREAU DE LA PRINCIPALE !
Aussitôt, le garçon aux contours translucides s’en va, non sans me lancer un regard noir. Si la plupart se fiche qu’une humaine réussisse ici. D’autres en sont vraiment furieux.
— Le cours est fini, lance notre professeur en franchissant la porte.
Le silence revient et les regards se braquent sur moi. L’un en particulier me brûle.
ꕥ
Tout le monde ne parle plus que de l’agression de Mathieu, un fantôme, sur moi. Ma mâchoire se contracte. Qu’il s’agisse des sorciers ou des spectres, je suis toujours furieuse lorsque l’un des deux s’en prend à moi. Un humain avec des pouvoirs et une personne autrefois humaine.
Ils devraient être les premiers à me comprendre ! Et pourtant, ils sont sans nul doute ceux qui me haïssent le plus.
— (T/P) ! (T/P) ! résonne la voix de Shanti.
Me tournant, je vois le robot jaillir de derrière une statut, un sourire aux lèvres. La voyant courir ainsi vers moi, je devine déjà de quoi elle va me parler.
— Tu sais ce qu’il s’est passé avec Mathieu ! lance-t-elle en arrivant à ma hauteur.
— Evidemment, que je le sais, je ris en levant les yeux au ciel. C’est mon visage qu’il a essayé d’effacer avec du philtre de gerçure.
Secouant la tête de droite à gauche, elle frappe dans ses mains, excitée :
— Pas du tout ! Je te parle d’après !
— Après ? je répète. Ce qu’il s’est passé avec la principale ?
— Non ! Après ! insiste-t-elle.
Fronçant les sourcils, je secoue la tête.
— Là, tu me pose une colle, je cède.
Agitant ses poings serrés, elle sourit :
— Eren l’a enfermé dans une armoire en épine de rose ! Et il y est encore ! Personne ne sait où il a mis le placard !
— Eren ? je répète en fronçant les sourcils.
Elle acquiesce, surexcitée.
— Mais pourquoi faire ?
— Personne ne sait ! Yuno, Nami, Mikasa… Ils ont tous essayé de le dissuader mais il ne voulait rien entendre ! Tu crois qu’il a fait ça pour te venger ?
— Impossible. Il me déteste.
Haussant les épaules, elle minaude :
— C’est pas l’impression que ça donne, tu sais.
Poussant un soupir, je secoue la tête.
— Bon, j’ai pas le temps pour tes conneries de romantique désespérée. J’ai un cours dans quelques minutes.
Là-dessus, je pars à toute vitesse. Mais je ne parviens pas à ignorer la cadence effrénée de mes battements de cœur.
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La nuit est noire, ce soir. Les étoiles brillent dans le ciel mais la seule source de lumière vient du lac brillant dans l’obscurité. S’étirant sur sa surface, la brume revêt un aspect fantomatique. Debout sur un rocher bordant le fleuve, Eren se tient.
Derrière lui, j’approche doucement. Tirant sur les manches de mon pull à cause de la fraicheur ambiante, je fronce les sourcils.
— Tu vas te décider à dire où tu as mis ce pauvre gars ? je lance.
— Ce pauvre gars a tenté de te tuer.
Un rictus me prend.
— Tu crois pas que c’est à moi de réagir ? je réponds en grimpant juste à côté de lui sur le rocher.
Mes yeux se posent sur la surface irisée et ondoyante du lac.
— Tu n’es qu’une faible. Il faut bien que quelqu’un agisse à ta place.
— Et ce quelqu’un… c’est toi ?
Me tournant vers lui, je remarque qu’il fixe intensément le fleuve, fuyant mon regard. Un soupir franchit mes lèvres.
— Qu’est-ce qui t’arrive, enfin ? Je dis pas que j’aime que tu t’en prenne à moi mais tu me hais et, soudain, plus personne n’a le droit de me toucher. Tu es consterné que je me sois pas défendue face à Muzan et maintenant… ça.
Il ne répond pas tout de suite mais finit par flancher devant mon regard insistant.
— Je n’aime pas ça.
— Ça quoi ?
Ses lèvres se pincent et il regarde au loin, visiblement contrarié. Un rire désemparé franchit mes lèvres.
— J’y crois pas ! Alors monsieur peut m’ensorceler et me hait mais quiconque pose un doigt sur moi subira ta vengeance !?
Il ne répond pas tout de suite.
— Oui, finit-il par laisser entendre.
— Mais t’es un grand malade !
Enfin, il me regarde. Ses yeux émeraudes sont pénétrants. Ce doit être la première fois qu’aucune noirceur ne les habite quand il les pose sur moi. Et mon cœur se serre dans ma poitrine en y décelant même une certaine détresse.
