第四章 - Jimae

La cover en média a été dessinée par moi 😁

Amado : volet coulissant en bois ou métal.

Tsukuyomi : dieu de la nuit.

Shoji : porte coulissante.

Hashi oki : repose baguette.

Geta : chaussures de geisha en bois très épaisses, porté comme des tongues avec des chaussettes.

Getabako : rangement à chaussures présent à l'entrée de la maison.
Genkan : désigne un espace plus bas que le niveau de la maison, se trouvant à la suite de la porte d'entrée. C'est ici qu'on accueille les invités et que l'on se déchausse.

.⛩.

— Je vous jure, il était incroyable... soupira Sasha, les yeux plongés dans ses souvenirs.

Esumi ricana.

— Tu parles du met qu'il t'a fait goûter ou de ton charmant cuisiner ?

La gourmande se mit à rougir.

— Des... Des deux !

— Tadaima, s'écria tout d'un coup la voix d'Hoshiko.

Depuis qu'elle était devenue geisha, sa vie avait bien changé ; comme celle de ses camarades par ailleurs. Esumi, Inai et elle-même avaient depuis lors remboursé leur dette, mais si les deux dernières avaient décidé de rester au Saku-Hana encore quelques temps, Hoshiko avait déménagé dans la demeure que lui avait fait construire son riche danna, et pour qui elle était devenu la maîtresse officielle. Même si au début elle avait été un peu réticente lorsque Motome lui avait parlé de cette homme comme protecteur, elle avait été agréablement surprise de découvrir un partenaire dont elle ne pouvait se plaindre. Il était plus âgé mais d'à peine une dizaine d'années, et derrière ce fils hérité de bonne famille à l'allure presque hautaine, se cachait un amateur d'art et de musique qui avait su séduire la jeune geisha. Elle savait qu'à l'instar de ses prédécesseurs, cet homme ne l'épouserait jamais. Mais au moins, elle avait la chance que son existence ne soit pas cachée.

À côté de cela et bien qu'elle ait quitté l'okiya, il était de coutume que la geisha revienne chaque matin prendre le petit déjeuner avec leur mère et ses sœurs.

— Alors, racontez-moi les derniers ragots ! s'exclama-t-elle autour de la table.

— Sasha est amoureuse, répondit Inai avec un petit sourire.

— Eh, protesta cette dernière, si déçue que son secret soit si vite divulgué.

Hoshiko écarquilla les yeux.

— Oh, souffla-t-elle d'une voix bienveillante. Qui est l'heureux élu ? Un client ? 

— Non, un cuisiner, expliqua Esumi.

— Mais, protesta la gloutonne une fois de plus face à la langue trop pendue de ses congénères.

Hoshiko grimaça. Cette histoire s'annonçait sans lendemain.

— Et comment l'as-tu rencontré ? demanda-t-elle en se tournant vers l'intéressée.

— Euh... balbutia Sasha. À... À une réception.

— Chez son danna, ajouta rapidement Esumi, un brin agacée par son amie qui semblait tourner autour du pot.

Elle désigna alors d'un geste de tête Uzume.

Hoshiko dévisagea sa cadette.

— Alors tu as enfin eu de ses nouvelles ?

— Hier, juste après que tu sois partie, répondit cette dernière sur un ton indifférent.

Elle ne s'attendait pas à le voir avant longtemps désormais, et vu le peu d'engouement qu'il lui avait manifesté  cela n'était pas pour lui déplaire. Car dans le cas contraire, elle craignait de perdre son self contrôle si ce petit brun égocentrique continuait à faire comme si elle n'existait pas alors qu'il l'avait invité de lui même.

— Uzume.

Soudain, la voix de Motome résonna.

— Vite, taisez-vous, il ne faut pas qu'okkasan le sache ! s'affola Sasha.
Il était préférable, en effet, que la patronne n'apprenne rien. Car ces longues années en temps que geisha puis à la tête du Saku-Hana avaient endurci ses rêves. Quand l'une de ses filles tombait amoureuse, elle était toujours septique et annonçait de sa voix cinglante "ne te laisse pas avoir par les illusions. Les hommes tombent amoureux de ce qu'ils voient. Si tu décides de partir avec lui, alors reste sur tes gardes et continue d'économiser. Quand ce dernier fera ses bagages, tu auras de quoi revenir jusqu'à nous ou voler de tes propres ailes".

Mais dans le cas de Sasha, c'était pire. N'ayant encore pas remboursé sa dette, la patronne ne pouvait espérer d'un simple cuisinier que celui-ci ait assez d'argent pour combler le déficit de sa bien aimée. Et outre ses pensées pécuniaires, Motome avait des projets bien plus grands, bien plus beaux et bien plus prestigieux pour ses filles qu'elle polissait chaque minute de sa vie comme de véritables diamants.

— Qu'est-ce que je ne dois pas savoir ? demanda-t-elle en entrant dans la pièce.

Sasha se raidit et envoya un regard de supplice à ses camarades. Même si ces dernières aimaient beaucoup se chamailler entre elles, elles en restaient malgré tout solidaires et savaient qu'apprendre l'existence de ce Niccolo à leur mère revenait à détruire le cœur de leur petite sœur.

— Rien, s'écria Esumi avec un sourire chaleureux. Tu as bien dormi, okkasan

La mère haussa un sourcil, peu convaincue par le mensonge de sa fille, mais fit comme si de rien n'était. Après tout, les commérages étaient de leur âge, et elle leur faisait entièrement confiance.

