Get After It

(une musique d'une heure est disponible au dessus, avec laquelle j'ai écris cet OS. Bonne lecture!)

















On dit qu'au moment de la mort, notre cerveau nous ramène à l'époque où l'on se sentait le plus heureux, juste une dernière fois.





— Monsieur Jeon Jungkook, vous répondez à la loi de conscription. Vous êtes donc prié de venir avec nous afin de rejoindre l'armée. Vous avez quinze minutes pour vous préparer.


Un homme, grand, à l'allure oppressante, se tenait sur le palier de la porte. Deux autres hommes montaient la garde derrière lui, tous les trois vêtus de l'uniforme militaire. Bouche bée, je le fixais, ne comprenant pas spécialement ce qu'il était en train de m'annoncer. Ma mère, à mes côtés, soupira longuement avant de faire demi-tour et retourner à la cuisine.

— Nous vous attendons.

A l'extérieur, on pouvait entendre des cris, des pleurs, des refus. Le quartier qui avait été si calme pendant toutes ces années venait de devenir un champ de bataille. Où les familles tentaient de retenir leurs fils, leur mari, leur frère pour ne pas partir. A mon tour, je soupirai, et fermai la porte. Quinze minutes. Rejoignant le pas de la cuisine, Maman était là, en train de remuer les aliments dans la casserole. Pas un mot, le silence complet, pas un regard. A quoi devais-je m'attendre ? Ce jour devait bien arriver, nous le savions. Je montai alors dans ma chambre, à l'étage, où je pris un vieux sac de sport pour mettre quelques affaires. Qu'étais-je censé prendre ? Des vêtements, des babioles, je ne savais pas spécialement.

Au bout de dix minutes, je redescendis, mon sac à moitié rempli sur le dos. Ma mère était en train de déjeuner sur la table du salon, devant les informations. Je savais très bien qu'elle m'avait entendu, mais ne se retournait sous aucun cas. Il n'y avait pas de second couvert non plus. La télévision annonçait un nouveau recrutement partout en Corée du Sud, ainsi qu'une nouvelle aide matérielle et humaine de la part des Etats-Unis. La guerre frappait, et personne ne pouvait prédire quel côté allait être gagnant.

— Salut Maman, dis-je après un moment d'hésitation.

La seule réponse que j'eue fut un signe de la main, rapide, toujours sans un regard. Son chignon était toujours droit sur le haut de sa tête, un plaid recouvrait son corps, et je pris quelques minutes à l'observé. Apporter les baguettes à sa bouche, rajouter de la sauce, mélanger son kimchi, changer la chaine et mettre sa série préférée. Mon cœur se serra, je n'allais sans doute plus jamais la voir.

— Vous avez fait vos adieux ? Me demanda l'homme, dès que j'eus ouvert la porte d'entrée.

Est-ce que l'on pouvait appeler ça des adieux ? En réponse, je haussai les épaules. La rue était toujours aussi bruyante, et lorsque l'un des deux gardes ferma la porte derrière mon dos, un frisson d'effroi parcourût mon échine. Ce bruit résonna comme la cloche annonçant l'heure de la mort. Des camions militaires étaient garés sur la place centrale, une longue file d'attente devant s'agrandissaient d'hommes. Les femmes et les enfants pleuraient sur le pas des maisons, faisant signe d'adieux à leurs proches. Honnêtement, je ne savais pas trop quoi en penser. Je ne ressentais pas spécialement de la tristesse, ni la peur. C'était plus déchirant de regarder les familles se diviser tragiquement alors que tout allait bien une vingtaine de minutes auparavant.

Nous marchions, le capitaine devant moi, les gardes derrière, comme tout le monde autour dans la rue. Certains pleuraient, tremblaient, d'autres n'affichaient aucune expression. Je devais sûrement en faire partie. Quitter ma mère ne me faisait pas spécialement quelque chose, mais la façon dont elle a eu à m'ignorer alors que son fils partait sans certitude de revenir, me faisait mal à l'intérieur. Ma mère d'antan me manquait, celle qui paniquait à la moindre blessure que je pouvais me faire en tombant de vélo. Pourquoi fallait-il que Papa soit parti ?

Arrivés au niveau de la dizaine de camions, on nous demanda de donner notre identité afin de nous créer nos plaques militaires le plus rapidement possible. Selon notre physique et nos antécédents, nous étions triés, que chacun soit le plus opérationnel possible dans différents camps. A ce moment-là, je regrettais d'avoir pratiqué du sport toute ma vie, car je venais d'être muté vers la section de l'armurerie, qui partait aussi sur le champ de bataille. Malheureusement, je ne pouvais pas mentir, mon physique actuel m'en empêchait. Comme la plupart des personnes autour de moi qui se retrouvaient dans la même section. Nos affaires avaient été étiquetées et placer dans un camion spécial, entassés les uns sur les autres. Combien étions-nous ? Près d'une centaine ni ce n'était pas plus. Le ciel était gris, les températures basses, tout le monde commençaient à avoir froid à force d'attendre sans bouger. Sûrement allait-il bientôt neiger, je ne me souvenais pas si j'avais regardé la météo aujourd'hui. Nos téléphones nous avaient été retiré, le seul moyen de communiquer avec nos familles allaient être par lettre. La raison était simple, pour éviter le piratage des données comme ça arrivait beaucoup trop fréquemment. Les lettres étaient transportées dans des camions spéciaux qui pouvaient exploser sur commande à la moindre attaque d'infiltrés. Vérifier le contenu des messages prenaient sans doute trop de temps, raison pour laquelle ce système avait été instauré il y a deux ans.

Je ne savais pas combien de temps il s'était passé jusqu'à ce que nous montions dans les camions. La nuit commençait à tomber, quelques flocons avec. Assis à une fenêtre, je regardais le paysage défiler à toute vitesse. Cela faisait longtemps que je n'étais pas sorti de la ville depuis le commencement de la guerre. Soit cinq ans. Cinq longues années depuis que la Corée du Sud était en guerre contre la Corée du Nord. Six ans en tout, la première année ayant été bourrée de tension entre les deux pays. L'élément déclencheur avait été l'attentat contre un colonel de l'armée Sud-Coréenne lors d'un conseil entre présidents pour discuter d'un chemin d'entente.

La raison de la guerre était purement politique et territoriale, la Corée du Nord voulait reprendre le pouvoir sur la Corée du Sud afin de ne former plus qu'un seul et même pays comme soixante-dix ans auparavant. Cinq ans que la guerre s'était déclenchée, que les deux pays étaient plongés dans le chaos, que les soldats tombaient comme des mouches. La Corée du Sud avait le soutien des Etats-Unis et de l'Europe, quant à la Chine qui était derrière la Corée du Nord. Deux côtés extrêmement puissants, raison pour laquelle il était impossible de savoir quelle nation avait plus de chance de gagner. Les trois quarts de la population avaient déserté dans le sud afin d'être le plus loin possible du champ de bataille. L'autre quart était parti dans d'autres pays quand c'était encore possible.

Un homme, le même que celui qui était venu me chercher chez moi, se leva de son siège et se tenu droit dans l'allée du camion. L'intérieur avait été personnalisé comme un bus scolaire, ou peut-être il existait déjà ce genre de transport, je n'en savais rien. Cet homme d'une quarantaine d'années se présenta comme étant le capitaine de l'armée de terre, sous le nom de Kim Namjoon. Mon voisin de gauche tremblait comme une feuille au fur et à mesure que le Capitaine Kim expliquait les règles et ce qu'il allait nous attendre. Comme nous étions déjà trié, nous allions être amené à plusieurs endroits, ce que je remarquai quand je vis le camion devant nous, tourner à droite alors que nous continuions tout droit. Malheureusement, le temps manquait cruellement et nous n'allions pas l'avoir afin qu'ils nous forment proprement au combat ou au maniement des armes. La majeure partie des hommes présents avaient déjà fait leur service militaire, ce que j'avais toujours repoussé avant que la guerre n'éclate. Désormais, je le regrettais un peu.

La première chose que nous allions devoir faire en arrivant à la caserne avant d'être réparti dans des camps au front, était d'écrire notre testament. Beaucoup d'hommes ayant une famille tentèrent de faire comprendre leur mécontentement, que c'était absolument abominable d'envoyer nos frères à la mort de cette manière-là. Je n'étais pas spécialement contre ses arguments, mais avec toutes les guerres d'auparavant, ils pourraient se dire que c'était logique. Personnellement, cela ne me dérangeait pas spécialement. Certes c'était étrange de se dire que l'on devait préparer ce genre de chose, mais tout le monde devait le faire un jour ou l'autre. Mon père était décédé depuis dix ans, ma mère se foutait de moi depuis, j'avais perdu mon travail à cause de la guerre, aucun ami proche. A quoi bon avais-je à perdre si ce n'était qu'un corps ? Depuis le décès de mon père, je voyais la mort comme un cadeau de Dieu. Tandis que la mémoire était une punition du Diable.

Le stylo posé, je me levai de la table et allai donner mon enveloppe au Capitaine Kim, qui attendait patiemment que tout le monde ait terminé. Sans surprise, j'étais dans les premiers à rendre. Plusieurs regards se posaient sur chaque personne qui déposait leur testament dans une boîte. Un vote pour qui allait rejoindre le ciel. Certains pleuraient toujours autant, d'autres s'étaient résolu. Que pouvions-nous faire contre un pays en guerre ? Un chemin d'entente avait été mis sur la table plusieurs fois depuis que les combats avaient commencés, mais aucun des côtés ne voulaient lâcher prise. Le Nord voulait le Sud, le Sud voulait se préserver.

Après avoir déposé notre enveloppe, nous étions escortés vers un bâtiment spécial afin d'avoir nos propres tenues. Les cheveux étaient coupés courts s'ils étaient trop long pour entrer dans les normes, ce qui n'était pas mon cas. Rasé sur les côtés, mèche en ouverture de rideau, la coupe classique coréenne. Ou peut-être en temps de guerre, ils n'avaient plus obligation de respecter à la lettre près ce genre de règle qui demandait du temps. Et le temps comptait énormément.

Je ne savais pas pour combien de temps nous en avions à être dans cette immense caserne. Nul doute que nous étions à Séoul. La ville avait d'ailleurs beaucoup changé depuis la dernière fois que j'y avais mis les pieds. Pratiquement plus personne n'était dans les rues de ce que j'avais pu voir depuis le camion lors du voyage, certains immeubles et maisons étaient en ruines. Un véritable monde parallèle. Combien de temps cela faisait-il depuis la dernière fois ? Bien une dizaine d'année, après avoir terminé mes études de commerce. Ce temps où tout allait bien avant la mort de mon père. C'était terrible à quel point le décès de quelqu'un pouvait drastiquement changer une vie. Je pouvais au moins voir le bon côté des choses, je n'avais pas à me soucier de ce qu'il aurait pu advenir de lui. Depuis que la guerre avait éclaté, je m'étais posé énormément de fois cette question. Que ce serait-il passé pour notre famille si nous étions encore ensemble en ce moment ? La séparation aurait certainement été beaucoup plus dure.

Si l'accident ne l'avait pas emporté, mon père aurait sans doute été envoyé à la guerre bien avant moi, peut-être que cela aurait pu aussi retarder sa mort. Personne ne le savait, pas même Dieu. Où était-il dans ce genre d'évènement ?

— Monsieur Jeon ?

Sortant de mes pensées d'un sursaut, je levai les yeux vers un officier qui me tendait une pile d'habits. D'un remerciement, je pris cette dernière et sorti de la salle, suivant les autres en direction des cabines de change. Il y avait deux uniformes militaires identiques, à croire que c'était tout ce qui nous était accordé.

Plus tard dans la journée, notre plaque nous fut attribuée. J'avais été impressionné par la rapidité. Nom, prénom, date de naissance, groupe sanguin. Interdiction de la retirer sous aucun prétexte. Tout le monde dans la salle de rassemblement avait l'air d'être un clone de chacun. Cela en était presque déstabilisant. Uniforme camouflage, couvre-chef, plaque de reconnaissance, en garde à vous, pour près de deux cents personnes. Le Capitaine Kim faisait un discours d'encouragement, expliquait les faits et informations à savoir. Il n'y avait pas à dire, il me rendait mal à l'aise avec sa carrure impressionnante. Peut-être était-ce l'effet de l'uniforme avec sa voix portante, mais je n'avais absolument pas envie de m'en faire un ennemi dans une quelconque vie. Les trois quarts des personnes autour de moi provenaient d'autres villes et villages, ayant subi la même séparation que moi. Que devenaient ceux envoyés dans les autres sections de l'armée ?