Ses lèvres s’entrouvrent. Mon cœur bat à toute vitesse et une dense chaleur se répand dans mon corps.
— Oui.
Sa réponse est semblable à un murmure.
Un mouvement dans le coin de mon regard attire mon attention. Je me tourne tandis qu’il continue à me regarder. Mes yeux s’écarquillent. Emergeant à la surface, une armoire faite en roseaux entrelacés flotte devant nous.
Il l’avait caché dans le lac. Et il a accepté de le faire surgir à nouveau. Les épines se défont les unes des autres et, bientôt, la silhouette fantomatique s’envole à toute vitesse dans le ciel, ne s’attardant pas à côté de nous.
La suivant des yeux, je me tourne vers Eren. Il me regardait déjà, une expression étrange sur le visage. Comme médusé par mes faits et gestes.
Un soupir me prend. Il est étrange, le calme entre nous. Presque apaisant.
— Tu vas continuer à t’en prendre à moi ? je demande.
— J’aime la compétition.
— Alors je suis à ta hauteur ? je le charrie.
Mais au lieu de me hurler que je suis une espèce inférieure, il sourit légèrement.
— Si autant de gens veulent ta peau, il faut croire que oui.
Je m’autorise un sourire, à mon tour. Mais celui-ci se fane bien vite.
— Alors c’est pour ça que tu me hais ? je demande. Pour une histoire de compétition ?
Il penche la tête sur le côté avant de la secouer.
— Non, ce n’est pas pour ça.
— Alors, pourquoi ? je m’exclame.
Il semble hésiter quelques instants. Ses yeux analysent mon visage, me scrutant. Mais il finit par céder et, franchissant les derniers pas en ma direction, lance simplement :
— C’est pour ça…
Ses mains se referment sur mes joues et ses lèvres se posent sur les miennes. Aussitôt, comme si mon corps régissait par instinct, mes bras s’enroulent autour de son cou et j’ouvre la bouche. Nos langues avancent. Se touchent. Glissent l’une contre l’autre. Mes entrailles se tordent.
Je ne sais pas si je réalise vraiment ce que je fais.
Mais je sais que c’est délicieusement bon.
Reculant légèrement, il m’embrasse à nouveau. Puis encore. A chaque fois que nous nous écartons, nous nous rapprochons encore. Et, entre quelques baisers, il murmure contre ma bouche :
— Ce que… je hais… chez toi… c’est le… fait que… je n’arrive pas… à arrêter… de te regarder… depuis que… je t’ai vue… pour la première fois…
Enivrée par ses lèvres sur ma bouche, je presse mon torse au sien.
— Et c’est mal ?
Il ne répond pas, ses bras s’enroulant autour de mon corps tandis qu’il ploie. Je le laisse m’allonger sur la pierre tandis que mes jambes s’enroulent autour de sa taille. Il dévore mes lèvres, insatiable.
Enfin, nous nous séparons. Il se redresse, observant mon visage d’un air préoccupé.
— Je suppose que demain, tu feras comme si rien ne s’était produit ?
Il regards ailleurs et je comprends qu’il n’ose pas me répondre.
— Je vois, je lâche en m’écartant de lui. Et bien, c’était très sympa mais je n’ai vraiment pas que ça à faire. Tu n’auras qu’à me contacter quand tu n’auras pas honte d’être avec une simple humaine alors que tu es le prince elfique de je-ne-sais-pas quelle forêt.
Me levant, je le toise.
— C’est pour ça, que tu me hais ? Parce que tu as honte d’être attiré par moi ? je crache.
Il ne dit rien. Son silence est une réponse.
Un rire sans joie franchit mes lèvres.
— Vas te faire foutre, Eren.
Là-dessus, je tourne les talons et regagne ma chambre.
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Sans surprise, Eren n’a pas daigné me dire bonjour lorsqu’il est arrivé en cours de matin. Le cours de divination s’est déroulé sans aucun regard en ma direction et je bouillonne. Non seulement car il s’est fichu de moi.
Mais surtout car je l’ai laissé faire.
Attendrie qu’il prenne ma défense, flattée qu’il me trouve jolie, je me suis laissée aller. Et je ne suis plus qu’une honte cuisant ses reins, maintenant.
— Voyons voir ce qui vous avez retenu du cours d’hier. A tout hasard… (T/P) ? retentit la voix du professeur Muzan.
Ses yeux ensanglantés se posent sur moi.
— Comment se nomme le sortilège que nous avons étudié hier ?
— Le labyrinthe.