En s'asseyant avec toute la grâce qui lui incombait, Motome se tourna vers Uzume :

— J'ai reçu un billet ce matin m'annonçant que monsieur Ackerman souhaitait te voir.

— Alors, heichou, tu l'as prévenu ?

— Lâche moi, bigleuse, râla le petit brun en dégageant le bras de son ami qui harponnait ses épaules. Et, oui, je l'ai prévenu.

— Ah, super, s'exclama la femme en se délectant de cette information. Vraiment super...

— Tch.

Livaï lui lança un regard courroucé avant de rentrer dans son bureau et d'en faire bruyamment claquer la porte.

— Je peux savoir ce qui t’amuse autant ? demanda soudain Erwin en arrivant à la hauteur de sa femme.

Cette dernière tourna vers lui des yeux remplis d'étincelles.

— Mais rien, voyons.

Erwin arqua un sourcil, dubitatif.

— Ouh, toi, tu as une idée derrière la tête, fit-il sur un ton amusé. Je me trompe ?

— Mais noooon, protesta Hanji. Il faut arrêter de voir le mal partout. J'aide simplement mon cher et tendre meilleur ami à conclure avec des clients important ; c'est tout !

Mais Smith, certainement pas assez naïf pour être dupé par ce grotesque mensonge la dévisagea de nouveau avant de rigoler.

Uzume attendit que le pousse-pousse qui l'avait amené parte avant de lever les yeux vers la demeure de monsieur Ackerman. C'était une maison tout à fait dans la tradition japonaise et dont la décoration autant intérieure qu'extérieure n'avait rien à envier à ses voisines.

En pénétrant dans le genkan et après avoir rangé ses geta dans le getabako, elle rejoignit son danna dans le petit salon, comme il le lui avait demandé.

— Tu es là, lâcha-t-il en l'apercevant dans l'embrasure de la porte.

La jeune geisha fronça le nez reconnaissant les mêmes mots qu'il avait prononcé quand il l'avait surprise sous le saule pleureur.

"Il manque de vocabulaire" se dit-elle tout en se gardant bien de ne pas penser à voix haute.

— Assieds-toi, continua l'homme en lui désignant le siège près de la table.

Dos à elle, il semblait affairé à quelque chose. Au bout de quelques secondes, il se retourna, un plateau à la main sur lequel était disposées deux tasses et une dobin, cette théière emblématique du Japon.

— Tu veux du thé ? demanda-t-il en s'approchant de la table.

Uzume hésita. Elle appréciait énormément le thé, mais doutait du fait que l'étranger puisse en préparer comme il était coutume de le faire au Japon. Cependant, par politesse et en craignant de froisser son hôte, elle accepta.

     Cela faisait maintenant plusieurs minutes que les deux bruns étaient assit l'un en face de l'autre, sans qu'aucun mot ne sortent de leur bouche. La jeune femme avait eu l'agréable surprise de découvrir que son protecteur était particulièrement doué pour choisir ses feuilles de thé et les faire infuser. Mais après lui en avoir fait la remarque, ce dernier s'était contenté d'un hochement de tête en guise de remerciements. Finalement, agacée par le ridicule de cette scène qui lui donnait l'impression de perdre son temps, la geisha décida d'initier la conversation :

— En quoi puis-je vous aider ? demanda-t-elle poliment.

Garder son sang froid lui semblait de plus en plus impossible face à cet homme qu'elle ne comprenait pas. Livaï se racla la gorge avant de finir sa tasse de thé et d'enfin lui répondre.

— J'ai besoin de ton aide pour conclure un contrat.

Uzume écarquilla les yeux face à cette demande inattendue.

De son côté, Ackerman était bien heureux qu'elle ait initié la conversation. Il n'avait, à aucun moment, voulu avoir cette femme dans ses pieds. C'était cette saleté de bigleuse qui l'avait emmerdé jusqu'à la gauche pour qu'il lui demande de l'aide. Après mure réflexion et l'idée fortement soutenue par Erwin, le petit brun n'avait eu d'autre choix que de se plier aux conseils de ses amis et de faire appelle à la geisha.

— Êtes vous sûr que je sois la bonne personne ? s'enquit la brune. Je n'y connaît rien au monde des affaires...

— Tu es la bonne personne, ne t'en fais pas, répondit Livaï. Ce qu'il faut que tu fasse, c'est m'apprendre la manière dont on se conduit chez vous.

— La... Manière dont on se conduit chez nous ? répéta Uzume, étonnée. Au Japon, vous voulez dire ?

L'homme acquiesça avant de continuer : 

— Le client dont j'essaye d'obtenir la signature aime la tradition. Du moins, c'est ce que nous ont assuré nos informateurs. Il est très intéressé de faire affaire avec nous, mais il aime également le respect du protocole, expliqua-t-il. Voilà pourquoi j'ai besoin de toi. En tant que geisha, quat'z'yeux m'a dit que tu devrais t'y connaître en bonnes manières.

Quat'z'yeux ? 

Il semblait à la jeune femme l'avoir déjà écouté utilisé ce surnom pour désigner la dame aux cheveux auburns qui l'accompagnait souvent lors du peu de réceptions qu'ils avaient fait ensemble.

— Puis-je avoir le nom de votre client ?

Livaï la dévisagea.

— Kashiwaki. Pourquoi ?

Uzume effectua un signe sec de la tête.