Du coin de l'œil, je vis que le crépuscule n'était pas loin d'arriver à travers l'une des nombreuses fenêtres. La nuit tombait rapidement en ce début d'hiver.

Puis un nouveau tri fut fait ; dix groupes d'une vingtaine de personnes qui allaient être emmenées dans les différents camps le long de la frontière, là où le sang faisait fureur. Le départ était prévu pour une heure du matin afin de ne pas attirer l'attention de l'ennemi sur les camions des nouvelles recrues. Beaucoup d'entre eux avaient déjà été attaqués par des infiltrés durant le jour, contre seulement quelques-uns pendant la nuit. En attendant, nous avions quartier libre, avec un rendez-vous à minuit trente sur le parking principal. Nos affaires personnelles avaient déjà été placées dans les camions en fonction de chaque groupe. Honnêtement, j'étais assez impressionné par l'organisation. Combien de personnes étaient déjà passées par là, qui avaient foulé le même parquet ? La plupart devait sans doute être six pieds sous terre, ce qui me fit grimacer à cette pensée.

Vagabondant dans un long corridor, je soupirai. J'étais exténué. En passant devant une porte, je remarquai qu'elle donnait sur une salle de repos. Ni une ni deux, j'entrai, m'allongeai sur un canapé, et fermai les yeux. Quel drôle de rêve.

☦︎

— Je m'appelle Annalys, et toi ?

Un large sourire s'afficha sur le visage du jeune homme à mes côtés. Il devait avoir quelques années en moins, et n'était pas d'origine coréenne. Plutôt européenne, mais parlait extrêmement bien coréen. Voir des yeux bleus et naturels dans ce pays était plutôt rare, et les siens me gênaient presque, comme s'ils pouvaient lire à travers mon âme.

— Jungkook, répondis-je simplement.

Cela faisait à peu près une heure que nous avions pris la route. Le camion n'utilisait pas de phares pour rouler, mais une caméra infrarouge. Il nous était donc impossible de deviner où nous étions par cette nuit complètement noire. Comme si nous étions dans un tunnel infini qui avait pour destination l'abattoir. Tout le monde était calme, quelques chuchotements se faisaient parfois entendre. La seule source de lumière dans le camion était au plafond, un long néon bleu dont l'intensité avait été réduite. Sûrement que la plupart des personnes étaient tombées de sommeil, ce qui m'était impossible actuellement. Mon cœur battait à un rythme effréné, comme si un danger arrivait. Ce genre de pressentiment qui ne m'avait jamais menti.

— Est-ce que... Le jeune homme à mes côtés hésita, le regard me fuyant. Est-ce que je peux prendre ta main ?

Surpris par cette demande, je haussai un sourcil. Pourquoi faire ? Il tendit la sienne, et ce fut à ce moment-là que je remarquai son corps vibrait. Ses jambes, ses bras, ses doigts, ses pupilles, tout tremblait à un point où je me demandais comment j'avais ne pas pu le remarquer. Il était terrifié. D'un sourire rassurant, je lui donnai donc ma main qu'il s'empressa de serrer. Mais après quelques secondes à peine, il tourna la tête vers moi, et les yeux grands ouverts comme un poisson, il murmura :

— Boom !

Cette fois-ci, je fronçai les sourcils tandis qu'il ferma les paupières. Décidément, ce personnage était assez étrange.

— Comment est-ce que tu fais pour être aussi calme ? Me chuchota-t-il, en se rapprochant de moi sur son siège. Tout le monde se demande ça.

Ne savant pas trop quoi répondre, je haussai les épaules. Pourtant, mon cœur battait toujours aussi fort, ce pressentiment de danger ne me quittait pas. C'était ce que je pouvais dire être de la peur, de l'anticipation, mais pas exprimée de la même façon.

— Parce qu'à part la vie, je n'ai pas grand-chose à perdre je pense.

Annalys acquiesça lentement, l'esprit en pleine réflexion. Son pouce caressait le dos de ma main, en douceur. Ce qui commençait à me gêner de plus en plus. Pas que sa présence me dérangeait, mais ce jeune homme paraissait être comme décalé de la réalité, continuait à me poser tout un tas de questions qui n'avaient aucun sens. Je ne voyais pas quel était son but, mais après réflexion, peut-être voulait-il seulement oublier ce qu'il nous attendait à la sortie du camion. Au loin, quelques lumières apparaissaient.

Quelle heure était-il lorsque nous mîmes pied à terre ? Le soleil n'était toujours pas levé, seuls des feux de bois et des lampadaires par lampe à huile illuminaient le campement qui se dressait devant nous. Le camp Jayu. Etrangement, tout était silencieux. Quelques soldats armés jusqu'aux dents vinrent nous accueillir et nous demandèrent de les suivre jusqu'à notre tente attribuée. Le Capitaine Kim marchait devant nous, les épaules lourdes sous le poids des décisions. L'odeur du sang, de la crasse, de la fumée, du gaz. Mon sac d'affaire à la main, je suivais, le nez se tournant dans tous les sens. Une multitude de tentes différentes, dont une avec un grand H à l'entrée. Sans doute celle de soin, là où l'odeur de sang s'était faite beaucoup plus forte lorsque nous passâmes devant. Un petit groupe de quatre soldats croisèrent notre chemin, armés aux aussi jusqu'à ne voir que leurs yeux. C'était à la fois impressionnant comme terrifiant. Ce n'était pas un plateau de tournage sur un film de guerre que j'étais en train de fouler, mais bien la réalité. Au fur et à mesure, notre groupe fut dispersé dans plusieurs tentes, certaines déjà occupés par quelques personnes. Annalys fut appelé dans les premiers, et avant qu'il ne disparaisse derrière ce qui était sa nouvelle maison, je le vis me chercher du regard. Sans succès, car le temps pressait.

Nous avions rendez-vous dans quelques heures avec les dirigeants du camp Jayu, qui apparemment, était le plus grand et l'un des principaux camps qu'il y avait tout le long de la frontière. Ces derniers allaient nous faire une visite, ainsi que nous expliquer les règles et tout ce qu'il allait nous attendre. Le but étant que nous soyons opérationnels le plus rapidement possible, et quelqu'un qui n'arrivait pas à suivre la cadence pouvait directement dire adieu à ce monde. Ce n'étaient pas mes mots, mais ceux du Capitaine Kim.

Quand mon tour vint, je fus la seule personne à être placé dans une tente, comparé aux autres qui étaient deux à quatre. Je dus simplement signer un papier attestant bien mon arrivée, avant d'avoir l'autorisation d'entrer. La fatigue me prit soudainement quand je vis deux lits superposés de deux places. Dormir, je voulais dormir.

— Hey.

D'un léger sursaut, je remarquai une personne assise en tailleur sur un lit, celui du bas. Seul un simple pantalon habillait ses jambes et son torse était en train d'être bandé par lui-même.

— Bonsoir, répondis-je en retour.

Où est-ce que j'étais censé me mettre ? Sur quatre lits, il n'y avait que lui, ce jeune homme qui avait l'air d'avoir environ le même âge que moi. Une cicatrice lui tranchait le visage en deux, partant de son front en diagonale jusqu'au coin de sa bouche. Voyant que je ne bougeais pas de l'entrée, il me jeta un coup d'œil pendant quelques secondes avant de donner un coup de menton dans la direction du lit en face de lui. Au fond de la tante se trouvait un petit meuble avec plusieurs sacs, ainsi qu'une sorte de bassine, peut-être pour se laver. Si cela avait été pour uriner, l'odeur aurait été abominable.

Hésitant, je posai mon sac sur le lit qu'il m'avait montré et m'assis dessus, ne sachant pas trop quoi faire.

— Les deux autres sont en missions.

Je mis une dizaine de secondes à comprendre qu'il parlait des deux autres personnes de la même tente, qui occupaient les deux lits du haut. A cette information, je ne fis que d'acquiescer en mordant mes lèvres entre elles. Il me rendait mal à l'aise, je n'osais pas me changer et aller dormir. Juste à côté de son lit, une bougie fondait petit à petit sur une table de chevet. Une lampe à huile pendait en hauteur, illuminant le petit espace. Provenant de l'extérieur, on pouvait entendre quelques paroles, des pas, quelques gémissements provenant de blessés, quelques ronflements. C'était étrangement calme.

— Profites-en, fit alors mon nouveau camarade de chambre. Le jour, c'est un autre monde.

Une nouvelle fois, j'acquiesçai. Avais-je pensé tout haut ? Quelle drôle de sensation.

— C'est quoi ton nom ?

Ses doigts manipulaient le bandage avec légèreté et aisance, comme s'il était habitué. Celui-ci venant d'être remplacé, je ne pouvais pas voir où il avait été blessé.

— Jungkook... et toi ?

A l'entente de mon prénom, il arrêta son nœud, et m'accorda un regard en coin d'œil. Un frisson d'effroi me parcourut l'échine, et je baissai les yeux à mes mains, ne sachant pas comment interpréter sa réaction. Après un temps, sa main apparut dans mon champ de vision, ce qui me fit le regarder à nouveau. Un léger sourire s'affichait à ses lèvres.

—  Hoseok, mais tu peux m'appeler Hobi.

Je lui rendis la pareille, et serra sa main.

— Les autres sont Brute et Nigaud, il haussa les épaules. Ce sont leurs surnoms, ils sont comme les deux doigts de la main.

J'eus un léger sourire. Un peu plus à l'aise, je décidai de retirer mes bottes, et de les placer là où étaient celles de Hoseok, soit à l'entrée de la tente. Ce dernier se glissa doucement dans sous ses draps, et, allongé sur le côté, se mit à me fixer sans un mot le temps que je me change. Fort heureusement, j'avais amené des habits de nuit pas trop ridicule, soit un ensemble de survêtements. La tension retombante, je commençai à ressentir le froid de l'hiver me grignoter les os. Alors je me dépêchai, sous les yeux de mon nouveau camarade de chambre. Je n'avais pas spécialement l'impression qu'il me regardait moi, mais plutôt le lit. Un lit vide, qui avait sans doute été abandonné par un de ses collègues. Puis sans que je ne m'en sois aperçu, ses paupières s'étaient finalement fermées, la bougie éteinte. Sans bruit, je me levai du lit afin d'éteindre la lampe à huile et me glissai à mon tour sous les draps. J'avais du mal à croire que ce matin, en me réveillant chez moi, je me demandais ce que j'allais faire aujourd'hui. Quel drôle de rêve.

☦︎

—  Comment est-ce que tu as dormi ?

Annalys me regarda, les yeux palpitants. D'une légère grimace, je m'écartai et haussai les épaules. Je ne pouvais pas dire que le sommeil avait été réparateur en seulement quelques heures. Le soleil venait à peine de se montrer que nous étions déjà tous réunis entre nouvelles recrues. Le Capitaine Kim Namjoon regardait sa montre à peu près toutes les trente secondes, tapait du pied, impatient. Une autre personne à ses côtés lui chuchotait souvent des informations à l'oreille, ce qui n'avait pas l'air de le rassurer.

— Apparemment, le groupe partit en mission hier soir n'est toujours pas revenu, me dit Annalys.

Intrigué, je me tournai vers lui, un air suspicieux. Comment était-il au courant ?

— Un mec de ma tente n'était pas là, les autres ont dit qu'il était censé rentrer en même temps que notre arrivée.

J'acquiesçai sans un mot. Cela devait donc être la mission dont Hoseok avait parlé, raison pour laquelle nos deux autres camarades de chambre étaient absent. Ce fut à ce moment-là que je remarquai les visages inquiets de tous les hommes autour de nous. Certains montaient la garde, toujours armés jusqu'à la moelle, d'autres couraient dans tous les sens. Plus les minutes passaient, plus le bruit augmentait. Il avait raison, de jour, cet endroit paraissait être un endroit tiré d'un film. Une grande maison en pierre se dressait devant nous, là où nous attendions.