— Pourquoi donc ?
— Il a été créé par Shota Aizawa lorsqu’il était pourchassé par un minotaure, je remarque.
— En quoi consiste-t-il ?
— Sonder l’esprit des gens et trouver leur pire crainte afin de les forcer à les revivre.
— Comment se nomme le sort de contre-attaque ?
Je ne réponds pas. Il ne nous l’a pas dit. Jamais. Mais je ne peux pas risquer de déclarer qu’il m’interroge intentionnellement sur quelque chose que je ne connais pas.
— Eh bien ? Vous ne savez pas ? chantonne-t-il.
— Je…, je tente, embarrassée.
Tous les regards sont braqués sur moi.
— Alors on vous invite sous le toit des créatures supérieures, nous vous fournissons des enseignements pour faire de vous de bons diplomates si l’existence de nous autres est révélée aux ingrats déchets de votre espèce et vous ne daignez même pas écouter en cl…
— Vous ne nous avez pas enseigné ça.
Je sursaute presque en entendant la voix d’Eren. Tout le monde se tourne vers lui. Mon professeur aussi.
— Plait-il ? susurre ce dernier.
— Vous vous êtes arrêté avant comme à chaque fois. On étudie le sort et son histoire un jour puis le contresort le lendemain. C’est inutile de l’humilier juste parce que vous ne supportez pas qu’une humaine soit votre meilleur élève.
La mâchoire du professeur se contracte mais Eren le regarde dans les yeux. Un brin de provocation allume même son regard et je suis surprise de voir que, lorsque je n’en suis pas la victime, son rictus moqueur est plutôt attirant.
Autour de lui, ses amis sont aussi surpris que moi.
— Défendre une humaine ? Alors que vous êtes un elfe ? Voilà qui est intéressant, fait remarquer l’homme.
— Je ne suis pas qu’un elfe, je suis un prince, tonne-t-il. Et rien ne justifie que vous vous en preniez de cette façon à cette fille.
Muzan me lance un regard moqueur.
— Et qu’est-ce qui justifie que vous la défendiez ? Vous qui la détestiez tant, encore hier ?
Le brun ne répond pas tout de suite. Je sais qu’il s’efforce de ne pas me regarder.
— Je suppose que j’ai changé d’avis.
— Changé d’avis ? Vraiment ? Comme lorsque vous avez enfermé ce pauvre fantôme ?
— Exactement, sourit-il.
Muzan ne se laissera pas intimidé par le titre d’Eren. Mais il sait que, s’il peut chahuter une élève et une sirène, la principale l’attrapera avant qu’il n’aille trop loin avec un héritier.
Il va donc avoir recours à l’humiliation sans utiliser ses pouvoirs.
— Que c’est charmant… Un prince elfe qui tombe amoureux d’une humaine.
Mon cœur se serre en voyant le mouvement de recul qu’à Yuno, juste à côté d’Eren. Une fée assise face à moi, qui a pourtant toujours été tendre avec moi, fronce le nez en entendant cela. Une elfe faisant parti d’un groupe militant pour le droit des humains et contre la hiérarchie imposée par les gens de son espèce secoue la tête d’un air désapprobateur.
La plupart des gens ne me haïssent pas. Mais ils jalousent assez Eren pour faire semblant de le faire s’il s’avère qu’il m’apprécie.
Bien qu’encore vexée par sa remarque, je comprends mieux les réticences qu’il avait à assumer son béguin pour moi.
— Et qu’est-ce que ça peut vous foutre ?
Un sursaut me prend. Me retournant vers un homme aux cheveux mentholés assis à droite de la sirène, je reconnais la cicatrice striant son œil. Il doit s’agir du seul humain respecté en tant que tel. Roronoa Zoro. Chasseur de pirates puis pirate à son tour.
Il a lutté contre le commerce de sirènes.
— Je vous demande pardon ? lance Muzan.
Cette fois-ci, il fait preuve de plus de réticence. Rabrouer un héritier lui risque une tape sur les doigts. Mais s’en prendre à un héros de la nation… Autant faire ses valises.
— Je suis là pour étudier les tarés dans votre genre car c’est eux qui vendent les sirènes. Mais sérieusement, qu’est-ce qu’on s’en branle des petites scènes que vous nous faites en début de cours ?
Mes sourcils se haussent et, à ma grande surprise, je vois énormément de tête acquiescer dans l’assistance. Comme s’il n’avait fallu que l’intervention d’une personne pour mettre fin à ce cirque.
— La petite qui bavarde, le petit qui veut se taper la petite… Si je voulais des potins inintéressants, j’écouterai les sirènes quand elles papotent !
