YI-JOON

Il était à peu près 5 heures du matin, j'étais en train de préparer le petit déjeuner pour tout le monde. Le grésillement de la pâte à crêpes sur la poêle atteint mes oreilles tandis que j'installe la vaisselle sur la table vernie de notre grande cuisine. Une fois que tout est bien préparé, je désactive le feu sous la poêle et dépose les crêpes, pliées, dans les deux assiettes en face de moi.

"Tiens, Yi-joon, tu es matinale." fait une voix derrière moi. "Oh, ce sont des crêpes maison !?"

Je pivote sur mes talons et aperçois une belle femme, d'une quarantaine d'années, encore en robe de chambre, descendant les escaliers qui donnent à la cuisine.

Elle, c'est madame Park. Elle m'a adoptée quand j'avais 6 ans, lors de la mort de mes parents dans un accident de voiture. Ma mère et elle étaient meilleures amies depuis la primaire, quand elle a appris sa mort, elle a immédiatement voulu assurer ma garde. Cette femme est comme ma mère, elle représente beaucoup pour moi, sans elle, je ne serai peut-être pas là aujourd'hui. Quand j'y repense, je suis tellement heureuse de l'avoir à mes côtés.

"Tu sais, Yi-joon, tu n'es pas obligée de te lever aussi tôt... l'école ne commence qu'à 9 heures..." fait madame Park, en posant sa main sur mon épaule tandis que je nettoie la poêle.
"Je sais, mais ma mère m'a élevée ainsi. J'aime rendre service." dis-je, avec un sourire.

Elle passe gentiment sa main dans mes cheveux noirs et sourit.

"Je suis tellement heureuse de voir que tu es comme ta mère." murmure-t-elle, avec une certaine mélancolie.

Au fond, je sais que ma mère lui manque. Et elle me manque aussi.

"Tu n'as pas préparé d'assiette pour toi ?"
"Ah... non, j'en ai préparé une pour toi et pour Seonghwa. Je n'ai pas faim ce matin." dis-je, en nettoyant mes mains pleine de saletés.
"Yi-joon... tu prends trop de risques ! Tu ne peux pas partir à l'école sans manger quoi que ce soit !" gronde madame Park, en me tirant l'oreille.

Elle soupire.

"En plus, tu sais que Seonghwa ne mange jamais ce que tu prépares..." recommence ma mère adoptive, en regardant en haut des escaliers, qui donnent sur le long couloir où se trouvent nos chambres.
"Je sais. Mais je veux faire en sorte qu'on s'entende mieux, lui et moi." j'admets, honteuse de penser cela.

Un grincement interrompt notre conversation. Et en parlant de Seonghwa, le voilà, à moitié endormi, qui descend dans la cuisine, les cheveux en bataille.
Il ressemble comme deux gouttes d'eau à sa mère, et ce serait un mensonge de dire qu'il n'est pas beau. Mais... sa beauté et son physique, c'est tout ce que j'aime. Je n'ose même pas parler de son caractère... il est froid et distant avec moi. La preuve, il ne mange jamais ce que je lui prépare, il m'évite et passe son temps à me regarder de haut sans même me dire quelque chose. Le jour où le moindre mot sortira de ses lèvres si parfaites et qu'il me sera destiné... à quoi je pense ? Cela n'arrivera jamais. Parce que nous sommes différents. Lui, c'est plutôt un élève populaire, il a plein d'amis, il sort tout le temps et ne consacre aucune seconde à ses études. Ses notes sont juste mauvaises, il n'aime pas l'école et il y va seulement pour ses amis qui martyrisent tout le monde. Il attire beaucoup de monde, je parle des relations, que ce soit des filles ou des garçons, il est juste hyper attirant. Ce mec est capable de retrouver au moins 20 lettres d'amour dans son casier par jour. Et je ne plaisante pas. La majorité de ses admirateurs et admiratrices viennent du club de basket dans lequel il joue depuis le début de la fac. Je pourrais le trouver un peu plus gentil s'il remarquait toute cette affection que lui portent les gens... mais non. Il s'en moque et préfère traîner avec ses amis... sans blague.
Alors que moi... je suis plutôt calme, réservée et dans ma bulle. Je prends les études au sérieux et je passe mon temps à étudier, je n'ai pas toujours de bonnes notes, mais je fais de mon mieux. J'ai tout mon temps pour ça car je n'ai aucun ami. Je n'aime pas parler, et encore moins tisser des liens. Les gens de la fac sont vraiment méchants avec moi, ils me traitent de garçon car mes cheveux sont très courts, et que je ne porte jamais de jupes et de vêtements près du corps. Je n'ai jamais compris pourquoi ils continuaient à se moquer... et encore moins ce que je leur avais fait pour mériter cela, mais bon... c'est un passage. Dans quelque temps, je ne les verrai plus jamais.
Je suis très casanière, je reste souvent enfermée chez moi et les rares fois où je sors sont pour aller à la bibliothèque où dans un café calme pour éviter d'avoir à croiser Seonghwa. Je ne suis jamais sortie avec personne, probablement parce que personne n'aime les filles comme moi qui passent leur temps à lire et étudier au lieu de se maquiller et regarder des films avec leurs amies, qui sont trop myopes pour y voir quoi que ce soit et qui portent tous les jours de grosses lunettes...
Ouais, comparé à Seonghwa, je fais pitié. Et dire que ce mec est en quelque sorte mon frère spirituel.