Subitement, le groupe sursauta lorsqu'une cloche résonna dans l'entièreté du camp. On nous ordonna de ne pas bouger tandis que tout le monde autour se mit à courir dans une seule et même direction. Le cœur battant, nous cherchions à trouver une réponse à ce qu'il se passait parmi nous, sans possibilité d'avoir une explication. Hoseok passa en courant à son tour, une main sur son ventre. C'était la première fois que je le voyais de la journée. Des applaudissements retentirent, qui furent accompagné par le Capitaine Kim et son associé à ses côtés.

Curieux, je me penchai légèrement dans la direction où tout le monde allait et je vis un groupe de personnes arriver dans le sens inverse. Il n'était pas possible de faire une estimation de combien ils pouvaient être à cette distance, mais cela avait l'air d'être beaucoup. Plus ils avançaient, plus des hommes quittaient les rangs et retrouvaient leurs amis dans ceux qui étaient en train d'applaudir. Il y avait énormément de personnes en tout. Cette scène était prenante, un retour de guerre, après avoir sûrement vu ce qu'un Homme n'était pas destiné à voir lors de sa création.

D'un pas rapide, trois hommes se dirigeaient vers notre groupe, dont un, celui du milieu, avec l'uniforme médaillé. Mon sang ne fit qu'un tour et je me remis droit sur mes hanches, le menton levé. Les autres me suivirent lorsqu'ils furent plus près, et que le Capitaine Kim lui-même se mit en position de garde à vous. L'un des trois monta directement dans la maison en pierre, l'autre se mit à parler avec quelqu'un, continuant leur chemin, tandis que le médaillé monta sur l'estrade devant nous. Son uniforme était plein de boue et de sang, ce qui me fit déglutir.

Danger.

— Je ne peux pas vous promettre de vous ramener tous en vie dans vos foyers.

Brutalement, un frisson d'effroi me parcourut l'échine et mes mains, le long de mon corps, se mirent à trembler. L'homme déclipsa son casque, mon regard suivant les moindre faits et gestes de ses doigts gantelés.

— Mais je fais le serment, devant vous et devant Le Tout Puissant, que lorsque nous irons nous battre...

Mon cœur cessa. Le casque sous un bras, l'homme médaillé venait de découvrir son visage.

— Je serai le premier à poser le pied sur le terrain, et que je serai le dernier à en repartir.

Les cheveux en rideaux, bruns, les traits fins, des pupilles aussi noires que la nuit, le grain de beauté au bout du nez et aux lèvres.

— Je ne laisserai personne sur le sol ennemi, mort ou vivant.

Comment cela était-il possible ? Je n'écoutais même pas ce qu'il disait, un horrible bourdonnement dans mon crâne m'empêchant de réfléchir correctement. Non, j'étais dans un rêve.

— Vous êtes désormais nos frères, votre but étant de protéger votre prochain.

Mon corps tremblait, mon estomac se tordait. A ce moment-là, son regard se posa sur moi. Son nom...

— Et moi, Colonel Kim Taehyung, jure de prendre soin de vous jusqu'à ce que vous rentiez chez vous.

Un ange passa pendant d'interminables secondes durant lesquelles nous restâmes fixés l'un sur l'autre. Mon cœur battait à pleine puissance, telle une bombe à retardement prête à exploser. Cependant, ce fut le premier à rompre notre échange en se retournant dos à nous, afin d'échanger un mot avec le Capitaine Kim. Une tape sur l'épaule et le Colonel descendit de l'estrade pour rejoindre l'intérieur de la maison. Je n'arrivais toujours pas à croire ce qu'il s'était passé. Il y avait une grande quantité de camps différents, par quel bon sens Dieu avait-il pensé que me mettre dans le sien était une bonne idée ? Du coin de l'œil, je vis Annalys me fixer.

Plus tard dans la matinée, nous faisions la visite de camp Jayu, qui était beaucoup plus grand que ce l'on pouvait croire, avec plus de trois milles personnes. Il était situé au pied d'une colline, entouré d'arbres, de grillages et barbelés. A tous les dix mètres, des soldats montaient la garde, positionnés derrière les limites et tournaient toutes les heures. Un groupe de surveillance était aussi placé en haut de la colline afin d'avoir un œil sur l'ennemi en permanence. Le Capitaine Kim nous raconta que le camp avait déjà subi une attaque, trois ans plus tôt qui avait causé beaucoup de pertes humaines et matériels. Depuis, la sécurité et la garde avaient été extrêmement renforcées. La cantine, les bureaux, l'hôpital, terrain d'entrainement, les différents secteurs, toutes les règles que nous allions devoir suivre à la lettre. Puis en fonction de notre rôle prévu, nous avions un bracelet de couleur à attacher à notre poignet. Rouge pour la garde, bleu pour la restauration, jaune pour l'armement, vert pour l'hôpital, violet pour les entrainements, ainsi que blanc pour les départs en mission. Le nôtre fut violet, sans surprise.

Ce système de bracelet avait été instauré après l'attaque, trois ans plus tôt. La partie la plus touchée avait été l'hôpital, ce qui avait énormément causé soucis pour les soins dû à la mort de nombreux médecins. Désormais, tout le monde se devait d'avoir le minimum des capacités dans chaque rôle, appelés aussi métiers. C'était pour cela que tous les trois jours, tout le monde changeait de couleur en fonction d'un tableau affiché à l'entrée de chaque secteur du camp à la fin des soixante-douze heures. Puis en fonction des qualifications, il était possible de demander à rester dans un métier plus longtemps si les compétences avaient été reconnues. Les cinq différents secteurs du camp avaient aussi différents horaires pour manger, pour les quartiers libres et pour dormir. Le nôtre, le troisième, avait un repas toutes les douze heures ; à une heure du matin ainsi qu'à treize heures. Une heure de quartier libre toutes les cinq heures, et huit heures de repos imposées. Chaque secteur avait un surnom, le premier ; les Chevaux. Le second ; les Loups. Le troisième ; les Monarques. Le Quatrième ; les Hiboux. Et enfin le cinquième ; les Cerfs. Il n'y avait pas de moyens apparents pour discerner quelle personne était dans quel secteur contrairement aux métiers, mais à l'entrée de chaque, se trouvait le chiffre suivit d'une image d'un des cinq animaux destinés.

Nous avions le droit d'envoyer une lettre à notre famille tous les premiers du mois, interdiction d'appeler à cause de l'écoute de l'ennemi. Le seul téléphone existant dans le camp était celui du Colonel afin de recevoir les ordres, les donner, recevoir les informations des autres. Une ligne qui était contrôlée avant et après chaque appel qui différait d'une heure chaque jour.

En fin de matinée, nous eûmes quartier libre jusqu'à l'heure du déjeuner avant que notre entrainement commence. Le ciel était couvert de nuages, sombres, avec une odeur de neige mélangée à la poudre et au sang. Une grande horloge se tenait devant la maison principale où nous étions en début de journée, elle affichait midi trente. Cela voulait dire que nous avions encore trente minutes avant de pouvoir aller manger. Ne savant pas quoi faire, je m'assis sur un banc, le long d'une allée, près d'un feu de bois. Le sol était boueux au possible à force d'être piétiné par tant de monde. Mes bottes pesaient au moins cinq kilos chacune à cause de la terre accumulée. Un pied sur une cuisse, je m'occupai à retirer ces poids à l'aide d'un bâton que j'avais pris près du feu. A mes côtés, je sentis quelqu'un s'asseoir, qui n'était qu'autre Annalys. Le regard dans le vide, il ne dit pas un mot le temps que je nettoie mes bottes. Dès que j'eus terminé, il demanda mon bâton, et fit de même.

— J'ai l'impression d'être dans un film, fit-il le nez bas.

Je me tournai vers lui, intrigué par ses pensées semblables aux miennes.

— Déjà quand la guerre a été annoncée c'était le cas, mais là, être en direct et la confrontée, c'est encore pire.

Le bout de bâton entre ses doigts, il se mit à tartouiller la boue qui était tombée de ses bottes. D'un côté, j'étais rassuré de ne pas être le seul d'avoir ce sentiment-là. Et cela m'étonnerait même que nous soyons seulement deux. Le dos contre le banc, j'observai les hommes passer devant nous. Grâce à la couleur de leur bracelet, nous pouvions aisément savoir quel métier ils avaient. Certains nettoyaient les tentes, apportaient des boîtes en direction de l'hôpital, faisaient la ronde, couraient dans tous les sens. Depuis combien de temps chaque personne travaillait ici ? Combien étaient tombées ? Je lâchai un long soupir.

— D'ailleurs, tu as quel âge ? Me demanda Annalys. Je viens à peine d'avoir dix-neuf ans cette année.

Surpris, je haussai les sourcils. Je le pensais avec quelques années de plus, pas ayant juste atteint la majorité. Peut-être était-ce l'effet de l'uniforme militaire, qui donnait l'air plus sérieux.

— Trente-et-un, soupirai-je.

A ma réponse, Annalys lâcha un petit cri choqué, avant de rire à plein cœur. Je ne voyais pas ce qu'il y avait de drôle, alors je ne rétorquai rien à sa réaction, seulement les yeux au ciel. A force de ne pas bouger, je commençais à avoir froid même avec notre uniforme très épais. Remarquant le feu de bois à mes côtés qui crépitait, je me tournai dans sa direction et m'en rapprochai. Les flammes étaient si belles. Je rajoutai un bout de bois avant de lever le nez vers la maison, là où je vis le Colonel Kim en sortir avec quelqu'un. Mon cœur se stoppa une nouvelle fois et mon sang ne fit qu'un tour dans mes veines. Je n'arrivais pas à croire que je me retrouvais avec lui après autant de temps. M'avait-il oublié ? Non, le risque était très bas. Il ne m'aurait pas fixé si cela n'était pas le cas. Avec un aussi haut grade, il avait bien d'autres choses à faire.

Annalys semblait parler de quelque chose, mais je n'écoutais pas, beaucoup trop obnubilé par cet homme. Ce n'était pas possible que le destin nous réunissait à nouveau dans un lieu aussi terrible. Notre dernière conversation remontait à des années en arrière, une dispute qui avait complètement changé le cours de ma vie. Comment s'était-il retrouvé Colonel ? De mes deux mains, je pris mon visage et me tirai la peau. Ma curiosité ne devait pas refaire surface. Le passé appartenait au passé. Ce n'était absolument pas le moment d'y penser, surtout en ces temps de guerre.

Au loin, provenant de l'hôpital, je vis Hoseok courir dans notre direction. Sa main tenait toujours son ventre comme ce matin, et il s'arrêta au niveau du Colonel Kim, l'interrompant dans la discussion qu'il avait avec une autre personne. Ni une ni deux, les deux hommes se mirent à courir dans le sens inverse. Je remarquai alors un bracelet vert au poignet de mon camarade de chambre, ce qui me confirma bien qu'ils allaient en direction de l'hôpital.

Soudain, je reçus une tape au bras et, interpellé, je tournai la tête vers Annalys.

— Est-ce que tu as vu des femmes ici ?

N'en savant rien, je haussai les épaules.

— Je crois que j'en ai vu au niveau des bureaux et de l'hôpital. Elles ont été recrutées comme nous à ton avis ?

Que pouvais-je en savoir ? Nous avions passé tout le matin à visiter sans avoir une seule conversation autre qu'entre nous. Je n'étais certainement pas la meilleure personne pour répondre à ce genre d'interrogation. Ce n'était pas si étonnant de savoir que des femmes étaient aussi présentes, c'était même plutôt normal quant à l'égalité des droits. Mais en voyant le nombre d'homme qui était nettement supérieur, on pouvait se demander si le recrutement était obligatoire de leur côté. Ce fut une réponse vague dans ce genre que je donnai à Annalys, ce qui sembla le satisfaire assez pour qu'il arrête de poser des questions.

Finalement, treize heures sonna et nous nous levâmes pour aller rejoindre la cantine.


