3. Joueuse 199






- SHI-JOO -



— 1, 2, 3....

Shi-joo se propulsa de tout son élan par-dessus la ligne d'arrivée. Ses semelles dérapèrent dans les gravillons.

— Soleil !

Tout son corps se pétrifia par automatisme, encore saturé par la peur panique qui avait déferlé en elle au son des tirs. Ses tympans bourdonnaient, fracassés par les déflagrations répétitives. Elle leva les yeux vers l'écran du décompte.

1 : 13 minute restante. Elle l'avait fait.

Ahanant, elle poussa un râle de soulagement et s'autorisa enfin à essuyer la sueur piquante qui lui ruisselait dans les yeux. Son cœur battait à éclater dans sa poitrine. À présent que le stress refluait, toute force quitta ses jambes. Ses mollets se mirent à trembler. L'odeur du sang et de la poudre étaient si prononcées qu'elle pouvait presque les sentir sur sa langue.

Un ultime tir marqua la fin du décompte. Abrutie, Shi-joo se retourna. Le brailleur et un autre joueur soutenaient le corps d'un blessé traîné jusqu'à la ligne d'arrivée. Une plaie sanguinolente trouait le crâne du dernier éliminé. Les deux autres restèrent un instant pétrifiés par l'exécution arbitraire, puis se résolurent à poser leur fardeau au sol.

La joyeuse voix artificielle félicita les gagnants du jeu et les invita à regagner leurs quartiers. Shi-joo tira sur le col de son t-shirt et l'agita pour s'éventer. Elle était en nage sous son survêtement, la sueur lui brûlait la peau, mais elle ne pouvait se résoudre à retirer sa veste. Des frissons glacés la gagnaient, et elle se sentirait vulnérable sans cette dérisoire protection.

Le numéro 120, qui avait aidé le brailleur à secourir l'éliminé, lui passa devant alors que les premiers à reprendre leurs esprits se mettaient en branle. Shi-joo s'aperçut distraitement qu'il s'agissait en réalité d'une femme trans. Les jambes flageolantes, elle emboîta le pas aux joueurs qui évacuaient le terrain de jeu.

La marche à travers le dédale s'effectua dans un silence accablé. Au milieu des centaines de participants, Shi-joo se sentit désespérément isolée. Ils venaient de traverser les mêmes horreurs, et pourtant pas un seul d'entre eux n'échangeait un mot ni un regard, pas la moindre marque de solidarité dont elle avait besoin pour colmater la brèche dans sa poitrine. Avide de contact humain, elle repéra tout à coup le numéro 456 entre les dos, et pressa le pas pour le rejoindre.

— Monsieur ! l'interpella-t-elle. Merci pour ce que vous avez fait. C'était... c'était incroyable !

L'homme cilla, comme surpris de se voir adresser la parole. Il n'affichait pas le même air hébété que le reste des joueurs, remarqua-t-elle. Ses yeux étaient durs et brûlant de hargne. Son regard vacilla tout de même lorsqu'il se posa sur le numéro qu'elle portait. Le 199.

— Comment vous avez su ? s'enquit-elle.

— Aucune importance. Il faut arrêter ces jeux dès maintenant, déclara 456 avant de se détourner.

Shi-joo ouvrit des bras désemparés par sa réponse abrupte. En désespoir de cause, elle voulut témoigner son admiration à 120, mais ne la retrouva pas dans le flot de joueurs. Une fois de retour dans le dortoir, elle perdit toute volonté d'engager la conversation avec quiconque. Dans la pénombre ambrée, l'atmosphère était si pesante qu'elle n'osa plus un murmure.

Elle s'assit avec le groupe à la lisière des lits. Un réflexe grégaire les avait fait resserrer les rangs au point qu'elle percevait les souffles, les déglutitions et les bruissements de vêtements tout autour d'elle. En temps normal, la conscience des effluves aigres dégagées par ses aisselles l'aurait embarrassé, mais l'ensemble des joueurs transpiraient encore leur stress, aussi se fichait-elle éperdument de cette proximité.