"Salut, maman." dit-il, en frottant ses yeux en amande.

Sa voix est douce, comme tous les matins. Il parle toujours comme ça à sa mère, car il l'aime plus que tout. Quand il était petit, jusqu'à ses 8 ans, il était toujours collé à elle, on aurait dit un aimant. Madame Park est la seule à bénéficier de son amour. Parfois, je l'envie... mais après tout, je ne peux pas avoir tout ce que je veux.

"Tu as bien dormi, mon cœur ?" demande madame Park, en recoiffant la chevelure noire de son fils.
"Mouais, j'étais un peu stressé..." il détourne le regard vers la table puis regarde de nouveau sa mère. "J'ai un match de basket en fin de semaine, j'ai peur de me foirer."
"Ne t'en fais pas, tu es brillant. Tu t'es entrainé si dur, ces temps-ci. Mange donc une crêpe, pour prendre des forces." puis, elle lui tape sur l'épaule pour l'accompagner à sa chaise.

Je lui fais un petit signe de la main, en guise de salutation, mais il détourne le regard pour scruter son assiette. Vu sa tête, il n'avait pas envie de manger quoi que ce soit, puisque cela vient de moi...

"Merci." souffle-t-il, avant de porter sa fourchette à ses lèvres.

Plus je le regarde, plus j'ai du mal à penser à autre chose qu'à lui.

"C'est pas si mal."

Je ne sais pas pourquoi, je dois être folle, mais le fait qu'il dise que ma cuisine est "pas si mal" me réchauffe le cœur.
Il repousse une de ses mèches lisses derrière son oreille et continue à déguster mon plat en silence. Je ne le quitte pas des yeux, je sais que je suis étrange... mais le voir faire un effort pour moi me fait plaisir, je veux juste conserver ce souvenir car je sais que cela ne va pas durer et qu'il redeviendra désagréable dans pas longtemps.

"Je monte me changer !" dis-je, en croisant le regard de Seonghwa.

Il tourne la tête et ne dit rien. Madame Park, elle, me sourit et me dit de prendre mon temps.
J'entre dans ma chambre et enfile mon uniforme : un pantalon large et une veste gris clair avec l'emblème de la fac, une chemise blanche, un nœud rouge et une paire de baskets blanches. Je me regarde dans le miroir et recoiffe ma chambre avant de prendre mon sac bandoulière, prête à quitter la maison.
Je descends les escaliers et je croise Seonghwa, qui allait monter se préparer. Il me bouscule sans rien dire et claque la porte de sa chambre. Je ne dis rien et m'avance vers la porte. Madame Park me salue et je lui rends son geste avec le même sourire.

À SUIVRE...