☦︎


Pompes, tir, parcours, course à pied, l'entrainement n'était pas de tout repos. Nous étions une centaine, avec un chef qui hurlait à chaque ordre pour se faire entendre depuis la dernière rangée. C'était à ce moment-là, avec ces heures intensives que l'on comprenait pourquoi ils sélectionnaient les hommes qui avaient su s'entretenir. Même pour un professionnel, ce genre d'entrainement en tuerait plus d'un au bout de trente minutes. J'avais toujours été sportif depuis tout petit, mais je devais avouer que pour une première journée, j'avais déjà hâte de passer au prochain métier. Heureusement, le stand de tir permettait de nous reposer pendant une demi-heure, puis une session de recharge d'armes le plus vite possible. Il ne fallait pas user trop des munitions, ce pourquoi il n'y avait que trente minutes de tir tous les trois jours.

Pendant les cent derniers tours du camp avant notre heure de repos, plusieurs de mon groupe abandonnèrent, beaucoup trop épuisé. Honnêtement, je remerciais les nombreux marathons que j'avais pu faire dans le temps et la course que j'avais continué chez moi après la déclaration de guerre. A mes côtés, Annalys suivait le rythme et ne s'était pas plains une seule fois, contre toute attente.

Epuisé, je m'affalai sur un banc et tentai de reprendre mon souffle calmement, en regardant tous les hommes passer dans tous les sens. Plus loin, un batiment avec plusieurs tables accueillait de nombreux soldats, un verre à la main. C'était le seul bar du camp et il n'était autorisé d'y aller qu'en heure de repos ou de non-service. De là, je vis Hoseok en sortir, qui me vit à son tour. Un long tablier plein de sang recouvrait son uniforme, et un masque pendait à son cou. Je n'avais plus aucun doute, il était bien dans le service de l'hôpital. D'un pas lent, il se dirigea dans ma direction, jusqu'à me faire un léger sourire en s'asseyant à mes côtés.

— Pas trop dur ? Me demanda-t-il en lâchant un long soupire.

Ça allait. Mes jambes couraient encore et mes bras poussaient encore mon poids mais ça allait. A ma réponse, il lâcha un pouffement.

— En tout cas, ça ne me manque pas l'entrainement.

Voyant mon air douteux, il se gratta la nuque et haussa les épaules.

— Je suis l'une des seules personnes qui a l'autorisation de ne pas changer de métier. Comme je m'y connais extrêmement bien en médecine, ce serait un peu bâtard de les abandonner pendant au moins deux semaines avant que mes trois jours d'hôpital ne reviennent. Honnêtement, les médecins sont les seuls qui peuvent être exemptés du changement de métier.

Comprenant un peu mieux, j'acquiesçai. Mon cœur s'accéléra lorsque je me rendis compte que je n'avais aucune notion de médecine à part savoir désinfecter une plaie minime. Comment est-ce que j'allais devoir faire ? Lentement, je soupirai et tentai de calmer ce coup de panique. Je n'étais certainement pas le seul dans la même situation.

Hoseok me donna soudain un coup de coude dans le bras.

— Là, tu vois ces deux-là ?

Du menton, il montra deux hommes devant une tente, à une dizaine de mètres de nous. Un verre à la main, ils discutaient calmement. L'environnement était beaucoup trop bruyant pour que nous puissions entendre ce qu'ils racontaient. L'un des deux hommes avaient un bras dans une atèle, tandis que l'autre ne semblait rien avoir à première vue.

— Ce sont Brute et Nigaud, ceux de notre tente. Brute le blessé, Nigaud le sauveur.

En les observant plus en détails, je remarquai que le dénommé Brute avait un œil en moins, ou en tout cas, que l'un de ses yeux était beaucoup plus clair. De ce que m'avait dit Hoseok, ils étaient comme les deux doigts de la main. C'était même assez étrange d'avoir trouvé des surnoms insultants, ou en tout cas, ce n'était absolument pas commun.

— Là-bas, il pointa la maison en pierre. Tu vois le mec qui descend les escaliers ?

Intrigué, je haussai la tête en l'incitant de continuer.

— C'est le Caporal Min, bras droit du Colonel Kim, un vrai pare-feu. Si tu veux t'adresser au Colonel, t'as intérêt à avoir une bonne raison parce qu'il te résout tes soucis comme si c'était le Colonel.

La personne en question tourna subitement la tête vers nous lorsqu'elle arriva aux pieds des escaliers. Mon sang ne fit qu'un tour et un frisson me parcourut l'échine tandis que mon camarade de chambre lui fit un signe de la main, un sourire aux lèvres. T'inquiète, on ne parlait pas de toi. Sa peau blanche comme de la porcelaine donnait l'impression qu'il était malade. Ou peut-être était-ce à cause du temps nuageux qui donnait cette impression de blancheur.

— C'est mon plan cul.

Ma salive passa de travers et je manquai de m'étouffer, ce qui eut le don de faire exploser de rire Hoseok. Un rire qui nous valut plusieurs mauvais regards. Me tapant sur la poitrine, je tentai de reprendre mon souffle, un sourire aux lèvres malgré moi.

— J'avais au départ jurer fidélité, avoua-t-il en dévorant du regard le Caporal. Mais quand t'as besoin de te distraire, faut bien tenter.

Honnêtement, j'avais envie de lui demander des informations à propos de Taehyung. Ou plutôt, du Colonel Kim. Inconsciemment, je fis la grimace. Je n'arrivais pas encore à l'appeler de la sorte, même dans mes pensées. Et puis je ne voulais pas attirer l'attention lors de mon premier jour par des questions qui pouvaient être suspicieuses. La manière dont Hoseok avait réagi lors de l'entente de mon prénom me travaillait toujours. L'envie de lui demander pourquoi était bien présente, mais je devais sûrement garder ma curiosité pour moi-même. Cela pourrait porter préjudice à sa position si le camp apprenait que leur chef avait été en relation pendant plusieurs années avec un pauvre soldat comme moi. Je soupirai, le regard dans le vide. Pourquoi fallait-il qu'il revienne dans ma vie.

Le reste de la journée passa rapidement. La nuit tombait très vite, ce qui ne nous permettait plus de deviner quelle heure il était grâce à la position du soleil. Jusqu'au crépuscule, nous avions fait une sorte de concours de qui rechargeait le plus rapidement un fusil. Sans aucune surprise, un homme arrivé bien avant nous en était sorti gagnant. J'avais tout de même été surpris par l'efficacité de certains de notre groupe de débutant. Aux côtés d'Annalys, nous partîmes du camp d'entrainement, les muscles et les poumons détruits. J'étais épuisé, et il devait en être de même pour tout le monde, pas un seul mot n'avait été décroché jusqu'à la cantine. Quelques flocons se mirent à tomber lentement, ce qui amusa la plupart des hommes sur notre chemin. Il devait être important de se réjouir de la moindre beauté. Quel drôle de rêve.


☦︎


— Alors mon petit Monarque préféré ?

D'un sourire, je levai les yeux au ciel et tapai l'épaule d'Hoseok, qui avait l'air d'être content que je le rejoigne pour le dîner. Cela faisait deux semaines que j'étais au camp Jayu, et avais participé à tous les métiers, sauf celui des départs en mission que j'allais commencer demain. Mon plateau à la main, je m'assis devant mon ami et il ne perdit pas de temps à me raconter comment il avait opéré un œil transpercé par un morceau de métal. Ces trois derniers jours avaient été les plus intéressants de tous, car je les avais passé à l'hôpital aux côtés de Hoseok, qui m'avait appris énormément de choses. Annalys avait souvent été malade à la vue de blessures ouvertes ou membres cassés, ce qui nous avait fait pas mal ricaner de le voir dans une position aussi faible. Cependant, les supérieurs n'avaient pas été du même avis, mais il avait le don de me faire rire peu importait son mouvement. La tête baissée et les mains jointes, quand il se faisait gronder par le Caporal Min avait été un spectacle inlassable. Nous voir rire de lui l'amusait lui-même aussi beaucoup, même s'il n'y pouvait pas grand-chose.

Honnêtement, même si les journées avaient été très longues et très épuisantes, j'avais déjà hâte de recommencer les trois jours à l'hôpital. Le savoir de Hoseok sur la morphologie et la médecine me passionnait. Recoudre une plaie, faire un point sur la cicatrisation, désinfecter, je me sentais carrément à la ramasse par rapport à tout le monde qui travaillaient dur pour maintenir la vie. Mais je me consolais en me convainquant que tout le monde était passé par le même chemin que moi. Grâce à ces trois jours, j'en avais appris beaucoup plus sur Hoseok qu'en deux semaines à se voir seulement dans notre tente juste avant de dormir.

Avant que la guerre n'éclate, il avait été en sixième année de médecine, et cela faisait bientôt cinq ans qu'il était présent sur le terrain, à s'occuper des blessés. Sa copine de l'époque avait été tuée dans un attentat, dont il n'a été au courant seulement quelques mois après sa mort. Je n'avais pas du tout voulu insister sur cette partie de son histoire, il parlait seulement de ce dont il avait envie et, peut-être que ce n'était qu'une simple impression, mais cela semblait lui faire du bien. J'avais rencontré Brute et Nigaud, mais c'était assez compliqué de leur parler tellement ces deux-là ne voulaient pas sortir de leur zone de confort. Hoseok était le seul qu'ils acceptaient, alors dans la tente, les soirs, je me contentais de dormir pendant qu'ils discutaient d'un bon nombre de choses différentes.

En écoutant mon ami raconter cette fameuse opération à laquelle je n'avais pas pu assister, j'eus un léger saut d'angoisse. Ce nouveau métier de mission avait deux objectifs, la mission n'était seulement que le second jour. Ce qui nous permettait d'avoir deux jours de repos après deux semaines intensives. Là n'était pas le problème d'avoir du repos, au contraire, mais le fait d'aller sur le terrain m'angoissait tout particulièrement. Surtout quand j'avais vu pendant trois jours non-stop des tas de blessures différentes que je ne souhaitais à personne.

Un peu plus tard dans la soirée, Annalys nous rejoignit à la table. Il était passé par sa tente pour se changer et se doucher avant notre jour de repos demain. Cela faisait maintenant deux semaines qu'il me collait sans arrêt mais honnêtement, je m'étais habitué à sa présence et à son amitié. Même si parfois, il me faisait légèrement flipper à cause de réactions étranges qu'il pouvait avoir. Hoseok n'avait pas l'air de le voir du même œil, ils s'entendaient comme si cela faisait des années qu'ils se connaissaient. Ce qui était assez amusant à voir, car on n'avait pas l'impression d'être dans l'ambiance lourde de la guerre lorsque ces deux-là entraient en scène.

Après avoir fini de manger, je me levai avec mon plateau, et les quittai sur une bonne nuit. Annalys avait été assez surpris de me voir partir aussi tôt de table, mais j'étais juste épuisé et n'avais qu'une seule envie, dormir. En vitesse, je déposai mes couverts dans les bacs dédiés et quittai la cantine, là où le froid de l'hiver vint me grignoter les joues. Les gardes me coupèrent directement le chemin, à la limite de l'entrechoc. D'une grimace, je les observai s'éloigner. Cela devait être des Hiboux, ceux qui travaillent principalement la nuit. Monter la garde n'avait pas été mon métier préféré, loin de là. Rester planter des heures avec le minimum de mouvement avait été affreusement long et je redoutais déjà les trois prochains jours où nous aurons le métier de garde. Heureusement qu'Annalys était là pour me raconter tout un tas d'âneries, même si cela était quasi interdit.

Le ciel était complètement noir et seuls les lampadaires à l'huile illuminaient les chemins. J'appréciais beaucoup le moment où je rentrais à la tente en fin de journée, que le camp s'endormait petit à petit que les heures de services se terminaient pour chaque secteur. Les deux bras croisés à la poitrine, je me mis à marcher lentement à travers les chemins boueux, piétinés des milliers de fois chaque jour. Ce n'était absolument pas agréable d'avoir une dizaine de centimètres de terre collés aux bottes, j'attendais le printemps plus que n'importe quoi, et je ne devais sûrement pas être le seul.