Le joueur à côté d'elle bougea pour appuyer ses coudes sur ses genoux, et l'infime déplacement d'air produit par son mouvement fit frémir les narines de Shi-joo.

Il sent bon, s'étonna-t-elle.

Pas le moindre remugle de sueur. L'odeur de propre qu'ils embaumaient à leur réveil dans la salle imprégnait encore son survêtement. Elle inclina la tête pour chercher son numéro – un réflexe d'identification vite intégré – et n'aperçut que les premiers zéros des trois chiffres.

Les lumières se rallumèrent brusquement au son du buzz, lui arrachant un sursaut. Une onde de panique parcourut le groupe quand les hommes en combinaison entrèrent, cette fois armés de fusils semi-automatiques. Shi-joo bondit sur ses pieds, mais demeura tapis parmi les participants. Son voisin se redressa avec une lenteur attentive.

Comme auparavant, le masque au carré s'avança pour prendre la parole. Il les félicita poliment d'avoir remporté le jeu, puis annonça que quatre-vingt-onze d'entre eux avaient été éliminés. Le terme produisit un déclic dans l'esprit de Shi-joo. Elle se remémora la deuxième clause du contrat, stipulant que tout joueur refusant de participer serait éliminé.

— Si on ne respecte pas le contrat, ils nous tuent, comprit-elle à mi-voix.

Il lui sembla que l'attention de 00X se portait vers elle, mais un remous à l'avant du groupe l'arracha à ses réflexions. Une femme âgée s'avançait à genoux pour supplier les hommes masqués de les épargner, elle et son fils. Bientôt, une seconde suivit. En l'espace d'un instant, des dizaines de joueurs se jetèrent à terre. Autour de Shi-joo, les mains se frottaient et des suppliques montaient. Effarée, elle jeta des coups d'œil à droite et à gauche, les pointes rouges de ses mèches battant ses joues.

Non ! Il faut résister ! songea-t-elle spontanément, quand-bien même elle ne se voyait pas affronter les modérateurs armés.

Elle s'aperçut alors que son voisin l'observait avec une curiosité détachée, comme s'il attendait de voir si elle allait supplier elle aussi.

— Clause trois ! lança une voix que Shi-joo reconnue aussitôt. Un vote de la majorité peut mettre fin au jeu.

Elle en avait oublié la troisième clause. Pourtant, l'ajout de celle-ci lui parut soudain incongrue.

— Mais qui va vouloir continuer, après ça ? Y a un piège ou quoi ?

Sans réfléchir, elle avait pris son voisin à partie. Désormais tournée vers lui, elle put lire son numéro complet : 001. C'était un quinquagénaire bien bâti, aux traits harmonieux, le nez droit et la bouche finement ourlée. L'amusement frémissait au coin de ses lèvres. Il se garda pourtant de répondre et ramena son regard sur les hommes masqués.

Au grand soulagement des joueurs, le modérateur confirma qu'ils pouvaient bel et bien procéder à un vote.

— Avant cela, laissez-moi vous annoncer la somme récoltée à l'issue de ce premier jeu.

Il pressa un bouton sur une télécommande, et les lumières s'éteignirent. Seule la tirelire géante illuminait encore la salle. Une pluie de billets, d'énormes liasses de billets, descendit alors le tube pour échouer contre le plexiglas. Menton levé, les joueurs s'avancèrent sous le flot de lumière tamisée. Shi-joo les accompagna de quelques pas, avant de baisser les yeux pour scruter les visages, alarmée.

Les attitudes venaient de changer. Une fièvre d'or avait fondu la peur et dissipé la colère.

L'inquiétude cognant à ses tempes, Shi-joo étudia leurs expressions, tâchant d'évaluer l'ampleur de la contagion. Elle croisa alors un regard profond, emplit de sagacité.

001 répondit muettement à sa question.







Première apparition de 001 !

J'adore l'écrire, j'espère qu'il sera assez ic pour vous.


Publication chapitre 4 : 31/01/25





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