— Je le connais, expliqua-t-elle. Nous nous sommes croisés lors de certains zashiki et nous avons souvent discuté ensemble.

Le brun fut étonné de cette information qui l'intrigua. À quel point le connaissait-elle ?
Après tout, elle avait eu une vie, elle aussi, pendant ces cinq ans qui les avaient séparé. Il avait décidé, un peu sur un coup de tête, de la protéger de tous ces tordus qui ne voyaient en cette gamine qu'un déversoir à pulsions. Mais depuis, elle avait grandi et était devenue un femme. Pas libre, certes, car son contrat l'enchainait encore à son okiya, mais un peu plus en sécurité pour faire ce qu'il lui plaisait contrairement à ses camarades. Ainsi, il était tout à fait possible qu'elle ait rencontré l'homme qui lui plaisait. Peut-être plusieurs, même. Livaï se surprit alors à se demander combien d'hommes elle avait pu connaître, et si Kasiwaki en faisait partie.

— Vous vous entendez bien ? 

— Nous nous sommes toujours accordés quand nous nous croisions, répondit-elle. Et je pense savoir ce qui pourrait lui plaire.

— Parfait, soupira Livaï. Ça nous fera gagner du temps.

Durant les jours qui suivirent, les deux bruns se donnèrent rendez-vous tous les après-midi dans la demeure de l'homme, afin que la jeune femme lui apprenne tous les protocoles japonais.
Ce n'était pas une mince affaire. Uzume avait découvert un homme particulièrement en discord avec la bienséance et l'autorité. C’était déjà quelques chose qu'elle avait suspecté en l'observant. 

— Disposez vos baguettes sur votre hashi oki, le sermonna-t-elle. Je vous l'ai déjà dit.

Livaï lui lança un regard agacé.

— Tch, je vois vraiment pas à quoi ça sert.

La geisha, assise en seiza, le dos bien droit, avait prit cette air sévère qu'avait aussi affiché ses prédécesseuses lorsqu'il avait fallu transmettre les codes du savoir vivre à la japonaise aux petites taabo et maiko. 

— Le pourquoi est une information inutile dans le cas présent, répondit la jeune femme d'une voix solennelle. Arrêtez de toujours demander les raisons, et faites ce que je vous demande.

Livaï tiqua en écoutant le ton et le sermon de la brune. C'était bien la première fois que quelqu'un osait lui parler comme cela, et ce, pour une raison bien particulière : d'ordinaire, les gens étaient effrayés par lui, et même ses supérieurs lui parlaient en faisant très attention.

Il fit claquer sa langue d'agacement.
S'il ne la renvoyait pas paitre, comme il l'aurait fait d'ordinaire, c'était tout simplement parce que le contrat avec Kashiwaki était essentiel à la survit de l'entreprise. En soupirant, il fit donc l'effort de replacer ses baguettes correctement.

— Bien, passons désormais à la tenue du corps.

L'enseignement dura une deux semaines entières. Quatorze long jours durant lesquels Livaï dut apprendre à se contorsionner dans des positions inconfortables et s'habiller d'un kimono ; un vêtement qu'il trouvait particulier encombrant à porter.

— C'est peut être pas nécessaire, ça, ralla-t-il. Un costume fera parfaitement l'affaire.

Uzume hocha négativement la tête.

— Le kimono est l'habit par excellence d'un homme raffiné au Japon. Je suis persuadée que monsieur Kashiwaki en portera un.

Le petit brun la dévisagea quelques instants afin de montrer sa désapprobation, ce qui fit hausser les sourcils de son interlocutrice qui prit un air de défi.

— Inutile de me regarder comme ça, répondit-elle, indifférente aux tentatives d'intimidations de son danna. La tradition est comme ça. Ce n'est pas moi qui l'ai inventé.

Livaï soupira.

Vite que tout ce merdier soit fini, pensa-t-il.

— Wouahou, s'écria tout à coup une voix fluette.

C'est alors que débarqua comme une furie dans le salon d'Ackerman, la folle aux cheveux auburns.

— Mais qu'est ce que tu fous là, toi ?! l'invectiva alors son meilleur ami en l'apercevant. Comment t'es rentré ?!

— La porte était ouverte, répondit la femme en haussant les épaules d'une manière innocente.

— Elle s'est sûrement pas ouverte toute seule.

— Disons que Hanji l'a un peu aidé... rigola Erwin en pénétrant lui aussi dans la pièce.

— Qu'est-ce que vous me voulez ? cracha le petit brun.

— Simplement te donner le compte rendu du notre entreprise avec la société Shibanaka, l'informa alors le blond. Je le pose sur la table.

Livaï se contenta d'acquiescer d'un signe de tête.

De son côté, Uzume était restée imperturbable face à la tornade que représentaient les amis de son protecteur ; occupée à vérifier que le kimono était parfaitement adapté à son propriétaire. Ce dernier, les bras tendus, commençait d'ailleurs à s'agiter. Livaï n'aimait pas être inactif et encore moins être tripoté dans tous les sens. Alors autant dire que dans cette situation, il était servit.

— Arrêtez de bouger, le rabroua la geisha, ou cela va prendre encore plus de temps !

L'homme se contenta de lui envoyer un de ces regards noirs dont il avait le secret. Il savait que c'était peine perdue de remettre à sa place le ton sa cadette pour son ton presque insolent.