Subitement, une ombre passa devant moi et je me vis être emporté sur le côté. Mon corps parla alors de lui-même et en un éclair, la personne qui avait tenté de me toucher se retrouvait au sol, le dos dans la boue, mon bras sur sa gorge, mon bassin sur le sien. Un ricanement suivit.

— Tu n'as pas perdu tes réflexes.

Mon cœur manqua un battement et je me retirai en vitesse lorsque je vis qui était la personne en question. Celle que je tentais par tous les Dieux d'éviter depuis mon arrivée. Kim Taehyung, ou devrais-je plutôt dire le Colonel Kim. Mais à peine eut-il le temps de se relever que je me retrouvai collé contre un mur en bois, dans la pénombre d'une tente. Son corps faisait pression sur le mien et une main entourait ma gorge, me faisant presque manquer d'air rapidement.

— Qu'est-ce que tu fais là ?

Son souffle chaud me procura des frissons de dégouts. Agacé par cette brutalité, je tentai de me défaire de son emprise en lui donnant un coup de tête dans le front, ce qui le fit reculer de quelques pas.

— Quoi qu'est-ce que je fais là ?! Répétai-je d'un ton énervé. Tu crois vraiment que j'ai demandé à être ici ?!

Sa mâchoire se serra à mes paroles. Il n'avait pas changé, son côté bipolaire était toujours bel et bien présent après autant d'années. Ses trais de visages s'étaient durcis, quelques cicatrices venaient effleurés sa peau granuleuse, et ses yeux, toujours aussi sombres comme s'ils pouvaient lire en moi comme dans un livre.

— Tu n'as rien à faire ici, rajouta-t-il en ne me lâchant pas du regard. Tu devrais être en train de t'occuper de ta mère.

— Je n'en ai strictement rien à foutre d'elle ! Ne viens pas faire celui qui s'intéresse à moi après le mal que tu m'as fait !

Son visage parsemé de cicatrices s'étira en une mine outrée, sûrement choqué de mes propos que je ne lui avais jamais dit dans le passé. Un regard furtif sur les côtés et il recula de quelques pas pour tourner en rond sur lui-même, tout en marmonnant. L'air s'était cruellement alourdi, je ne sentais même plus le froid sur mes joues tellement une sorte de peur me tordait l'estomac. Taehyung revint subitement vers moi, son index pointé dans ma direction et le regard extrêmement menaçant.

— Le mal que je t'ai fait ? Répéta-t-il entre ses dents serrées. J'ai dû supporter ta dépression et ta négativité pendant des mois ! J'en ai clairement eu ma claque, oui, je l'avoue !

Une fureur brutale me traversa les veines, et ma paume alla frapper sa joue d'une telle force qu'il fut contraint de faire à nouveau quelques pas en arrière.

— Alors si tu penses ça de moi, tu devrais être content que je parte en mission.


☦︎


Furieux, j'entrai dans ma tente et jetai mes bottes à l'entrée. Qu'est-ce qu'il lui avait pris de venir me parler de cette manière-là ? Il avait perdu la tête ou quoi ? Je n'avais absolument pas compris ce qu'il venait de se passer, ni même de la conversation. Tout ce que je savais pour le moment était que mon uniforme était plein de boue et que j'allais devoir me coltiner la lessive pendant mon jour de repos. Au fond de la tente, je vis Hoseok, en tenue d'Adam en train de se laver avec la bassine à notre disposition. Intrigué par ma soudaine arrivée, il m'accorda un regard curieux que j'ignorai en me déshabillant. Moi qui passais une bonne soirée, la voilà complètement gâchée à cause d'un salopard qui ne sait pas ce qu'il veut, passe de la nostalgie à la victime en un claquement de doigt. Cela faisait quasi dix ans que notre histoire était terminée, pourquoi fallait-il qu'il vienne jouer le gamin alors que la situation actuelle était beaucoup plus importante qu'une amourette ?

Mon cœur se serra, et je m'allongeai dans mes draps, en boule. Une amourette... Comment était-ce possible de qualifier une relation de sept ans, d'amourette ? Je lâchai un long soupir, le doigt à gratter la toile de tente.

— Hé ho !

Brutalement, je sursautai et me redressai vers Hoseok, qui me fixait d'un drôle d'air. Il était déjà habillé en tenue de nuit, en train de s'allonger à son tour dans son lit, parallèle au mien. Lentement, je me recouchai et me tournai dans sa direction, lui donnant mon attention.

— Ca faisait bien cinq minutes que j'essayais de t'appeler, dit-il en éteignant la lampe à gaze principale.

D'une voix basse, je m'excusai. Seule ma lampe sur ma table de nuit éclairait la petite pièce. Brute et Nigaud étaient de garde cette nuit et ne revenaient pas avant quelques heures. La fatigue m'assommait petit à petit, surement le stress qui retombait et le fait que demain j'étais enfin de repos. J'avais l'impression que cela faisait une éternité que j'étais dans ce camp alors que cela ne faisait seulement deux semaines. Allongé sur le côté, Hoseok me regardait dans les yeux, l'air de vouloir demander quelque chose.

— Pose ta question, tu me stresses à me fixer comme ça, soupirai-je à moitié endormi.

Sans surprise, il eut un sourire accompagné d'un ricanement. J'avais certes fait des études de commerce, je savais quand même parfaitement lire sur le visage de quelqu'un.

— Tu connais le Colonel Kim ?

Lentement je fermai les yeux. Est-ce que j'avais vraiment le droit de raconter cette histoire ? Est-ce que ça n'allait pas lui prêter préjudice ?

— Qu'est-ce qui te fait croire que je le connais ?

Je n'avais jamais été du genre à être rancunier. Après avoir enduré deux deuils à la suite, la dépression m'avait tellement fait du mal que je n'avais même pas eu le temps de penser à une quelconque vengeance.

— Je vous ai vu parler ensemble à la sortie de la tente. Pas tellement discret la manière dont tu l'as mis au sol.

A ses paroles, je pouffai. Je pensais que nous étions bien cachés vu la pénombre qu'il y avait, il fallait croire que non. Pourtant, je ne me souvenais pas qu'Hoseok m'avait suivi d'aussi proche quand j'ai quitté la cantine. Je rouvris les paupières, le regard posé sur mon camarade de chambre qui avait l'air d'attendre que je lui conte son histoire du soir. Qu'est-ce que je perdais d'en parler ? Est-ce que ça allait être mal vu que le Colonel de l'une des plus grandes bases avait eu une relation avec un autre homme ? Ma tête était pleine de pensées les unes emmêlées dans les autres. Peut-être qu'après tout, je pouvais faire confiance à Hoseok sur ce point-là, comme lui-même m'avait avoué avoir une relation avec le Caporal Min. Et peut-être qu'après tout, cela pouvait me faire du bien d'en parler bien que mon deuil était terminé depuis longtemps.

— On a été ensemble pendant sept ans, commençai-je en m'installant confortablement sous ma couette. De nos quatorze à nos vingt-et-un ans.

Mon ami écarquilla les yeux dans le silence, ce qui me décrocha un sourire. La rupture nous avait fait extrêmement mal à tous les deux. Après autant de temps à vivre ensemble, on se connaissait sur le bout des doigts, il n'y avait jamais eu de secret ni de réelle dispute entre nous. Et je ne doutais pas une seule seconde que cela aurait été toujours le cas si mon père n'était pas décédé d'un accident de voiture. Peut-être que la guerre nous aurait séparé à un moment ou à un autre, mais j'étais certain que nos cœurs auraient toujours été lié malgré la distance ou les évènements. D'un côté, peut-être était-ce mieux ainsi.

À la suite du soudain décès de mon père, Taehyung a toujours été aux petits soins. Ma mère avait sombré dans l'alcool, avait démissionné, s'était mise à vivre sur les aides de l'état avec des dettes énormes, et plus le temps passait, plus son attention envers moi diminuait. Jusqu'à ne plus apprécier ma présence car selon elle, je lui rappelais beaucoup trop mon père. Elle qui avait toujours été extrêmement douce et attentionnée, le choc avait été tel que j'ai sombré à mon tour dans une profonde dépression. La perte de mon père avait entrainé celle de ma mère, jusqu'à celle de Taehyung, quelques mois plus tard. Ce jour où la plus grosse crise de colère avait éclaté entre nous. Ma situation psychologique était tellement grave que cela l'atteignait lui-aussi, et qu'il avait décidé de me quitter pour sa propre sécurité. Je n'ai jamais compris pourquoi, même encore aujourd'hui.

Je pouvais concevoir que vivre avec une personne en dépression pouvait être extrêmement compliqué, mais l'amour n'était-il pas la raison pour laquelle certains couples tenaient encore malgré cette maladie ? J'ai longtemps pensé qu'il pouvait y avoir une autre raison, et cela ne m'avait pas aidé à remonter la pente. Nos études venaient de se terminer, tous nos plans pour le futur tombaient à l'eau. Le claquement de porte final resonnait encore dans mon esprit, la dernière fois que je le vis jusqu'à aujourd'hui, dix ans plus tard dans des circonstances que même Dieu n'aurait jamais voulues.

— Qu'est-ce qu'il faisait comme études ?

Dans l'informatique. Même si cela n'a jamais été sa tasse de thé. Il avait pour projet de finir ses études avant de se lancer dans l'armée pendant quelques temps. Son père y était avant qu'il ne tombe au combat quand il était bébé, donc il a toujours voulu y aller afin de savoir dans quel monde son père avait vécu. Une sorte de rapprochement pour tenter de le connaitre. Je suppose qu'il a réussi maintenant qu'il est colonel.

Hoseok acquiesça, une mine triste au visage. Je ne demandais pas de la pitié ni quoique ce soit. Honnêtement, ça me faisait du bien d'en parler. Surtout de me prouver qu'après tout ce temps, cela ne faisait plus aucun mal. Le manque était tout de même présent, et le revoir dans des circonstances pareilles me remémorait énormément de souvenirs. Bien que cela ne pardonne pas sa réaction et son comportement de tout à l'heure.

Quelle heure était-il ? Peut-être dans les environs des deux heures du matin. Le campement devenait de plus en plus calme, certains rires brisaient le silence au loin, des pas rythmés qui ressemblaient à ceux de la garde. De dessous son lit, Hoseok tira une boite et en sorti un petit panier de lavande. Je le reconnus directement, c'était celui qu'il mettait quasi tous les jours à sa ceinture d'uniforme. Du pouce, il caressait les fleurs sèches, la paille du panier.

— J'ai eu un amoureux ici aussi... Un sourire nostalgique marqua ses lèvres. Enfin, amoureux est un bien grand mot. On baisait et on était tout le temps fourré ensemble. En tout cas, je sais que je l'aimais. Il est décédé au printemps dernier pendant une mission juste après m'avoir donné ça.

Malgré la pénombre, je discernai une perle brillante sur le coin de son œil. Celle-ci glissa le long de sa tempe pour venir disparaitre dans ses cheveux.

— Même si j'ai vu un bon nombre de camarades mourir, il est le seul qui m'a réellement affecté. En cinq ans, je pensais être immunisé contre la douleur de perdre quelqu'un, et j'ai finalement réalisé que non. On ne nous apprend pas ça en étude de médecine... J'ai perdu mon ancienne copine, lui, ça fait beaucoup pour un simple cœur.

Son poignet vint frotter ses yeux et il soupira longuement, le regard toujours posé sur le seul souvenir qu'il avait de son amant. Je n'aurais pas cru qu'il détenait une facette aussi fragile malgré sa personnalité extravagante. En deux semaines, je l'avais plusieurs fois vu en train de fixer mon lit d'un air complètement perdu, comme plongé dans de lointains souvenirs. Ma place devait très certainement être l'ancienne de son amoureux. Cette pensée me fendit le cœur et je me sentis soudainement mal de m'allonger sur ce matelas depuis deux semaines sans avoir aucune connaissance de la personne passée. Quel drôle de rêve.