— Va te faire foutre, siffle la sirène à sa gauche.
Muzan prend une profonde inspiration, sentant la classe se défaire de lui pour se ranger du côté de Zoro.
— Ecoutez, je fais juste remarquer au prince Jäger qu’il y a une certaine hypocrisie dans le fait d’être méchant avec quelqu’un et refuser qu’on le soit en retour, siffle le démon.
Le mentholé hausse les épaules.
— Sauf que ça m’intéresse pas, moi. Les garçons qui tirent les cheveux des filles pour attirer l’attention, c’est vu et revu. N’importe qui aurait dû se douter qu’il se passerait un truc. Et si j’en avais quelque chose à faire, je serais sincèrement content mais le truc c’est que je viens pas m’enfermer dans un château où la gniole est interdite pour assister à des disputes d’amoureux à la con.
Muzan se redresse brutalement.
— Ce point de vue se défend… Bon, prenez une plume, nous allons commencer notre cours.
Un rire me prend et j’obtempère. Me tournant vers le pirate, je le remercie silencieusement mais il me fait signe de me taire et écrire. Je m’attèle alors à cette tâche. Mais, juste avant, mon regard croise celui d’Eren.
Et ce dernier me fait un clin d’œil.
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Eren est assis sur un balcon. Derrière lui s’étend la forêt de pins et l’horizon a coupé le souffle.
— Tu sais que t’es flippante ? lance-t-il.
— Je voulais pas que tes amis te voient avec moi, je me défends.
— Alors tu nous as suivi deux heures jusqu’à ce qu’ils partent et me laissent tranquille ?
Dis de cette façon, j’ai effectivement l’air timbrée.
— En quelque sorte.
Il rit doucement. C’est la première fois que j’entends ce son. Mon cœur s’emballe.
— Je voulais te remercier pour tout à l’heure… De m’avoir défendue.
— J’aurais dû le faire plus tôt, répond-t-il.
— Je suis déjà ravie que t’arrête de me faire la guerre, je vais pas non plus trop en demander, je ris.
— Je suis très sérieux.
Il plante ses yeux dans les miens.
— T’es la meilleure. Et si j’avais vraiment été un bon adversaire, je n’aurais pas laissé Muzan te martyriser simplement parce que t’es humaine. Je serais intervenu pour qu’on nous traite d’égal à égal.
Son aveu me touche. Son égo est tel que, malgré notre baiser et son comportement aujourd’hui, jamais je ne l’aurais cru du genre à ravaler sa fierté et admettre ses torts.
— Alors moi aussi je te dois des excuses, j’avance doucement vers lui. J’étais en colère, hier. Mais j’ai vu de quoi tu parlais, aujourd’hui. Voir ton propre peuple t’observer avec autant de mépris et…
Je me tais quand il prend mon visage en coupe. Je suis entre ses jambes, la tête levée vers lui. Nos nez se frôlent.
— Qu’ils observent.
Légèrement surprise, j’écarquille les yeux.
— Hier, je savais pas ce que ça faisait de t’embrasser ni d’être regardé par tes yeux sans qu’ils ne soient chargés de haine. Je ne savais pas non plus ce qu’était le fait d’être mal considéré par son peuple.
Ma gorge se noue.
— Aujourd’hui, je sais et je peux choisir.
Ses yeux louchent sur mes lèvres.
— Aujourd’hui, je te choisis.
Là-dessus, ses lèvres se posent sur les miennes. Mes paupières se ferment et je savoure cette sensation. Le baiser est doux, j’en savoure chaque instant.
Jusqu’à ce qu’un cliquetis mécanique retentisse.
Me tournant brutalement vers la source du bruit, je découvre une gorgone, un appareil photo à la main. Dès qu’elle nous voit la regarder, elle détale en courant. Je tente de la suivre afin de récupérer le cliché compromettant qu’elle a pris de notre baiser mais Eren me retient d’une main ferme.
Là, je réalise.
— Tu savais qu’elle était là, n’est-ce-pas ?
Me tournant vers lui, je découvre son léger sourire malicieux.
— C’est encore le meilleur moyen de faire savoir à tout le monde que je les emmerde.
Mon cœur fait un bond et, glissant jusqu’au sol, il enroule ses bras autour de mon corps. Je me réfugie dans son étreinte, posant mon oreille sur son pectoral. L’odeur de nature se dégageant de lui est apaisante, je ferme les yeux.
Et il chuchote :
— Je me fiche de les dégoûter, eux. Je ne veux plus jamais te dégoûter, toi.
...
J'espère que ce premier épisode vous a plu on se retrouve demain avec Sanji !
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