Son manque de réaction étonna d'ailleurs le couple qui, en écoutant la voix sèche de la jeune femme, s'étaient attendu à une explosion froide et meurtrière de la part du petit brun. Un sourire maléfique naquit sur le visage de Hanji.

— Bon, tout m'a l'air parfait, fini par déclarer Uzume en se redressant. Je vais y aller, il commence à se faire tard.

Bigleuse attendit que la jeune femme quitte les lieux pour échapper la remarque qui commençait à brûler ses lèvres.

— Ben alors, mon petit Livaï, on a perdu sa répartie ? s'exclama-t-elle soudain.

— Hein ? grogna ce dernier. Quelles conneries tu racontes encore ?!

— C'est vrai que j'attendais plus de réaction de ta part quand elle t'a engueulé, intervint Erwin. C'est d'apprendre la culture japonaise qui te rend plus calme ? le taquina-t-il.
Le couple rigola.

— Tch, marrez-vous, ragea Livaï. C'est juste que répondre à cette petite impertinente, ça sert à rien. Elle n'est pas effrayée le moins du monde et n'en fait qu'à sa tête.

Tiens, ça me rappelle quelqu'un... pensa le blond.

     Puis le grand jour arriva. Le rendez-vous avait été convenu chez Ackerman. Toute l'entrevue était planifiée. Comme la femme qu'elle était, Uzume ne devait pas interférer ; sauf au moment où elle apporterait une coupe de saké aux deux hommes d'affaires, vers la fin de la négociation. En attendant, elle ne pouvait que croiser les doigts pour espérer que tout allait bien se passer, et attendre dans les cuisines, près du plateau où étaient posés les verres et la bouteille d'alcool déjà préparée.

— Excuse-moi ?

Elle sursauta en sentant une main sur son épaule.

La jeune femme leva alors les yeux sur un homme blond qui avait l'air d'avoir à peu près sont âge.

— Je... Je suis le cuisiner de monsieur Ackerman... expliqua-t-il. Tu es l'amie de Sasha, n'est-ce pas ?

Uzume écarquilla les yeux. Elle venait de comprendre son identité. C'était le fameux américain qui avait entièrement retourné la tête de sa compagne.

— Je voulais juste savoir comment elle allait, continua-t-il, l'air un peu gêné.

— Rassure-toi, elle va bien, répondit la brune. Je suis désolée, je vais devoir y aller.

Uzume attrapa alors le plateau et commença à se diriger vers le bureau où discutaient les deux hommes. La tête baissée, elle fit alors coulisser le shoji et apporta le plateau jusqu'à la petite table que lui avait préalablement désigné Livaï. Sans un bruit elle pénétra et repartit de la pièce, telle une ombre scintillant secrètement sur les papiers de mûrier qui constituaient le mur.
Lorsque la jeune femme eut disparu, monsieur Kashiwaki s'esclaffa :

— Ne me dites pas que c'est vous le danna d'Uzume ?!

Livaï qui était alors en train de servir le saké le dévisagea.

— D'accord, je ne vous le dirais pas.
Son invité rigola.

— Vous avez à la fois le sens de la répartie et de l'humour, monsieur Ackerman. J'aime ça. Je sens que nos entreprises vont faire des merveilles ensemble !

Kashiwaki attrapa ensuite la coupe que lui tendait le petit brun et la but d'une traite.

— À notre début de partenariat, s'exclama-t-il.

Il se laissa ensuite tomber sur un des fauteuils qui décorait la pièce.

— J'aime beaucoup la manière dont vous avez habillé cette maison, continua-t-il. Vous avez su apporter votre touche personnelle avec ce mobilier américain, sans pour autant dénaturer l'esprit des maisons japonaises.

— Merci, répondit Livaï en prenant place sur le fauteuil à côté de l'homme.

Ils restèrent un moment silencieux, avant que son invité ne soupire bruyamment.

— Nous avons assez parlé de boulot pour ce soir, dit-il. Maintenant, expliquez-moi, comment avez vous fait pour convaincre Uzume de lâcher son ancien protecteur ? continua l'homme en rigolant.

— Je n'ai pas eu à le faire, je l'ai toujours été.

Son collaborateur écarquilla les yeux.

— Ça alors, s'exclama-t-il. Dans ce cas, mon bon ami, je vous conseille de ne jamais la lâcher.

Livaï haussa un sourcil.

— Une femme comme ça, c'est précieux. Sachez que depuis le début, elle vous est restée fidèle. Et une telle beauté qui plus est, pleine de talent, qui ne profite pas de l'absence de son homme pour batifoler ailleurs, c'est rare.

— Je ne suis pas son homme, se dépêcha de rectifier le petit brun avant de terminer d'une traite sa coupe.

— Oh, vous savez, dans le monde des geisha, c'est du pareil au même.
Toujours est-il que ses camarades auraient sauté plus d'une fois sur les occasions que je lui ai proposé et elle a toujours refusé. Vous êtes un homme jalousé, monsieur Ackerman, ça je peux vous l'assurer.

Mais son interlocuteur fit la moue comme peu convaincu par ses dires.

Je comprends pas ce qu'il y a de si exceptionnel d’avoir une gamine au tempérament aussi insupportable dans les pattes.

— Mais je vois que Tsukuyomi vient de faire tomber son voile noir, s'exclama Kashiwaki en se relevant. Je vais vous laisser.