☦︎


C'était comme dans les films. Les bombardements, les cris, les ordres, la peur. Devoir se lever des tranchées et tirer lorsque les capitaines hurlaient de chaque groupe. Recharger, tirer, recharger, éliminer un infiltré. Le soleil se cachait derrière les nuages, trop effrayé de voir tout ce sang et ces morts le rejoindre. Par moment, j'entendais la voix du Colonel Kim, qui était présent sur le champ quasi tous les jours depuis cinq ans. C'était à se demander comment il faisait pour ne pas être touché après toutes ces heures au front. Soudain, une alarme fendit l'air et nous eûmes l'ordre de nous baisser afin de nous protéger de la bombe qui arrivait quelque part dans notre zone. Des explosions partout, la terre jaillissante, nous enterrant mort ou vivant.

Machinalement, je regardai autour de moi afin de voir s'il y avait des blessés et je vis, au loin, Annalys plié sur lui-même au sol. Le casque de travers, le visage en sang, les autres soldats courraient en lui sautant par-dessus, sans se soucier de leur camarade. L'une de ses mains tenait sa cuisse, et mon cœur fit un bon en me rendant compte qu'il était en danger. Je devais l'aider, il était encore trop jeune pour quitter ce monde. Mais alors que je m'apprêtai à me lever, un poids força sur mon épaule, ce qui m'obligea à rester couvert.

— Je m'en occupe.

Puis une silhouette familière apparue, se dirigeant à vive allure vers mon ami. Taehyung était là, baissé à ses côtés pour l'aider à se relever et le faire évacuer. La terre trembla à nouveau suivi d'un bruit assourdissant, créant des cris de terreurs tout autour de nous. Les images à la télévision ne montraient pas tout, la réalité était bien plus horrible, comme hors du temps, l'impression d'être dans une scène de film. Où était l'équipe de production ? Quand est-ce que la scène s'arrêtait ? Puis l'ordre de tirer retenti, et tout ce que je vis au loin, fut des soldats, effrayés, se ruer vers nous. Bam.

Avez-vous peur de mourir ? C'est une question que je me suis souvent posée quand la dépression m'avait accueillie dans ses bras. Une étreinte empoisonnée, qui ne te laissait pas le temps de respirer. A quoi bon continué quand tu n'as plus de but dans la vie ? Que tout le monde t'a laissé tomber sans la moindre pitié ? Cet instant où je me suis senti tomber, sans aucun contrôle de mon corps. Un long champ, parsemé de trou et de pièges.








« Je m'en occupe ! »


















« Non, laisse-moi faire... »


















« Moi, c'est Taehyung. Et toi ? »






Et moi ?

Brutalement, une douleur au cœur me donna l'impression de tomber et j'ouvris les yeux, la respiration coupée. Le sang pulsait à un rythme effréné dans mes oreilles, un nid d'abeilles énervé. L'entièreté de mon corps tirait sur les nerfs, me provoquant un inconfort qui me fit gémir de mal-être. Qu'est-ce qu'il se passait ? Où étais-je ? Au fur et à mesure que les abeilles se calmaient, des voix calmes résonnaient autour de moi. Il me fallu quelques temps pour reconnaitre le plafond en bois de l'hôpital. Qu'est-ce que je faisais ici ? Où était tous les autres de mon groupe ? En voulant bouger, une vive douleur au niveau de l'épaule me paralysa et je stoppai tout mouvement. J'avais été blessé. Blessé comment ? Soudain, l'image d'Annalys gisant sur le sol refit surface et mon cœur battu de plus belle. Où était-il ?


— Calmez-vous, tout va bien.


Une infirmière venait d'apparaître dans mon champ de vision. Elle était floue, son visage difforme, et il fallut quelques papillonnements de paupière pour qu'elle devint à peu près net. Assez pour que je la reconnaisse, j'avais travaillé avec elle il y a quelques jours. Avec délicatesse, elle vint poser un torchon froid sur mon front. Pourquoi ? Mon corps était gelé, je sentais ma peau trembler sans que je ne puisse faire un seul mouvement. L'infirmière se tourna, l'air inquiète, et prononça des mots inaudibles. J'avais sommeil. Peu à peu, la vue se floua à nouveau, jusqu'à devenir complètement noire.












« Il a beaucoup trop de fièvre... »











« Je prends le relais. »



















« Un, deux, on charge... »
















Un rire retentit. Une lumière. Le même plafond. Mes paupières étaient aussi lourdes qu'une porte de prison, le sommeil à la limite de m'emporter à nouveau. Soudain, un visage familier apparut devant moi, marqué d'un grand sourire.

— Dis donc toi, tu as essayé de nous quitter ?

Hoseok.


— Ne le brusque pas.


Qu'est-ce qu'il racontait ? Je ne comprenais rien. Ma tête était dans un tel état que je n'arrivais pas à réfléchir correctement. Quel jour étions-nous ? A nouveau, je voulus me redresser malgré la même douleur à l'épaule. Mon ami se précipita pour m'aider, m'ordonnant de faire très attention tout en relevant le dossier du lit sur lequel j'étais installé.

— Ca va ? Comment tu te sens ?

Etourdi, perdu. Devant moi, d'autres lits étaient occupés, et je tournai la tête lentement pour tenter de voir si Annalys était quelque part dans les parages. Mais ma vue était si floue et distordue que je n'arrivais même pas à distinguer la personne assise à côté de mon lit, autre qu'Hoseok. La main de ce dernier vint se poser sur mon front quelques secondes.

— La fièvre a baissé. Est-ce que tu as froid ?

Je secouai lentement la tête de droite à gauche.

— Est-ce que tu as chaud ?

J'acquiesçai. Un sourire rassuré marqua à nouveau son visage.

— Ne bouge pas trop brusquement, me conseilla-t-il en se lavant les mains dans une bassine à mes côtés. Tu as eu un morceau de mine qui a perforé ton épaule et le choc de l'explosion t'a assommé sur le coup.

Quoi ? J'avais marché sur une mine ? Et mes jambes ? Est-ce qu'elles avaient éclatées en même temps ?

— C'est un soldat ennemi qui a marché dessus.

Mon cœur manqua un battement et mon regard se tourna vers la personne assise vers mon lit, au niveau de ma main. Une pince et un coton entre ses doigts, il tapotait délicatement les nombreuses blessures encore fraiches. Taehyung. Le visage calme, sans possibilité de décrire une expression particulière. Au bout du lit, se tenait le Caporal Min, debout, droit, le dos tourné. Qu'est-ce qu'ils faisaient là ?

En douceur, Taehyung replaça mon vêtement sur ma jambe gauche et analysa celle de droite, qui me lança soudainement un coup de jus à travers le corps. Voyant mon malaise, il se pencha plus en détails sur les nombreuses blessures qui me firent tourner de l'œil. Un grognement de sa part et un frisson me parcourut l'échine.

— Hoseok, passe moi du fil et une aiguille. Une plaie s'est rouverte.

— De suite.

A peine eus-je le temps de m'inquiéter de la douleur qu'ils étaient déjà en train de recoudre ma jambe. Etrangement, je ne sentais rien du tout. Ca piquait à certains moments mais c'était comme une opération des dents de sagesses. Comment c'était possible qu'ils m'aient anesthésié aussi rapidement ? D'un soupir, je cessai de chercher le pourquoi du comment et je jetai un œil aux deux hommes en train de me charcuter. Les mouvements précis, les coups d'aiguilles, les nœuds, tout était extrêmement minutieux. Depuis quand savait-il faire cela ? A l'époque, il savait à peine mettre un pansement en plein milieu d'une petite blessure. Le temps changeait bien les choses, cela en était même effrayant. Par moment, Hoseok m'échangeait un regard, suivi d'un sourire réconfortant.

Du coin de l'œil, je vis quelqu'un arriver vers nous. C'était un soldat assigné au poste de médecin, qui s'arrêta devant le Caporal Min et demanda quelque chose que je ne sus entendre. Ce dernier se retourna vers nous et interpella Hoseok, annonçant qu'il était demandé vers un autre patient en urgence. Un coup de torchon sur les mains et ils partirent d'un pas rapide sans se retourner. Le Caporal Min se redressa normalement, dos à nous, droit comme un piquet, les mains jointes à l'arrière. Puis plus un bruit, le silence d'une tombe où je me sentais mourir de gêne. Pourquoi fallait-il que ce soit lui qui s'occupe de me recoudre ? En trois jours passés à l'hôpital, je ne l'avais pas croisé une seule fois et je savais parfaitement qu'il y avait assez de personnel pour que lui aille faire son devoir autre part. Ce n'était donc pas logique qu'il soit là, alors pour-

— Arrête de te torturer l'esprit.

D'un sursaut, je me tournai machinalement vers lui, qui s'était rapproché au niveau de ma tête. Concentré sur ma blessure à l'épaule pour vérification, je ne pus m'empêcher de l'observer. Regarder à quel point dix ans affectait l'apparence de quelqu'un. Des cicatrices, des semblants de rides. Par de lents tapotements, il désinfecta avec une lingette et refit le bandage. Je me mordis les lèvres. Est-ce que j'avais le droit de poser des questions ? Cela n'allait-il pas paraître étrange ? Je n'en étais pas certain, après la conversation extrêmement douteuse que nous avions eue récemment. Combien de temps cela faisait-il ? J'avais l'impression que cela faisait des années. Mon regard se baissa sur les médailles qu'il portait à son uniforme. Je ne connaissais pas leur signification, mais il était certain que je n'avais pas du tout envie de m'en faire un ennemi, qu'il soit mon ex ou non.

— Où as-tu appris à faire ça ? Murmurai-je d'une voix cassée.

Ses pupilles noires rencontrèrent les miennes pendant quelques secondes avant de redescendre vers le bandage qu'il venait de terminer. Sa langue semblait tourner dans sa bouche, comme s'il cherchait les bons mots et la bonne tournure de phrase. Dans l'allée, plusieurs personnes passèrent, nous déformant du regard. Les lits étaient silencieux, la plupart des blessés dormaient. Les réactions du personnel me confirmaient que la présence du Colonel Kim n'était pas habituelle. Un raclement de gorge me sorti de mes pensées inarrêtables et je le regardai, attendant ma réponse. Il replaça correctement la couverture jusqu'à mon menton.

— C'est ma femme qui m'a appris.

Boom.

Bien sûr. Qu'est-ce qu'il me prenait ? Ce n'était pas si étonnant que ça. Nous avions l'âge de nous marier, dix ans s'étaient écoulés depuis notre dernier rencontre, bien sûr que le monde ne s'était pas arrêté à ce moment-là. Les oiseaux continuaient de voler, le pain sortait du four comme tous les matins, les rires et les pleures résonnaient toujours dans les airs. Alors pourquoi je ressentais un phénomène étrange au plus profond de moi-même ? Une immense tristesse, mais qui n'émanait pas de mon cœur. Quel drôle de rêve.


☦︎


On nous l'avait dit. Je le savais. Dès notre rencontre dans le bus. Ne te rapproche de personne, tu en pairas le prix. Pourquoi cela me faisait si mal ? Il ne s'était pas passé un mois depuis notre première interaction, je n'avais aucune raison d'être dans cet état. N'était-ce pas trop prématuré ? Dans ce cas, pourquoi les larmes ruisselaient sans cesse sur mes joues au fur et à mesure que je lisais son nom sur son urne. Ce poignard qui déchire la poitrine, empoisonnée par les regrets et l'écho des histoires que je n'avais pas eu le temps de conter. Lui qui était pourtant si bavard se retrouvait désormais réduit au silence pour l'éternité.



☦︎


Une semaine était passée depuis la mort d'Annalys. Sept longs jours où je m'ennuyais continuellement là, allongé dans mon lit, avec une restriction de bouger. La plupart du temps, je dormais, je rêvais. Un endroit agréable. Taehyung n'était pas réapparu depuis le premier jour où il s'était occupé de mes soins. Cela m'empêchait de lui poser des questions sur sa femme, mais à chaque fois que cela me venait à l'esprit, j'effaçais tout aussi vite que possible. Cette curiosité morbide n'était absolument pas saine, d'autant plus en plein deuil.

La famille d'Annalys avait surement appris la nouvelle depuis le temps. Comment réagirait ma mère en apprenant ma mort ? Se retrouver seule pour le restant de sa vie, son mari et son fils tout deux décédés. Combien de familles étaient passées par-là depuis le début de la guerre ? Des larmes coulèrent le long de mes tempes, pour l'énième fois de la journée. Je me sentais tellement faible et pathétique de donner mon eau à quelqu'un que j'eus connus seulement trois semaines. La seule image d'Hoseok ayant cette peine multipliée par mille brisait mon cœur plus qu'il ne l'était déjà. Se séparer d'une personne ne sera jamais aussi douloureux que de savoir celle-ci partie pour l'éternité, sans possibilité de la revoir.