Uzume attendit que l'homme ait définitivement quitté les lieux avant de rejoindre son danna. Elle le retrouva assit sous l'engawa. Il avait ouvert l'amado qui délimité l'intérieur et l'extérieur de la maison. Comme ceci, il pouvait profiter de la douceur de la nuit.

— Si tu veux du thé, sers toi une tasse et viens t'asseoir.

Uzume acquiesça d'un signe de tête -ce qui était ridicule puisque l'homme était dos à elle- puis se dirigea vers le bureau où trônait la bouilloire encore brûlante. Elle se servit puis alla se poser, comme demandé, à côté de son protecteur.
Elle remarqua que l'homme avait profité de la fin de son rendez-vous pour se mettre plus à l'aise et desserrer légèrement son kimono.

— Alors, comment s'est passé votre entrevue ?

— Bien... répondit vaguement Livaï. Très bien... Nous signons officiellement le contrat demain, en présence de nos avocats.

Mais les pensées du petit brun étaient ailleurs. Très loin du travail, il réfléchissait à ce que lui avait dit Kashiwaki. Après le ton sérieux et presque autoritaire qu'il avait employé tout le long des négociations, le vielle homme s'était soudain adouci pour lui parler d'Uzume. Comme un grand père s'adressant à son petit fils, il lui avait conseillé de garder la jeune femme auprès de lui.

Livai ne savait pas pourquoi cette phrase, pourtant ridicule et sûrement déjà oubliée par celui qui l'avait prononcé, ne voulait pas quitter son esprit. Les informations qui l'avaient précédé aussi le troublaient plus qu'il ne l'aurait admit. Alors comme ça, elle n'avait pas été voir ailleurs pendant toute son absence ? Pourquoi ?
Il fit discrètement glisser ses pupilles en direction de la jeune femme. Les yeux rivés sur son thé, elle soufflait délicatement dessus pour faire refroidir le breuvage. Puis il plongea de nouveau le regard dans son jardin perdu dans la pénombre.

Pourquoi une telle fidélité ? Il ne l'avait jamais touché et ne comptait jamais le faire. Il ne lui avait donné aucun ordre et avait fait en sorte qu'elle ne manque de rien, pour qu'elle ne soit jamais dans l'obligation de réaliser quoi que ce soit. En somme, il l'avait laissé libre, même si cela n'était pas inscrit officiellement. Alors, pourquoi ? Oui, pourquoi ? Il devait admettre qu'il trouvait ça plus que louable de sa part.

— Que comptez vous faire, maintenant ? demanda Uzume.

Le brun réfléchit quelques instants avant de répondre.

— Maintenant que cette affaire est presque conclue, le vrai travail commence, dit-il. En plus de devoir gérer nos cargaisons futures, il va falloir trouver encore de nouveau clients. Nous venons tout juste de naître, ici. Les gens n'ont pas l'habitude d'utiliser nos services.

— Votre monde ne me semble pas si éloigné du mien, finalement... souffla la geisha.

Livaï arqua un sourcil.

— Que veux-tu dire ?

— Eh bien... Quand on commence en temps que maiko, les patronnes des zashiki ne nous connaissent pas. Alors nous devons aller de porte en porte afin de nous faire connaître et espérer être demandée.

— Oui, finalement, c'est un peu pareil... acquiesça le brun. Et vous aussi, vous devez apprendre et respecter cette foutue étiquette.

Face à l'expression de l'homme, Uzume lâcha un petit rire amusé.

— Qu'est ce qui te fait rire ? demanda ce dernier, surpris d'une telle réaction.

— Rien, répondit la jeune femme, un sourire amusé toujours plaqué sur les lèvres. Même si les civilités ne vous semblent pas familières, je suis certaines que vous vous en êtes bien sorti. Sinon, vous n'auriez jamais réussi à conclure avec monsieur Kashiwaki.

— Hm... C'est pas faux. Mais c'est encore loin d'être parfait.

"Ne la lâchez pas, elle vous a été fidèle tout ce temps"

Les mots de son associé lui revint en mémoire. Après tout ce temps à faire comme si elle n'existait pas, et maintenant qu'il habitait définitivement au Japon, puis sans compter la grande aide qu'elle lui avait apporté ; non définitivement, la renvoyer dans son okiya et l'ignorer de nouveau ne serait pas correct.
— Ne vous inquiétez pas, je suis certaine que vous vous en sortirez.
— Je ne sais pas, souffla Livaï. Etre poli ne fait pas partie de mon caractère naturel.

Il hésitait encore. Devait-il vraiment lui proposer de la revoir ? C'était raccourcir le peu de temps de solitude qu'il avait et qu'il affectionnait tout particulièrement.

— Et si nous continuons les cours ?

Les mots lui avaient échappé et il se mordit la langue si fort pour se punir qu'il sentit le goût métallique du sang se répandre sur ses papilles.

Uzume le dévisagea.

— Je viens seulement d'arriver, et si je parle parfaitement le japonais, je ne maîtrise pas encore entièrement toute la culture, expliqua l'homme. Ce que tu m'as appris ces derniers jours a porté ses fruits, et je me dis que ce serait bête de s'arrêter maintenant. Surtout si cela peut m'aider à obtenir des contrats.

— Si c'est ce que vous souhaitez, alors j’accepte.

Ainsi, les deux bruns prirent l'habitude de se donner rendez-vous presque tous les soirs dans la demeure de l'homme. Chaque fin d'après-midi était consacrée à faire de Livaï un véritable japonais de bonne famille.