Soudain, deux personnes entrèrent dans la tente, me faisant sortir de mes pensées d'un sursaut. Sursaut qui ne servit à rien, c'était seulement Brute et Nigaud. Aucun bonsoir, aucun regard, et ce des deux côtés. Les fois où nous avions discuté se comptait sur les doigts de la main. L'envie n'était pas spécialement présente quand deux personnes restent toujours ensemble sans même se soucier des autres. Il n'y avait qu'avec Hoseok qu'ils s'entendaient bien. D'ailleurs, celui-ci entra à son tour, un plateau repas dans les mains. Ce n'était pas souvent que nous étions tous les quatre, c'en était même étrange.

Avec l'aide de mon ami, j'arrivai à m'assoir, le dos contre la structure du lit. Comme je ne pouvais pas me rendre à la cantine, Hoseok m'amenait tous les jours le repas et restait avec moi le temps que je termine. C'est lui qui m'avait avoué la cause de décès d'Annalys. Suite à l'explosion dans les tranchés, il avait été gravement blessé à la jambe, ce qui lui a causé une hémorragie externe conséquente. Malheureusement, le choc avait été tel que le cœur n'a pas suivi, et il a finit par faire un arrêt cardiaque. La réanimation n'avait pas fonctionné, l'âme avait déjà quitté le corps, trop effrayé de revivre ces horreurs. Il est décédé peu de temps après que je me fasse toucher à l'épaule, et la dernière image que j'avais de lui n'était pas sa joie de vivre, mais la terreur qui déchirait son visage.

— Comment tu te sens ? Demanda-t-il en posant le plateau sur mes genoux.

Je haussai légèrement les épaules. Ca va. Ca pouvait mieux aller si les cauchemars me foutaient la paix et que j'oublie tout ce qu'il avait bien pu se passer durant cette dernière semaine. Hoseok eut un léger sourire qui se voulait réconfortant. Je savais bien qu'être médecin était son travail, mais je me sentais mal de le faire bosser après ses heures de services. L'odeur des ramens me parvint au nez et l'appétit s'ouvrit. Ca faisait un moment que je n'en avais pas manger. Après quelques minutes où personne ne parlait, Brute et Nigaud finirent par partir de la tente, comme s'ils s'étaient donné le mot par télépathie. Je ne savais pas quelles étaient leurs horaires pour cette nuit, et honnêtement, je n'en avais que faire. Pas de bonne nuit ni d'au revoir, je vis Hoseok soupirer d'agacement du coin de l'œil. Je n'étais donc pas le seul à penser ça. D'un côté, ça me rassurait.

Pensif au même sujet depuis une semaine, j'hésitai. Est-ce que j'avais le droit de demander ça ? J'avais l'impression de m'incruster dans une vie privée qui ne me concernait plus depuis des années. Quand bien même, étais-ce logique de se poser ce genre de questions après avoir vécu une partie de sa vie avec une personne ?

— Est-ce que tu connais la femme de Taehyung ? Demandai-je d'une voix basse, comme si le concerné pouvait m'entendre à tout moment.

Au début, Hoseok eut une mine surprise.

— Wow, il t'en a parlé ?

Donc il la connaissait. D'un côté, cela me rassurait. En y réfléchissant bien, je n'avais pas vu de femme proche de lui depuis que j'étais arrivé. Ou en tout cas, rien qui ne puisse faire penser qu'ils auraient pu être ensemble. Est-ce qu'elle avait déménagé au sud pour être à l'abri ?

— Je lui avais demandé où est-ce qu'il avait appris l'art de la médecine, et il a répondu que c'était grâce à sa femme.

Compréhensif, Hoseok haussa la tête et s'assit au fond de son lit, contre les barreaux. En réalité, ce n'était pas réellement sa femme, fit-il, l'air nostalgique. Elle s'appelait Yun, une femme très belle et très intelligente. Je ne sais pas depuis combien de temps ils étaient ensemble, mais elle a travaillé à l'hôpital de ce camp. Le monde étant très petit, il s'avérait que c'était mon maître d'étude à l'université. Ses connaissances sur le corps humain étaient incroyablement aiguisées, alors il a été tout naturel qu'elle a voulu aider lorsque la guerre a éclaté.

Je plissai les yeux, quelque chose n'allait pas.

Malheureusement, il y a trois ans, le camp a été attaqué. Plusieurs bombes sont tombées principalement sur l'hôpital, ce qui a causé de nombreux décès parmi le personnel et les patients. Yun n'a pas été épargnée dans le massacre, je l'ai été par miracle. Si le Colonel Kim parle d'elle comme étant sa femme, c'est parce qu'ils prévoyaient de se marier après la guerre.

Peut-être que finalement, le secret aurait été plus sain pour mon cœur en deuil.



☦︎


Il continuait de neiger, les semelles creusaient de plus en plus dans les chemins de boue, plusieurs frères perdaient la vie à cause de maladies liées au froid. De nouvelles recrues arrivaient, d'autres partaient rejoindre leurs familles sans pouvoir les revoir. Quel mois étions-nous ? Il n'y avait pas de décompte. Le seul se trouvait au-dessus de chaque tête qui passait devant moi, une épée de Damoclès qui les suivait au moindre pas, n'attendant que le signal pour tomber. Assis sur le banc où j'avais l'habitude d'être avec Annalys, j'observai, l'esprit perdu. Le froid rongeait ma peau, mon bras se remettait peu à peu de la blessure. Les seuls métiers que je pouvais faire étaient à l'hôpital, à la cuisine, à la garde. Je n'étais donc plus avec mes anciens camarades, ce qui d'un côté, n'était pas plus mal.

Le ciel était gris, sans relief. Un gris terne, annonçant la fin de la journée. Les gardes commençaient à allumer les lampes à huile autour des chemins et des bâtiments. Mon service était terminé depuis un long moment, combien de temps cela faisait-il que je me contentais de regarder le film interminable sous mes yeux ? Qu'est-ce que pouvais faire ma mère en ce moment ? Sûrement scotchée devant la télévision.

— Tu devrais aller dîner.

D'un sursaut, mon regard partit sur la gauche et rencontrai celui du Colonel Kim. Mon cœur loupa un léger battement dû à la surprise et je rebaissai les yeux au sol. Qu'est-ce qu'il faisait là ? Cela faisait un long moment que nous ne nous étions pas parlé, peut-être depuis ma blessure. Combien de temps cela faisait-il ? Trois semaines, un mois ? Les rumeurs disaient qu'il était parti dans un autre camp pour apporter des provisions et des soins suite à une attaque de l'ennemi. Depuis qu'Hoseok m'avait raconté l'histoire de sa fiancée, mon cœur se remplissait de peine, goutte par goutte, grain par grain. Ce cœur meurtri par la perte d'un camarade.


— Je n'ai pas spécialement faim, répondis-je simplement.


Du coin de l'œil, je le vis s'assoir à mes côtés. Gêné, je tournai la tête et continuai d'observer les soldats passer, discuter, travailler, manger. Au loin, Hoseok sortait de l'hôpital accompagné de quelques infirmiers et infirmières. Son petit panier de lavande était accroché à la ceinture, ce qui me décrocha un léger sourire. Est-ce que j'avais quelque chose qui me restait d'Annalys à part des images floues et un son de voix qui se dissipait au fur et à mesure des jours ? Rien de permanent, seulement temporaire.

Soudain, une main se posa délicatement sur mon épaule, et me tira de son côté. La tempe sur son épaule, la sienne sur le haut de mon crâne, je sentis mon corps chauffer drastiquement et une vague de tristesse m'enveloppa. C'était l'exact même mouvement que lorsque nous étions ensemble et qu'il voulait me réconforter après quelque chose de bouleversant. Sa main descendit sur mon bras, qu'il frotta délicatement. Ne t'en fais pas, tout va bien. Même si je ne trouvais cela pas très approprié, l'émotion était tellement sensible que je n'avais pas le courage de me retirer de son étreinte. C'est donc en silence que les larmes se remirent à couler, creusant les mêmes rivières sur ma peau depuis des jours.

Cela faisait longtemps que je n'avais pas autant pleurer en aussi peu de temps, peut-être depuis notre rupture. Mais à présent, c'était comme si tout ce qu'avait renfermé mon cœur durant toutes ces dernières années venaient se libérer. Le sentiment d'abandon de ma mère en était la principale cause, en plus de la mort d'Annalys. Je ne pensais pas que le fait qu'elle ne m'ait pas attribué un seul regard avant que je parte pour l'armée m'avait autant blessé. Pourtant, cela faisait des années que c'était comme ça, de ne plus jamais avoir eu une seule preuve d'affection. Et c'était dur. C'était tellement dur à supporter.

La main de Taehyung continuait lentement à frotter mon bras, sa tête posée sur la mienne n'avait pas bougée pendant que je me noyais dans mes larmes. Les autres devaient sans doute nous regarder de travers, surtout deux hommes et qui plus est, avec leur Colonel. Mais il avait toujours été comme ça, à ne pas se soucier des avis des autres lorsqu'il faisait une bonne action. Et puis, maintenant un poste très haut placé, il n'y avait nul doute que très peu de monde allait lui dire quoique ce soit.

— Jungkook.

Subitement, les larmes stoppèrent à l'entente de mon prénom et je me séchai le nez et les yeux de ma manche.

— Tu prendras le prochain camion d'échange, murmurait-il dans la brise froide. Tes compétences seront plus utiles dans un camp d'arrière.

Le camion d'échange était le même que celui qui m'avait amené ici. En repartant, il ramenait certains soldats trop blessés ou « inutiles » au camp, vers d'autres sur les fronts arrière qui avaient besoin de plus de main d'œuvre. A ses propos, je ne répondis rien pendant quelques temps, histoire que l'information soit bien digérée et comprise. C'était sans doute à cause de ma blessure à l'épaule qui me limitait énormément. Et ici, le temps était quelque chose d'extrêmement précieux qu'il ne fallait pas gâcher.

— Je vois, fis-je simplement en me frottant à nouveau les yeux.

Soudain, sa main se retira de mon bras, et revint vers son autre, croisées entre ses jambes légèrement écartées. Dans le mouvement, je me redressai, quittant son épaule.

— J'aurais aimé te renvoyer chez toi, mais je n'ai pas pu.

Contre toute attente, j'eus un léger sourire. Il s'inquiétait. Nous avions beau nous être séparé depuis des années, nous avions tout de même passés une grosse partie de notre vie ensemble. Ce n'était pas difficile pour moi de lire ses pensées rien qu'avec le ton de sa voix.

— Ce n'est pas grave, je préfère être ici de toute manière.

Du coin de l'œil, je l'observerai. Son regard semblait perdu dans la lune, le coin de ses lèvres tremblait légèrement, ses cheveux tombaient sur ses sourcils. Le ciel devenait de plus en plus sombre, ne laissant place plus qu'aux étoiles et au premier quartier de lune. Un rire familier me fit sortir de mes pensées et je tournai les yeux droit devant nous, où Hoseok semblait s'amuser avec les mêmes soignants que plus tôt. Ce fut à ce moment-là que je me rendis compte de ce qu'il allait se passer dans peu de temps. Je n'allais sans doute plus jamais le revoir. Quelle heure était-il ? Les bus arrivaient toujours avant l'aube. Cela voulait dire qu'il me restait quelques heures pour faire mes affaires Je ne me souvenais plus à quelle heure il arrêtait de travailler, est-ce que j'aurai le temps de lui dire au revoir ? La fatigue m'assommait de plus en plus à cause des pleurs récents et du manque de nutrition.

De retour dans ma tente, le moral au plus bas, je remarquai une boite sur mon lit avec mon nom d'inscrit. Intrigué, je l'ouvris, et y trouvai mon téléphone et d'autres affaires que j'avais laissé à la caserne avant d'être transporté ici. J'avais complètement oublié le fait que j'avais un portable, cela ne m'avait absolument pas manqué. Comme prévu, il n'avait plus de batterie. A quoi bon tenter de l'allumer de toute manière, je savais très bien qu'aucun message ne m'attendait. D'autres bricoles s'y trouvaient, comme mes boucles d'oreilles que je pris dans mes mains. De deux doigts, je tâtai mes trous aux lobs, qui, sans surprise, s'étaient rebouchés. En deux mois, cela allait vite. Agacé, je remballai tout dans la boîte et m'allongeai sur mon lit. Quelle heure était-il ? Surement pas loin de minuit, peut-être que dormir un peu ne pouvait pas faire de mal.

Malheureusement, je fus incapable de fermer l'œil. Sur le lit au-dessus du mien, Brute ronflait tellement fort qu'il pouvait presque aspirer mon âme en même temps. Hoseok n'était pas rentré, je n'allais sûrement pas le voir avant de partir s'il ne se décidait pas de venir dormir. Nul doute qu'il ne devait pas être au courant de ce changement soudain. Taehyung m'avait dit qu'un soldat allait venir me chercher au moment où le camion arrivait, mais ce qui me préoccupait le plus en ce moment, était de le laisser ici, à frôler la mort chaque jour.

Je savais pertinemment que c'était bête de ma part de penser de la sorte. Mais il n'y avait pas que lui, il y avait tous les autres. Ce sentiment de les abandonner en me rendant dans un endroit plus sûr. Je n'aimais pas cette sensation, c'était extrêmement désagréable et me faisait regretter le fait de ne pas m'être opposé à ce transfert. Durant ces cinq dernières années de guerre, je m'étais souvent posée la question de comment allait Taehyung. Mais maintenant que je le savais, je ne pouvais pas m'empêcher de m'inquiéter sur son futur. Qu'est-ce qu'il pouvait bien se tramer dans sa tête ? Comment voyait-il la situation ? Est-ce que la paix reviendrait un jour ? Il y avait tellement de perte humaine que le pays mettrait des années pour s'en remettre, ainsi que pour l'économie.

Soudain, une main se posa sur mon épaule et je me retournai en sursaut, le cœur battant. Dans la pénombre, j'aperçus un soldat, penché vers mon lit avec un léger sourire. Me rendant compte que c'était la fameuse personne qui devait venir me chercher, je m'assis et commençai à m'habiller. La fatigue pesait lourd sur mes épaules et mes yeux se fermaient seuls. Avais-je dormi ? D'un coup d'œil, je checkai si Hoseok était revenu. Le lit vide, toujours plié. Brute ronflait toujours autant, Nigaud ne faisait pas un bruit. Le soldat se tenait à l'entrée, une lampe à huile dans la main qui n'éclairait qu'une partie de son corps. Il la tenait en avant, afin que je vois quelque chose en me préparant.

Ce ne fut qu'en me levant du lit que j'entendis la pluie, les gouttes tomber sur la toile de tente qui créait une mélodie que j'avais toujours apprécié. Mais pour le moment, ce n'était pas la même sensation. Cela me gavait de me dire que j'allais encore être trempé jusqu'aux os et avoir froid jusqu'à ce que je me change dans le prochain camp. D'un léger soupire, je sortis mon sac de sous mon lit et fourrai toutes mes affaires à l'arrache. Etrangement, je me sentais extrêmement nerveux. Mon cœur battait trop rapidement pour que ce soit normal et une douleur interne parcourait les moindres recoins de mon corps. Malgré cela, je ne laissai rien transparaitre et sortis de la tente, suivi du militaire de garde. La pluie était glaciale, les chemins tellement boueux que rien ne restait collé sous les bottes. Il n'y avait quasiment personne dehors. La cantine était toujours allumée, la pluie couvrait le moindre bruit qui pouvait s'en échapper.

Les lampes éclairaient les chemins vides, petites flammes en pleine nuit sombre et angoissante. Nous marchâmes une dizaine de minutes avant de se retrouver à l'entrée du camp, où une dizaine de gardes ne bougeaient pas d'un pouce. Ce poste n'allait pas me manquer. Surtout pas en ces temps pluvieux. Nous rejoignîmes un groupe de cinq personnes que je ne connaissais pas qui parlaient avec le Colonel Kim. Sa casquette de colonel sur la tête, il affichait un léger sourire aux hommes devant lui. J'en déduis facilement qu'ils partaient en même temps que moi, ce qui me rassura un minimum. Plus loin, à travers la pluie, j'entendis une voix familière. Le Capitaine Kim parlait avec les nouvelles arrivées. Le camion était un peu plus loin, phares éteints pour ne pas susciter l'intérêt de l'ennemi. Arrivé à la hauteur du colonel, il se tourna vers moi, mais ne dis pas un mot. Son regard ne bougea pas du mien, mon cœur battait toujours anormalement vite, jusqu'à ce qu'il prenne une grande inspiration.

— Prenez soin de vous Soldat Jeon, en espérant vous revoir pour fêter notre victoire.

Il me tendit sa main, que je serrai d'une bonne poigne.

— Nous nous reverrons, Colonel Kim.

Un sourire naquit sur nos lèvres en simultané. Malgré cela, mettre fin à notre poignée de main fut extrêmement compliquée. Je ne voulais pas la lâcher, je voulais écouter ses histoires et lui dire à quel point il me manquait.

Quand tout à coup, un bras passa autour de ma nuque, me faisant quitter sa main sans le mouvement.

— Dis donc, tu allais partir sans dire au revoir ?

Je tournai vivement la tête vers la personne collée à moi qui s'avéra être Hoseok, un sourire tremblant. Ses cheveux collaient à son front et ses yeux semblaient larmoyants. Difficile à dire à cause de la pluie qui effaçait toute trace.

— C'est toi... Tu travailles jusqu'à pas d'heure, répondis-je d'une voix légère.

Ne voulant pas admettre sa faute, il me donna simplement une tape dans les côtes qui mis fin à notre étreinte.

— Prends soin de toi, et fais attention où tu mets les pieds.

Du pouce, il appuya sur ma plaie limite cicatrisée à l'épaule qui me décrocha un gémissement de douleur mêlé à un rire nerveux. Etait-ce de cette manière qu'il exprimait son affection ? En tapant là où ça faisait mal ?

Cela me faisait étrange d'avoir des adieux comme ceux-là. En deux mois, je ne pensais pas que c'était possible d'autant s'accrocher à quelqu'un malgré cette guerre incessante. Mon cœur brulait de tristesse et ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter.

— Bref, il ricana, ce n'est pas tout ça mais je devrais aller piquer un somme.

Avant qu'il ne se retourne, j'attrapai sa main et la serra des deux miennes.

— Merci Hoseok.

Un large sourire fendit son visage et je le regardai partir, les bottes trainantes dans la boue, ne devenant plus qu'une ombre à travers les chemins peu éclairés. En arrière-plan, à travers la pluie, j'entendais les autres du groupe commençant à se diriger vers le camion sous ordres du conducteur. Il était l'heure de partir.

Mais alors que je m'étais à peine retourné, les sirènes d'alarmes du camp résonnèrent subitement. Ni une ni deux, le Colonel Kim hurla des ordres quasi inaudibles à cause du bouquant. L'atmosphère venait de changer drastiquement, et ce ne fut rien à côté de la colonne de flamme qui venait de se hisser en plein milieu du camp. Le sol gronda, et un coup de vent trancha les gouttes d'eau. Une autre colonne apparue plus loin, suivi d'une nouvelle secousse. Puis une autre, et encore une autre. Des bombes. Le camp était attaqué. L'incendie commençait déjà à se propager sur les tentes et les bâtiments, des cris de terreurs fendaient la mélodie de la pluie et le chaos de la guerre.

Dans la panique, je cherchai Taehyung du regard, et le vis, au loin, illuminé par les flammes du camp, en train de courir dans leur direction. De l'entrée du camp, un missile au bruit assourdissant fut lancé, et explosa dans le ciel au moment du contact avec l'ennemi. Un feu d'artifice digne de ceux des enfers. Les flammes devenaient de plus en plus grandes, la pluie frappait mon visage, mes jambes s'élançaient d'elles-mêmes dans leur direction. Le ciel s'embrasait, illuminait le chemin comme le soleil, les hommes et les femmes hurlaient d'agoni et tentaient de s'échapper des décombres. Jusqu'à ce que là, à mes pieds, je vis un petit panier de lavande arroché à une ceinture, elle-même sur un pantalon militaire, mais dépourvu du haut. Deux jambes qui dépassaient d'un tronc d'arbre écroulé sur le sol en train de prendre feu.

Un haut le cœur, une nausée, et je ne pus m'empêcher de détourner le regard. Quel était ce cauchemar ? Comment était-ce possible de commettre de telles atrocités ? Pourquoi ? Soudain, quelqu'un me rentra dedans en tapant dans mon épaule blessée et je me retrouvai au sol, en plein dans la boue et à quelques mètres des flammes ardentes. Les soldats courraient dans tous les sens, tentant de sauver leur peau au péril de celle des autres. D'autres distribuaient des armes pour prendre part au combat malgré la situation. Où était l'ennemi ? Le ciel continuait d'éclater en mille morceaux accompagnés d'une explosion qui détruisait les tympans et la vue.

Difficilement, je me relevai et failli vomir une nouvelle fois en voyant le corps écrasé de mon ami à qui j'avais parlé à peine quelques minutes plus tôt. Il dormait. Peinant à mettre un pied devant l'autre, je partis en direction de là où j'avais vu Taehyung partir. Tout était en flamme. Les plus petites mourraient sous la pluie, les plus grosses s'alimentaient de l'huile des lampes qu'elles trouvaient sur leur chemin. La fumée faisait cracher les poumons, les cris résonnaient, les bombes éclataient au-dessus de nos têtes. L'épée de Damoclès ôtait la vie les unes après les autres. Qu'est-ce que je m'imaginais en me rendant à l'aveugle à travers les flammes ? Le sauver ? Il devait sûrement être occupé à donner des ordres dans tous les sens. Il devait sûrement être occupé à....

Il était là, assit au sol, la main tentant de résister à une lame qui s'enfonçait dans sa poitrine. Devant lui, un homme en tenue ennemie qui semblait tout autant amoché. Sous le coup de l'adrénaline, je ramassai un piquet de fer et transperça sa colonne vertébrale. Un cri d'horreur se mêla à ceux des nôtres et je regardai son corps tomber, la main tremblante et déréalisée. Le souffle rapide, mes yeux glissèrent sur celui de Taehyung, toujours assit contre un bâtiment en flammes, les mains le long du bassin, un poignard en pleine poitrine. C'était terminé. Je n'avais rien pu faire. Les yeux remplis de larmes, le corps exténué, je m'assis à ses côtés et pris sa main ensanglantée dans la mienne. Les pleurs des cieux la nettoyaient peu à peu, et sa tête tomba sur mon épaule. Et, à travers le chaos, trois mots me parvinrent.

— Je... suis désolé...

Il ne m'en fallu pas plus pour le prendre complètement dans mes bras et hurler à la mort, larmes déferlantes à la même allure que la pluie. Il n'y avait aucun mot pour décrire cette douleur. Celle qui t'arrache le cœur, te le tranche en des milliers de fragments, te fait souffrir jusqu'aux moindres recoins de ton corps. Cette douleur insurmontable qu'était la mort.





Peu à peu, les cris et les explosions s'étouffèrent, la chaleur laissait place au froid, la pluie semblait s'arrêter. Jusqu'au plus profond des silences. Un silence où l'on pouvait souffler, se dire, ça y'est, c'est terminé.



























Un silence dans lequel je pouvais ouvrir les yeux, et le regarder dormir à mes côtés.

Et la tête posée sur son cœur, à écouter une mélodie sourde.

















Quel drôle de cauchemar.























☦︎ THE END ☦︎
































~~~~

Après tout ce temps, Get After It a enfin vu le jour.

J'espère que cet OS vous aura plu, qu'il était à la hauteur de vos attentes, et je vous retrouve bientôt pour la suite de OO:SA:KA !!

Sur ce, je repars collé mon petit cœur brisé. :(


Des bisous~

-Traylexe

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