— Vous vous en sortez très bien, s'exclama Uzume.

— Hm, grogna Ackerman. Tu trouve ? J'ai plutôt l'impression d'être un poisson qu'on vient de sortir de son milieu naturel.

— Si j'écoute les dire de monsieur Smith, vous n'êtes pas plus civilisé en Amérique, le contredit la geisha.

— Tch, Erwin à la langue bien trop pendue à mon goût. À force de côtoyer Hanji, il commence à choper sa connerie.

Uzume jeta un œil à l'extérieur et en s'apercevant qu'Amaterasu était en train de tirer sa révérence, elle fit :

— Je vais partir, il commence à se faire tard.

Livai acquiesça d'un signe de tête.

— Demain, nous nous occuperons de votre garde-robe, continua la geisha.

Un léger sourire étira ses lèvres lorsqu'elle aperçut le visage de son protecteur se décomposer.

— Pas question, protesta-t-il.

— Mais enfin, vous ne pouvez pas vous contenter que d'un seul kimono, insista la brune. Il est, de plus, très mal vu de porter deux fois le même.

— Mes costumes feront très bien l'affaire ! Kashiwaki a dit lui même qu'il appréciait mes touches américaines.

— Il parlait de votre mobilier, pas de vos habits. D'ailleurs, j'avais raison, il est venu vêtu d'un kimono, remarqua la femme. Il vous faut des kimonos et c'est non négociable.

Comme pour apporter du poids à ses propos et montrer sa détermination, elle ancra ses prunelles grises dans celles de l'homme. Ce dernier soutint son regard durant plusieurs minutes, avant de céder.

— D'accord, dit-il sur un ton exaspéré. Qu'on en finisse.

Satisfaite, Uzume esquissa un sourire avant de le saluer poliment.

— Sur ce, je m'en vais. Je vous dis à demain.

— C'est ça, bougonna le brun.
Mais lorsque la geisha était en train de se rechausser, une voix l'interpella.

— Attends !

En se retournant, elle aperçut le cuisinier qui lui avait adressé la parole quelques jours plus tôt.

— Tu... Tu pourrais donner ça à Sasha pour moi ? dit-il en lui tendant un petit paquet blanc.

Uzume hésita quelques instants. Si cela parvenait jusqu'aux oreilles de Motome, elle se ferait sévèrement réprimander.

— S'il te plaît, insista le blond.
La femme finit par accepter et prit le paquet.

— Je ne te garantie pas sa réponse, lâcha-t-elle avant de tourner les talons.
En arrivant à l'okiya, les filles profitèrent de l'absence de Motome pour déballer le cadeau.

— Oh, c'est marrant comment c'est fait, c'est quoi ? s'exclama Inai.

— Un gâteau, non ? s'enquit Esumi.

— Il n'a pas du tout la même tête que les nôtres, fit à son tour Hoshiko.

— C'est normal, intervint subitement Sasha, c'est une recette américaine ! expliqua-t-elle, la bouche déjà saliveuse.

— Dépêche-toi de le manger plutôt que de baver dessus, la rabroua soudain Uzume. Avant qu'okkasan ne le voit.

La menace faisant effet, la gloutonne se rua sur le petit gâteau pour n'en faire qu'une bouchée, pendant que sa compagne la regardait d'un air perplexe.

Toute cette histoire va mal finir, je le sens... songea en elle-même Uzume.

— Alors, Alors ? s'enquirent les autres. Quel goût a-t-il ?

Un sourire béat naquit soudainement sur le visage de Sasha.

— Le goût du paradis... lâcha-t-elle alors qu'un filet  de bave s'échappait de la commissure de ses lèvres.

Uzume, quant à elle, se contenta de lui renvoyer un regard dubitatif avant de se détourner de toute cette agitation.

— Mika, attends ! l'interpella précipitamment Sasha.

Cette dernière se retourna lentement vers son amie.

— Hm ?

— Tu... Tu pourrais remettre ce billet de remerciement à Niccolo ?

Uzume arqua un sourcil. Les pommettes de la gloutonne s'étaient teintées d'une douce couleur rosée.
Elle hésita. Une voix lui soufflait que cette histoire allait mal se terminer et qu'accepter sa requête ne ferait que pousser un peu plus sa camarade à croire à quelque chose qui ne verrait jamais le jour.

— S'il te plaît... insista Sasha.

Ses yeux légèrement larmoyants eurent alors raison de son propre avis.

— Je ne le ferai qu'une seule fois, répondit Uzume en soupirant.

Il fallait véritablement, qu'un jour, elle apprenne à résister à son amie.
Malheureusement pour la geisha aux cheveux corbeaux, ce qui devait ne se produire qu'une seule fois fini pas s'ancrer dans un rituel bien ficelé.
Désormais, lorsqu'Uzume arrivait chez son danna, Niccolo s'arrangeait pour que ce soit lui qui lui ouvre la porte ; prétextant l'aider à monter les quelques marches qui amenaient au Genkan. Ainsi, le blond en profitait pour récupérer le billet doux que la brune dissimulait discrètement dans sa main. Et le même parcours était habituellement suivi au moment de partir, cette fois à l'inverse afin que le cuisinier puisse transmettre sa réponse à la gloutonne.

Mais alors que le trio se croyait discret, cet étrange manège n'avait pu échapper au maître des lieux. Dubitatif fasse aux agissements de ses cadets, l'investisseur américain décida un jour d'en avoir le cœur net.

— Uzume, fit-il sans quitter sa feuille des yeux.

Il était occupé à tracer dans le bon sens les katakana donnés par la geisha afin de s'entraîner.

— Oui ?

— Est-ce que je finirai par savoir qui est la personne que mon cuisinier côtoie, semble-t-il, en secret ?

Uzume essaye de se maîtriser pour ne pas faire transparaître sa stupéfaction.

— Je ne vois pas de quoi vous parlez, répondit-elle d'un ton calme et maitrisé. Avez-vous terminé vos tracés ?

— Je parle des billets que tu échanges avec Niccolo chaque matin et chaque soir, renchérit le brun. J'ai terminé. Je pense que je m'en sors plutôt bien maintenant.

Ignorant la première partie de sa réplique, Uzume fit mine de se concentrer sur le papier qu'il lui tendait.

— Effectivement, ça me paraît parfait. Passons à d'autre katakan-

— Et si tu répondais plutôt à la question que je t'ai posé, gamine ? la coupa Livaï.

En remarquant sa cadette se redresser, comme piquée au vif, un fin sourire retroussa ses lèvres.

Avec le temps, l'américain avait fini par s'apercevoir à quel point la qualification de gamine lui hérissait le poil. C'était donc en tout âme et conscience qu'il en avait ponctué sa fin de phrase, ayant peur objectif d'obtenir le mot final de toute cette histoire.

— Si ça peut te rassurer, ça restera entre nous, insista-t-il.

Mais loin de se laisser impressionner, Uzume ne lâcha pas l'affaire. Il fallait absolument réduire au maximum le nombre de personnes au courant pour la liaison qu'entretenait son amie, au risque, dans le cas contraire, que cela parvienne jusqu'aux oreilles de Motome.

— Je vous ai dit que je n'avais aucune idée de ce dont vous me parliez.

— Bon, soupira Livaï tout en se levant de son fauteuil. Allons voir directement le principal intéressé, dans ce cas. Le connaissant, il ne tardera pas à être bavard...

Uzume fut soudain prise de panique. Comment allait réagir Niccolo ? Elle ne le connaissait pas ; et face à l'aura terrifiante que pouvait avoir son patron, ne craquerait-il pas en rejetant toute la faute sur Sasha ? Si un tel scénario se produisait, c'était prendre le risque que l'affaire ne se dévoile publiquement, ruinant ainsi la réputation du Saku-Hana qui ne se relèverait probablement pas de l'affront.

— Attendez, s'exclama-t-elle subitement.

Après une mure réflexion, il fallait qu'elle parle. Si c'était de sa bouche que son danna l'apprenait, alors elle aurait le choix et la maîtrise des mots.
Ainsi, elle dévoila l'ensemble de son lourd secret.

— Pourquoi autant de cachotteries ? s'étonna le brun.

Uzume étouffa un rire sarcastique. Bien qu'il fasse des efforts, son danna était encore loin de comprendre la société japonaise. Et cet air enfantin, qu'elle devait sûrement être une des seule à connaître, lui allait plutôt bien.
Lorsqu'il gommait les traits durs de son visage pour les remplacer par un étonnement candide, elle arrivait même à le trouvait séduisant.

— Sasha est loin d'avoir remboursé sa dette à l'okiya. Durant ce temps, elle ne doit compter que sur des clients fortunés, expliqua alors la brune. Si ces derniers venait à apprendre qu'il était si facile d'obtenir ses faveurs, sans échange d'argent de surcroît, alors ils se mettraient en rogne. En plus de salir la réputation de la geisha, ils ne se gêneraient pas pour crier sur tous les toits que le Saku-Hana n'est qu'un refuge de prostituées qui ne contient aucune femme de valeur.

Livaï grimaça face au vocabulaire employé.

— C'est pas un peu excessif ?

— Les apparences, Livaï-sama. La réputation est à une geisha ce que l'habit est au corps. Un corps, tout aussi joli soit-il, paraîtra miserable s'il est habillé de haillons et inversement. Un corps laid rencontrera bien plus de succès drapé de soie. Au quartier des plaisirs, c'est un peu le même principe. La plus belle des geisha sera répudiée si sa réputation est entachée ; et avec elle, l'établissement qui la propose et qu'on incriminera.

— Tch.

Le brun fit claquer sa langue d'agacement.

— Je vois qu'ici ou ailleurs, les mentalités ont du mal à évoluer. Et dire que je trouvais l'Amérique en retard sur ton temps.

Uzume, ne sachant que répondre, se contenta de fermer les yeux. Elle s'affaissa ensuite devant son danna.

— C'est pour ça que je vous supplie de garder secret toute cette histoire, lâcha-t-elle. Sans votre silence, le Saku-Hana est ruiné.

— Rassure toi, répondit Livaï, tant que mon cuisinier fait son travail, je me fiche de sa vie privée. Maintenant, donne moi les autres katakana qu'il faut que je trace. Plus vite j'aurais commencer, plus vite ce sera terminé.

Il lâcha un bref soupir, déjà lasse de devoir réaliser son prochain devoir.
Après lui avoir donner les instructions, Uzume se tint à côté de lui, attendant patiemment qu'il ait finis sa tâche.
C'est alors que son œil fut attiré par la bibliothèque qui se trouvait près d'elle et dont les livres aux reliures d'or l'intriguait.

"la princesse de clève", "l'éternel mari", "autour de la lune", "le mystère d'Edwin Drood", "Orgueil et préjugés"...

Tout un tas de romans dont les titres n'évoquaient rien à la brunette, mais qui suscitaient pourtant en elle, une violente attirance.

— Je peux te les prêter, si certains t'intéressent.

Du coin de l'œil, Livaï avait remarqué l'intérêt que sa cadette portait à sa bibliothèque.

— Ça t'occupera, plutôt que de ne rien faire ; tu peux même l'embarquer pour le finir chez toi. Je les ai déjà lu plusieurs fois, ils ne me manqueront pas pour quelques jours.

— C'est gentil de votre part, répondit Uzume, mais je suis obligée de décliner votre proposition.

Le brun haussa un sourcil, interrogatif.
Un voile de tristesse apparu alors dans les yeux de la geisha qui se senti obligé de se justifier.

— Lire n'est pas très bien vu pour une geisha, expliqua-t-elle.

— Pourquoi ? s'étonna Livai, réellement intéressé par le sujet.

Plus il en apprenait sur le monde mystérieux du quartier des plaisirs, plus il trouvait la chose grotesque. Et l'absurdité de ces règles ne cessait de le rendre à la fois furieux et incrédule.

— Je ne sais pas comment sont les hommes de chez vous, mais ici, les femmes intellectuelles ne sont guère appréciées. Une femme qui lit s'ouvre au monde et se met automatiquement à réfléchir. Et une femme qui réfléchit est une femme à problèmes qui aura tendance à se mêler de ce qui ne la regarde pas.

— Et ça te convient ?

Uzume fut surprise par sa question.

— Je veux dire, reprit Livai, ce sont tes mots, que tu as prononcé là ?

La brune fit non de la tête.

— Ceux de Motome et de ses prédécesseuses.

— Et qu'en penses-tu ?

Uzume prit le temps avant de répondre.

— Je crois qu'il est important pour l'Homme de lire. Cela nourrit l'esprit. Lire nous permet de fuir la réalité quelques instants quand elle devient oppressante, de fleurir nos rêves, de nous pousser à la réflexion et de faire de meilleurs choix.

Elle marqua une pause avant de continuer :

— Cependant, là où je la rejoins, c'est que nos clients ne sont jamais satisfaits d'une femme qui lit revues et journaux... De même pour les romans, cela peut lui faire miroiter des relations amoureuses remplies d'illusions et qui n'existent pas dans la réalité. Tout du moins, pas pour elle.

Elle eut une pensée pour son amie gloutonne qui s'était entichée d'un cuisinier sans un sous.

— Hanji m'avait pourtant dit que les geisha étaient libres après avoir remboursé leur dette.

Uzume acquiesça.

— Il est vrai que nous le pouvons lorsque nous passons jimae, mais peu osent quitter le quartier. Nous n'avons connu que ça. La vie normale, nous ne savons pas comment la vivre. Puis, une geisha gardera sa réputation même si elle ne l'est plus ; et cela est très mal perçu en dehors de nos murs. Au mieux, certaines peuvent espérer devenir la maîtresse d'un homme qui les entretient et de vivre leur amour de cette façon ; mais très peu, pour ne pas dire aucune, obtiennent le titre suprême d'épouse.

— C'est vraiment de la merde, votre monde.

À force de temps, Uzume ne tiquait plus sur son langage grossier.

— Je ne le dirais pas comme ça, mais disons que cette vie n'est pas pour tout le monde et qu'elle présente à la fois des avantages et des inconvénients.

Livaï expira bruyamment en se calant contre le dossier de son siège.

— Ouais, comme tout, quoi...

Les deux bruns restèrent quelques instants silencieux.

— Avez-vous fini ?

— Non, il me reste deux lignes encore.
En silence, le brun continua son devoir sous l'œil attentif de sa professeure. Mais il l'a remarqua, de temps à autre, lorgner sur sa bibliothèque. Alors il finit par lui proposer :

— Et si tu lisais ici ?

La jeune femme le dévisagea.

— Que voulez-vous dire ?

— Si tu lis ici, personne ne le saura. Ce n'est pas moi qui te balancerai, et je pense pas que Niccolo y trouve un intérêt non plus, reprit l'américain. Personnellement, je préfère pouvoir discuter avec une femme qui comprend un minimum ce que je lui raconte qu'avec une de ces cruches qui peuplent déjà bien trop la terre.

— Je dois d'abord vous apprendre tout nos codes. Nous sommes loins d'avoir terminé.

— Tu n'as qu'à venir plus tôt.

Uzume haussa les sourcils, surprise par sa demande.

— Co-

Le brun ne lui laissa pas le temps de protester et insista.

— Rejoins moi ici chaque début d'après-midi, avant que je ne parte au boulot. Tu auras alors tout le loisir de bouquiner avant que ne commencent nos leçons.

Livaï n'avait aucune idée du pourquoi cela lui tenait à cœur. Peut-être se sentait-il responsable de cette jeune femme qui l'avait, sans qu'elle ne le veuille, certes, embarqué dans cette galère. C'était étrange, il semblait aussi culpabiliser un peu, comme s'il essayait de réparer, au moins pour une vie, l'idiotie de ses congénères. Et puis, c'était également une façon de remercier la geisha pour tout ce qu'elle lui apprenait. Il ne connaissait même pas son véritable nom.

.~.🌸.~.

Désolée de poster si tard dans la nuit  😭🙇‍♀️

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